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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1933/2023

ATA/923/2024 du 06.08.2024 sur JTAPI/264/2024 ( ICCIFD ) , ADMIS

Recours TF déposé le 11.09.2024, 9C_485/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1933/2023-ICCIFD ATA/923/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 août 2024

4e section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE recourante

contre

A______ intimée
représentée par Céline RICHA, mandataire

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS autre intimée

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 mars 2024 (JTAPI/264/2024)


EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) a son siège à Genève. Elle a pour but : « exécution de toute fonction et opération entrant dans la sphère d'activité d'une société fiduciaire et détention de toute participation à d'autres entreprises ».

b. Le 3 juillet 2018, elle a acquis une participation de 80% dans B______, société sise à Monaco (ci-après aussi : la filiale).

c. Dans sa déclaration fiscale 2019, elle a intégralement amorti le coût d'investissement de CHF 3'381'522.- de cette participation.

d. Le 13 octobre 2021, en guise de réponse à une demande de renseignements concernant cette opération comptable, elle a indiqué à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) avoir pratiqué cet amortissement sur recommandation de ses auditeurs au vu des mauvais résultats réalisés par sa filiale monégasque.

e. Faisant suite à une demande de l’AFC-GE de lui transmettre des renseignements et documents relatifs à l'acquisition de sa filiale monégasque, la société a, le 10 janvier 2022, notamment transmis le contrat d'acquisition des participations et les états financiers des sociétés acquises.

Selon les clauses dudit contrat, A______ avait initialement acheté des participations dans quatre sociétés, à savoir C______, D______, E______ et F______. Le paiement du prix d'acquisition était aménagé comme suit : un premier paiement de EUR 3'100'000.- avait été effectué à la conclusion de la transaction, suivi des paiements additionnels correspondant à 30% du dividende distribué le cas échéant en 2018, 20% du dividende distribué le cas échéant en 2019 et 10% du dividende distribué le cas échéant en 2020.

Il n'y avait aucun lien entre l'acheteur et le vendeur, si bien qu'il s'agissait de tiers absolus.

f. Le 28 mars 2022, A______ a confirmé à l’AFC-GE que le prix d’achat de sa filiale étrangère était conforme au marché. Après l’avoir acquise, elle avait procédé à la mise aux standards du groupe G______ auquel elle appartenait. Il en avait résulté une baisse de la profitabilité de cette filiale. Pour cette raison, en mai 2019, l’organe de révision avait demandé que cette participation soit amortie.

g. Le compte de résultat annexé à la déclaration fiscale ainsi que l'annexe aux comptes faisaient état d'un amortissement de CHF 3'381'522.- correspondant au coût d'investissement de sa participation dans sa filiale monégasque, tel qu'admis dans les comptes 2018.

B. a. Le 25 novembre 2022, l’AFC-GE a notifié à A______ des bordereaux de taxation au titre de l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) et de l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) pour l'année 2019. Ceux-ci comportaient une reprise de CHF 3'381'522.- dans son bénéfice au titre de provision non admise. D’après ses états financiers, la filiale monégasque n’avait pas subi de perte de valeur significative depuis son acquisition.

b. Dans sa réclamation, la contribuable a fait valoir que l’amortissement – et non la provision, comme l’indiquait l’AFC-GE – en question était nécessaire, sans quoi sa participation aurait été surévaluée.

c. Le 24 janvier 2023, la société a complété sa réclamation. Elle avait fait l’objet d’un contrôle de la part de l’administration fédérale des contributions (ci‑après : AFC‑CH) portant sur l’impôt anticipé des années 2015 à 2019. Le taxateur avait analysé les documents portant sur l’acquisition et l’amortissement de la filiale monégasque et, le 10 novembre 2021, avait confirmé qu’il n’y avait rien à redire à propos de cette transaction. La conclusion de l’AFC-CH devrait rassurer l’AFC-GE quant à la nécessité d’amortir cette participation.

d. Par deux décisions du 22 février 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. La filiale monégasque n’avait pas subi de perte de valeur significative depuis son acquisition, qui justifierait l'ajustement opéré. La demande de modification du libellé de la reprise n'avait aucune conséquence sur le montant de l’impôt dû. L’AFC-GE n’était pas liée par les conclusions de l’AFC-CH en matière d’impôt anticipé, dès lors que les problématiques analysées par cette dernière ne concernaient pas le même type d’impôt.

C. a. Par acte du 8 juin 2023, A______ a recouru devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à l’annulation de ces décisions, notifiées le 23 mai 2023, et à l’admission de l’amortissement de la participation de la filiale monégasque.

Elle avait acquis les quatre sociétés initiales sur une base de valorisation de cinq fois des « earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization » consolidé (ci-après : EBITDA).

En 2017, 2016 et 2015, les trois sociétés DEF______ susmentionnées et la filiale monégasque avaient encaissé des recettes brutes consolidées se chiffrant à respectivement EUR 1'234'523.-, EUR 1'339'207.- et EUR 1'419'328.-. Pour ces mêmes périodes, elles avaient réalisé un bénéfice après impôt consolidé se montant à respectivement EUR 594'967.-, EUR 620'256.- et EUR 719'998.-. Étant donné qu’elle n’avait pas l’intention de gérer les quatre sociétés indépendamment, elle avait rapatrié l’ensemble des flux liés aux sociétés DEF______ pour les regrouper dans la filiale monégasque dont la raison sociale était désormais B______. Celles-ci avaient alors été rendues inactives.

En 2018 et en 2019, la filiale monégasque avait subi une perte de respectivement EUR 134'658.- et EUR 332'313.-. Cette diminution de profitabilité avait conduit à une diminution réelle de valeur de cette participation, constatée par l’organe de révision, qui avait demandé à ce que celle-ci soit amortie.

Enfin, dans son contrôle relatif à l’impôt anticipé, l’AFC-CH n’avait pas considéré l’acquisition de la participation monégasque comme « occulte », mais admis que cette transaction avait été effectuée entre tiers absolus.

b. L’AFC-GE a conclu à ce que la reprise du bénéfice soit ramenée de CHF 3'381'522.- à CHF 947'086.- et à la « reformatio in pejus » de la taxation en ce sens qu’une réserve latente imposée de CHF 947'086.- soit inscrite dans le bilan fiscal. Pour le surplus, elle a conclu au rejet du recours.

c. Par jugement du 25 mars 2024, le TAPI a admis le recours.

Selon les états financiers 2019, la filiale monégasque se trouvait en situation de surendettement au sens de l'art. 725b de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220). Ses actifs (EUR 670'348.- ) ne couvraient plus ses fonds étrangers (EUR 970'873.-) qui étaient ainsi négatifs (EUR -300'524.-). Elle avait également subi une perte de EUR 332'313.- en fin du même exercice. Il ne ressortait pas de son bilan qu'elle disposait d'actifs comprenant des réserves latentes.

Au vu de cette situation, la participation litigieuse était dépourvue de toute valeur. Jamais un tiers indépendant n'accepterait de payer CHF 3'381'522.-, ni même CHF 947'086.- pour acquérir une société surendettée. La déduction liée à l'amortissement n'était cependant pas définitive puisque les corrections de valeur sur participations, qu'elles s'apparentent à un amortissement ou à une provision, pouvaient en tout temps faire l'objet d'une reprise par l'AFC-GE si elle n’était plus justifiée.

D. a. Par acte du 29 avril 2024, l'AFC-GE a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre ce jugement, dont elle a demandé l'annulation. Elle a conclu au constat que la valeur de la participation dans B______ s’élevait à CHF 947'086.- au 31 décembre 2019, à ce que la reprise de CHF 3'381'522.- en bénéfice pour l’IFD et l’ICC soit réduit à CHF 947'086.- et à ce qu’une réserve latente imposée de CHF 947'086.- pour l’ICC soit inscrite au bilan fiscal.

La filiale monégasque ayant son siège à Monaco, elle n'était pas soumise à l'art. 725b CO. Elle n'avait de toute manière pas déposé de bilan à fin 2018 ou en 2019 en dépit de la situation de surendettement retenue par le TAPI.

Le prix d’acquisition de la filiale monégasque et des sociétés DEF______ avait été déterminé sur la base d’une valorisation de cinq fois l’EBITDA, tel qu'il ressortait des comptes consolidés des années 2014 à 2017. Au 31 décembre 2017, les fonds propres consolidés de ces quatre sociétés se chiffraient à EUR 247'912.-, soit une valeur très éloignée du prix de CHF 3'381'522.- payé pour l’acquisition des quatre participations. Par conséquent, la contribuable s'était manifestement fondée sur la valeur de rendement pour déterminer ce prix d’acquisition et non sur le montant de leurs fonds propres, ni sur le rapport entre ces derniers et leurs bénéfices respectifs. Cette méthode d'évaluation applicable en 2018 devait l'être également en 2019 pour déterminer la valeur de sa participation dans sa filiale, conformément au principe de permanence des méthodes d'évaluation ancré à l'art. 958c al. 1 CO.

La valeur de la filiale monégasque calculée selon cette méthode, soit cinq fois son EBITDA 2019, représentait CHF 947'086.-. En effet, pour les années 2014, 2015, 2016 et 2017, le bénéfice avant impôt consolidé des quatre sociétés acquises se chiffrait à respectivement EUR 758'214.-, EUR 731'196.-, EUR 626'331.- et EUR 601'811.-, soit en moyenne à EUR 679'388.-. La contre-valeur de ce montant correspondait à CHF 696'171.-. Le coût d’investissement des participations se chiffrant à CHF 3'381'522.-, il en résultait un multiple de l’EBITDA de 4.857 (CHF 3'381'522.- / CHF 696'171.-). Pour le calcul de la valeur des participations à fin 2019, il fallait multiplier par 4.857 la moyenne des bénéfices avant impôt consolidés de 2016 à 2019. Cette moyenne s’élevait à EUR 190'293.- ([626'331.- + 601'811.- – 134'658.- – 332'313.-] : 4). Ce montant représentait la contre-valeur de CHF 194'994.-. À la fin de l’année 2019, la filiale monégasque valait ainsi CHF 947'086.- (CHF 194'994.- x 4.857).

L'application d'une méthode d'estimation fondée sur la valeur de rendement comme en l'espèce se fondait sur une analyse dynamique de la situation de la filiale monégasque. Une comparaison du montant du chiffre d'affaires consolidé des quatre sociétés acquises regroupées au sein de cette entité avec le montant des charges consolidées permettait de constater que si le premier était devenu en fin 2018 inférieur d'environ 12% du second, respectivement en fin 2019 inférieur d'environ 25% du second, la contribuable n'avait pas déposé le bilan de sa filiale. Si elle avait conservé sa participation dans cette dernière en 2019, alors qu'elle lui avait rapporté moins qu'elle n'avait coûté, c'était parce que cette participation avait toujours une valeur de rendement sur la base d'une analyse dynamique des comptes 2014 à 2019. Le TAPI avait donc tort d'affirmer qu'aucun tiers indépendant n'aurait accepté de payer CHF 947'087.- pour acquérir une telle participation. La filiale avait réalisé un chiffre d'affaires de CHF 993'869.- en 2019, de sorte qu'un tiers indépendant aurait pu, tout comme la contribuable, être intéressé à l'acquérir sur la base d'une valeur de rendement indépendamment du montant de ses fonds propres.

Certes, il n'était pas contesté que l'AFC-GE pourrait à l'avenir reprendre tout ou partie de l'amortissement intégral de CHF 3'381'522.- effectué par la contribuable en 2019, mais la participation dans la filiale étrangère ne valait que CHF 947'087.- , de sorte que dit amortissement était excessif et que cette part excessive devait être reprise et ajoutée au bénéfice.

Si le redressement fiscal effectué sur le bénéfice devait être admis, une réserve latente imposée au titre de l'impôt sur le capital devait être reconnue s'agissant des ICC.

b. A______ a conclu au rejet du recours.

Il n'y avait pas lieu de déterminer quelles étaient les obligations d'une société monégasque comme B______. En tant que société de droit suisse, elle-même était soumise au CO. Si sa filiale même étrangère était en état de surendettement au sens du droit suisse, il était nécessaire qu'elle prenne les mesures qui s'imposaient, à savoir un amortissement complet de la participation, comme l'avait exigé son organe de révision.

Le raisonnement de l'AFC-GE au sujet de la permanence des méthodes d'estimation n'était pas pertinent, l'acquisition de sa participation dans sa filiale s'étant faite lors d'une transaction entre tiers, sans qu'il y ait eu de méthode d'évaluation. À la suite de cette acquisition, elle avait procédé à un épurement du portefeuille de clients pour les raisons de compliance afin de l'aligner sur les normes de conformité du groupe. Ceci avait accru les charges de cette société, de sorte qu'elle avait perdu de sa substance économique et de sa profitabilité. Dans ce contexte, l'organe de révision avait expressément demandé l'amortissement intégral de la participation. Il était faux de vouloir évaluer cette participation en 2019 selon une méthode qui n'avait été nullement choisie lors de la transaction, aucune méthode de valorisation n'ayant été mentionnée dans les annexes au bilan, pas plus que la prise en compte artificielle de la moyenne des quatre exercices fiscaux historiques, alors que la société était encore profitable et dans un autre contexte. L'évaluation de la participation en 2019 à CHF 947'086.- était donc fantaisiste.

L'AFC-GE faisait preuve d'un manque de consistance : après avoir initialement repris l'amortissement intégral, elle avait par la suite reconsidéré sa position devant la juridiction précédente et réduit le montant de la reprise.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Il convient au préalable de déterminer le droit matériel applicable.

2.1 En l'absence d'une réglementation expresse contraire, le droit applicable à la taxation est celui en vigueur pendant la période fiscale en cause (ATF 140 I 68 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_715/2022 du 19 juillet 2023 consid. 5).

2.2 En l'espèce, le litige porte sur la taxation ICC et IFD pour l’année 2019. La cause est ainsi régie par le droit en vigueur en 2019, à savoir pour l’IFD par les dispositions de la LIFD et pour l'ICC celles de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15), de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et de la LPFisc.

3.             Le litige porte sur la reprise de l'impôt sur le bénéfice de l'IFD et de l'impôt sur le bénéfice et du capital de l'ICC de l'amortissement annoncé par la contribuable dans sa déclaration fiscale 2019 sur la participation qu'elle détient dans B______.

Le TAPI a retenu que l'amortissement intégral d'un montant de CHF 3'381'522.- était justifié par la perte de valeur de la participation ensuite du surendettement de la filiale monégasque, tel qu’il ressortait de ses comptes annuels à fin 2019.

L'AFC-GE qui admet le principe de l'amortissement conteste son étendue. Elle fait valoir qu'il est excessif, fondé sur une perte de valeur de la participation de la contribuable établie en violation des principes applicables à la détermination de la valeur fiscale des participations non cotées.

Eu égard aux allégations de l'AFC-GE, il convient d'examiner si la reprise à laquelle elle a procédé est conforme au droit.

4.             L'autorité fiscale allègue que la contribuable n’a pas respecté les règles impératives du droit commercial dans la mesure où elle s’était écartée de la méthode d'évaluation de sa participation dans sa filiale ayant prévalu lors de son acquisition.

4.1 Les cantons doivent imposer l'ensemble du bénéfice net dans lequel doivent notamment être inclus les charges non justifiées par l'usage commercial, portées au débit du compte de résultats, ainsi que les produits et les bénéfices en capital, de liquidation et de réévaluation qui n'ont pas été portés au crédit du compte de résultats (art. 24 al. 1 let. a et b LHID).

4.2 Selon les art. 11 LIPM et 57 LIFD, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net. Les amortissements et les provisions qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial sont considérés comme bénéfice net imposable (art. 12 al. 1 let. e LIPM et 58 al. 1 let. b LIFD). L'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, tel qu'il découle du compte de pertes et profits établi selon les règles du droit commercial (art. 12 let. a LIPM, 57 et 58 al. 1 LIFD).

4.3 En droit commercial, les amortissements sont la constatation comptable de la perte subie par la valeur d'actifs immobilisés qui se déprécient avec le temps (art. 665, 669 et 960 al. 2 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse [CO, Code des obligations - RS 220]). Le poste d'actif concerné est diminué pour tenir compte de sa dépréciation (Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd]., Impôt fédéral direct, Commentaire romand, 2017, n. 4 ad art. 62 LIFD).

En droit fiscal, les amortissements sont admis en déduction du bénéfice imposable pour autant qu’ils sont justifiés par l'usage commercial et correspondent à une dépréciation réelle des actifs (ATF 132 I 175 consid. 2.2).

4.4 Le droit fiscal et le droit comptable suisses poursuivent en effet des objectifs différents. Le premier recherche une présentation qui fasse ressortir au mieux le résultat effectif et la réelle capacité contributive de l'entreprise, tandis que le second est avant tout orienté sur la protection des créanciers et fortement marqué par le principe de prudence. Dans ce contexte, les règles correctrices fiscales figurant à l'art. 58 al. 1 let. b et c LIFD visent à compenser le fait que le résultat comptable puisse s'éloigner de la réalité économique ; elles assurent une imposition du bénéfice qui tienne compte au mieux de la réelle situation patrimoniale d'une société. Par leur intermédiaire, le droit fiscal cherche à se rapprocher d'un système fondé sur le principe de l'image fidèle (« true and fair »), comme celui prévalant dans les normes de comptabilité internationales (Pierre-Marie GLAUSER, Apports et impôt sur le bénéfice, vol. 2, 2005, p. 96-97).

Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques (principe dit de déterminance). L'autorité peut en revanche s'écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 137 II 353 consid. 6.2 ; 136 II 88 consid. 3.1 ; 119 Ib 111 consid. 2c ; Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd], op. cit., n. 33 à 55 et 62 ad art. 57‑58 LIFD).

4.5 Pour l'évaluation de participations dans des sociétés non cotées, le Tribunal fédéral se réfère et applique la circulaire no 28 de la Conférence suisse des impôts contenant des instructions concernant l'estimation des titres non cotés en vue de l'impôt sur la fortune non seulement pour l'impôt sur la fortune, mais également lorsqu'il s'agit de procéder à l'estimation de la valeur vénale de titres non cotés dans le contexte de l'impôt sur le bénéfice et de l'impôt sur le revenu (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1082/2013 du 14 janvier 2015 consid. 5.3.1, in RF 70 2015 432 et les nombreux arrêts cités).

En tant que directive, ladite circulaire ne constitue certes pas du droit fédéral ou intercantonal, ne crée aucun droit ni aucune obligation et ne lie donc pas le juge (arrêts du Tribunal fédéral 2C_321/2019 du 1er octobre 2019 consid. 2.3 ; 2C_1082/2013 du 14 janvier 2015 consid. 5.3.1, in RF 70 2015 432 ; 2C_1168/2013 du 30 juin 2014 consid. 3.6, in RDAF 2015 II 34 [rés.]). La circulaire no 28 est toutefois reconnue, de jurisprudence constante, comme présentant une méthode adéquate et fiable pour l'estimation de la valeur vénale des titres non cotés, même s'il n'est pas exclu que d'autres méthodes d'évaluation reconnues puissent, isolément, s'avérer appropriées (arrêts du Tribunal fédéral 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 consid. 5.6.5, non publié in ATF 147 II 155 ; 2C_953/2019 du 14 avril 2020 consid. 4.2 ; 2C_1082/2013 du 14 janvier 2015 consid. 5.3.1).

La circulaire no 28 prévoit que la méthode d'estimation générale des titres non cotés des sociétés commerciales, industrielles et de services, dans la mesure où ils n'ont jamais été transférés, s'effectue par la moyenne pondérée entre la valeur de rendement doublée et la valeur intrinsèque déterminée selon le principe de la continuation (circulaire no 28, chap. A/2, ch. 2 et chap. B/3.2, ch. 34 de l'édition du 28 août 2008). Cette méthode est généralement appelée "méthode des praticiens" (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1082/2013 du 14 janvier 2015 consid. 5.3.1 ; 2C_309/2013 du 13 septembre 2013 consid. 3.6, in RDAF 2014 II 346).

En revanche, pour les titres qui ont fait l'objet d'un transfert substantiel entre tiers indépendants, la valeur vénale correspond généralement au prix d'acquisition (circulaire n° 28 chap. A/2, ch. 5). Le prix obtenu lors d'un tel transfert n'est toutefois à prendre en considération que s'il permet de déterminer une valeur vénale représentative et plausible de la société, situation qui doit être examinée selon l'ensemble des circonstances (circulaire no 28 chap. A/2, ch. 5 et commentaire de la circulaire, p. 4, version 2023). Si tel est le cas, la jurisprudence a précisé que la détermination par le biais de la méthode dite « des praticiens » n'a pas lieu d'être (arrêt du Tribunal fédéral 2C_953/2019 du 14 avril 2020 consid. 4.3).

La valeur vénale déterminée conformément à ce qui précède est conservée aussi longtemps que la situation économique de la société n'aura pas considérablement changé (circulaire no 28 chap. A/2, ch. 5). Selon le commentaire accompagnant la circulaire no 28, les critères déterminants permettant de juger d'un changement de la situation économique d'une entreprise sont le bénéfice, le chiffre d'affaires, les fonds propres et les rapports de participation. En règle générale, doivent être qualifiés de considérable une variation du chiffre d'affaires de 20 %, une variation du capital de 10 % qui ne résulterait pas du bénéfice ordinaire ou un changement dans les rapports de participations à hauteur de 10 %. Si l'une de ces conditions est remplie, l'estimation doit être revue (commentaire de la circulaire, p. 4).

Les titres et participations étrangers non cotés sont estimés d'après les Instructions précitées (circulaire no 28, ch. 60).

4.6 S'agissant de l'impôt sur le capital, les art. 29 al. 2 let. a LHID et 27 et 28 LIPM prévoient que le capital propre imposable des sociétés de capitaux comprend le capital-actions et le capital-participation ou le capital social libéré, les réserves ouvertes et les réserves latentes constituées au moyen de bénéfices imposés. Tel est notamment le cas d'amortissements surfaits ou des provisions non admises qui ont fait l'objet de reprises (arrêts du Tribunal fédéral 9C_469/2023 du 9 avril 2024 consid. 8.2 ; 2C_723/2021 du 16 août 2022 consid. 6.2 ; 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 consid. 12, non publié in ATF 147 II 155).

4.7 En matière fiscale, il appartient à l'autorité de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts. S'agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_89/2014 du 26 novembre 2014 consid. 7.2 ; ATA/1197/2018 précité consid. 3a).

4.8 En l'espèce, la contribuable a acquis ses participations de 80% des quatre entités regroupées au sein de B______ auprès de tiers indépendants. Il s'agit d'un transfert majeur dont le prix d'acquisition représente en principe la valeur vénale et est censé déterminer l'étendue d'un amortissement en cas de perte de valeur. Cependant, il est toujours possible, à l'aune des dispositions susmentionnées, de ne pas retenir le prix de transfert des participations s'il ne correspond pas à la valeur vénale représentative et plausible de la société. Lorsqu'une société estime sa participation de manière conforme au droit commercial selon une méthode reconnue, et que celle-ci se révèle dans le résultat comme conforme au droit commercial, alors cette méthode ne saurait être remise en cause, sauf changement considérable des circonstances. Les choix comptables opérés par le contribuable lui sont, en effet, opposables. Ainsi, il convient d’examiner comment le prix d’acquisition de la filiale a été déterminé pour savoir si une dépréciation justifie l’amortissement total dont se prévaut l’intimée.

Cette dernière a expliqué, au stade du recours devant le TAPI, que le prix d’acquisition de la filiale correspondait à cinq fois l’EBITDA des quatre sociétés acquises concernées par le rachat. Il est donc inexact, comme l'affirme l'intimée, qu'aucune méthode d'évaluation n'avait été adoptée antérieurement à la période fiscale 2019 au prétexte qu'aucune méthode de valorisation n'avait été mentionnée dans les annexes du bilan. En effet, elle a elle-même allégué devant l'instance précédente avoir eu recours à la méthode des multiples de l'EBITDA pour fixer le prix d'acquisition de sa participation dans sa filiale. Sur la première page des comptes de la filiale (pièce n°12 de l'intimée) versés au dossier devant le TAPI, figure la mention de l'application de la méthode des multiples de l'EBITDA pour le calcul du prix du transfert.

L’AFC-GE soutient qu’il convient d’opposer à l’intimée ce choix pour examiner la perte de valeur alléguée en 2019. Elle a ainsi établi la moyenne des bénéfices avant impôt des quatre entités consolidées durant la période 2016 à 2019, soit le montant de CHF 194'994.-, qu'elle a multiplié par 4, 857, chiffre retenu lors de l'évaluation du prix d'acquisition, ce qui aboutit à une valeur fiscale de CHF 947'086.-.

Selon l’AFC-GE, le choix de la méthode des multiples s'impose par le fait qu'elle permet une analyse dynamique de la situation de la filiale. Cette approche expliquerait que la baisse du chiffre d'affaires (par rapport à l'augmentation des charges) et du résultat n'ait pas conduit la contribuable à déposer le bilan. La continuation de la société reposait uniquement sur l'adoption d'une évaluation fondée sur la valeur de rendement. L'on ne pouvait ainsi exclure qu'un tiers indépendant puisse l'acquérir en se basant sur sa valeur de rendement.

Ce raisonnement doit être suivi. L'option d'une évaluation des participations basée sur la valeur de rendement suppose que le rapport entre les fonds étrangers et le résultat ou de celui entre les actifs et les fonds étrangers n'est pas déterminant. La méthode des multiples se fonde principalement sur une appréciation de la filiale en fonction de sa prospérité future. En se basant sur les seules valeurs comptables pour retenir une perte totale de la participation de l'intimée dans B______ en raison d'un résultat négatif et d'un surendettement, l’intimée a fait fi du fait que la filiale – indépendamment de la question de savoir si l’art. 725b CO lui était applicable – n’a ni cessé ses activités ni été mise en liquidation. Le fait que la société a poursuivi ses activités laisse au contraire présumer que l'intimée a maintenu une analyse dynamique de sa filiale, suivant en cela la méthode des multiples. Dans cette hypothèse, prévue par ailleurs à l'art. 726c CO, la préférence doit être donnée aux méthodes d’évaluation orientées vers le futur, à l'instar de la méthode des multiples, sur des méthodes d’évaluation fondée sur la réalité présente quant à la réévaluation des participations non cotées (Henry PETER/Giulia NERI‑CASTRACANE, in Pierre TERCIER/Rita TRIGO TRINDADE/Damiano CANAPA [éd.], Commentaire romand, 2024, n. 13 et 14 ad art. 726c CO).

Pour ce qui est du résultat négatif de 2019 invoqué, il importe de souligner qu'il est, tout comme celui de 2018, pris en considération dans la méthode des multiples. S'il est exact que la filiale a perdu sa profitabilité en 2019, sa substance économique a été, contrairement aux allégations de l'intimée, préservée, comme l'illustre la poursuite de son activité. On relèvera également qu'après une baisse en 2018, son chiffre d'affaires a augmenté en 2019. Pour le surplus, l'accroissement des charges de sa filiale à la suite de l'épurement de son portefeuille de clients en application des normes de conformité propres à la contribuable faisait partie des événements prévisibles qui ne peuvent constituer un motif suffisant pour écarter l'application de la méthode des multiples. Il n'apparaît pas à la lumière de ces éléments qu'une méthode d'estimation autre que celle fondée sur la valeur de rendement aurait été appropriée dans cette situation.

Au vu de ce qui précède, il se justifie de recourir à la méthode des multiples de l'EBITDA pour déterminer la valeur fiscale de la participation de la contribuable en 2019. Celle-ci se verra donc opposer cette méthode d'estimation, qui a par ailleurs prévalu lors de la fixation du prix d'achat de sa participation et motivé la continuation de l’exploitation de sa filiale. C'est donc à juste titre que la recourante propose de réduire le montant de la reprise du bénéfice de CHF 3'381'522.- à CHF 947'086.-, soit le résultat de la baisse de valeur de sa participation de CHF 3'381'522.- comptabilisée en fin 2018 à CHF 2'434'436.- fin 2019. En conséquence, l'amortissement devait être comptabilisé à concurrence de ce dernier montant, de sorte qu’une reprise de CHF 947'086.- pour l'année 2019 est fondée.

Enfin, comme le propose l’autorité fiscale, il y a lieu d’inscrire dans le bilan fiscal 2019 de l’intimée un montant de CHF 947'086.- au titre de réserve latente imposée pour l’ICC. Une telle réserve permettra, en cas de revente de la filiale, de neutraliser fiscalement la présente reprise. À défaut de l’inscription d’une telle réserve, l’intimée se trouverait, au moment de la revente, doublement imposée. Le Tribunal fédéral considère, au demeurant, que le fisc doit d’office retenir une telle réserve en cas d’amortissements surfaits (arrêt du Tribunal fédéral 2C_723/2021 du 16 août 2022 consid. 6.2), comme tel est le cas en l’espèce.

Le recours sera par conséquent admis en ce sens que la reprise en ICC et en IFD est réduite de CHF 3'381'522.- à CHF 947'086.- et qu’une réserve latente imposée du même montant est inscrite dans le bilan fiscal 2019 pour l’ICC.

5.             Au vu de l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la contribuable, qui ne peut dès lors se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 avril 2024 par l'administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 mars 2024 ;

au fond : 

l'admet et annule le jugement précité ;

rétablit les décisions de taxation du 25 novembre 2022 et sur réclamation du 22 février 2023, sous réserve du fait que la reprise en ICC et en IFD est réduite de CHF 3'381'522.- à CHF 947'086.- et qu’une réserve latente de CHF 947'086.- est inscrite dans le bilan fiscal 2019 pour l’ICC ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à Céline RICHA, mandataire de la contribuable, à l’administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :