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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2617/2023

ATA/872/2024 du 23.07.2024 sur JTAPI/96/2024 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2617/2023-PE ATA/872/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juillet 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A_____ et B______ recourants
représentés par Me Yves RAUSIS, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 février 2024 (JTAPI/96/2024)


EN FAIT

A. a. B______, né le ______ 1963, est ressortissant libanais.

b. Il est le père d’C______, D______ et A______, résidant au Liban, issus de sa relation avec E______, dont il est divorcé depuis le 14 novembre 2011.

c. Le 14 juin 2016, il a épouse F______, ressortissante suisse née le ______ 1950.

Dans le cadre de l’instruction de sa demande d’attestation en vue de mariage, il a précisé à l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM), par courrier du 29 mars 2016, qu’il était entré en Suisse au bénéfice d’un visa Schengen délivré par l’ambassade de France à L______ (Togo) où il avait vécu dix-huit ans et travaillé durant douze comme directeur d’exploitation au port de L______. F______ a indiqué par courrier du 22 juin 2015 qu’ils s’étaient rencontrés en décembre 2011 à Ferney-Voltaire (France) où il résidait au bénéfice d’un visa. Ils se fréquentaient depuis lors, sauf quand B______ devait quitter la zone Schengen à cause de son visa.

d. Le 7 juillet 2016, B______ a obtenu une autorisation de séjour, au titre de regroupement familial avec son épouse, et le 5 avril 2022, une autorisation d’établissement.

e. Le 27 mars 2020, il a déposé auprès de l’OCPM une demande de regroupement familial (formulaire M) en faveur de A______, née le ______ 2006 à M______au Liban. La mère de sa fille ne pouvait plus s’en occuper pour des raisons professionnelles.

f. Par courrier du 3 juin 2022, l’OCPM a demandé à B______ de lui fournir des pièces, notamment des justificatifs de ses moyens financiers, une copie d’un jugement lui octroyant l’autorité parentale et la garde exclusive de sa fille ainsi qu’une attestation de scolarité de cette dernière.

g. B______ a produit un acte de cession de droit de garde du 27 juin 2022, établi devant le Maire de la localité d’M______(Liban) selon lequel E______ avait déclaré céder le droit de garde sur sa fille et autoriser cette dernière à voyager en vue de résider avec son père à l’étranger, où elle resterait sous sa garde ; une attestation de scolarité indiquant que A______ était inscrite en classe de première secondaire, pour l’année 2021/2022, au sein de l’École Secondaire N______ à M______, district de Zahlé (Liban) ; un contrat de bail à loyer du 12 août 2022, cosigné par F______, portant sur un appartement de quatre pièces sis rue G______, à Onex, au loyer mensuel de CHF 1'581.- charges comprises ; une attestation d’absence d’aide de l’Hospice général du 20 septembre 2022 ; un extrait (vierge) du registre des poursuites du 22 septembre 2022 et une copie du bilan 2021 de son entreprise « H______».

h. Par courrier du 24 février 2023, l’OCPM a fait part à B______ de son intention de ne pas donner une suite favorable à sa requête.

i. Par courrier du 27 mars 2023, l’administré a fait valoir que la mère de A______ avait quitté le Liban, pour des raisons professionnelles, et vivait désormais en Afrique. À la suite de ce départ survenu quelques mois avant le dépôt de la demande de regroupement familial, A______ avait vécu chez sa grand-mère paternelle mais cette dernière était décédée en septembre 2022. Elle n’avait dès lors plus aucun membre de sa famille au Liban. Ses frères, majeurs, avaient leurs propres préoccupations personnelles et professionnelles, de sorte qu’ils ne pouvaient la prendre en charge. Même si elle était désormais âgée de 17 ans et que sa garde et son entretien étaient assurés, elle n’avait plus de domicile dans lequel elle pourrait vivre à l’abri et en sécurité. La situation sociale et économique catastrophique que connaissait le Liban plaidait en faveur d’une exception au délai applicable au regroupement familial.

j. Par décision du 15 juin 2023, l’OCPM a refusé de donner une suite favorable à la demande de regroupement familial en faveur de A______.

La demande était tardive, B______ disposant d’un délai d’un an à partir du ______ 2018 (anniversaire de 12 ans de sa fille), soit au ______ 2019, pour la déposer. L’intéressé n’avait pas démontré l’existence de raisons familiales majeures permettant de justifier un regroupement familial différé. En particulier, ses déclarations n’étaient pas étayées et aucun justificatif n’avait été produit quant à l’impossibilité de la mère de A______ de s’occuper de sa fille. Certes, il y avait eu un changement de prise en charge à la suite du décès de la grand-mère paternelle avec laquelle A______ vivait, mais rien ne démontrait qu’elle ne pourrait pas vivre auprès de sa mère. Pour le surplus, âgée de 17 ans, elle devait être apte à se prendre en charge de manière autonome, ce d’autant plus que sa garde et son entretien étaient assurés. L’argument de la situation socio-économique au Liban était de nature à faire présumer que la demande n’avait pas pour but d’assurer prioritairement une vie familiale en Suisse mais plutôt de faciliter l’établissement et l’accès au marché du travail de A______ sur le territoire helvétique.

Au regard de la prise en compte de l'intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l'art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 2 novembre 1989 (CDE ; RS 0,107), il convenait de retenir que A______ résidait au Liban, y était scolarisée et y avait passé toute son enfance et son adolescence. Elle semblait parfaitement intégrée dans son pays d'origine et ne disposait d'aucun lien avec la Suisse. Par ailleurs, il n’était pas admissible que, par le biais de l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), une personne ne disposant d'aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par le droit interne ne soient réalisées.

B. a. Par acte du 16 août 2023, B______ et A______, agissant par son père, ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) contre cette décision, concluant principalement à son annulation et à ce qu’une autorisation de séjour soit délivrée en faveur de A______. Cette dernière sollicitait son audition, le cas échéant par la représentation suisse au Liban.

Compte tenu des réitérés voyages et de l’installation en Afrique durant plusieurs années de la mère de la jeune femme, cette dernière avait passé son enfance auprès de sa grand-mère paternelle, décédée en 2022. Sa mère était de retour au Liban mais habitait « dans une région éloignée » afin de s’occuper de sa propre mère infirme. Ses deux frères, âgés respectivement de 30 et 24 ans vivaient au Liban mais peinaient à subvenir à leurs propres besoins, de sorte qu’ils ne pouvaient pas l’accueillir.

Après avoir travaillé pour divers employeurs suisses, le père avait créé le 2 janvier 2019 sa propre entreprise, « H______ », qui lui rapportait un salaire mensuel d’environ CHF 5’000.-. Son épouse était à la retraite. Ils occupaient un appartement de quatre pièces à Onex.

Il avait déposé la demande de regroupement familial dix mois seulement après l’échéance du délai légal. L’OCPM avait prononcé sa décision plus de trois ans après l’introduction de la requête. Au moment du dépôt de la demande, A______ était âgée de 13 ans. Un changement important de circonstances était intervenu en cours de procédure, à savoir le décès de sa grand-mère paternelle le 5 septembre 2022. Livrée à elle-même depuis cette date, les contacts avec son père étaient devenus le seul soutien dont elle bénéficiait. Sa mère, qui avait cédé ses droits parentaux à son père, ne souhaitait pas s’occuper d’elle, préférant se consacrer à sa propre mère.

En raison de la situation du Liban, pays victime d’attentats et dévasté par une crise économique et humanitaire notoire, le père était très préoccupé pour la sécurité, voire la vie de sa fille. Il devenait dès lors urgent d’autoriser sa venue en Suisse. Par ailleurs, l’ensemble des démarches entreprises depuis qu’elle avait 13 ans démontraient que le but de la demande n’était pas d’éluder les prescriptions relatives au regroupement familial ou de faciliter son accès au marché du travail. Ces motifs étaient uniquement liés à la présence de son père et de sa belle-mère en Suisse. Une solution alternative de garde avait certes été mise en place au moment du décès de sa grand-mère puisque la jeune femme vivait depuis lors auprès de ses oncles paternels, en changeant régulièrement de domicile. Cette solution n’était cependant que provisoire et contraire à son bien-être. Pour le surplus, elle maîtrisait le français et son intégration à Genève serait encore facilitée par la présence de sa belle-mère, ressortissante suisse. Compte tenu de ces éléments, il existait des raisons familiales majeures justifiant un regroupement familial différé.

Enfin, le refus prononcé par l’OCPM contrevenait aux art. 3 al. 1 CDE et 8 CEDH, étant relevé que sa vie familiale ne pouvait être entretenue avec son père depuis le Liban, compte tenu de la distance et de l’instabilité et l’insécurité patentes de ce pays. Depuis son arrivée en Suisse, son père avait entrepris toutes les démarches possibles en vue de maintenir le lien avec elle, par des contacts quotidiens et des visites au Liban plusieurs fois par an. Des documents en attestant seraient fournis. Le retard du dépôt de la demande s’expliquait uniquement par le fait que le père avait préféré attendre de bénéficier des moyens financiers suffisants pour assurer la prise en charge de sa fille en Suisse.

Ils ont joint, notamment, une copie de l’acte de naissance de A______, un extrait du registre du commerce relatif à l’entreprise de son père, une copie du bilan et du compte de résultat de cette entreprise au 31 décembre 2021 et une lettre de F______ du 14 août 2023 appuyant le regroupement familial.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours,

Il ne ressortait pas du dossier qu’à la suite du décès de sa grand-mère paternelle en 2022, aucune solution alternative de garde ne pourrait être trouvée pour la jeune femme dans son pays, étant relevé qu’elle était prise en charge par ses oncles et qu’il n’apparaissait pas qu’elle n’aurait pas de contacts ou relations avec ses frères ainés. Il n’était donc pas établi à satisfaction de droit qu’il n’existait aucune solution de garde pour une année supplémentaire.

c. Dans leur réplique, les intéressés ont relevé que le père avait été empêché de respecter les délais légaux du regroupement familial, pour des motifs financiers et logistiques. Il avait décidé de stabiliser sa situation avant d'organiser la venue de sa fille en Suisse.

Depuis le décès de sa grand-mère paternelle, la jeune femme était ballottée entre les foyers de ses oncles paternels, lesquels la prenaient en charge provisoirement, voire alternativement, sans réelle structure familiale stable. Elle évoluait dans un environnement familial particulièrement difficile, caractérisé par un désintérêt généralisé des membres de sa famille, en particulier de sa mère et de ses frères. Il n’existait pas d’alternative, seul son père étant en mesure de prendre soin d’elle. E______ ne pouvait s'occuper de sa fille, car elle se dévouait à sa propre mère à Beyrouth, profondément atteinte dans sa santé.

Les liens familiaux entretenus entre le père et sa fille étaient d’une intensité rare, en dépit d’une séparation qui leur avait été imposée durant de longues années, et entrait dans le champ d’application de l’art. 8 CEDH.

Par ailleurs, selon les us et coutumes du Liban, une femme célibataire devait vivre dans le giron familial. Le bien-être de l’intéressée ne pouvait être garanti que par le regroupement familial avec son père. Contrainte de grandir sans parent ni soutien familial, elle se trouvait dans une situation douloureuse qui affectait sa construction personnelle et identitaire. Compte tenu de ce contexte, son père était inquiet pour son intégrité physique et psychique, étant souligné qu’elle habitait à I______, village situé à quelques kilomètres de la frontière syrienne.

Ils ont produit, notamment, une lettre de A______ expliquant sa situation, les liens forts la liant à son père et les raisons pour lesquelles elle souhaitait venir en Suisse, des copies traduites des actes de décès de son grand-père et de sa grand‑mère paternels et une attestation (traduite) du 6 novembre 2023 de J______, Maire d’I______, indiquant que E______ était, depuis plus de cinq ans, le seul soutien de sa mère handicapée, dans sa maison sise à Beyrouth, et que sa fille A______ vivait avec son oncle, K______, depuis le décès de sa grand-mère.

d. Par jugement du 6 février 2024, le TAPI a rejeté le recours.

La jeune femme vivait chez son oncle paternel depuis le décès de sa grand-mère. Rien n’indiquait qu’il s’agissait d’une situation provisoire. Approchant de la majorité, elle ne nécessitait plus le même encadrement qu’un enfant plus jeune. Un départ du Liban pourrait constituer un véritable déracinement. La décision ne violait ni l’art. 3 CDE ni l’art. 8 CEDH.

C. a. Par acte expédié le 11 mars 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ et son père ont recouru contre ce jugement, dont ils ont demandé l’annulation. Ils ont conclu, à l’octroi d’une autorisation de séjour en faveur de la jeune femme, au titre du regroupement familial. Préalablement, ils ont requis la production de tout moyen de preuve propre à démontrer la réalité de leurs allégations et l’audition de la recourante.

L’octroi, en cours de procédure, d’une autorisation d’établissement en faveur du recourant le 5 avril 2022 et de la nationalité suisse le 12 février 2024 constituait un fait nouveau, dont il convenait de tenir compte. Le délai pour demander le regroupement familial avait alors à nouveau commencé à courir. La demande déposée peu avant la majorité de l’enfant devait faire l’objet d’un examen poussé. En l’espèce, il existait des circonstances particulières et un changement important dont il convenait de tenir compte. En particulier, la recourante n’était plus prise en charge par les membres de sa famille au Liban. La demande devait être examinée à l’aune des circonstances telles qu’elles existaient au moment de son dépôt. Le décès de sa grand-mère et la cessation de la garde de sa mère constituaient des changements importants de circonstances.

Elle a repris et développé les arguments déjà exposés.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours, considérant que les arguments soulevés étaient semblables à ceux exposés devant le TAPI.

c. La recourante étant devenue majeure le 12 mai 2024, elle a, à la demande de la chambre administrative, confirmé le maintien de son recours, exposant que son seul et unique rêve était de pouvoir rejoindre son père, de rattraper le temps vécu à des kilomètres l’un de l’autre et de pouvoir le serrer dans ses bras quand elle voulait et non pas une ou deux fois par année.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante souhaite être auditionnée par la chambre administrative, au besoin auprès de la représentation suisse au Liban.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, l’audition requise vise à établir les allégations des recourants. Or, ceux-ci ont pu, devant l’OCPM, le TAPI puis la chambre de céans exposer leur point de vue et produire toute pièce qu’ils estimaient utile. Ils n’expliquent pas quels autres éléments que ceux déjà exposés, l’audition de la recourante pourrait apporter. En outre, le dossier comporte suffisamment d’éléments pour statuer en connaissance de cause.

Il ne sera donc pas procédé à l’auditions requise.

3.             Est litigieux le refus d’octroyer une autorisation de séjour à la recourante au titre du regroupement familial avec son père.

3.1 La LEI et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’OASA, règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Liban.

2.2 Au terme de l’art. 43 LEI, le conjoint étranger du titulaire d’une autorisation d’établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de la durée de validité aux conditions cumulatives suivantes : ils vivent en ménage commun avec lui (let. a) ; ils disposent d’un logement approprié (let. b) ; ils ne dépendent pas de l’aide sociale (let. c) ; ils sont aptes à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile (let. d) ; la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial (let. e).

Le conjoint d’un ressortissant suisse ainsi que ses enfants célibataires de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité à condition de vivre en ménage commun avec lui (art. 42 al. 1 LEI).

3.2 Le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de douze mois (art. 47 al. 1 LEI). Pour les membres de la famille d’étrangers, les délais commencent à courir lors de l’octroi de l’autorisation de séjour ou lors de l’établissement du lien familial (art. 47 al. 3 let. b LEI). Selon le texte clair de l’art. 47 al. 1 LEI, le délai est respecté si la demande de regroupement familial est déposée avant son échéance (ATA/1109/2023 du 10 octobre 2023 consid. 2.2 et les références citées). Les délais fixés par la législation sur les personnes étrangères ne sont pas de simples prescriptions d’ordre, mais des délais impératifs, dont la stricte application ne relève pas d’un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 2.3).

3.3 Passé ce délai, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 LEI). Les limites d’âge et les délais prévus à l’art. 47 LEI visent à permettre une intégration précoce et à offrir une formation scolaire en Suisse aussi complète que possible (ATF 133 II 6 consid. 5.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1176/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.2.). Les délais prévus à l’art. 47 LEI ont également pour objectif la régulation de l’afflux d’étrangers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.2). Ces buts étatiques légitimes sont compatibles avec la CEDH (ATF 142 II 35 consid. 6.1).

3.4 En l’espèce, il n’est pas contesté que le délai de douze mois dont disposait le recourant pour demander le regroupement familial pour sa fille est arrivé à échéance sans avoir été utilisé. Sa demande est dès lors tardive.

Le recourant soutient qu’il ne lui était pas possible de déposer une demande de regroupement familial plus tôt en raison de sa situation financière, ce qui, en d’autres termes, constituerait un cas de force majeure. Il ne peut toutefois être suivi. L’on ne saurait, en effet, admettre que les délais prévus à l’art. 47 LEI soient repoussés jusqu’à l’amélioration de la situation financière du regroupant. Par ailleurs et contrairement à ce que laisse entendre le recourant, le délai de l’art. 47 LEI n’a pas automatiquement recommencé à courir lorsqu’il a obtenu une autorisation d’établissement. Au contraire, il aurait été légitimé à former une nouvelle demande – lui donnant alors un véritable droit au regroupement familial – uniquement s’il avait respecté le délai impératif de douze mois et essuyé un échec (ATF 137 II 393 consid. 3.3).

Dans ces conditions, sa requête a, à juste titre, été traitée comme une demande de regroupement familial différé, autorisé uniquement en présence de raisons familiales majeures.

4.             Il convient donc d’examiner l’existence de telles raisons.

4.1 L’art. 75 OASA précise que des raisons familiales majeures sont données lorsque le bien de l’enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse. Contrairement au libellé de l’art. 75 OASA, ce n’est pas exclusivement l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être pris en compte, mais plutôt l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce, parmi lesquelles figure l’intérêt de l’enfant à maintenir des contacts réguliers avec ses parents (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 du 7 février 2023 consid. 4.1 et les références citées).

4.2 La situation financière et de logement de la famille ne peuvent constituer une raison familiale majeure qu'à titre exceptionnel. Le regroupant doit en effet tout mettre en œuvre pour créer en temps utile les conditions au regroupement familial (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2021 du 18 mars 2022 consid. 5.4). 

4.3 En revanche, il existe selon la jurisprudence une raison majeure au sens de l’art. 47 al. 4 LEI lorsque la prise en charge d’un enfant dans son pays d’origine n’est plus garantie, à la suite par exemple du décès ou de la maladie de la personne qui s’en occupait (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 du 2 février 2022 consid. 3.4). Lorsque le regroupement familial est demandé en raison de changements importants des circonstances à l’étranger, il convient toutefois d’examiner s’il existe des solutions alternatives permettant à l’enfant de rester dans son pays. De telles solutions correspondent en effet en principe mieux au bien-être de l’enfant, parce qu’elles permettent d’éviter que celui-ci ne soit arraché à son milieu et à son réseau de relations de confiance (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 précité consid. 4.2). Une telle alternative doit être d’autant plus sérieusement envisagée et soigneusement examinée que l’âge de l’enfant est avancé et que la relation avec le parent vivant en Suisse n’est pas (encore) trop étroite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_281/2023 du 11 octobre 2023 consid. 4.4). Cela vaut à plus forte raison lorsqu’un enfant a toujours vécu dans son pays d’origine avec l’un de ses parents et que le parent en question pourra continuer à s’occuper de lui (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 précité consid. 3.4).

D’une façon générale, il ne doit être fait usage de l’art. 47 al. 4 LEI qu’avec retenue (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1).

4.4 Le désir – pour compréhensible qu'il soit – de voir les membres de la famille réunis en Suisse, souhait qui est à la base de toute demande de regroupement familial et représente même une condition d'un tel regroupement, ne constitue pas en soi une raison familiale majeure au sens des art. 47 al. 4 LEI et 73 al. 3 OASA. Lorsque la demande de regroupement familial est déposée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d'autres raisons sont nécessaires (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 et les références citées).

Dans une constellation dans laquelle les relations familiales sont vécues pendant des années par-delà les frontières, par le biais de visites et des moyens de communication modernes, l'intérêt légitime à la restriction de l'immigration, qui est à la base de la ratio legis de l'art. 47 al. 4 LEI, prévaut normalement, tant que des raisons objectives et convaincantes, qui doivent être spécifiées et justifiées par les personnes concernées, ne permettent pas de retenir la solution contraire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_106/2021 du 25 juin 2021 consid. 3.4 et les arrêts cités).

4.5 Les raisons familiales majeures pour le regroupement familial hors délai doivent cependant être interprétées d’une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 et 8 CEDH ; ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 et les arrêts cités), le fait de refuser un droit de séjour à un étranger dont la famille se trouve en Suisse pouvant porter atteinte à cette garantie (ATF 139 I 330 consid. 2.1). Pour autant, les liens familiaux ne sauraient conférer de manière absolue, en vertu de l’art. 8 CEDH, un droit d’entrée et de séjour, une ingérence dans l’exercice de ce droit étant possible aux conditions de l’art. 8 § 2 CEDH. À cet égard, les règles internes relatives au regroupement familial (art. 42 ss et art. 47 LEI) constituent un compromis entre, d’une part, la garantie de la vie familiale et, d’autre part, les objectifs de limitation de l’immigration (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 précité consid. 4.3 et les références citées).

4.6 La question de savoir si, dans un cas d’espèce, les autorités compétentes sont tenues d’accorder une autorisation de séjour fondée sur l’art. 8 CEDH doit donc être résolue sur la base d’une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence (ATF 137 I 284 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_325/2019 du 3 février 2020 consid. 3.1). Dans la pesée des intérêts, il faut aussi tenir compte de l’intérêt fondamental de l’enfant (art. 3 CDE) à pouvoir grandir en jouissant d’un contact étroit avec ses parents (ATF 144 I 91 consid. 5.2), étant précisé que, sous l’angle du droit des étranger, cet élément n’est pas prépondérant par rapport aux autres et que l’art. 3 CDE ne fonde pas une prétention directe à l’octroi ou au maintien d’une autorisation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 précité consid. 3.7).

4.7 En l’espèce, au moment où le recourant a déposé la demande de regroupement familial pour sa fille, il était au bénéfice d’une autorisation de séjour. Au moment où l’OCPM a rendu sa décision, il était devenu titulaire d’une autorisation d’établissement. Il est désormais, depuis le 12 février 2024, citoyen suisse et sa fille est devenue majeure en cours de procédure devant la chambre administrative.

Bien que certains de ces éléments soient postérieurs au dépôt de la demande de regroupement familial et à la décision querellée, il convient d’en tenir compte dans l’appréciation de l’ensemble des circonstances. Selon les indications fournies le 29 mars 2016 par le recourant lors de sa demande de regroupement familial à la suite de son mariage, il était entré en Suisse au bénéfice d’un visa Schengen délivré à L______ (Togo) où il avait vécu dix-huit ans. Les recourants n’allèguent pas qu’ils aient vécu ensemble. Il apparaît au contraire que la jeune fille a toujours vécu au Liban. Lors du dépôt de la demande de regroupement familial, en mars 2020, le recourant a justifié celle‑ci par le fait que la mère de sa fille ne pouvait plus s’en occuper pour des raisons professionnelles. Selon les indications du recourant, elle était cependant prise en charge par sa grand-mère. Il existait ainsi une solution permettant à la jeune fille d’être prise en charge par un proche dans son pays.

Sa grand-mère est toutefois décédée en septembre 2022. Cela étant, bien que le recourant ait produit un acte de cession de droit de garde du 27 juin 2022, par lequel la mère de sa fille a cédé le droit de garde sur sa fille et autorisé cette dernière à voyager en vue de résider avec son père à l’étranger, aucun élément ne démontre que la mère de la jeune femme, qui vit toujours au Liban où elle s’occupe apparemment de sa propre mère, ne serait pas en mesure d’accueillir sa fille.

Par ailleurs, selon l’attestation du Maire d’I______ du 6 novembre 2023, la recourante vit depuis le décès de sa grand-mère dans son village natal chez son oncle paternel, K______. La jeune femme disposait donc, également après le décès de sa grand-mère, d’un lieu de vie où elle était accueillie par un membre de la famille de son père. Il existait ainsi une solution alternative permettant à la jeune femme de rester dans son pays. L’OCPM était, dans ces circonstances, fondé à retenir qu’il n’existait pas de raisons familiales majeures justifiant un regroupement familial différé.

À teneur du dossier, la recourante a, depuis sa naissance, toujours vécu dans le même village où vivent également en tout cas son oncle qui l’a accueillie après le décès de sa grand-mère et où vivait aussi cette dernière. Il y a donc lieu d’observer, avec le TAPI, que la recourante qui a vécu toute son enfance et son adolescence au Liban, qui plus est dans le même village, a ses principales attaches socio-culturelles dans ce pays, dans lequel se trouvent au demeurant aussi sa mère, ses frères, ses oncles et où elle a très vraisemblablement également tissé des liens d’amitié. Un départ vers la Suisse, après le décès de sa grand-mère en septembre 2022 – qui selon le recourant constituait un nouveau motif justifiant le regroupement différé –, alors que l’intéressée était âgée de 16 ans et demi, était ainsi susceptible de constituer un véritable déracinement, qui toutefois ne se justifiait pas par un motif impératif, la prise en charge de la jeune femme dans son pays d’origine étant assurée.

Enfin, le lien affectif allégué entre le père et sa fille ne saurait justifier l’octroi d’un titre de séjour à cette dernière fondé sur l’art. 8 CEDH. En effet, celle-ci a indiqué dans son courrier du 15 mai 2024 produit avec la réplique qu’elle voyait son père une à deux fois par année. Le recourant a choisi de vivre au Togo, puis à Genève, loin de sa fille. Par ailleurs, il n’établit pas non plus qu’il subviendrait régulièrement et de manière substantielle aux besoins de sa fille. Dans ces circonstances, il ne peut pas non plus être retenu qu’il existerait un lien affectif et financier d’une intensité suffisante pour justifier, à l’aune de l’art. 8 CEDH, l’octroi d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial.

Au vu de l’ensemble des circonstances sus-exposées, l’OCPM n’a ni violé la loi ni commis un abus de son pouvoir d’appréciation en refusant la requête de regroupement familial.

Le recours, mal fondé, sera ainsi rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge solidaire des recourants et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mars 2024 par B______ et A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 février 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge solidaire de A_____ et B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yves RAUSIS, avocat des recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.