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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/241/2024

ATA/613/2024 du 21.05.2024 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/241/2024-PROF ATA/613/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 mai 2024

 

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Marc BELLON, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA SANTÉ intimé



EN FAIT

A. a. A______, spécialiste en médecine interne générale, bénéficie d’un droit de pratiquer dans le canton de Genève à titre indépendant ou à titre dépendant sous sa propre responsabilité depuis le 23 février 2010.

b. Par arrêté du 9 juillet 2021, le département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu depuis le département de la santé et des mobilités (ci-après : le département) lui a retiré ce droit de pratique pour une durée de douze mois.

À la suite du rejet des recours du médecin auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) puis du Tribunal fédéral, le département a rendu un nouvel arrêté le 5 septembre 2023, fixant la période du retrait du droit de pratique du 15 octobre 2023 au 14 octobre 2024.

B. a. Le 7 novembre 2023, le médecin a conclu un contrat de travail avec B______, médecin au bénéfice d’un droit de pratique en médecine générale (ci‑après : le médecin tiers), aux termes duquel il travaillerait pour le compte, sous la responsabilité et sous la surveillance de ce dernier, dans une salle d’examen médical attenante à la sienne, jusqu’au 14 octobre 2024.

Ses horaires, ne devant pas dépasser 45 heures hebdomadaires ni inclure le dimanche, sauf accord exprès et ponctuel, seraient librement convenus. Les heures supplémentaires et celles effectuées le dimanche ne seraient pas indemnisées. Le médecin donnerait l’essentiel de ses consultations au cabinet mais pourrait aussi exercer à l’extérieur, moyennant qu’il en informe le médecin tiers. Il lui communiquerait également, sur une base hebdomadaire, les traitements proposés et la facturation envisagée pour chacun des patients.

L’activité du médecin serait facturée sous le numéro de concordat du médecin tiers. Aucune facture ne serait envoyée aux assureurs-maladie ni aux patients sans l’approbation du précité.

Le salaire brut de A______ équivaudrait à 35% des factures effectivement encaissées dans le cadre de ses consultations.

Le médecin tiers conclurait à sa charge un contrat d’assurance responsabilité civile professionnelle couvrant l’activité du médecin.

b. Le 28 novembre 2023, B______ a annoncé à la direction générale de la santé que le médecin travaillait à son cabinet, sous sa responsabilité, jusqu’au 15 octobre 2024.

c. Par courrier du 5 décembre 2023 au médecin tiers, la direction générale de la santé a considéré que A______ devait immédiatement cesser toute activité médicale. Il n’était pas au bénéfice d’une autorisation de pratiquer valide dans le canton de Genève. Titulaire d’un postgrade en médecine interne générale, il devait être titulaire d’une autorisation de pratiquer sous sa propre responsabilité pour exercer son activité professionnelle. La pratique de la médecine sous surveillance, sans autorisation formelle, n’était possible que pour les médecins suivant une formation postgrade.

d. Le 8 janvier 2024, le médecin a requis l’autorité de révoquer sa décision ou de lui notifier une décision formelle, ce à quoi aucune suite n’a été donnée.

C. a. Par acte posté le 22 janvier 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision du 5 décembre 2023, concluant, sur mesures provisionnelles, à être autorisé à travailler pour le compte du médecin tiers dès le 7 novembre 2023 et à ce que les assureurs-maladie en soient informés. Sur le fond, il a conclu à l’annulation de la décision, au constat qu’il était légitimé à travailler pour le compte, sous la surveillance et sous la responsabilité du médecin tiers du 7 novembre 2023 au 14 octobre 2024, et à y être autorisé en tant que de besoin, moyennant également que les assureurs-maladie en soient informés.

Selon l’art. 34 de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (LPMéd - RS 811.11), interprété à la lumière du message du Conseil fédéral, le droit de pratique cantonal n’était exigé pour un médecin diplômé que pour exercer sa profession à titre indépendant. La décision du département du 9 juillet 2021 visait précisément l’interdiction d’exercer sous sa propre responsabilité pour une durée de douze mois. La portée de cette sanction prévue par l’art. 43 LPMéd ne pouvait pas être aggravée par l’application du droit cantonal. Il devait dès lors être autorisé à exercer sa profession, du 15 octobre 2023 au 14 octobre 2024, sous la responsabilité et la surveillance d’un médecin tiers.

L’affirmation de l’autorité intimée selon laquelle la pratique sans autorisation formelle n’était possible que pour les médecins suivant une formation postgrade reposait sur l’art. 73 al. 2 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03). Elle revenait à l’obliger à entamer une telle formation pour pouvoir exercer sa profession sous la surveillance d’un autre médecin. Elle constituait dès lors une condition additionnelle contraire au droit fédéral, d’autant plus absurde qu’il était déjà titulaire de deux formations postgrades.

Cette obligation le contraignait en définitive à cesser toute activité professionnelle, ce qui entraînait une atteinte disproportionnée à sa liberté économique. Le message du Conseil fédéral rappelait que cette atteinte devait être limitée à ce qui était nécessaire à la protection de la santé et qu’en conséquence, lorsqu’une personne travaillait dans un rapport de subordination, il fallait partir du principe que la surveillance offrait un contrôle suffisant pour assurer la sécurité des patients, sans qu’il soit nécessaire de demander encore une autorisation.

b. Par décision du 28 février 2024, la chambre administrative a rejeté les mesures provisionnelles.

c. L’office cantonal de la santé (ci-après : OCS) a conclu à l’irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet.

Selon l’arrêté du 9 juillet 2021 du département, désormais exécutoire et définitif, le médecin non seulement était sous le coup d’un retrait de son autorisation d’exercer sous sa propre responsabilité, mais également d’une interdiction de pratiquer une profession de la santé. Le courrier du 5 novembre 2023 devait dès lors être tenu pour une mesure d’exécution de l’arrêté. Le médecin pourrait contester l’éventuelle décision des assureurs à son encontre auprès du Tribunal arbitral.

Sur le fond, les cantons disposaient d’une compétence résiduelle pour réglementer l’exercice de la profession de médecin sous la surveillance d’un pair. L’exigence de réaliser dans ce cas une formation postgrade était prévue à l’art. 73 al. 2 LS et, répondant à un but certain de santé publique, elle était conforme à la systématique de la LPMéd. Or, le médecin ne remplissait pas cette condition, qui, contrairement à son point de vue, ne constituait pas une aggravation de la sanction prévue par la loi.

Il lui était loisible d’exercer une autre activité dans le domaine médical, sans contact direct avec des patients et n’exigeant pas un droit de pratique, comme médecin d’instruction auprès du service médical régional de l’assurance-invalidité, ou conseil ou expert auprès de l’administration fédérale, d’entités privées ou d’organisations internationales. La sanction était en outre limitée dans le temps. L’atteinte à sa liberté économique n’était dès lors pas démesurée.

d. Dans sa réplique, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Par sa position, l’autorité intimée avait exprimé sa volonté d’étendre la sanction à toute activité médicale déployée au contact de patients. Cela était contraire au droit fédéral. La jurisprudence précisait que l’interdiction de pratiquer visée à l’art. 43 al. 1 let. d LPMéd, représentant une ingérence dans la liberté économique du médecin mesurée, n’excluait pas d’autres activités médicales. Le Tribunal citait l’exemple d’une activité en clinique, ce qui démontrait que la sanction ne visait pas à interdire tout contact avec des patients, ni à limiter l’activité médicale à un lieu de formation reconnu au sens de l’art. 18 al. 3 du règlement sur les professions de la santé du 22 août 2006 (RPS - K 3 02.01).

La grave atteinte à sa liberté économique causée par la décision cantonale, limitant l’exercice d’une activité médicale à un lieu de formation reconnu, n’était pas fondée sur une base légale suffisante, soit les art. 73 al. 2 LS et 18 al. 3 RPS, et n’était pas nécessaire, comme mentionné ci-avant, pour protéger la sécurité des patients. La jurisprudence rappelait que la mesure disciplinaire visait en premier plan à amener le médecin à adopter un comportement conforme aux exigences de sa profession.

e. Dans sa duplique, l’OCS a persisté dans ses conclusions.

Le médecin ne pouvait pas déduire de la jurisprudence ni de la loi un droit subjectif à exercer sous surveillance. Le Tribunal fédéral avait confirmé la compétence des cantons de réglementer l’exercice des professions médicales universitaires sous la responsabilité professionnelle d’un tiers, notamment celle de prévoir d’autres exigences concernant le diplôme requis. Il avait en particulier validé l’application de la réglementation st-galloise limitant l’assistance d’un médecin-dentiste à une activité encadrée et limitée dans le temps, en vue de l’exercice ultérieur d’une activité indépendante. La réglementation genevoise, dans le même esprit, limitait la possibilité de renoncer à exiger une autorisation de pratiquer pour les professions médicales universitaires menées sous la surveillance d’un professionnel de la santé, dans la même discipline et dans le cadre d’une formation postgrade. Elle n’avait pas vocation à permettre à un médecin déjà détenteur d’un diplôme postgrade d’exercer de nouveau sans assumer sa propre responsabilité professionnelle.

f. Le recourant s’est brièvement prononcé sur la duplique.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. L’OCS considère que son courrier du 5 décembre 2023 n’est qu’une mesure d’exécution de l’arrêté du département du 9 juillet 2021, de sorte que le recours est irrecevable

1.1. La chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 [LOJ ‑ E 2 05]). Le recours est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 3, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e, et 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf exceptions prévues par la loi (art. 132 al. 2 LOJ).

Sont considérées comme des décisions, émanant des autorités ou des juridictions administratives (art. 1 al. 2 LPA), les mesures individuelles et concrètes prises dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet : a) de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations ; b) de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits ; c) de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (art. 4 al. 1 LPA).

1.2 Selon l’art. 59 let. b LPA, le recours n’est pas recevable contre les mesures d’exécution des décisions. L’interdiction d’attaquer les mesures d’exécution vise à soustraire au contrôle juridictionnel les actes qui, sans les modifier ni contenir d’éléments nouveaux, ne servent qu’à assurer la mise en œuvre de décisions exécutoires. Le contrôle incident de ces dernières s’avère par conséquent exclu. La notion de « mesures » à laquelle se réfère le texte légal s’interprète largement et ne comprend pas seulement les actes matériels destinés à assurer l’application de décisions, mais également toutes les décisions les mettant en œuvre (ATA/1033/2023 du 19 septembre 2023 consid. 5.1). Une décision de base ne peut donc en principe pas être remise en cause de manière incidente, à l’occasion d’une nouvelle décision qui l’exécute (ATA/391/2024 du 19 mars 2024 consid. 1.3).

L’autorité de la chose jugée (ou force de chose jugée au sens matériel) interdit de remettre en cause, dans une nouvelle procédure, entre les mêmes parties, une prétention identique qui a été définitivement jugée (ATF 144 I 208 consid. 3.1 ; 142 III 210 consid. 2.1). Il y a identité de l’objet du litige quand, dans l’un et l’autre procès, les parties soumettent au juge la même prétention, en reprenant les mêmes conclusions et en se basant sur le même complexe de faits. L’identité de l’objet du litige s’entend au sens matériel ; il n’est pas nécessaire, ni même déterminant que les conclusions soient formulées de manière identique (arrêt du Tribunal fédéral 8C_816/2015 du 12 septembre 2016 consid. 3.1).

1.3 En l’espèce, le courrier du 5 décembre 2023 vise certes à mettre en œuvre les arrêtés du département des 9 juillet 2021 et 5 septembre 2023, entrés en force de chose jugée et retirant au recourant son droit d’exercer à titre indépendant ou dépendant sous sa propre responsabilité pendant douze mois.

Ces arrêts ont pour conséquence que le recourant ne bénéficie plus d’autorisation de pratiquer sur le territoire du canton de Genève jusqu’au 14 octobre 2024. Ils n’indiquent cependant pas de quelle manière il peut exercer ses compétences de médecin sans autorisation, ce qui, conformément à la position de l’autorité intimée, lui serait encore possible. En lui interdisant de pratiquer sans autorisation en qualité d’employé au sein du cabinet d’un autre médecin, le courrier attaqué constate l’inexistence de droits et dans cette mesure, il constitue une décision et non une mesure d’exécution.

Le recourant est par contre forclos à contester le retrait d’autorisation de pratiquer sur le territoire en tant que tel. Il ne peut en particulier pas remettre en cause sa constitutionnalité, notamment sous l’angle de sa liberté économique.

1.4 Pour le surplus interjeté en temps utile, selon la forme requise et devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 LOJ ; art. 62 al. 1 let. a, 64 al. 1 et 65 al. 1 et 2 LPA).

2.             Le recourant conteste la conformité au droit fédéral de l’interdiction d’exercer la médecine au titre d’employé au sein du cabinet du médecin tiers jusqu’au 14 octobre 2024.

2.1 La LPMéd, dans le but de promouvoir la santé publique, encourage la qualité de la formation universitaire, de la formation postgrade, de la formation continue et de l’exercice des professions dans les domaines de la médecine humaine, de la médecine dentaire, de la chiropratique, de la pharmacie et de la médecine vétérinaire (art. 1 al. 1 LPMéd). Dans ce but, elle établit notamment les règles régissant l’exercice des professions médicales universitaires, soit notamment les médecins, sous propre responsabilité professionnelle (art. 1 al. 3 let. e et art. 2 al. 1 let. a LPMéd).

La LPMéd oblige toute personne exerçant une profession médicale au bénéfice d’un diplôme à être inscrite au registre des professions médicales universitaires visé à l’art. 51 LPMéd et à disposer des connaissances linguistiques nécessaires à l’exercice de la profession (art. 33a al. 1 LPMéd).

L’exercice d’une profession médicale universitaire sous propre responsabilité professionnelle requiert en outre une autorisation du canton sur le territoire duquel la profession médicale est exercée (art. 34 al. 1 LPMéd). En cas de violation des devoirs professionnels, des dispositions de la LPMéd ou de ses dispositions d’exécution, l’autorité de surveillance peut notamment prononcer une interdiction de pratiquer sous propre responsabilité professionnelle pendant six ans au plus (interdiction temporaire ; art. 43 al. 1 let. d LPMéd).

En vertu de la primauté du droit fédéral, une personne exerçant une profession médicale à titre indépendant ne peut être soumise qu’aux mesures disciplinaires énumérées à l’art. 43 LPMéd, à l’exclusion de celles prévues par le droit cantonal. La loi cantonale ne peut s’appliquer aux professions médicales que si elles ne sont pas pratiquées à titre indépendant (ATF 143 I 352 consid. 3.1 et 3.5).

L’art. 27 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ne confère aucun droit à exercer la profession de médecin à titre d’activité économique privée sous propre responsabilité professionnelle, à savoir une profession libérale soumise à la surveillance de l’État, alors que les conditions légales pour y être autorisé ne sont pas réunies (ATF 125 I 267 consid. 2c).

2.2 Selon le message du Conseil fédéral concernant la modification de la LPMéd du 3 juillet 2013, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, l’ancien critère du travail « à titre indépendant » posait des problèmes d’application. Dénotaient une activité à titre dépendant par exemple l’existence d’un rapport de subordination, le devoir d’accomplir une tâche personnellement, la présence obligatoire, l’absence de risque d’entrepreneur ou de responsabilité vis-à-vis de tiers. Démontraient à l’inverse une activité à titre indépendant par exemple des investissements d’envergure, l’utilisation de ses propres locaux, le risque d’entrepreneur, la pleine responsabilité vis-à-vis de tiers et l’engagement de personnel. La notion d’exercice « à titre indépendant » ne prenait pas en compte le critère de la responsabilité professionnelle. L’application de la dépendance excluait par exemple le médecin exerçant dans un cabinet constitué en société anonyme, ou le pharmacien salarié par le propriétaire de l’officine, échappant ainsi au régime de l’autorisation (FF 2013 5583, p. 5587).

La notion de pratiquer « sous propre responsabilité professionnelle » est plus large. Ainsi sera soumis au régime de l’autorisation par exemple le médecin travaillant dans un cabinet constitué en société anonyme, à condition qu’il ne se trouve pas dans un rapport de subordination avec un collègue. Ceci est souligné par l’expression « sous sa propre responsabilité professionnelle ». Pour l’interprétation, il faut, par exemple, se référer au droit du travail. Contrairement aux rapports de travail au sens des art. 320 ss de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), l’activité en question ici ne fait pas l’objet de directives ou d’instructions (cf. art 321d CO). L’obligation d’obtenir une autorisation de pratiquer est limitée à l’activité exercée sous sa propre responsabilité professionnelle, en vertu du principe de proportionnalité. Le régime de l’autorisation et, le cas échéant, l’obligation de formation continue exigés pour l’exercice d’une profession à titre d’activité économique privée constituent une atteinte grave à la liberté économique. Cette atteinte doit être limitée à ce qui est nécessaire pour garantir les buts de la LPMéd, en particulier la protection de la santé. Lorsqu’une personne travaille dans un rapport de subordination, il faut partir de l’idée que la surveillance offre un contrôle suffisant pour assurer la sécurité des patients, sans qu’il soit nécessaire de demander encore une autorisation. Cette conception garantit que la responsabilité du traitement incombe à un professionnel titulaire de la formation correspondante (FF 2013 5583, p. 5591).

2.3 La loi fédérale sur les professions de la santé du 30 septembre 2016 (LPSan – RS 811.21) soumet également à autorisation cantonale l’exercice d’une profession de la santé sous propre responsabilité professionnelle (art. 11 LPSan). Le message du Conseil fédéral y relatif du 18 novembre 2015 précise que cette notion s’applique à toute activité exercée sans le contrôle d’un membre de la même profession, que cette activité soit salariée (et prenne place au sein d’une entreprise publique ou privée) ou indépendante, principale ou accessoire. Outre les personnes installées à leur propre compte (possédant, par exemple, leur propre cabinet), elle englobe donc notamment les salariés occupant des fonctions de conduite et assumant la responsabilité du travail accompli par leurs subordonnés, et même les salariés n’occupant aucune fonction de conduite mais accomplissant leur travail seuls et sans le contrôle d’un pair. On peut ainsi citer parmi les professionnels de la santé soumis à l’obligation d’obtenir une autorisation de pratiquer sous responsabilité professionnelle propre les personnes assurant la direction des soins infirmiers d’un hôpital, d’une clinique ou d’un service, ou encore les physiothérapeutes exerçant au sein de cabinets médicaux de groupe ne comprenant aucun autre représentant de leur profession. Cette approche doit garantir que tout traitement soit placé sous la responsabilité d’un professionnel formé en conséquence (FF 2015 7925, p. 7957).

2.4 L’exercice des professions médicales universitaires sous propre responsabilité est régie de manière exhaustive par la LPMéd. Les cantons conservent toutefois la compétence de réglementer l’exercice de la médecine sous surveillance professionnelle. Aussi faut-il distinguer ces deux types d’activité (arrêts du Tribunal fédéral 2C_838/2021 du 9 mars 2023 consid. 4.3 ; 2C_236/2020 du 28 août 2020 consid. 3.3.2).

Il a toujours été du ressort des cantons de maintenir, d’introduire ou de supprimer l’autorisation de pratiquer pour l’exercice de la médecine à titre dépendant. L’introduction de la notion d’exercice de la médecine « sous sa propre responsabilité » ainsi que l’abandon de la distinction entre activité de l’économie privée et prestations de service public a permis d’appréhender toutes les personnes, même ayant le statut d’employé, exerçant une profession médicale universitaire sans être sous la surveillance professionnelle d’un autre médecin. La compétence cantonale a ainsi été réduite à la réglementation de l’exercice de la médecine sans responsabilité professionnelle propre (arrêt du Tribunal fédéral 2C_236/2020 précité consid. 3.3.2).

Les cantons peuvent donc assujettir la pratique de la médecine sous surveillance professionnelle à des conditions supplémentaires à celles déjà prévues par l’art. 33a LPMéd (arrêt du Tribunal fédéral 2C_838/2021 précité consid. 4.4).

L’obligation d’obtenir une autorisation en vue de la pratique d’une profession constitue une atteinte à la liberté économique (art. 27 Cst.). Une telle obligation est cependant justifiée pour l’exercice de la médecine sous surveillance professionnelle sur la base de motifs de protection de la santé publique (art. 36 al. 2 Cst. ; arrêts du Tribunal fédéral précités 2C_838/2021 consid. 5.4.1 et 2C_236/2020 consid. 6.3).

2.5 Aux termes de l’art. 73 al. 1 LS, une personne n’a le droit de pratiquer une profession de la santé que si elle est au bénéfice d’une autorisation de pratiquer. Le département peut renoncer à délivrer une autorisation de pratiquer aux professions médicales universitaires s’exerçant sous la surveillance professionnelle d’une professionnelle ou d’un professionnel de la santé autorisé à pratiquer la même discipline et qui suivent une formation postgrade (al. 2). Le département peut renoncer à délivrer une autorisation de pratiquer aux autres professions de la santé s’exerçant sous la surveillance professionnelle d’un pair ou d’une supérieure ou d’un supérieur hiérarchique. Dans ce cas, il appartient à l’employeuse ou à l’employeur de s’assurer que la professionnelle ou le professionnel concerné est titulaire des diplômes nécessaires (al. 3). La profession de médecin sous surveillance ne peut être exercée que sous la responsabilité d’un professionnel autorisé à exercer ladite profession sous sa propre responsabilité et qui exerce lui‑même dans des lieux de formation reconnus (art. 18 al. 3 RPS).

2.6 En l’espèce, aux termes du contrat de travail du 7 novembre 2023, le recourant est supposé exercer la médecine jusqu’au 14 octobre 2024 au titre d’employé d’un autre médecin, sous la responsabilité et la surveillance de ce dernier.

De fait, eu égard aux autres clauses du contrat, il pratique toutefois au sein du cabinet de son confrère seul, de manière autonome, dans une salle d’examen attenante, ou hors du cabinet, selon des horaires libres sur le principe. Il ne reçoit aucune instruction ni directive et son activité n’est pas contrôlée, de sorte qu’il ne travaille pas dans un rapport de subordination. Le contrat ne lui interdit pas de continuer à suivre ses propres patients. Il doit certes soumettre à son employeur chaque semaine ses choix de traitement, mais on ne voit pas en quoi cela, le contrat ne le disant en tous les cas pas, influerait sur l’indépendance de sa pratique quotidienne. Ce contrairement à sa facturation, devant recevoir l’aval du médecin tiers avant d’être transmise aux patients et aux assurances, ce qui résulte logiquement de ce qu’elle est réalisée sous le numéro de concordat du précité. Le recourant perçoit au titre de salaire une part de 35% du chiffre d’affaires résultant de la facturation de ses consultations. Il bénéficie pour le surplus de sa propre assurance responsabilité civile.

Ainsi, contrairement à ce que stipule formellement le contrat, il n’entend concrètement pas travailler sous la surveillance professionnelle d’un tiers et continuerait à exercer la médecine sous sa propre responsabilité au sens de l’art. 34 LPMéd. Son statut d’employé n’est à cet égard pas à lui seul déterminant. Son activité est dès lors soumise à autorisation.

Pour ce motif déjà, la décision querellée est conforme au droit.

2.7 Dans l’hypothèse subsidiaire où le recourant travaillerait effectivement sous la surveillance professionnelle de son confrère, il demeurerait assujetti à l’obligation d’être titulaire d’une autorisation de pratique, à l’instar de toutes les personnes exerçant une profession de la santé, conformément à l’art. 73 al. 1 LS. Contrairement à son opinion, une telle exigence n’est pas contraire au principe de la primauté du droit fédéral. Le recourant déduit à tort la solution inverse du message du Conseil fédéral concernant la LPMéd, dont la portée est limitée à l’application de cette loi. La jurisprudence rendue postérieurement par le Tribunal fédéral rappelle en effet sans ambiguïté que les cantons disposent de la compétence résiduelle de réglementer l’exercice de la médecine sous la surveillance professionnelle d’un autre médecin.

Il est rappelé que le recourant n’est plus recevable à contester sur le principe le retrait de son droit de pratique et à arguer que celui-ci serait en tant que tel contraire à sa liberté économique ou plus particulièrement au principe de la proportionnalité. L’obligation cantonale d’être au bénéfice d’une autorisation pour pratiquer la médecine même sous la surveillance d’un autre médecin, préexistante et résultant de l’application de la loi, ne constitue pas une extension de la mesure disciplinaire frappant le recourant. Elle ne viole donc pas le droit fédéral, sur la base duquel la sanction a été prononcée.

L’interdiction querellée de pratiquer en tant qu’employé d’un confrère titulaire du droit de pratique constitue certes une atteinte à sa liberté économique (art. 27 Cst.). Elle repose toutefois sur la base légale susrappelée (art. 36 al. 1 Cst.), suffisante, et vise à sauvegarder un intérêt public, soit la santé publique (art. 36 al. 2 Cst.). Elle permet plus concrètement de vérifier si le professionnel dispose de la formation requise, des connaissances linguistiques nécessaires en français et qu’il n’a pas été interdit de pratiquer ailleurs (art. 74 LS). Eu égard aux implications importantes de l’intervention d’un médecin sur la santé du patient et de la nécessité que celui-ci puisse se fier aux compétences de celui-là, la proportionnalité de l’obligation d’être titulaire d’une autorisation n’est pas discutable, quand bien même l’exercice de la médecine est réalisée sous la surveillance professionnelle d’un pair (art. 36 al. 3 Cst.). Le recourant ne peut généralement pas déduire de sa liberté économique un droit subjectif à exercer sa profession alors qu’il n’en remplit pas les conditions légales.

L’exception de l’obligation d’être titulaire d’une autorisation au sens de l’art. 73 al. 2 LS n’entre pas en considération. Le recourant n’a jamais requis une telle exemption, laquelle ne lui a dès lors pas été accordée. Et surtout, il ne suit actuellement aucune formation postgrade.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’500.-, tenant compte de la décision sur mesures provisionnelles, sera mis à la charge du recourant, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 janvier 2024 par A______ contre la décision l’office cantonal de la santé du 5 décembre 2023 ;

 

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1’500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marc BELLON, avocat du recourant, à l'office cantonal de la santé ainsi qu’au département fédéral de l’intérieur.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :