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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1029/2024

ATA/633/2024 du 27.05.2024 ( MARPU ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1029/2024-MARPU ATA/633/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 27 mai 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Christophe GAL, avocat

contre

 

DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES DE L'ÉTAT

et

B______

représentée par Mes Alexandre KIRSCHMANN et Domenico DI CICCO, avocats

et

C______

représentée par Mes Bettina NAVRATIL et Manuel ISLER, avocats intimées



Attendu, en fait, que :

1.             A______ (ci-après : A______) est une société anonyme ayant son siège à D______ (ZH), active dans le domaine de l'élimination et de la destruction de supports de données confidentielles, en particulier de documents. Elle dispose de locaux dans le canton de Genève, sis à E______.

2.             Le 19 octobre 2023, l'État de Genève, soit pour lui la centrale commune d'achats (ci‑après : la CCA), a publié sur la plate-forme www.simap.ch un appel d'offres public en procédure ouverte pour des prestations de destruction de documents confidentiels (CPV 92512100 – Services de destruction d'archives).

Le marché était divisé en deux lots, le premier (lot n° 1) portant sur la destruction de papiers et d'archives et le second (lot n° 2) sur la destruction digitale, soit en particulier la destruction de téléphones portables, de tablettes et de matériel numérique «H» (disques durs mécaniques, SSD, tours, ordinateurs portables) et «E» (cartes mémoire, cartes à puce, clés USB, disques SSB M2). Les entreprises soumissionnaires étaient invitées à indiquer, pour chacune des prestations constituant les lots, un prix forfaitaire. Les contrats-cadres conclus avec le (ou les) entreprise(s) adjudicataire(s) des lots nos 1 et 2 étaient supposés entrer en vigueur le 1er avril 2024 et durer cinq ans, avec une possibilité pour l'État de les prolonger d'une année.

3.             Selon les conditions de l'appel d'offres (chiffre 4.4 de la publication, chiffre 3.d du dossier d'appel d'offres et rubrique C.1 du cahier des charges), les entreprises soumissionnaires devaient impérativement être au bénéfice de la certification DIN 66399.

Plusieurs conditions spécifiques étaient fixées pour les prestations de destruction relevant du lot n° 2. Les supports numériques susmentionnés devaient ainsi être détruits « selon la norme DIN 66399, classe 2 et niveau de sécurité E4 au minimum » (chiffre 3.d du dossier d'appel d'offres). Les batteries, les cartes mémoires et les disques durs devaient être retirés des appareils avant leur destruction et l'entreprise soumissionnaire devait expliquer de quelle manière elle procédait au recyclage des batteries, lesquelles pouvaient contenir du lithium et présenter un risque d'incendie ou d'explosion (rubriques E.4.5, E.4.6, E.4.11 et E.6.6 du cahier des charges). Les rubriques E.4.13 et E.4.14 du cahier des charges prévoyaient, pour la destruction du matériel saisi dans le cadre d'une procédure pénale, l'obligation pour l'entreprise soumissionnaire de « scanner » le code-barres apposé sur l'objet avant sa destruction puis de communiquer au « client » un fichier contenant les scans.

4.             Selon le dossier d'appel d'offres (chiffre 11), les critères d'adjudication étaient le prix, avec une pondération de 60%, la qualité des prestations offertes (certifications, modalités, niveau de sécurité et délais de destruction, certificats de destruction, conteneurs, cartons), avec une pondération de 30%, et la qualité de l'entreprise, avec une pondération de 10%.

5.             Dans le délai au 4 décembre 2023 fixé par l'autorité adjudicatrice, trois entreprises ont soumis des offres pour les deux lots, soit A______, B______ et C______. Les prix les plus avantageux, tant pour le lot n° 1 que pour le lot n° 2, étaient ceux offerts par A______.

6.             En réponse à une première demande d'informations complémentaires de la CCA, A______ lui a confirmé, par courrier électronique du 18 janvier 2024, que les supports numériques seraient détruits dans les installations dont elle disposait à Zurich, lesquelles bénéficiaient seules des certifications relatives au niveau de sécurité requis.

Invitée ensuite par la CCA à lui confirmer que les batteries, cartes mémoires et disques durs étaient systématiquement démontés avant la destruction des appareils et à expliciter, vidéo à l'appui, la procédure suivie à cet effet, A______ lui a donné la réponse suivante par courrier électronique du 23 janvier 2024 :

« Je vous confirme que nous retirons systématiquement les piles, les accus et toutes les sources d'énergie électrique avant tous les broyages.

Les disques durs sont également retirés des ordinateurs et des laptops si ce n'est pas déjà fait.

En ce qui concerne les cartes mémoires, nous tentons de les extraire (c'est le processus) mais si l'opération s'avère trop complexe, il est possible que les cartes mémoires restent dans l'équipement lors du passage dans le broyeur.

Tous les appareils électroniques qui arrivent dans notre unité de Zurich sont triés par catégories. Les appareils sont ouverts pour retirer les sources d'énergie. Ces batteries sont triées et conditionnées dans des bacs métalliques verrouillés. Une fois les bacs pleins, nous portons ces batteries jusqu'au centre de traitement de Batrec.

Les disques durs sont retirés et sont broyés sur notre site de Zurich lors d'un passage dédié à ce type de produits. Ces éléments qui contiennent des données sensibles sont traités et broyés dès réception.

Dans votre cas, le processus entre la collecte dans l'un de vos sites et la destruction finale dure au maximum 48h (transfert de Genève à Zurich pour traitement sur le site de D______).

Tout ce qui peut être trié à des fins de recyclage est trié.

Tout ce qui contient des données est broyé dans les 24h suivant l'arrivée sur le site de D______. Pour les éléments qui contiennent des données nous privilégions la sécurité avant le recyclage. »

Deux jours plus tard, le 25 janvier 2024, A______ a transféré à la CCA un fichier vidéo représentant une personne supposée retirer une batterie d'un ordinateur portable. La CCA a toutefois constaté que l'ordinateur était de marque APPLE alors que la batterie était de marque TOSHIBA. Un second fichier vidéo transféré le même jour par A______ à la CCA n'a pas pu être visionné par celle-ci.

Par lettre du 25 janvier 2024, la CCA a enfin invité A______ à lui confirmer qu'elle était en mesure de scanner, avant leur destruction, le code-barres apposé sur tous les supports de données à détruire puis de lui remettre un rapport comprenant la liste des codes-barres, ce qui était « primordial » pour l'autorité adjudicatrice. Cette confirmation a été donnée par courrier électronique du 29 janvier 2024.

7.             Par lettre du 6 février 2024, la CCA a informé A______ de son intention de procéder à une visite des installations zurichoises de celle-ci, au cours de laquelle il lui serait demandé « d'effectuer des prestations de destruction d'un PC portable, d'un smartphone, d'une tablette et d'un disque dur ». L'exécution de ces prestations devait être filmée et un procès-verbal rédigé et signé par les personnes présentes.

8.             Cette visite s'est déroulée le 9 février 2024.

Les participants – deux pour la CCA et trois pour A______ – ont signé un document intitulé « Démonstration en vue de vérifier la conformité de la destruction digitale ». Aucun enregistrement vidéo de la visite ni aucun procès-verbal signé par les participants ne figurent au dossier.

À une date indéterminée, la CCA a toutefois établi un tableau synoptique présentant les constatations effectuées lors de la visite du 9 février 2024 au regard des conditions résultant du cahier des charges, et mentionnant les réponses données par A______ à l'appel d'offres ainsi qu'aux demandes d'information subséquentes. Il en résulte que, sur de nombreux points, le processus de destruction des supports de données tel qu'observé lors de la visite n'était conforme ni aux conditions de l'appel d'offres ni aux réponses et informations complémentaires fournies par l'entreprise soumissionnaire.

9.             Par décision du 11 mars 2024, reçue le lendemain par A______, la CCA a exclu de la procédure d'appel d'offres les offres présentées par celle-ci pour les lots nos 1 et 2.

En relation avec le lot n° 2, l'exclusion était due au non-respect des critères impératifs et éliminatoires énumérés sous rubriques E.4.5, E.4.6, E.4.11, E.4.14 et E.6.6 du cahier des charges. Il avait en effet été constaté lors de la visite des installations de destruction de A______ que, contrairement aux indications données, les batteries, cartes mémoires et disques durs des supports n'étaient pas retirés avant leur destruction, et que des batteries étaient entreposées dans des caisses non munies d'anti-feu. Les codes‑barres n'avaient pas été scannés ; sur question, il avait à cet égard été indiqué aux délégués de la CCA que le site de Zurich ne disposait pas de l'équipement adéquat mais que les code-barres devaient être scannés sur le site de Genève avant le transport des supports de données à D______.

L'exclusion de l'offre de A______ pour le lot n° 1 était pour sa part fondée sur l'art. 42 al. 2 let. c du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP – L 6 05.01). Les indications et réponses inexactes voire trompeuses données dans le cadre de la procédure d'examen de l'offre pour le lot n° 2 avaient en effet mis à mal la confiance que l'État de Genève devait nécessairement pouvoir faire à un futur adjudicataire, compte tenu du caractère confidentiel voire secret des documents traités.

10.         Par décisions d'adjudication rendues le 13 mars 2024 et publiées le 19 mars 2024 sur la plateforme www.simap.ch, l'État de Genève a attribué le lot n° 1 du marché à l'entreprise B______ et le lot n° 2 à l'entreprise C______.

11.         Par acte du 22 mars 2024, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d'exclusion du 11 mars 2024 ainsi que contre les décisions d'adjudication du 13 mars 2024, concluant, sur le fond, à leur annulation puis, principalement, à ce que les marchés des lots nos 1 et 2 lui soient attribués, subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée à la CCA pour nouvelles décisions d'adjudication et, plus subsidiairement encore, à la condamnation de l'État de Genève à lui verser une indemnité de CHF 237'283.-.

À titre préalable, elle a requis que l'effet suspensif soit octroyé à son recours.

Elle a fait valoir cinq griefs.

Premièrement, l'autorité intimée avait mal constaté les faits en retenant, à la suite de la visite sur place du 9 février 2024, que les indications et réponses que la recourante avait données n'étaient pas conformes à la réalité. Elle était en effet tout à fait en mesure de répondre aux exigences du cahier des charges, ce que les délégués de la CCA auraient pu constater s'ils en avaient émis la demande lors de la visite du site de D______.

Deuxièmement, l'opinion erronée de l'intimée sur le caractère inexact voire trompeur des indications et réponses fournies par la recourante l'avait amenée à retenir que le lien de confiance nécessaire n'était pas réalisé et à l'exclure en conséquence de l'appel d'offres également pour le lot n° 1.

Troisièmement, l'autorité intimée avait violé son droit d'être entendue en ne lui remettant pas le procès-verbal de la visite sur place du 9 février 2024 et en ne lui permettant pas de se déterminer à son sujet avant que la décision d'exclusion ne soit prise, étant précisé qu'elle aurait ainsi pu clarifier le malentendu survenu sur le but de la visite sur place du 9 février 2024.

Quatrièmement, le principe de l'égalité de traitement entre soumissionnaires avait été violé dans la mesure où, selon leurs sites internet, les deux entreprises adjudicataires ne répondaient pas aux conditions de l'appel d'offres, en particulier quant aux certifications DIN 66399.

Cinquièmement, l'autorité intimée avait excédé son pouvoir d'appréciation en l'excluant sans raison du marché pour le lot n° 1, alors que les éléments recueillis dans le cadre de l'examen des offres formulées pour le lot n° 2 ne lui permettait pas de tenir pour insuffisante celle qu'elle avait déposée pour le lot n° 1 ni de mettre en doute sa correction en affaires ou sa solvabilité.

12.         Dans sa réponse sur effet suspensif du 15 avril 2024, la CCA a conclu au rejet de la requête formulée en ce sens par la recourante.

Les faits avaient été constatés correctement. La visite effectuée le 9 février 2024 dans les locaux de la recourante avait en particulier permis de constater que les processus de destruction effectivement appliqués par celles-ci ne correspondaient pas à ceux décrits dans ses réponses à l'appel d'offres et aux demandes ultérieures. La vidéo supposée démontrer le démontage des batteries d'ordinateurs portables était trompeuse, ou à tout le moins dénotait une absence de professionnalisme.

Au vu des faits correctement établis, il devait être retenu que la recourante avait fourni de faux renseignements, ce qui justifiait son exclusion également pour le lot n° 1.

Les constatations faites lors de la visite effectuée le 9 février 2024 sur le site principal de la recourante avaient été retranscrites dans un document établi après le retour à Genève des collaborateurs ayant procédé à cette visite. Ce document n'avait certes pas été contresigné par les parties mais son contenu avait été largement communiqué à la recourante dans le cadre de la décision d'exclusion. Aucune violation de son droit d'être entendue n'était donc réalisée.

L'entreprise adjudicataire du lot n° 2 bénéficiait d'une certification selon la norme ISO 21964, qui correspondait à la version harmonisée au niveau mondial de la norme DIN 66399. Ses réponses à l'appel d'offres ainsi qu'aux requêtes de clarifications ultérieures, dont l'exactitude avait été vérifiée lors d'une visite dans ses locaux, organisée dans les mêmes conditions que celles de celle effectuée le 9 février 2024 dans ceux de la recourante, avaient permis d'établir qu'elle remplissait les conditions fixées. Le principe de l'égalité de traitement entre soumissionnaires n'avait donc pas été violé.

Au vu du caractère confidentiel, voire secret des supports de données devant être détruits, et ainsi du caractère sensible des prestations devant être fournies par l'entreprise attributaire, la CCA n'avait pas excédé son pouvoir d'appréciation en excluant la recourante de la procédure. Le comportement de cette dernière dans la procédure d'appel d'offres pour le lot n° 2, en particulier la fourniture d'informations ne correspondant pas à sa pratique et la production d'une vidéo « douteuse », ne permettait pas de lui accorder la confiance nécessaire à l'accomplissement de telles prestations.

La requête d'effet suspensif devait ainsi être rejetée en raison de l'absence, prima facie, de chances de succès du recours.

Elle devait également l'être en raison de l'intérêt public prépondérant à ce que les contrats nécessaires puissent être conclus avec les entreprises adjudicataires. La suspension pendant plusieurs mois des prestations de destruction faisant l'objet de l'appel d'offres litigieux impliquerait en effet des conséquences logistiques lourdes, notamment en termes de stockage, ainsi que des risques que des personnes non autorisées puissent accéder à des données confidentielles voire secrètes. En l'état, les prestations de destruction de documents étaient assurées – sans contrat formel – par l'entreprise B______, avec laquelle un précédent contrat, prolongé jusqu'au 31 mars 2024, avait été conclu.

13.         Par détermination du 15 avril 2024, B______, attributaire du lot n° 1, a conclu au rejet de la requête d'effet suspensif. Contrairement à ce que soutenait la recourante, elle avait établi, par pièces, respecter la norme DIN 66399. L'exclusion de la recourante de l'appel d'offres pour le lot n° 1 était pleinement justifiée au regard de son absence de fiabilité et de correction en affaires, tel que résultant des réponses inexactes voire trompeuses données dans sa réponse à l'appel d'offres et ses prises de position subséquentes. Son offre pour le lot n° 1 ne respectait par ailleurs pas les exigences fixées par l'autorité adjudicatrice en ce qu'elle mentionnait des prix alternatifs, et aurait en tout état dû être exclue pour ce motif également. Le recours était donc dénué de chances de succès. Il existait en outre un intérêt public prépondérant à la conclusion immédiate du contrat portant sur le lot n° 1.

Par détermination du 15 avril 2024, C______, attributaire du lot n° 2, s'en est rapportée à justice sur l'octroi de l'effet suspensif au recours.

14.         Le 6 mai 2024, A______ a répliqué sur effet suspensif.

Avant même la visite sur son site zurichois, la CCA était informée que certaines prestations relevant du lot n° 2, notamment le retrait des accus et batteries et le scannage, devaient être effectuées sur le site genevois de la recourante. Lors de la visite du 9 février 2024, cette dernière aurait été en mesure de procéder aux opérations de retrait des accus, batteries et disques durs ainsi que de scannage si cela lui avait été demandé. Le contenu du tableau synoptique établi à la suite de la visite, et non communiqué, était contesté. Il en allait ainsi en particulier des propos attribués à un collaborateur de A______ selon lesquels son site zurichois ne disposerait pas du matériel de numérisation adéquat. Si son droit d'être entendu avait été respecté, elle aurait pu relever l'incompréhension survenue lors de la visite, ayant conduit à une constatation inexacte des faits.

C______, attributaire du lot n° 2, n'était pas au bénéfice d'une certification DIN 66399 et la certification ISO 21964 n'était pas équivalente, étant en outre précisé que seuls ses camions, et non son site de E______, étaient certifés. Il résultait par ailleurs des pièces produites par la CCA qu'une partie des prestations attribuées à C______ serait sous-traitée à une entreprise « partenaire » située dans le même bâtiment, ce qui n'était pas conforme aux exigences de l'appel d'offres. Enfin, le bail de C______ devait se terminer le 30 juin 2024, ce dont elle aurait dû informer l'autorité adjudicatrice.

L'octroi de l'effet suspensif ne se heurtait à aucun intérêt public prépondérant, la continuité des prestations étant en l'état assurée. Il était au contraire dans l'intérêt public d'éclaircir la question de savoir si les entreprises attributaires étaient bien au bénéfice des certifications requises.

15.         Dupliquant sur effet suspensif le 16 mai 2024, B______ a pour l'essentiel persisté dans son argumentation.

16.         Par courrier du 8 mai 2024, la chambre administrative a informé les parties que la cause était gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1.             Le recours, interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, est prima facie recevable, en application des art. 15 al. 1bis let. d et e et al. 2 de l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 55 let. c et e et 56 al. 1 RMP.

2.             Les mesures provisionnelles sont prises par le président ou la vice-présidente de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

3.             Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1170/2020 du 19 novembre 2020 consid. 3 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 2010, 311-341, p. 317 n. 15).

L’octroi de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1/2024 du 2 janvier 2024).

4.             Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur des mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3).

5.             a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux‑ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).

b. L’offre est écartée d’office, notamment, lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charges (art. 42 al. 1 let. a RMP), ne répond pas ou plus aux conditions pour être admis à soumissionner (let. b) ou a fourni de faux renseignements (let. c). L'autorité adjudicatrice a par ailleurs la possibilité d'écarter l'offre d'un soumissionnaire qui ne remplit pas les garanties de bienfacture, de solvabilité et de correction en affaires (art. 42 al. 2 let. c RMP).

Les offres écartées ne sont pas évaluées. L’autorité adjudicatrice rend une décision d’exclusion motivée, notifiée par courrier à l’intéressé, avec mention des voies de recours (art. 42 al. 3 RMP).

c. Le droit des marchés publics est formaliste. L'autorité adjudicatrice doit procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l'art. 16 al. 2 RMP. Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l'obligation d'assurer l'égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d'examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation (ATA/496/2024 du 16 avril 2024 consid. 3.2).

d. Les offres sont évaluées en fonction de critères d’aptitude et de critères d’adjudication (art. 12 RMP). L'autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché. Elle doit les énoncer clairement et par ordre d'importance au moment de l'appel d'offres (art. 24 RMP).

Afin de vérifier la réalisation des critères d'aptitude qu'elle a fixés, l'autorité adjudicatrice peut exiger des soumissionnaires des justificatifs attestant leur capacité sur les plans financier, économique, technique, organisationnel et du respect des composantes du développement durable, tels qu'un certificat de qualité (art. 3 al. 1 let. e RMP).

Le pouvoir adjudicateur dispose d'une grande liberté d'appréciation dans le choix et l'évaluation des critères d'aptitude et d'adjudication, celui-là étant libre de spécifier ses besoins en tenant compte de la solution qu'il désire (ATF 137 II 313 consid. 3.4 in JdT 2012 I p. 28 ss). Une fois les critères d'aptitude et d'adjudication arrêtés dans l'appel d'offres ou les documents d'appel d'offres, le pouvoir adjudicateur doit en règle générale s'y tenir. En vertu des principes de la transparence et de l'égalité de traitement, il ne saurait les modifier ultérieurement. S'il ignore des critères dûment fixés, en modifie la portée ou la pondération ou encore s'il en ajoute de nouveaux, le pouvoir adjudicateur agit de manière contraire au droit des marchés publics (ATAF 2019 IV/1 consid. 3.3 ; décision incidente du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] B‑4637/2016 du 19 octobre 2016 consid. 6.4; arrêts du TAF B-4958/2013 du 30 avril 2014 consid. 2.5.2 ; B-891/2009 du 5 novembre 2009 consid. 3.4).

e. Le droit d’être entendu, garanti à l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour la personne concernée de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à son détriment et celui d’avoir accès au dossier. En tant que droit de participation, le droit d’être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu’elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1 ; 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_700/2022 du 28 novembre 2022consid. 3 et les références).

La violation du droit d’être entendu doit en principe entraîner l’annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond (ATF 141 V 495 consid. 2.2 ; 140 I 68 consid. 9.3 ; 135 I 279 consid. 2.6.1). Une réparation devant l’instance de recours est possible si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 133 I 201 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_302/2018 du 14 mars 2019 consid. 2.1). Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d’un libre pouvoir d’examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d’être entendu, même si l’autorité de recours n’a pas la compétence d’apprécier l’opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2020 8C_257/2019 consid. 2.5 et les références citées), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5). La réparation d’un vice de procédure en instance de recours peut se justifier en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

6.             La recourante fait valoir plusieurs arguments.

a. Un établissement inexact des faits par l'autorité intimée ne peut, à ce stade précoce de la procédure et sous l'angle limité de la vraisemblance, pas être tenu pour établi. Il faut en particulier relever que, sous réserve de certains points précis, la recourante ne conteste à première vue pas les constatations auxquelles a procédé l'autorité intimée à l'occasion de la visite qu'elle a effectuée le 9 février 2024 sur son site, sur lesquelles ladite autorité a, dans une large mesure, fondé sa décision d'exclusion. Il en va ainsi en particulier du constat que les accus/batteries, disques durs et cartes-mémoires n'ont pas été retirés des supports de données avant leur destruction.

La recourante conteste en revanche les conclusions tirées par l'autorité intimée de ces constatations, invoquant une « incompréhension » sur l'objet de la visite. Prima facie, il n'apparaissait toutefois pas déraisonnable de la part de l'autorité intimée de s'attendre à ce que les démonstrations effectuées lors de la visite correspondent aux prestations décrites dans l'appel d'offres, le cahier des charges et les réponses données aux demandes d'éclaircissement complémentaires. De la même manière, l'autorité adjudicatrice ayant sollicité une vidéo représentant l'enlèvement d'une batterie d'ordinateur portable pouvait a priori s'attendre, sans avoir besoin de le préciser et sans devoir formuler une requête supplémentaire, à ce que l'enregistrement remis corresponde à une véritable opération de retrait et non à une simple manipulation d'éléments disparates sans rapport entre eux, dénuée de toute valeur informative.

b. Le grief de violation de son droit d'être entendue soulevé par la recourante pourrait en revanche de prime abord s'avérer bien fondé. Il semble en effet résulter du dossier qu'elle n'a pas eu la possibilité de s'exprimer avant que la décision d'exclusion ne soit rendue sur les éléments recueillis lors de la visite du 9 février 2024, alors même que l'autorité intimée les a considérés comme déterminants.

Cette violation du droit d’être entendue de la recourante, si elle était avérée, pourrait éventuellement, aux conditions rappelées ci-dessus, être réparée dans le cadre de l’instruction sur le fond de la présente procédure de recours. Encore faudrait-il, pour qu’une véritable prise en compte des arguments de la recourante relatifs aux éléments recueillis avant le prononcé de la décision contestée soit garantie, qu’une possibilité de réintégration de son offre dans la procédure d’évaluation existe effectivement. Tel ne serait cependant pas le cas si, dans l’intervalle, des contrats avaient été conclus avec les entreprises bénéficiaires des décisions d’adjudication. Un octroi de l’effet suspensif se justifierait donc sous cet angle.

c. Selon la recourante, les entreprises adjudicataires ne rempliraient pas les conditions fixées par l'appel d'offres, de telle sorte que son exclusion violerait les principes de non-discrimination et d'égalité entre les soumissionnaires.

La recevabilité de ce grief paraît douteuse, dès lors que le recours ne peut en principe tendre qu’à la réintégration de la recourante dans la procédure d’évaluation des offres.

Sous cette réserve, il est exact que tant la publication que le dossier d'appel d'offres et le cahier des charges érigent en critère impératif et éliminatoire le bénéfice d'une certification DIN 66399, diverses certifications ISO étant pour leur part uniquement qualifiées de critères « à apprécier et évaluer ». Or, il paraît prima facie résulter des déterminations de l'autorité intimée que l'entreprise attributaire du lot n° 2 (ladite autorité ne s'exprimant pas pour l'entreprise attributaire du lot n° 1) ne serait pas au bénéfice d'une certification DIN 66399 mais d’une certification ISO jugée équivalente par l’autorité intimée.

Dans la mesure toutefois où le recours est dirigé au premier chef contre la décision d'exclusion de la recourante, et que cette décision est motivée non par l'absence de certification DIN 66399 mais par la non-conformité des prestations aux conditions de l'appel d'offres (pour le lot n° 2), ou par l'absence de lien de confiance nécessaire (pour le lot n° 1), il paraît de prime abord peu probable que ce grief, à supposer qu’il soit recevable, puisse entraîner l'annulation de la décision contestée.

d. Comme déjà relevé, la recourante ne conteste ni que la vidéo adressée à l'autorité intimée afin d'illustrer le retrait des batteries ne représentait en fait pas une telle opération, ni que les opérations de destruction exécutées le 9 février 2024 n'étaient pas conformes non seulement aux critères de l'appel d'offres mais également au contenu des assurances données au cours de la procédure, en particulier par courriel du 23 janvier 2024. Même à prendre en considération son argumentation, selon laquelle le caractère artificiel de la vidéo ressortait d'un courriel accompagnant le fichier et pouvant aisément être consulté et qu'une incompréhension était à l'origine de l'absence de conformité des destructions, il ne peut être considéré d'emblée, au stade des mesures provisionnelles, que l'autorité adjudicatrice aurait abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que ces comportements trahissaient de la part de la recourante, dans le meilleur des cas, une certaine légèreté et un manque de sérieux, lesquels, compte tenu de la nature des prestations visées par l'appel d'offres, ne permettaient plus de lui accorder la confiance nécessaire pour la bonne exécution des prestations promises, y compris celles du lot n° 1.

7. Reste à examiner si un intérêt public ou privé prépondérant s’opposerait à l’octroi de l’effet suspensif.

Il résulte à cet égard des observations sur effet suspensif de l’autorité intimée que les prestations de destruction de documents continuent d’être assurées sous un régime provisoire par l’entreprise qui assumait jusqu’alors ce service, laquelle se trouve être, en l’état et sous réserve du sort du recours, l’adjudicataire du lot no 1.

En relation avec les prestations de destruction numérique, qui font l’objet du lot no 2, l’autorité intimée fait valoir des difficultés de stockage et le risque que des personnes non autorisées puissent accéder à des données confidentielles voire secrètes. Dans la mesure toutefois où ces difficultés et risques ont pu être gérés de manière adéquate par le passé, on peut penser qu’ils pourront encore l’être pendant la durée de la présente procédure.

Aucun intérêt public prépondérant ne fait donc obstacle à l’octroi de l’effet suspensif au recours. Un intérêt privé prépondérant n’a, pour sa part, été invoqué par aucune des entreprises intimées et ne résulte pas du dossier.

La requête d’octroi de l’effet suspensif sera donc admise.

8. Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

octroie l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Christophe GAL, avocat de la recourante, à la direction générale des finances de l'État, à Mes Alexandre KIRSCHMANN et Domenico DI CICCO, avocats de B______ ainsi qu’à Mes Bettina NAVRATIL et Manuel ISLER, avocats de C______.

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :