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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1537/2024

ATA/981/2024 du 20.08.2024 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1537/2024-AIDSO ATA/981/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 août 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé



EN FAIT

A. a. A______, arrivé en Suisse en mai 2019, a été attribué dans le cadre de sa demande d’asile au canton de Genève.

b. Il a dès son arrivée à Genève en juin 2019 été hébergé au centre d’hébergement collectif (ci-après : CHC) B______.

c. Sa demande d’asile a été rejetée en avril 2020. Une admission provisoire lui a été accordée le 9 avril 2020.

d. Au fil des mois, des résidents du foyer se sont plaints du fait que A______ recevait de nombreuses visites de personnes extérieures. Certains ont fait état d’un potentiel trafic de drogues.

e. Le service sécurité humaine et prévention incendie de l’Hospice général (ci‑après : SHPI) a ainsi organisé, en présence de A______, un contrôle de sa chambre le 28 novembre 2023 à 15h00.

Il a alors constaté la présence de deux hommes en train de dormir sur des matelas ajoutés aux meubles mis à disposition par l’Hospice général (ci-après : hospice). L’un a refusé de décliner son identité, l’autre a montré une photo sur son téléphone portable en indiquant qu’il s’agissait de sa pièce d’identité et les deux hommes sont partis. Lors de la fouille de la chambre – à laquelle A______ a consenti – de la résine de cannabis, des boulettes de cocaïne et des liasses de billets d’argent ont été trouvées. Interrogé sur la question de savoir s’il y avait encore de la drogue dans la chambre, A______ a sorti un portefeuille de son pantalon dans lequel se trouvaient encore d’autres boulettes de cocaïne. Le SHPI a alors fait appel aux forces de l’ordre, qui ont appréhendé l’un des hommes présents en début de la visite et qui était revenu pour récupérer un sac, un autre visiteur qui s’est présenté en cours de la fouille et A______.

f. Ce dernier a été relaxé le lendemain.

g. Le 29 novembre 2023 également, l’hospice a mis fin à l’hébergement de A______ au foyer de B______ et lui a attribué une place dans le centre d’accueil C______. Cette décision, déclarée immédiatement exécutoire, lui a été remise le 30 novembre 2023 en main propre.

h. Dans son opposition à la décision, le bénéficiaire a fait valoir que seuls « 12 parachutes de cocaïne pour un total de 7 gr brut » lui appartenaient et étaient destinés à sa consommation personnelle. Les deux hommes présents dans sa chambre étaient venus lui rendre visite le matin même et en avaient profité pour s’allonger un peu.

i. Par décision du 13 mars 2024, l’hospice a rejeté l’opposition.

La présence de deux personnes extérieures au foyer aurait justifié un avertissement, plutôt que de mettre un terme à l’hébergement. En revanche, la présence de stupéfiants fondait pleinement le transfert vers un autre lieu d’hébergement, dans l’intérêt des autres résidents, dont notamment des enfants mineurs.

j. Le 17 mai 2024, A______ a intégré le CHC de D______.

B. a. Par acte expédié le 6 mai 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre la décision du 13 mars 2024.

En signant la décision du 29 novembre 2023, il n’avait nullement acquiescé à son contenu. Les faits avaient été relatés de manière inexacte. La fouille avait eu lieu à 14h00 et non à 15h00. Le deuxième homme présent avait également décliné son identité et n’avait pas quitté les lieux. Il voulait savoir qui étaient les résidents qui s’étaient plaints qu’il s’adonnait au trafic de drogue. Tant qu’il ne disposait pas de ce renseignement, il considérait que la décision n’était qu’un parti pris. Il avait toujours reçu ses visites « dans les règles de l’art ». Il voulait être confronté aux dénonciateurs. Les éléments ressortant de la fouille de sa chambre laissaient supposer qu’il s’adonnait à un trafic de drogue. Il se sentait humilié par ce genre de supposition.

Il concluait, principalement, à l’annulation des décisions de l’hospice et, préalablement, à la production par l’hospice du rapport du SHPI du 28 novembre 2023, des rapports de E______ de 2020 à 2022 concernant les contrôles inopinés de sa chambre, la communication du nom des dénonciateurs et une confrontation avec ceux-ci, le constat de « l’absence logique dans la décision du 13 mars qui mentionne que l’un de mes visiteurs aurait refusé de décliner son identité et aurait quitté les lieux » et au constat que l’hospice n’aurait pas pris en compte ses écritures d’opposition.

b. Le lendemain, le recourant a fait parvenir à la chambre administrative un second exemplaire de son recours.

c. L’hospice a conclu à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.

L’intéressé avait intégré le foyer de D______, de sorte que son intérêt à être attribué à un foyer et quitter Palexpo n’était plus actuel.

d. Dans sa réplique, le recourant a maintenu son recours. Il rappelait son nom complet. La présomption d’innocence avait été violée. Ce n’était qu’après une hospitalisation au service de psychiatrie pour des idées suicidaires que l’hospice l’avait pris au sérieux. Au retour de vacances de son assistante sociale, les choses s’étaient débloquées. Son abonnement de transports publics avait été renouvelé. Il s’était fait régulièrement humilier par les contrôleurs des TPG, en raison de l’inaction de l’hospice pour le renouvellement de son abonnement. Aussi, sa dent cassée avait enfin été réparée et son inscription dans une salle de gym faite.

L’hospice s’était précipité à le changer de foyer uniquement à la suite du recours qu’il avait formé. Son recours ne pouvait donc pas être déclaré irrecevable.

Son recours visait l’annulation des deux décisions de l’hospice. Il n’était donc pas devenu sans objet du fait qu’il avait quitté le centre d’accueil C______.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Il convient, en premier lieu, de définir l’objet du litige.

2.1 Celui-ci correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible. La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés (ATF 142 I 455 consid. 4.4.2 et les références citées).

2.2 En l’espèce, seules la décision de l’hospice de mettre fin à l’hébergement du recourant au B______ et lui attribuant une place dans le centre d’accueil C______ et le rejet par l’hospice de l’opposition contre cette décision font l’objet de la présente procédure. La chambre administrative ne peut donc que contrôler le bien-fondé de ces décisions.

Partant, en tant que le recourant sollicite autre chose que l’annulation des décisions des 29 novembre 2023 et 13 mars 2024, ses conclusions sont irrecevanbles. Par ailleurs, son attribution à un nouveau foyer ne rend pas son recours sans objet. En effet, cette attribution ne lui octroie pas le plein de ses conclusions, singulièrement celles visant l’annulation de la décision d’attribution d’un nouvel hébergement, mettant fin à son séjour au B______.

3.             Le recourant sollicite différents actes d’instruction.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 132 II 485 consid. 3.2). Ce droit n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement ni celui de faire entendre des témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 En l’espèce, l’hospice a produit le rapport d’incident du 29 novembre 2023 relatif à la fouille de la chambre du recourant. Il a ainsi été fait droit à la demande du recourant y relative. Il n’y a pas lieu d’ordonner l’apport d’autres rapports de E______ relatifs aux contrôles inopinés réalisés dans la chambre du recourant entre 2020 et 2022. En effet, ces rapports ne sont pas de nature à apporter des éléments pertinents pour l’issue de la présente procédure. Celle-ci est exclusivement fondée sur les constats du 29 novembre 2023, au sujet desquels le document pertinent a été produit.

Il n’y a pas non plus lieu d’ordonner à l’hospice d’indiquer le nom des résidents s’étant plaints des va-et-vient dans la chambre du recourant et ayant soupçonné l’existence d’un trafic de drogue, ni d’entendre ces personnes. L’hospice ne s’est, à aucun moment, fondé sur les déclarations de celles-ci. Il s’est exclusivement basé sur les constats ressortant du rapport précité. L’audition de résidents n’est ainsi pas de nature à apporter des éléments utiles à la solution du litige, étant relevé que, contrairement à ce que semble affirmer le recourant, la question de savoir s’il s’est adonné à un trafic de drogue n’est pas déterminante.

Pour le surplus, la chambre administrative constate qu’elle dispose d’un dossier complet lui permettant de trancher le litige en connaissance de cause.

Il ne sera donc pas procédé à d’autres actes d’instruction.

4.             Le recourant reproche à l’hospice de ne pas avoir examiné certains de ses griefs, notamment ceux relatifs à un prétendu squat qu’il aurait organisé dans sa chambre. Ce faisant, il se plaint d’un défaut de motivation de la décision querellée.

4.1 Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. implique également l’obligation pour l’autorité de motiver ses décisions, afin que l’administré puisse les comprendre et exercer ses droits de recours à bon escient (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 ; 141 V 557 consid. 3.2.1). Il suffit cependant que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause (ATF 142 II 154 consid. 4.2). L’autorité n’est pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties et peut se limiter aux questions décisives (ATF 146 II 335 consid. 5.1 ; 142 II 154 consid. 4.2).

4.2 En l’espèce, l’hospice a examiné dans la décision sur opposition les deux reproches faits au recourant, à savoir d’avoir mis à disposition de deux visiteurs sa chambre, notamment pour y dormir, fut-ce pendant les heures de visite, et d’avoir détenu dans sa chambre des stupéfiants. Il a considéré que le premier reproche ne justifiait pas de mettre fin à l’hébergement au B______, mais aurait uniquement pu donner lieu à un avertissement. En revanche, la seule détention de stupéfiants dans la chambre du recourant justifiait la décision.

Cette motivation permet parfaitement de comprendre les motifs qui l’ont guidé ; le recourant l’a d’ailleurs comprise, comme le démontre son recours motivé. L’hospice n’avait pas à traiter tous les griefs relatifs à des points de fait non pertinents, tels que la date précise de l’arrivée du recourant au B______, le type d’autorisation dont il bénéficie, les critiques relatives à la notification (en mains propres et non par voie postale) de la décision etc. Il pouvait, comme il l’a fait, se limiter à examiner les éléments pertinents ayant conduit à la décision attaquée.

La décision querellée ne viole donc pas le droit à une décision motivée.

5.             Est litigieux le bien-fondé de la décision mettant fin à l’hébergement du recourant au B______ et lui attribuant une place au centre d’accueil C______.

5.1 Selon l’art. 80 de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31), les personnes qui séjournent en Suisse en vertu de la présente loi et qui ne peuvent subvenir à leur entretien par leurs propres moyens reçoivent l’aide sociale nécessaire, à moins qu’un tiers ne soit tenu d’y pourvoir en vertu d’une obligation légale ou contractuelle, ou l’aide d’urgence, à condition qu’elles en fassent la demande. L’octroi de l’aide sociale et de l’aide d’urgence est régi par le droit cantonal (art. 82 al. 1 LAsi).

5.2 Les prestations d'aide d'urgence de personnes dont la demande d’asile a été rejetée comprennent, notamment, le logement dans un lieu d'hébergement collectif (art. 44 al.1 let. a de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 - LIASI - J 4 04).

Les directives cantonales en matière de prestations d'aide sociale et financière aux requérants d'asile et statuts assimilés du 1er janvier 2011 règlent, notamment, le droit aux prestations de personnes au bénéfice d'une admission provisoire disposant d’un droit de séjour sur le territoire genevois en vertu de la loi fédérale sur l’asile et de la loi sur les étrangers, dans les limites de validité de leur permis F (art. 3). L’application des normes, y compris celles déterminant les prestations d’aide sociale, relève de la responsabilité de l’hospice (art. 6). Celui-ci met à disposition du bénéficiaire un hébergement dans une structure collective ou individuelle, en fonction des places disponibles (art. 6.2.5). Le bénéficiaire est notamment tenu d’utiliser les locaux mis à disposition par l’hospice dans le respect des règles et usages en vigueur (art. 6.2.5 let. a).

5.3 Selon le règlement des lieux d’hébergement collectif de l’aide aux requérants d’asile de l’hospice du 21 janvier 2013 (ci-après : règlement), il est formellement interdit aux résidents d’héberger toute personne étrangère au lieu d’hébergement collectif sans autorisation (art. I.6). Ne sont pas autorisés à l’intérieur comme aux abords immédiats des lieux d’hébergement collectif, notamment, l’usage, la détention, la vente de drogues et de produits illicites (art. III.26).

En cas de non-respect du règlement, l’hospice peut prononcer un avertissement écrit ou mettre fin de manière temporaire ou définitive à la mise à disposition de la place d’hébergement ou encore procéder à une dénonciation pénale (art. V. 34). En cas de violation grave ou répétée du règlement, l’hospice peut mettre un terme à l’hébergement. Tel est le cas si le bénéficiaire détient des stupéfiants dans le lieu d’hébergement.

5.4 En l’espèce, il est ressorti lors du contrôle de la chambre occupée par le recourant le 28 novembre 2023 que de la drogue s’y trouvait. Le recourant ne le conteste pas, expliquant que seule une partie des stupéfiants lui appartenait et était destinée à sa propre consommation.

Or, le règlement indique très clairement que la détention de drogue et produits illicites à l’intérieur et aux abords du lieu d’hébergement n’est pas autorisée. Il prévoit également très clairement que la détention de tels produits constitue une violation grave du règlement qui autorise l’hospice à mettre fin à l’hébergement. Contrairement à ce que semble soutenir le recourant, il ne lui est pas reproché d’avoir participé à un trafic de drogue, mais d’avoir détenu, dans le B______, des substances illicites.

À teneur du règlement, l’hospice aurait pu, en raison de la seule détention de drogues dans sa chambre, mettre fin à la mise à disposition au recourant d’un hébergement. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner plus avant l’étendue de la présence des deux hommes qui dormaient dans la chambre du recourant lors du contrôle de celle-ci. Plutôt que de mettre un terme à l’hébergement du recourant, l’hospice a choisi de continuer à l’héberger, toutefois dans un autre lieu d’hébergement.

Cette mesure tient dûment compte de la nécessité du recourant de disposer d’un lieu d’hébergement et de l’intérêt de l’hospice à assurer la sécurité et la tranquillité des résidents qu’il accueille dans ses CHC, étant précisé qu’il est notoire que le B______ héberge des familles avec des enfants mineurs. La décision querellée respecte donc le principe de la proportionnalité.

Au vu de ce qui précède, le recours est mal fondé et sera, par conséquent, rejeté.

6.             Vu la nature du litige, il n’y a pas lieu à la perception d’un émolument. Le recourant succombant, il ne peut se voir allouer une indemnité de procédure.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 mai 2024 par A______ contre la décision de l’Hospice général du 13 mars 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :