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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/331/2024

ATA/760/2024 du 25.06.2024 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/331/2024-EXPLOI ATA/760/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 juin 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Jean-Yves HAUSMANN, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : le vendeur), né le ______ 1990, est titulaire de l’entreprise individuelle B______. Il exploite à ce titre l’établissement B______ (ci-après : l’établissement), sis rue de C______ à Genève, comprenant une cave à vin.

b. Le 16 novembre 2021, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) lui a délivré l’autorisation, pour le compte de son entreprise, de vendre dans la cave à vin des boissons fermentées et distillées à l’emporter dans leurs emballages d’origine fermés et cachetés, à l’exclusion de tout débit sur le comptoir (ci-après : l’autorisation).

L’autorisation était conditionnée au respect d’un certain nombre de règles, dont notamment la prise de toutes mesures nécessaires afin d’empêcher les mineurs d’accéder sans surveillance aux produits leur étant interdits, et l’obligation pour le titulaire de l’autorisation et son personnel, en cas de doute sur l’âge d’un client, d’exiger une pièce d’identité.

B. a. Le 19 octobre 2023, à 14h10, une inspectrice du PCTN (ci-après : l’inspectrice), assistée de deux agents de police, a réalisé un achat-test par un mineur au sein de l’établissement.

Le vendeur a alors vendu au mineur une bouteille de rhum de 5 cl, soit une boisson distillée alcoolique dont le volume d’alcool s’élevait à 40%.

Cette vente a fait l’objet d’un rapport du PCTN du 23 octobre 2023 (ci-après : le rapport).

b. Le 2 novembre 2023, le PCTN a informé le vendeur qu’il envisageait de prononcer la suspension de l’autorisation pour une durée de sept jours à six mois.

c. Le 29 novembre 2023, A______ a reconnu une erreur regrettable dont il admettait la gravité. Le mineur, grand, portant une barbe et ayant une voix très grave, semblait toutefois beaucoup plus âgé. Il avait en outre semblé décontracté et, à la question de savoir s’il avait l’intention d’utiliser l’alcool pour préparer un dessert, il avait répondu par l’affirmative.

Le vendeur a indiqué avoir pris les mesures pour qu’une telle situation ne se reproduise plus. Il renforcerait les procédures de contrôle de l’âge des clients et formerait son personnel au respect de celles-ci. Il lui incombait d’imposer des contrôles systématiques. Il prenait au sérieux la santé des jeunes. Il avait investi toutes ses économies dans son établissement et n’avait aucun antécédent. Eu égard à sa prise de conscience, il sollicitait le prononcé d’une sanction limitée à un avertissement.

d. Par décision du 15 décembre 2023, le PCTN a suspendu l’autorisation pour une durée de 30 jours, à définir dès l’entrée en force de la sanction.

La vente en cause constituait une violation grave des prescriptions applicables. La durée de la suspension, de six mois au maximum avant le retrait de l’autorisation, tenait compte de l’infraction reprochée, laquelle était admise nonobstant les excuses exprimées et l’engagement pris de ne pas récidiver, ainsi que des circonstances, du principe de la proportionnalité et des observations du vendeur.

e. Le 27 décembre 2023, le vendeur a indiqué au PCTN avoir remarqué que la quatrième page de la décision, soit celle comportant la signature et l’indication des voies de droit, était manquante. Il a dès lors demandé que la décision lui soit à nouveau transmise par voie postale ou électronique.

Le 2 janvier 2024, le PCTN a renvoyé la décision au vendeur par courrier électronique.

C. a. Par acte posté le 29 janvier 2024, A______ a interjeté recours contre celle-ci auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). S’en remettant à justice concernant la validité de la notification, il a conclu préalablement au versement par le PCTN de toutes pièces permettant d’établir l’âge et l’apparence physique du mineur, ainsi qu’à l’audition de celui-ci, celle de l’inspectrice et la sienne. Sur le fond, il a conclu principalement à la réduction de la durée de la suspension à dix jours, subsidiairement à ce qu’elle soit limitée aux boissons distillées.

La validité de la notification de la décision était douteuse, mais le recours avait de toute manière été introduit dans le délai de 30 jours décompté depuis le lendemain de la date de la sanction.

L’aspect du mineur déterminait le doute raisonnable qu’il pouvait susciter quant à son âge. Il était donc essentiel que des pièces soient produites à son sujet. L’audition des parties devait en outre permettre au recourant de confronter l’inspecteur aux raisons du choix du mineur, de la bouteille achetée et de tout autre élément propre à l’induire en erreur.

Le mineur, de grande taille, portant une barbe et à la voix grave, avait semblé nettement plus âgé. Le vendeur lui avait demandé s’il comptait utiliser la petite bouteille achetée pour une recette de pâtisserie telle un baba au rhum et le mineur avait répondu affirmativement. Il avait alors été conforté dans son impression que l’acheteur était majeur. Contrôlant régulièrement les pièces d’identités de ses clients, et ce de manière systématique en cas de doute sur leur âge, il pouvait en outre affirmer qu’aucun mineur n’avait fréquenté son établissement durant les deux années d’activité ayant précédé le contrôle. Il avait donc commis une erreur induite par les circonstances, ce dont il avait conscience et s’était excusé. Depuis l’achat‑test, les contrôles étaient encore plus réguliers. Il s’était par ailleurs acquitté de l’amende pénale « sans sourciller ».

En prononçant une suspension de 30 jours, l’autorité intimée n’avait pas tenu compte des particularités du cas d’espèce et avait donc abusé de son pouvoir d’appréciation. Elle n’avait pas non plus pris en considération que son établissement, encore en phase de développement, proposait à la vente seulement des boissons alcoolisées, de sorte que la décision querellée entraînerait sa fermeture complète, ce qui à ce stade serait désastreux. Il n’avait en outre aucun antécédent. La durée de 30 jours de la suspension, qui ne se situait pas dans la fourchette basse prévue par la loi puisque la durée minimum était de sept jours, était dès lors disproportionnée.

La chambre administrative avait, dans l’arrêt ATA/910/2023 du 25 août 2023, prononcé une suspension de l’autorisation de vendre du tabac de 30 jours à l’encontre un tenancier de kiosque commercialisant pléthore d’autres articles, dont la situation était dès lors très différente. Aussi, lui imposer la même sanction contrevenait au principe de l’égalité de traitement.

Rien ne s’opposait par ailleurs à distinguer la vente de boissons distillées et fermentées, comme le faisait la loi, laquelle prévoyait pour ces deux types d’alcool deux âges minimum différents. Circonscrire la suspension querellée à l’alcool distillé permettrait d’atteindre le but visé de protection des mineurs, sans priver le recourant de revenu, ce qui serait conforme au principe de nécessité et de subsidiarité.

b. Le PTCN a conclu au rejet du recours et à la confirmation de sa décision.

La loi obligeait le personnel de vente à vérifier l’âge des jeunes clients, sans qu’il doive subjectivement avoir un doute à ce sujet. La vente d’alcool à des mineurs constituait de par la loi une grave infraction. La jurisprudence confirmait qu’une durée de suspension de 30 jours se situait dans la fourchette inférieure de la sanction et que celle-ci était apte à atteindre le but visé, nécessaire et conforme au principe de proportionnalité au vu de l’intérêt public protégé, soit la santé des mineurs. Cette durée ne contrevenait pas non plus au principe de l’égalité de traitement, lequel aurait à l’inverse été violé si le recourant avait été favorisé au motif qu’il avait fait le choix de ne vendre que des boissons alcooliques.

Le mineur ayant participé à l’achat-test avait été choisi dans le respect de la législation et de la directive applicables. Il était en particulier accompagné d’une personne de confiance, membre de l’association D______, ce qui excluait qu’il eût une apparence trompeuse. L’inspectrice et les agents de police pourraient en témoigner, de sorte que le dépôt de pièces concernant le mineur et son audition n’étaient pas utiles.

c. Le recourant a répliqué et persisté dans ses conclusions.

L’apparence du mineur était fondamentale et devait être connue, tout en protégeant l’identité de ce dernier. L’inspectrice devait également expliquer le choix de la bouteille de rhum achetée. La loi laissait une latitude de jugement au vendeur pour déterminer s’il devait demander à l’acheteur de lui présenter une pièce d’identité, selon son aspect physique et l’objet de son achat. Le PCTN n’avait pour le surplus fait valoir aucun élément concret réfutant un abus du pouvoir d’appréciation et une violation du principe de proportionnalité. Elle n’avait à ce sujet même pas discuté la possibilité de ne suspendre que la vente des alcools distillés.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

e. Dans une écriture spontanée, le recourant a mentionné l’existence d’un article de la chaîne de télévision Léman Bleu du 16 avril 2024, intitulé « Des mineurs engagés par l’État pour piéger les restaurateurs sur l’alcool ? », exposant notamment qu’un député du Grand Conseil savait de sources sûres que les mineurs engagés par le PCTN étaient maquillés ou transformés avant les achats-tests.

Il a aussi produit deux articles du quotidien « 20 minutes » selon lesquels, à la suite d’achats-tests critiqués par les restaurateurs au motif que les fausses clientes paraissaient plus âgées, ceux-là avaient uniquement été rappelés à l’ordre sans être sanctionnés.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 89C let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

La question de savoir si, comme l’allègue le recourant, la décision querellée ne lui a pas été immédiatement notifiée dans sa version complète, soit avec l’indication des voies de droit, peut demeurer indécise, dès lors que ce dernier n’a subi aucun inconvénient d’un éventuel vice dans la notification (art. 62 al. 5 LPA ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_239/2022 du 14 septembre 2022 consid. 5.1).

2.             Le recourant sollicite son audition, celles de l’inspectrice et du mineur, ainsi que la production de toutes pièces permettant d’établir l’âge de ce dernier.

2.1 L’autorité réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties (art. 70 et 20 al. 1 LPA). Elle recourt s’il y a lieu à des documents, aux interrogatoires et renseignements des parties et aux témoignages et renseignements de tiers (art. 20 al. 2, let. a à c LPA).

Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour la personne intéressée de produire ou obtenir la production des preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Il n’empêche toutefois pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Il n’implique pas le droit d’être entendu oralement (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6.1).

2.2 La loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l’emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac du 17 janvier 2020 (LTGVEAT - I 2 25) régit la remise à titre gratuit et la vente à l’emporter de boissons alcooliques, ainsi que la remise à titre gratuit et la vente de produits du tabac et de produits assimilés au tabac (art. 2 LTGVEAT). Les boissons alcooliques comprennent les boissons distillées et fermentées (art. 4 al. 1 let. a LTGVEAT).

Le PCTN, au titre de service chargé de la police du commerce, applique la LTGVEAT (art. 5 al. 1 LTGVEAT).

Il peut effectuer ou organiser des achats-tests afin de vérifier si les prescriptions de la loi sont respectées (art. 11 al. 1 LTGVEAT).

Les achats-tests portant sur la limite d’âge ne peuvent être effectués par des adolescents et leurs résultats ne peuvent être utilisés dans des procédures pénales et administratives notamment que si (art. 11 al. 2 LTGVEAT) : il a été examiné que les adolescents enrôlés conviennent pour l’engagement prévu et qu’ils y ont été suffisamment préparés (let. a) ; aucune mesure n’a été prise pour dissimuler l’âge des adolescents (let. c) ; les adolescents ont rempli leur tâche de manière anonyme et été accompagnés par un adulte (let. d).

Le PCTN, le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse ainsi que le département de la santé établissent une directive interdépartementale, laquelle fixe le protocole, la documentation relative aux achats-tests, les modalités concernant l’engagement, l’instruction, l’accompagnement et la protection de la personnalité des adolescents y participant, ainsi que la protection accordée à ces derniers en cas de procédure judiciaire ultérieure (art. 9 al. 3 1re phrase du règlement d’exécution de la loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l’emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac du 3 février 2021 - RTGVEAT - I 2 25.01).

Selon la directive interdépartementale du 30 janvier 2023, versée au dossier, l’identité des acheteurs et de leur accompagnant est protégée, elle n’est jamais révélée aux exploitants et aux tiers et aucune pièce d’identité n’a à être présentée. Les établissements ont selon une procédure d’échantillonnage la même probabilité d’être testés. Une centaine d’achats-tests sont réalisés annuellement, sans ciblage d’une catégorie d’établissement ou de commerce. Les mineurs engagés pour l’achat-test de boissons alcooliques distillées sont âgés de 16 ans à 17 ans et 9 mois. Ils sont accompagnés par une personne adulte formée pour cette tâche avant, pendant et après l’achat-test, ainsi qu’un inspecteur du PCTN et un agent de police. L’accompagnant reste si possible à l’extérieur de sorte à ce que le mineur ne puisse pas être considéré comme accompagné. Le mineur n’a pas à présenter une carte d’identité si elle est demandée et, sur question, doit indiquer son âge réel.

2.3 En l’espèce, il est établi par le rapport et n’a pas été contesté par le recourant dans ses premières observations que le mineur était âgé de moins de 18 ans. Conformément aux normes et à la directive susmentionnées, il devait être âgé entre 16 ans et 17 ans et 9 mois, l’objet de l’achat‑test étant de l’alcool distillé. L’autorité intimée devait s’abstenir de toute mesure visant à dissimuler son âge, et s’assurer qu’il convenait pour ce type d’engagement, y était suffisamment préparé et était accompagné par un adulte, un inspecteur et un agent de police, sans que ceux-ci ne soient visibles du vendeur.

Le recourant n’invoque pas que ces règles n’ont pas été respectées. Il allègue par contre que l’apparence du mineur en tant que telle était trompeuse, dès lors qu’il était grand, avait la voix grave, portait une barbe, semblait décontracté et avait confirmé que son achat servirait à la préparation d’un dessert. Ces caractéristiques ne sont toutefois ni contraires à la règlementation susmentionnée ni propres à induire le vendeur en erreur. Un adolescent de presque 18 ans peut en effet être de grande taille, avoir la voix grave, porter une barbe, et comprendre avoir intérêt à confirmer que l’alcool acheté était destiné à la confection d’un dessert. Il avait par ailleurs été préparé à paraître naturel. Le recourant a admis avoir ressenti un doute puisqu’il s’est senti obligé de demander au mineur comment il comptait utiliser l’alcool acheté, ce qu’il n’avait aucune raison de faire s’il avait eu la conviction que l’acheteur était majeur. On ne comprend dès lors pas pour quelle raison il ne lui a pas demandé sa carte d’identité si, conformément à ses explications, il l’avait systématiquement fait en cas de doute durant les deux années précédentes.

Ainsi, à tenir les allégations du recourant sur les caractéristiques du mineur pour établies, elles n’enfreignent aucune norme, ce dernier n’ayant en particulier pas été maquillé ou « modifié » dans le but d’induire le vendeur en erreur sur son âge.

Les articles de presse et de télévision auxquels le recourant s’est référé ne démontrent pas que le PCTN ferait usage de tels procédés. L’article de la chaîne Léman Bleu du 16 avril 2024 fait certes état de soupçons à cet égard d’un député. Mais il indique surtout que le département de l’économie et de l’emploi, dont dépend le PTCN, a réfuté toute manœuvre spécieuse et indiqué que ce genre de contrôle avait été discuté avec les milieux concernés. Ceux-ci se sont en outre dits surpris par la question du député, considérant le sujet désormais comme clos (https://www.lemanbleu.ch/fr/Actualites/Geneve/L-emploi-de-mineurs-pour-achet er - de- l-alcool-a-nouveau-questionne.html).

Les articles de presse mentionnent quant à eux uniquement que les restaurateurs contrôlés ont déploré que les mineurs, par leurs apparences et leurs conversations, donnaient l’apparence d’être plus âgés et s’étaient montrés insistants. Il n’en ressort aucun procédé frauduleux, mais au contraire, plutôt une situation réaliste.

On ne comprend pour le surplus pas en quoi il serait pertinent d’entendre l’inspectrice sur le choix de la bouteille achetée par le mineur.

Les pièces et auditions sollicitées ne sont ainsi pas propres à apporter des informations complémentaires utiles à l’examen de la cause. Le recourant ne peut au surplus pas se prévaloir d’un droit à obtenir l’audition orale des parties.

Il ne sera dès lors pas donné suite à ses conclusions préalables.

3.             Le recourant considère que la décision querellée consacre un abus du pouvoir d’appréciation, ainsi qu’une violation des principes de la proportionnalité et de l’égalité de traitement.

3.1 La LTGVEAT a pour buts d’assurer qu’aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l’ordre public, en particulier la tranquillité et la santé publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu’en raison de sa construction, de son aménagement et de son implantation. Elle vise également à protéger la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction (al. 1). Toute autorisation prévue par la présente loi ne peut être délivrée que si les buts énoncés à l’al. 1 sont susceptibles d’être atteints (al. 2).

L’art. 6 al. 2 et 3 LTGVEAT rappelle que la remise à titre gratuit et la vente de boissons distillées à des mineurs et de boissons fermentées à des mineurs de moins de 16 ans est strictement interdite (art. 41 al. 1 let. i loi fédérale sur l’alcool du 21 juin 1932 - LAlc - RS 680  ; art. 14 al. 1 loi fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels du 20 juin 2014 - LDAl - RS 817.0).

La vente à l’emporter de boissons alcooliques est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation délivrée par le PCTN (art. 7 al. 1 let. a PCTN).

Les titulaires d’une autorisation doivent en particulier veiller à ce que le personnel de vente contrôle l’âge des jeunes clients. À cette fin, une pièce d’identité peut être exigée (art. 10 al. 2 LTGVEAT).

L’art. 18 al. 3 LTGVEAT permet au PCTN de prononcer, en cas de violation des prescriptions de cette loi ou de ses dispositions d’exécution, sans préjudice de l’amende prévue à l’art. 19 LTGVEAT, la suspension de l’autorisation pour une durée de sept jours à six mois (let. a) ou le retrait de l’autorisation (let. b).

Pour fixer la durée de la mesure ou décider d’un retrait, outre les seuils précités, l’autorité tient compte notamment de la gravité de la faute, des antécédents et de leur gravité. Est notamment considérée comme grave la violation des prescriptions visées aux art. 6, 14 et 16 LTGVEAT (art. 18 al. 6 LTGVEAT). Le PCTN jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer la mesure administrative (ATA/911/2023 du 25 août 2023 consid. 2.3).

3.2 Selon l’art. 61 al. 1 let. a LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a). Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

3.3 Aux termes de l’art. 5 al. 2 Cst., l’activité de l’État doit répondre à un intérêt public et être proportionnée au but visé. Le principe de la proportionnalité exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d’intérêt public escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, elle interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 148 I 160 consid. 7.10 ; 140 I 218 consid. 6.7.1).

3.4 L’art. 8 Cst. prévoit que tous les êtres humains sont égaux devant la loi (al. 1) et prohibe la discrimination (al. 2).

Une décision ou un arrêté viole ce principe lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. L’inégalité apparaît ainsi comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable ou inversement (ATF 146 II 56 consid. 9.1 ; 145 I 73 consid. 5.1).

Un justiciable ne saurait en principe se prétendre victime d’une inégalité de traitement lorsque la loi est correctement appliquée à son cas, alors même que dans d’autres cas, elle aurait reçu une fausse application ou n’aurait pas été appliquée du tout (ATF 139 II 49 consid. 7.1).

3.5 En l’espèce, le principe de la sanction n’est à juste titre par remis en cause par le recourant, lequel a violé la loi en vendant une boisson alcoolique distillée à un mineur. Le fait que, comme il s’en prévaut, il bénéficiait d’une certaine latitude pour déterminer s’il convenait de demander à ce dernier de lui présenter une pièce d’identité ne modifie pas le caractère de l’infraction.

La loi ne distingue pas, que ce soit au moment de son autorisation, de sa suspension et de son retrait, l’autorisation de vendre des boissons alcooliques distillées et fermentées. Une telle distinction n’apparaît pas adéquate sous l’angle du principe de la proportionnalité, la vente de tout type d’alcool à des mineurs contrairement au droit mettant en danger ceux-ci. La loi distingue déjà ces deux catégories de boissons alcooliques en prévoyant pour leur remise à titre gratuit ou leur vente des âges minimaux différents. Cette distinction, excluant une sanction dans le cas d’une vente d’une boisson alcoolique fermentée à un client certes mineur mais âgé de 16 ans ou plus, suffit à garantir la proportionnalité de la mesure de suspension ou de retrait.

Il ne se justifie pas non plus, sous l’angle de l’égalité de traitement, de faire une distinction, pour déterminer la durée de la suspension, entre les établissements dont l’activité est limitée à la vente d’alcool et ceux dont l’activité s’étend à la vente d’autres articles. Ils exposent en effet les mineurs au danger de la consommation d’alcool dans la même mesure, de sorte qu’une violation de l’art. 6 LTGVEAT présente la même gravité. Plus généralement, la mesure, visant à garantir les buts protégés par la loi, dont fait partie la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction, n’a pas à tenir compte de l’étendue de l’activité de l’établissement en cause. Cela reviendrait à avantager les points de vente ayant adopté un modèle d’affaires concentré sur la vente d’alcool, alors que, spécialisés, leurs exploitants sont supposés être encore plus sensibles à la santé des mineurs.

Les articles de presse versés à la procédure, faisant état de simples rappels à l’ordre dans certains cas d’infractions à la LTGVEAT par des restaurateurs, ne sont pas propres à démontrer que l’autorité intimée aurait mal appliqué la loi dans ces cas. Et même à l’admettre, cela ne consacrerait pas encore une violation du principe de l’égalité de traitement, le principe de la légalité prévalant.

Sous l’angle de la proportionnalité, l’infraction constatée est certes grave, ce que le recourant a admis, puisqu’elle a été expressément considérée comme telle par le législateur et qu’elle est propre à directement mettre en péril la santé d’un mineur, protégée par la loi. En prononçant une suspension d’une durée d’un mois, l’autorité intimée n’a cependant pas suffisamment pris en considération toutes les circonstances, tels l’absence d’antécédent, les regrets exprimés, l’engagement de prendre les mesures pour éviter une récidive, la quantité d’alcool acheté limitée à une bouteille de 5 cl et les effets économiques de la mesure sur l’établissement, lequel ne vend que de l’alcool. Une suspension d’une durée de quinze jours apparaît suffisante, eu égard aux éléments qui précèdent, pour atteindre le but de la LTGVEAT, soit le respect par le recourant des dispositions de cette loi, en particulier la protection de la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction.

Pour le reste, la sanction ne tient pas compte d’éléments sans pertinence.

Le recours sera partiellement admis et la durée de la suspension réduite à quinze jours.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 250.- sera mis à la charge du recourant, et il lui sera alloué une indemnité de procédure de CHF 500.- (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 janvier 2024 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 15 décembre 2023 ;

au fond :

l’admet partiellement et annule la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 15 décembre 2023 en tant qu’elle fixe la durée de la suspension de l’autorisation délivrée à A______, pour le compte de l’entreprise individuelle B______, de vendre des boissons fermentées et distillées à l’emporter dans leurs emballages d’origine fermés et cachetés, à l’exclusion de tout débit sur le comptoir, à 30 jours ;

réduit la durée de ladite suspension à 15 jours ;

confirme pour le surplus la décision précitée ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 250.- ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Yves HAUSMANN, avocat du recourant, ainsi qu’au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :