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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4044/2023

ATA/611/2024 du 21.05.2024 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4044/2023-FPUBL ATA/611/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 mai 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Fanny ROULET, avocate

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : le fonctionnaire) est né le ______ 1969.

b. Le 1er novembre 2003, il a été engagé au sein des services administratifs de la police en qualité d’adjoint au chef du service des télécommunications, puis, le 6 décembre 2006, nommé chef de service technique des transmissions.

Il était rattaché en dernier lieu au département des institutions (actuellement le département des institutions et du numérique ; ci-après : le département).

c. Le 1er août 2009, il a été promu au poste de chef de secteur du développement informatique, rémunéré en classe 23 de l’échelle de traitement et lui conférant la qualité de cadre supérieur. À la suite d’une évaluation de sa fonction, il a été désigné, dès le 1er août 2010, chef du service des C______ de la police (ci-après : C______) et rémunéré en classe 24.

d. En 2014, le C______ est devenu le centre D______ de la police (ci-après : D______).

e. Le 20 juillet 2020, le fonctionnaire a signalé, lors d’un entretien d’évaluation, que sa charge de travail relative à la gestion du personnel avait beaucoup augmenté et que le climat s’était dégradé en conséquence du COVID-19.

B. a. Le 13 octobre 2022, il a alerté l’état-major ainsi que le service des ressources humaines du département sur le fait que la situation dans l’un des secteurs dont il avait la charge était « catastrophique » et nécessitait son remplacement. Il avait en particulier des difficultés avec deux collaborateurs dont il déplorait les absences et négligences, respectivement des attaques personnelles par courriels. Sa santé en pâtissait et plusieurs collègues avaient exprimé leur inquiétude à cet égard.

b. L’état-major a mené des discussions avec lui quant à une réorganisation du D______ et décidé de dissocier la fonction de chef de service et celle d’expert ou conseiller en organisation. Pour tenir compte des difficultés évoquées dans la gestion des ressources humaines, il lui a été proposé de renoncer à sa fonction de chef en faveur d’une affectation au poste d’expert avec un cahier des charges à définir.

c. Durant le premier trimestre 2023, sur la base d’un projet de cahier des charges du fonctionnaire et en concertation avec lui, l’état-major a défini un nouveau poste de conseiller en organisation qui lui était directement rattaché.

d. Le 8 mai 2023, les ressources humaines du département ont demandé à la direction évaluation et système de rémunération (ci-après : DESR) de l’office du personnel de l’État (ci-après : OPE) d’évaluer cette nouvelle fonction.

e. Le 20 juin 2023, la DESR a proposé une rémunération maximum en classe 22, en tenant compte des activités et responsabilités prépondérantes de la fonction, soit : participer à l’élaboration du schéma directeur de l’organisation de l’information, à l’établissement et à la gestion des projets de mise en œuvre en matière d’organisation et d’information de la police ; planifier et concevoir des processus liés à l’organisation de l’information pour répondre aux missions du département, de la police et des services partenaires en garantissant la cohérence des systèmes d’information et d’alerte, ainsi que les infrastructures des services d’urgence ; coordonner les activités relatives à l’organisation de E______ (ci-après : E______) dans le respect du plan directeur métier du département, ainsi que du schéma directeur des C______ ; conseiller, soutenir la maîtrise d’ouvrage dans son domaine de compétence et l’assister dans la définition des directives de sécurité et de protection des données dans le cadre de la mise en œuvre des E______ ; collaborer avec les partenaires internes et externes en vue de maintenir une cohérence de gestion transversale des E______ ainsi que participer à divers groupes de travail technique au niveau cantonal, national et international.

La DESR a également tenu compte de la formation requise pour le nouveau poste, soit un master en systèmes d’information ou en informatique de gestion, une formation continue certifiante dans le domaine de la sécurité des systèmes d’information ainsi qu’une expérience avérée dans une fonction équivalente.

La DESR a attribué les lettres MDKAI aux critères prévus par la grille de cotation des fonctions de l’État de Genève, correspondant à un total de 204 points, lesquels donnent lieu à un traitement maximum en classe 22.

f. Par courriel du 6 juillet 2023, l’état-major a informé le fonctionnaire que la demande d’application de l’art. 5 du règlement sur les cadres supérieurs de l’administration cantonale du 22 décembre 1975 (RCSAC - B 5 05.03) avait reçu une fin de non-recevoir.

Le fonctionnaire a alors requis l’état-major de ne pas signer l’évaluation de la DESR.

Par courriel du 10 juillet 2023, l’état-major a expliqué à A______ ne pas pouvoir différer la signature au-delà du 17 juillet 2023. Comme convenu, il s’adresserait aux ressources humaines pour demander une rémunération en classe 22 soit avec application de l’art. 5 RCSAC, soit avec maintien du statut de cadre supérieur, soit avec droits acquis progressifs. Les chances de succès des deux premières options étaient minces, celles de la troisième option, meilleures.

Le 12 juillet 2023, l’état-major a communiqué au fonctionnaire comprendre que l’évaluation de la DESR n’était pas à la hauteur de ses attentes mais tenter d’en améliorer le résultat malgré de faibles chances de succès.

g. Les 14 et 17 juillet 2023, l’état-major, puis le département, ont accepté la proposition de rémunération de la DESR.

h. Par courriel du 4 septembre 2023, le fonctionnaire a contesté l’évaluation de son nouveau poste, en particulier la lettre D attribuée à l’expérience requise, alors que la lettre F aurait dû être retenue au vu de sa propre expérience et de sa connaissance approfondie du secteur.

i. Le 20 septembre 2023, il a été entendu par l’état-major, en présence d’une représentante des ressources humaines. Il acceptait son nouveau cahier des charges. Il avait par contre toujours souhaité maintenir son statut de cadre supérieur et il n’avait pas été question à l’origine d’un changement à ce niveau ni d’une évaluation de fonction. Il contestait celle-ci, citant pour exemple l’insuffisance du niveau d’expérience retenu, et avait refusé que sa hiérarchie la signe. Reconnaissant certaines difficultés de management, il soulignait un manque de soutien face à certains collaborateurs problématiques.

Le 26 septembre 2023, il a fait part d’observations complémentaires, insistant sur son refus d’une évaluation de son nouveau poste.

j. Par décision du 30 octobre 2023, la Conseillère d’État en charge du département l’a affecté à la fonction de conseiller en organisation de l’information au sein de la direction des services d’état-major, en classe 22, à compter du 1er novembre 2023. Son traitement effectif correspondrait à celui de sa précédente fonction, soit à la classe 24, annuité 16, mais il ne bénéficierait plus de la progression des annuités et perdrait ses droits liés au statut de cadre supérieur.

Le fonctionnaire avait participé aux discussions et réflexions concernant la réorganisation du D______, en particulier la création d’un nouveau poste d’expert pour le décharger. Il avait aussi accepté le cahier des charges de sa nouvelle fonction de conseiller en organisation, bien qu’il n’eût pas adhéré à une évaluation de celle‑ci, pourtant légalement requise pour tout nouveau poste. Il n’avait jamais reçu la garantie que le résultat de l’évaluation, qu’il contestait par ailleurs, serait atténué d’une manière ou d’une autre.

k. Le 4 novembre 2023, le président de l’UNION B______ (B______) a sollicité, pour le compte du fonctionnaire, une reconsidération de cette décision. La Conseillère d’État l’a refusée, précisant qu’une nouvelle demande d’évaluation pourrait être déposée sous douze à 18 mois dans le cas d’une modification prépondérante des rôles et responsabilités entre le poste de responsable du D______ et celui de conseiller en organisation de l’information.

C. a. Par acte posté 1er décembre 2023, A______ a interjeté recours contre la décision du 30 octobre 2023 auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative). Il a conclu préalablement à la restitution de l’effet suspensif, à l’apport de l’intégralité de son dossier, à sa comparution personnelle ainsi qu’à l’octroi d’un délai pour proposer l’audition de témoins, principalement à l’annulation de la décision querellée, et subsidiairement au renvoi de la cause au département pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

La décision querellée violait le principe de proportionnalité ainsi que celui de la bonne foi. Un poste équivalent aurait pu lui être proposé. Il n’était pas nécessaire d’assortir son changement d’affectation, en soi justifié, d’une rétrogradation, d’une suppression de la progressivité de l’annuité et d’une privation du statut de cadre supérieur et des droits y attachés. Il pouvait raisonnablement s’attendre à bénéficier du même traitement, la création de sa nouvelle fonction résultant de la saisine de sa hiérarchie au sujet des dysfonctionnements de son service. Aussi ne s’y était-il pas opposé et avait collaboré à l’élaboration du cahier des charges. Il avait dès les premières discussions précisé refuser une évaluation du poste, ainsi que la perte du statut de cadre supérieur et du traitement en classe 23. Il résultait de l’organigramme joint au cahier des charges que son nouveau poste se situait deux niveaux en-dessus de celui de chef de service et qu’il était rattaché au poste de chef d’état-major.

L’autorité intimée avait également violé le principe de l’interdiction de l’arbitraire, en tant qu’elle s’était entièrement reposée sur l’évaluation de la DESR, dont l’examen de trois des cinq facteurs pertinents était manifestement erroné.

Pour l’expérience, la lettre F aurait dû être retenue puisqu’il avait travaillé huit ans dans l’administration et connaissait très bien le secteur. Les nombreuses activités et projets menés tout au long de sa carrière, dans le domaine des communications critiques et du système d’aide à l’engagement, illustraient la richesse de son cursus.

Pour l’effort intellectuel, la lettre M, ou au minimum la lettre L aurait dû être retenue. Comme l’illustraient les différentes tâches menées dans le cadre de ses précédentes fonctions, il était à même de déployer les efforts nécessaires pour fixer les objectifs et pour diriger un ensemble de plusieurs secteurs administratifs homogènes, de définir des structures, de coordonner les activités de même que d’établir et de maintenir ou développer de nombreux contacts.

Pour la responsabilité, la lettre K aurait dû être retenue car il exerçait, au sein du D______, une activité autonome très qualifiée avec une influence décisive sur d’autres secteurs, ce qui était également démontré par ce qu’il avait accompli durant sa carrière.

b. Par décision du 12 février 2024, la chambre administrative a rejeté la requête d’effet suspensif.

c. Le département a conclu au rejet du recours.

Le changement d’affectation du fonctionnaire répondait aux besoins du service. Ce dernier avait lui-même alarmé sa hiérarchie sur la surcharge de travail et la dégradation de son environnement professionnel résultant de ses problèmes de gestion du personnel. Il avait également fait part de sa prédilection pour le volet expertise de sa fonction. Sa hiérarchie était dès lors dans l’obligation de prendre des mesures et avait décidé de séparer les responsabilités techniques et managériales du poste de chef de service. La perte de son statut de cadre et le gel de son précédent salaire, supérieur au montant maximum de sa nouvelle classe, étaient conformes aux dispositions légales applicables. Les mesures prises, ayant permis son affectation à une fonction n’impliquant plus de responsabilités managériales tout en mettant à contribution ses compétences techniques appréciées et reconnues, sans baisse de traitement, respectaient le principe de proportionnalité.

Bien qu’il s’y fût toujours refusé, le fonctionnaire savait qu’une nouvelle fonction devait être évaluée et n’avait jamais reçu une quelconque garantie contraire. Il avait lui-même évoqué une possible rétrogradation dans un courriel du 20 décembre 2022 et pleinement participé à l’élaboration de son cahier des charges. Il était ainsi conscient que sa nouvelle fonction était amputée du volet management et qu’il ne pourrait plus bénéficier de la même classe de traitement. Sa hiérarchie avait seulement promis de tenter d’atténuer le résultat de l’évaluation, en soulignant les faibles chances de succès d’une telle démarche. Elle s’était au surplus montrée ouverte à une nouvelle évaluation sous douze ou 18 mois.

Le fonctionnaire ne pouvait pas se prévaloir de droits acquis en matière salariale et sa rétrogradation résultait du dessaisissement de l’activité managériale. La cotation de l’expérience professionnelle ne tenait compte, contrairement à son opinion, que de celle utile à la nouvelle fonction et non de celle du titulaire de la fonction, seulement valorisée par les annuités pouvant lui être accordées. La lettre K retenue pour les efforts intellectuels reconnaissait les compétences techniques et les aspects de conseil inhérents à l’exercice de la fonction. Cette lettre avait été appliquée à la précédente fonction de chef de service. Seul était déterminant le nombre de domaines d’activité du titulaire et non celui de ses responsabilités dans le cadre d’un seul domaine. Or, le fonctionnaire n’exerçait désormais ses activités que dans le domaine de l’expertise technique. La lettre I retenue pour la responsabilité reflétait exactement celle de la fonction de conseiller en organisation de l’information et toute comparaison avec son ancienne fonction tombait à faux au vu des différences des cahiers des charges.

d. Le recourant a répliqué et persisté dans ses conclusions.

Il a souligné que l’interpellation de sa hiérarchie sur les difficultés rencontrées avec certains collaborateurs était un appel à l’aide et ne visait pas sa mutation à un poste impliquant une rétrogradation. L’analyse du département négligeait en outre la composante de stratégie de son ancienne fonction, non réductible au rôle de simple expert technique. Elle comprenait les domaines des appels d’urgence, des systèmes d’aide à l’engagement et les moyens de communication des organisations d’urgence. Sa validation de son nouveau cahier des charges n’emportait pas celle de la demande d’évaluation. Sa nouvelle fonction n’était pas limitée à la police, impliquant d’autres services cantonaux et fédéraux. La DESR ne l’avait pas consulté alors qu’il était le seul à avoir exercé les compétences en cause jusqu’alors. La dernière évaluation de son poste datait du 6 avril 2010 et la fonction de conseiller en organisation de l’information avait grandement évolué depuis lors.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant requiert préalablement l’audition des parties ainsi que celle d’éventuels témoins, et l’apport de l’intégralité de son dossier auprès des ressources humaines.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour la personne intéressée de produire ou obtenir la production des preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Il n’empêche toutefois pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Il n’implique pas le droit d’être entendu oralement (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6.1).

2.2 En l’espèce, les pièces produites par les parties suffisent à l’examen de la cause. Elles semblent représenter l’intégralité du dossier du recourant. Celui-ci n’indique en tous les cas pas lesquelles feraient défaut.

Les parties ont pu s’exprimer par écrit dans le cadre de l’échange d’écritures, incluant une réplique du recourant. Leur audition personnelle n’est ni obligatoire ni nécessaire. Le recourant n’indique par ailleurs pas quels points n’auraient pas pu être développés par écrit.

Il ne précise pas non plus en quoi, en particulier pour l’établissement de quel fait par hypothèse contesté, s’impose l’audition de témoins, laquelle n’apparaît pas indispensable.

Le droit d’être entendu des parties a dès lors été respecté et il ne sera pas donné suite aux conclusions préalables du recourant.

3.             L’objet du litige porte sur la perte pour le recourant de son statut de cadre et la rétrogradation de son traitement en classe 22. Ce dernier ne conteste en revanche pas sa mutation dans sa nouvelle fonction de conseiller en organisation de l’information.

Le recourant considère que la décision querellée viole le principe de la proportionnalité, de la bonne foi ainsi que de l’interdiction de l’arbitraire.

3.1 Aux termes de l’art. 5 al. 2 Cst., l’activité de l’État doit répondre à un intérêt public et être proportionnée au but visé.

Le principe de la proportionnalité exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d’intérêt public escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, elle interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 148 I 160 consid. 7.10 ; 140 I 218 consid. 6.7.1).

3.2 L’art. 5 al. 3 Cst. oblige les organes de l’État et les particuliers à agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. L’art. 9 Cst. confère à toute personne le droit d’être traitée par les organes de l’État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi.

Le principe de la bonne foi exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. L’administration doit s’abstenir de tout comportement propre à tromper l’administré et ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; 137 II 182 consid. 3.6.2). Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration, étant précisé qu’un renseignement ou une décision erronés de l’administration peut, selon les circonstances, intervenir tacitement ou par actes concluants (ATF 146 I 105 consid. 5.1.1 ; 143 V 341 consid. 5.2.1).

Une décision est arbitraire lorsqu’elle est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou encore lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. L’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu’elle serait préférable (ATF 142 V 512 consid. 4.2 ; 141 I 49 consid. 3.4). De plus, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 170 consid. 7.3).

3.3 Aux termes de l’art. 12 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), l’affectation d’un membre du personnel dépend des besoins de l’administration ou de l’établissement et peut être modifiée en tout temps (al. 1). Un changement d’affectation ne peut entraîner de diminution de salaire (al. 2).

L’art. 2 al. 5 de la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l’État, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait ‑ B 5 15) prévoit que les annuités supplémentaires ne sont pas accordées aux membres du personnel bénéficiant d’une classification supérieure à celle prévue normalement pour leur fonction.

Les prétentions pécuniaires des agents de la fonction publique, qu’il s’agisse de prétentions salariales ou relatives aux pensions, n’ont en règle générale pas le caractère de droits acquis. Les rapports de services sont régis par la législation en vigueur au moment considéré. L’État est en effet libre de revoir en tout temps sa politique en matière de salaire et d’emploi et les personnes qui entrent à son service doivent compter avec le fait que les dispositions réglant son statut puissent faire l’objet ultérieurement de modifications. Des droits acquis ne naissent dès lors en faveur des agents de la fonction publique que si la loi fixe une fois pour toutes les situations particulières et les soustrait aux effets des modifications légales ou lorsque des assurances précises ont été données à l’occasion d’un engagement individuel (ATF 143 I 65 consid. 6.2).

3.4 Aux termes de l’art. 2 RCSAC, sont nommés en qualité de cadres supérieurs les fonctionnaires appelés, par leurs responsabilités hiérarchiques ou fonctionnelles, à préparer, proposer ou prendre toute mesure ou décision propre à l’élaboration et à l’exécution des tâches fondamentales de pouvoir exécutif (al. 1). Leur fonction se situe à compter de la classe 23 de l’échelle fixée par la LTrait (al. 2).

Selon la fiche 04.02.06 du mémento des instructions de l’OPE (ci-après : MIOPE) du 3 août 2023, intitulée « Changement de fonction dépendant des besoins de l’administration », les droits liés au statut de cadre supérieur ne sont pas maintenus en cas de rétrogradation dans une fonction inférieure à la classe 23.

Selon l’art. 5 du RCSAC, dès l’âge de 50 ans et après quatre ans d’activité à leur poste, les cadres supérieurs peuvent solliciter une autre affectation ou demander d’être chargés d’une mission spéciale. Le chef du département peut, dans les mêmes conditions, leur confier un autre poste ou les charger de tâches particulières en rapport avec leur formation ou leur expérience professionnelle (al. 1). En règle générale, les cadres supérieurs conservent dans les deux cas leur rémunération antérieure (al. 2)

3.5 L’art. 4 LTrait prévoit que le Conseil d’État établit et tient à jour le règlement et le tableau de classement des fonctions permettant de fixer la rémunération de chaque membre du personnel en conformité de l’échelle des traitements (al. 1). Dans ce classement il doit être tenu compte du rang hiérarchique et des caractéristiques de chaque fonction en prenant en considération notamment l’étendue qualitative et quantitative des attributions dévolues et des obligations à assumer, les connaissances professionnelles et aptitudes requises, l’autonomie et les responsabilités, les exigences, inconvénients, difficultés et dangers que comporte l’exercice de la fonction (al. 2).

Selon l’art 2 du règlement d’application de cette loi du 23 décembre 2020 (RTrait - B 5 15.01), la classe prévue pour la fonction est déterminée par le résultat de l’évaluation des fonctions. La liste des fonctions, mise à jour et approuvée par le Conseil d’État, est à disposition à l’office du personnel de l’État.

Selon la fiche n° 02.01.01 du MIOPE du 15 juillet 2013, intitulée « Évaluation ou révision de classification de fonction », une demande d’évaluation est initiée par les directions de services du département/de l’établissement en référence aux missions et prestations définies par le département/l’établissement, notamment lors de la création d’un nouveau poste ou d’une nouvelle fonction.

L’évaluation de fonctions déterminées en relation avec d’autres fonctions ou sur la base d’exigences précises ne peut jamais être réalisée de manière objective et neutre, mais contient, par la force des choses, une grande part d’appréciation, dont la concrétisation dépend de la façon dont une certaine tâche est perçue par la société, respectivement par l’employeur. Le point de savoir si différentes activités doivent être considérées comme étant de même valeur dépend d’estimations qui peuvent conduire à des résultats différents. L’autorité compétente dispose sur ce point d’un grand pouvoir d’appréciation. Tant qu’elle ne tombe pas dans l’arbitraire et qu’elle respecte le principe de l’égalité de traitement, elle peut choisir, parmi la multitude de critères envisageables, les éléments qu’elle considère comme pertinents pour la fixation de la rémunération de ses employés (ATF 129 I 161 consid. 3.2 ; 125 II 385 consid. 5b).

3.6 À teneur du document intitulé « Méthode d’évaluation des fonctions » élaboré par l’OPE dans sa version du 9 août 2023 (https://www.ge.ch/document/methode-evaluation-fonctions-etat-geneve), chaque fonction est évaluée sur la base d’une grille de cotation selon trois facteurs, soit l’aptitude, les efforts et la responsabilité. Les deux premiers facteurs sont subdivisés en deux critères, soit la formation et l’expérience professionnelles ainsi que les efforts intellectuels et physiques. La table de pondération attribue un nombre de points déterminés pour chaque niveau. Le total des points obtenus permet de situer la fonction dans l’échelle des traitements (classe maximum de la fonction).

Le facteur des aptitudes mesure les aptitudes professionnelles minimales exigibles pour un poste de travail, qui ne sont pas influencées par celles du titulaire si elles sont supérieures à ce minimum. Pour le critère de la formation professionnelle, la lettre M (sur une échelle de A à O ; 58 points), correspond au niveau universitaire complété d’une formation, soit une formation théorique et pratique d’une durée approximative d’une année au moins. Pour le critère de l’expérience professionnelle, soit le temps nécessaire au titulaire venant d’obtenir le niveau de formation requise pour acquérir l’expérience professionnelle et les connaissances complémentaires des rouages de l’administration permettant d’occuper le poste avec une efficacité optimale, la lettre D (sur une échelle de A à F ; 17 points) correspond à une expérience de trois à cinq ans.

Le critère des efforts intellectuels tient compte du niveau d’aptitude à la réflexion, à l’organisation, à la négociation, à la concentration et à l’attention requis. La lettre K (sur une échelle de A à O ; 65 points) correspond à des efforts de réflexion et d’organisation rencontrés dans un ensemble de domaines d’application où les tâches sont fortement différenciées et changent souvent, ou à des efforts nécessaires pour élaborer, développer et appliquer des directives et des procédures dans un secteur administratif homogène, en tous les cas avec la nécessité d’établir et de maintenir les contacts correspondants. Pour le critère des efforts physiques, la lettre A (cinq points) correspond aux efforts minimums propres aux emplois sédentaires.

Le critère de la responsabilité tient essentiellement compte de la qualité du travail exécuté, de son impact à l’intérieur ou à l’extérieur de l’administration, ainsi que de la responsabilité de conduite et d’encadrement du personnel. La lettre I (sur une échelle de A à O ; 59 points), correspond à la direction d’un secteur qualifié important avec une forte influence sur les résultats de plusieurs secteurs voisins, nécessitant des informations provenant d’autres branches, ainsi que des recherches régulières et des décisions sur les possibilités de solutions aux problèmes avec des collaborateurs de même niveau ou d’un niveau supérieur, ou une activité autonome qualifiée avec incidence sur plusieurs secteurs.

3.7 En l’espèce, le nouveau poste du recourant a été créé à la suite des doléances exprimées par ce dernier concernant en particulier ses rapports avec certains membres du personnel du D______. Il a adhéré aux changements apportés à son cahier des charges, comprenant essentiellement la suppression de la gestion des ressources humaines du secteur. De manière générale, l’affectation de tout membre du personnel peut être modifiée eu égard aux besoins de l’administration.

Il s’est certes toujours opposé à une évaluation de sa nouvelle fonction et à sa rétrogradation, mais n’a reçu aucune garantie de sa hiérarchie quant au maintien de sa classe de traitement et de son statut de cadre supérieur. Cette dernière lui a seulement promis de tenter d’obtenir le maintien de certains avantages attachés à son ancien statut, en lui indiquant que les chances de succès étaient faibles. Elle n’a en particulier pas pu s’engager à lui confier un autre poste ou une mission particulière au sens de l’art. 5 RCSAC. Elle a procédé de manière transparente, en le faisant participer à la procédure visant au changement de sa fonction et en répondant à ses critiques. L’évaluation de tout nouveau poste résulte de l’application du règlement et de la directive topiques, lesquels ne prévoient pas d’exception.

Le recourant ne pouvait pour le surplus pas s’attendre à conserver son statut alors que sa fonction a été amputée de ses responsabilités hiérarchiques. Le fait que son poste est désormais directement rattaché à l’état-major ne signifie pas qu’il corresponde à un niveau hiérarchique supérieur. Ni la loi ni des assurances reçues lors de son engagement ne confèrent à ses prétentions pécuniaires le caractère de droits acquis. En particulier, le statut de cadre est légalement subordonné à une classe de traitement 23 au minimum. Le recourant n’est en conséquence pas fondé à se plaindre d’une violation du principe de la bonne foi.

Il ne peut rien tirer non plus du principe de la proportionnalité. Le changement de fonction répondait aux besoins du service, en particulier à la surcharge de travail qu’il a déplorée. L’autorité intimée n’a pas réalisé ce changement dans une mesure dépassant ce qui était nécessaire pour atteindre le but recherché, ce que le recourant n’allègue pas. Bien qu’il ait été rétrogradé en classe 22, son salaire n’a pas subi de diminution conformément à l’art. 12 al. 2 LPAC. La perte de son statut de cadre et des droits y attachés ainsi que le gel de ses annuités découlent pour le surplus de l’application des normes et directives applicables. Celles-ci n’apparaissent en rien abstraitement contraires au principe de la proportionnalité, dès lors qu’elles visent à adapter à la nouvelle fonction du fonctionnaire son traitement et sa rémunération, lesquels ne lui sont légalement pas acquis.

3.8 Pour évaluer la nouvelle fonction du recourant, la DESR a tenu compte des critères prévus par la grille de cotation, soit la formation et l’expérience professionnelle, les efforts intellectuels et physiques requis, ainsi que la responsabilité. La pertinence de ces critères, qui recoupent les éléments mentionnés à l’art. 4 al. 2 LTrait, n’est à juste titre pas remise en cause.

On ne discerne au surplus pas en quoi la DESR aurait évalué l’importance à leur donner de manière arbitraire. La nouvelle fonction du recourant, amputée du volet des ressources humaines, comprend la planification, la mise en œuvre, la gestion, la coordination et l’amélioration des systèmes d’information de la police. Cette tâche requiert certes de très bonnes qualifications techniques dans le domaine, une certaine expérience, une vision d’ensemble des besoins du département, de la police et des services d’urgence, de la flexibilité dans son travail et une capacité à opérer en collaboration avec d’autres services et à intégrer des groupes de travail. Mais cela a été pris en considération dans la pondération opérée. La DESR a en particulier retenu la lettre D pour l’expérience, tenant compte du besoin d’une expérience de trois à cinq ans, K pour les efforts intellectuels, tenant compte de la complexité des tâches à mener (l’élaboration, le développement et l’application de directives et de procédures dans un secteur administratif) et de l’importance des contacts à maintenir, et I pour les responsabilités, tenant compte d’une activité autonome qualifiée et de l’influence du travail à accomplir sur des secteurs voisins. Elle est arrivée à la conclusion que s’appliquait à la nouvelle fonction un traitement maximum de classe 22, qui correspond à un poste requérant des qualifications élevées. Il est par ailleurs cohérent que le recourant n’ait pas conservé sa classe de traitement antérieur, rémunérant une fonction comprenant la gestion complète du secteur.

Dans sa critique, il se réfère essentiellement à ses propres qualités, lesquelles certes ne sont pas contestées par son employeur, mais ne sont pas pertinentes pour évaluer sa nouvelle fonction. La DESR a à juste titre tenu compte des qualités requises pour celle-ci, et non de celles du candidat. Ayant occupé un poste de cadre supérieur auparavant, il est établi qu’il dispose de qualifications excédant celles exigées pour sa nouvelle fonction. Il argue en particulier que la lettre K aurait dû être retenue pour la responsabilité dans la mesure où il avait une influence décisive sur d’autres secteurs, mais la lettre I tient précisément compte d’une telle influence.

En conclusion, le département n’a pas outrepassé son large pouvoir d’appréciation, et n’a en particulier pas versé dans l’arbitraire, en faisant siennes les conclusions de la DESR quant à l’évaluation de la nouvelle fonction du recourant.

Mal fondé, le recours sera rejeté

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 800.-, tenant compte de la décision sur effet suspensif, sera mis à la charge du recourant, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

Compte tenu des conclusions du recourant, la valeur litigieuse est a priori supérieure à CHF 15'000.-.

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er décembre 2023 par A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 30 octobre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 800.-  ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure  ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15’000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Fanny ROULET, avocate du recourant, ainsi qu’au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :