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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3870/2022

ATA/104/2024 du 30.01.2024 sur DITAI/417/2023 ( ICCIFD ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : CONSULTATION DU DOSSIER;PROCÉDURE DE TAXATION;SECRET FISCAL
Normes : Cst.29.al2; LIFD.110; LHID.39; LPFisc.11; LPFisc.12.al6; LIFD.114; LHID.41; LPFisc.17; CDI CH-NLD.26
Résumé : Décision incidente du TAPI de refus de consultation de pièces. Examen du droit d'accès aux pièces au regard du secret fiscal. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3870/2022-ICCIFD ATA/104/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 janvier 2024

4ème section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Me Alexandre FALTIN, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du
2 octobre 2023 (DITAI/417/2023)


EN FAIT

A. a. La société A______ SA (ci-après : la société ou la contribuable), dont le but est l'étude, la réalisation, l'acquisition et la diffusion de logiciels bancaires et financiers ainsi que les conseils en organisation informatique, bancaire et financière, a son siège à Genève.

B. a. Par bordereaux rectificatifs du 4 juin 2021 rendus à l'issue de la procédure pour rappel d'impôt ouverte le 10 mars 2014, l'administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC-GE) a prononcé les rappels d'impôts relatifs à l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) et à l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) pour les années 2006 à 2010 dus par la société en raison de distributions dissimulées de bénéfice et/ou d'avantages procurés à des tiers qui n'étaient pas justifiés par l'usage commercial.

Les procédures pénales pour soustraction pour les années 2006 à 2010 étaient prescrites.

b. Par courriel du 7 juin 2021, la contribuable a réitéré la demande de consultation de son dossier formulée le 27 mai 2021.

c. Le 10 juin 2021, l’AFC-GE a remis à la contribuable une clé USB contenant notamment 274 fichiers accompagnés d'une liste récapitulative de ces documents, intitulée « nomenclature ». S'agissant des pièces nos 245 à 274, seul un intitulé générique de chacune d’elles était communiqué, à l'exclusion des pièces elles‑mêmes.

d. Le 1er juillet 2021, la contribuable a élevé réclamation auprès de l'AFC-GE contre les bordereaux de rappel d'impôt du 4 juin 2021, concluant à leur annulation. Préalablement, elle demandait l'accès au dossier sans restriction pour ensuite en discuter lors d'un rendez-vous et compléter sa réclamation.

Les pièces nos 245 à 274 de la nomenclature ne lui avaient pas été transmises. Un accès plein et entier au dossier était nécessaire à l'exercice de son droit d'être entendue.

e. Par décision du 16 août 2021, l’AFC-GE a refusé de remettre à la contribuable les pièces nos 245 à 274, après avoir analysé les intérêts privés en jeu et en raison du secret fiscal. Le contenu essentiel des pièces lui avait été communiqué.

f. Par jugement du 23 mai 2022 (JTAPI/539/2022), le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) a admis le recours interjeté par la contribuable contre cette décision et renvoyé le dossier à l'AFC-GE pour qu'elle lui communique le contenu essentiel des pièces nos 245 à 274.

Ces documents contenaient des informations concernant d'autres contribuables que la société. Elles étaient soumises au secret fiscal et ne pouvaient être transmises à cette dernière telles quelles. L'AFC-GE n'avait pas effectué de description concrète des pièces comptables, ni des demandes d'assistance administrative internationale, ni des changements d'organes au sein d'entités dont la raison sociale n'était même pas mentionnée. Les résumés lacunaires ne permettaient pas de déterminer dans quelle mesure l'autorité avait pris en compte les pièces en cause pour procéder aux reprises contestées et avait rendu vain le droit de la contribuable de pouvoir apporter des contre-preuves. L'AFC-GE avait violé le droit d'être entendu de cette dernière.

g. Le 9 septembre 2022, l'AFC-GE a communiqué le contenu estimé essentiel des pièces nos 245 à 274 à la contribuable.

h. Le 10 octobre 2022, la contribuable a, s'agissant de la consultation du dossier, premièrement conclu devant l'AFC-GE à la transmission de toutes les pièces du dossier qui n'avaient pas encore été transmises. Elle a ensuite demandé que toutes les pièces obtenues à la suite des demandes d'assistance administrative au Luxembourg et aux Pays-Bas soient retranchées de la procédure ou, à défaut, la transmission des demandes d'assistance administrative et tout autre document utile dans ce contexte, afin d'en connaître la motivation, les garanties données ainsi que les réponses fournies par les autorités étrangères, ainsi que la transmission d'une copie de l'étude de prix de transfert figurant sous pièce no 271. Elle a encore conclu à la communication de l'intégralité des pièces concernant les sociétés qui avaient expressément donné leur autorisation ladite transmission.

Elle a produit quatre attestations du 10 octobre 2022 d'B______ SA, C______ SA, D______ LTD et E______ SA, SPF ayant la même teneur : « Nous vous autorisons à recevoir toute pièce et information concernant notre société, dont vous pourriez obtenir copie auprès de toute autorité suisse. En particulier, les pièces et informations concernant notre société et qui pourraient figurer dans un dossier administratif vous concernant peuvent vous être communiquées sans restriction en ce qui nous concerne. Nous consentons donc à ce que ces pièces et informations vous soient communiquées ».

i. Par décision et bordereaux de rectificatifs ICC et IFD 2007 à 2010 du 18 octobre 2022, l'AFC-GE a dégrevé les bordereaux ICC et IFD 2006 dans la mesure où cette année fiscale était désormais prescrite et dégrevé partiellement les bordereaux de rappel d'impôt ICC et IFD 2007 à 2010 afin de tenir compte des montants des redevances effectivement versés.

Elle avait communiqué le contenu essentiel des pièces nos 245 à 274 conformément au JTAPI/539/2022 précité et avait accordé à la contribuable un délai raisonnable afin de compléter sa réclamation. Si les documents, issus de demandes d'entraide, qui avaient été établis antérieurement à l'entrée en vigueur des conventions de double imposition, déployaient encore des effets pour les périodes concernées par la demande, ils pouvaient être transmis.

C. a. Par acte du 21 novembre 2022, la contribuable a recouru auprès du TAPI contre cette décision, concluant à son annulation ainsi qu'à celle des rappels d'impôt ICC et IFD 2007 à 2010. Préalablement, elle a demandé la production de l'ensemble du dossier de la cause, dont notamment les pièces nos 245 à 274 dans leur intégralité, le retranchement de la procédure de toutes les pièces obtenues à la suite des demandes d'assistance administrative au Luxembourg et aux Pays-Bas ou, subsidiairement, la transmission des demandes d'assistance administrative et tout autre document utile dans ce contexte, afin d'en connaître la motivation, les garanties données ainsi que les réponses fournies par les autorités étrangères.

Le descriptif de l'AFC-GE restait lacunaire et très sommaire. Le résumé donné en lien avec les demandes d'entraide administrative internationale auprès des autorités luxembourgeoises et néerlandaises était insuffisant. Il ne permettait pas de connaître la motivation développée pour obtenir les informations requises et s'assurer que les conditions de l'entraide étaient bien réalisées. Elle avait obtenu le consentement de quatre sociétés pour avoir l'accès aux pièces les concernant, de sorte que celles-ci devaient lui être rendues accessibles.

b. Par décision du 2 octobre 2023, le TAPI a partiellement admis la demande de consultation des pièces couvertes par le secret fiscal, a autorisé la contribuable à consulter les pièces nos 245 à 250, 252 à 264 et 272 à 274.6 après l'entrée en force de sa décision et a refusé de lui permettre de consulter les pièces nos 251 et 265 à 271.

Les pièces nos 245 à 250, 252 à 264 et 272 à 274.6, couvertes par le secret fiscal, concernaient quatre sociétés qui avaient donné leur accord afin que la contribuable les obtienne de la part de l'AFC-GE. Le secret fiscal protégeant la sphère privée de ces dernières pouvait donc être levé. En ce qui concernait les autres pièces couvertes par le secret fiscal, nos 251 et 265 à 271, les informations communiquées à la contribuable par l'AFC-GE dans son courrier du 9 septembre 2022 étaient conformes au JTAPI/539/2022 précité. Il n'y avait pas lieu de permettre à la contribuable de consulter ces pièces.

D. a. Par acte du 16 octobre 2023, la contribuable a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à l'admission de la demande de consultation des pièces nos 251 et 265 à 271 ainsi qu'à la fixation d'un délai convenable pour se déterminer à leur égard.

Une partie des pièces dont la consultation était refusée concernait également des sociétés ayant levé le secret fiscal à son égard, soit en particulier les pièces nos 265 à 267 concernant B______ SA et E______ SA, SPF. Il n'existait pas de motif objectif permettant de traiter différemment les informations en cause, même si elles provenaient d'une demande d'entraide administrative internationale.

Même sans consentement, elle devait avoir accès aux pièces litigieuses, qui concernaient essentiellement les demandes d'entraide et les informations ainsi obtenues. Elle devait être à même de faire valoir ses arguments à l'encontre des preuves récoltées par la voie de l'assistance administrative internationale et de faire valoir ses éventuelles contre-preuves devant les autorités suisses. L'accès au contenu essentiel impliquait d'avoir connaissance des motifs invoqués, des périodes fiscales visées, des garanties fournies quant au respect des principes de subsidiarité et de spécialité. Elle avait également besoin de connaître les conditions de l'octroi des informations par les autorités étrangères afin de pouvoir s'assurer de leur respect.

Du fait du refus de communiquer ces éléments, il lui était impossible de comprendre sur quelle base la reprise était chiffrée. Il semblait y avoir un problème de champ d'application temporel du droit conventionnel, qui ne devait pas s'appliquer avant la période fiscale 2011. Or, les informations obtenues par le biais de l'entraide étaient capitales pour chiffrer la reprise litigieuse.

Les informations essentielles sur les pièces en cause ne lui avaient pas été fournies et l'accès devait être privilégié, au besoin moyennant caviardage des éléments restant soumis au secret fiscal malgré les consentements.

b. Par réponse du 13 novembre 2023, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours, le contenu essentiel des pièces nos 251 et 265 à 271 ayant été communiqué par courrier du 9 septembre 2022.

c. Par réplique du 29 décembre 2023, la contribuable a persisté dans son recours.

L'AFC-GE s'était limitée à fournir de manière plus que sommaire les motifs poursuivis par les deux demandes d'entraide initiales déposées au Luxembourg et aux Pays-Bas (pièces nos 266 et 268). Elle n'était pas en mesure de vérifier le respect des conditions de l'assistance administrative internationale, ce qui constituait du contenu essentiel, l'exploitabilité des preuves en dépendant. Il en allait de même des réponses plus que sommairement motivées pour les pièces nos 266 et 267, qui ne permettaient pas de connaître les conditions d'octroi de l'entraide ni de comprendre les éléments ayant permis à l'AFC-GE de chiffrer la reprise. Alors que l'AFC-GE indiquait que les demandes d'assistance administrative n'avaient eu pour finalité que de déterminer s'il existait une relation de groupe entre les diverses sociétés et lesquelles concernaient des périodes fiscales postérieures aux périodes litigieuses, il était difficile de comprendre comment les éléments de réponse auraient permis de chiffrer la reprise fiscale contestée. Les résumés de l'AFC-GE ne permettaient pas non plus de comprendre les fondements de la reprise fiscale et d'apporter les contre‑preuves, par exemple celui de la pièce no 271, décisive pour la question de fond de savoir si elle s'était acquittée d'une redevance respectant le principe de pleine concurrence. Les informations transmises par la voie de l'entraide concernaient des sociétés ayant expressément consenti à lever le secret fiscal à son égard. La procédure d'entraide aux Pays-Bas concernait une entité désormais radiée, F______, dont elle n'était plus en mesure d'obtenir le consentement et laquelle n'avait plus d'intérêt à voir son secret protégé. Les informations communiquées par l'AFC-GE ne pouvaient pas être considérées comme conformes au JTAPI/539/2022 précité. Le respect de son droit d'être entendue et du principe de la proportionnalité dictait de lui permettre de consulter les pièces en cause, au besoin après caviardage.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté dans le délai de dix jours contre une décision incidente en matière de consultation du dossier devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 114 al. 4 et 145 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 - LIFD ; art. 7 al. 2 et 17 al. 5 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 45 al. 4 et 62 al. 1 let b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; ATA/261/2020 du 3 mars 2020 consid. 2).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit du jugement du TAPI en tant qu'il retient que les informations communiquées concernant les pièces nos 251 et 265 à 271 sont conformes au JTAPI/539/2022 précité et qu'il n'y a pas lieu de permettre à la recourante de consulter ces pièces.

2.1 Le droit de consulter le dossier est un aspect du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; ATF 132 II 485 consid. 3.2).

2.2 La chambre administrative et les autorités fiscales sont soumises au secret fiscal en vertu des art. 110 LIFD, 39 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et 11 LPFisc. Des renseignements peuvent être communiqués dans la mesure où une disposition légale fédérale ou cantonale le prévoit expressément (art. 110 al. 2 LIFD ; art. 39 al. 1 LHID ; art. 12 al. 6 LPFisc).

Le contribuable a le droit de consulter les pièces du dossier qu’il a produites ou signées. Les époux qui doivent être taxés conjointement ont un droit de consultation réciproque (art. 114 al. 1 LIFD , art. 41 al. 1 LHID ; art. 17 al. 1 LPFisc). Le contribuable peut prendre connaissance des autres pièces une fois les faits établis et à condition qu’aucune sauvegarde d’intérêts publics ou privés ne s’y oppose (art. 114 al. 2 LIFD ;  art. 41 al. 1 LHID ; art. 17 al. 2 LPFisc). Lorsqu’une autorité refuse au contribuable le droit de consulter une pièce du dossier, elle ne peut se baser sur ce document pour trancher au détriment du contribuable que si elle lui a donné connaissance, oralement ou par écrit, du contenu essentiel de la pièce et qu’elle lui a au surplus permis de s’exprimer et d’apporter ses propres moyens de preuve (art. 114 al. 3 LIFD ; art. 17 al. 4 LPFisc).

Ainsi, le droit de consulter les pièces peut être supprimé ou limité dans la mesure où l'intérêt public ou l'intérêt prépondérant de tiers, voire du requérant lui-même exigent que tout ou partie des documents soient tenus secrets (François BELLANGER, Les principes constitutionnels et de procédure applicables en droit fiscal, in Les procédures en droit fiscal, 3ème éd., 2015, p. 61 ss, p. 110).

Lorsque le département refuse au contribuable le droit de consulter une pièce du dossier, il ne peut se baser sur ce document pour trancher au détriment du contribuable que s'il lui a donné connaissance, oralement ou par écrit, du contenu essentiel de la pièce ou qu'il lui a au surplus permis de s'exprimer et d'apporter ses propres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 2P.186/2006 du 27 novembre 2006 consid. 4).

2.3 Le secret fiscal est un « secret de fonction qualifié », car sa protection est plus étendue que celle du secret de fonction, en raison de la nature particulière des relations entre le contribuable et l’administration. Les contribuables sont tenus par la loi de révéler leur situation personnelle et financière aux autorités fiscales ; cette obligation constitue une atteinte légale à leur sphère intime et privée. En contrepartie, le secret fiscal les protège en sauvegardant cette sphère à l’égard des tiers (Andrea PEDROLI in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Commentaire romand, LIFD, 2ème éd., 2017, n. 2 ad art. 110 et les références citées).

Sont protégés les faits qui sont communiqués par les contribuables et par les tiers (privé et autres autorités). À ce propos, l'art. 111 al. 1 2ème phr. LIFD dispose expressément que sont protégés par le secret fiscal les faits établis par les autorités fiscales ou portés à leur connaissance sur la base de la collaboration entre autorités fiscales. L'obligation de garder de secret s'étend à tous les faits dont les autorités ont connaissance et même aux discussions des autorités administratives et judiciaires fiscales. La loi ne limite pas la portée du secret aux informations qui concernent uniquement le contribuable (Andrea PEDROLI in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 3 et 4 ad art. 110 et les références citées).

Le secret fiscal est opposable à l'actionnaire d'une société, dans la mesure où celle‑ci dispose de la personnalité morale et qu'elle constitue une personne tierce et distincte de l'actionnaire, en dépit de la position de celui-ci au sein de ladite société en tant que directeur ou administrateur (ATF 126 I 122 consid. 5b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_669/2008 du 8 décembre 2008 consid. 5.2 ; 2P.185/2006 du
27 novembre 2006 consid. 4.2; Peter LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, III. Teil – Art. 102 -222 DBG, 2015, n. 20 et 24 ad art. 110 et n. 22 et 28 s. ad art. 114). Dans ce dernier cas, lorsqu'en raison de sa position au sein de la société, les données de celle-ci ne sont pas secrètes envers l'actionnaire, celui-ci doit cependant s'adresser à la société (art. 715a de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220) et non aux autorités fiscales (Walter FREI, Das Akteneinsichtsrecht im Zürcher Steuerrecht und das Sonderproblem der Bewertung nichtkotierter Aktien beim Minderheitsaktionär, in Zürcher Steuerpraxis Vol. 1, 1992, p. 73 ss, p. 89 s). Lorsque des documents de la société se trouvent dans le dossier fiscal de l'actionnaire, celui-ci peut en prendre connaissance seulement après une pesée des intérêts conforme à l'art. 114 al. 2 LIFD, à l'art. 41 al. 1 LHID et à la disposition cantonale pertinente (arrêt du Tribunal fédéral 2C_160/2008 du 1er septembre 2008 consid. 2.4.2 ; Peter LOCHER, op. cit., ad 114 n. 29).

Le devoir de garder le secret fiscal ne s'éteint qu'avec la mort de celui qui connaissait le secret en qualité de membre d'une autorité ou de fonctionnaire (Andrea PEDROLI in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 11 ad art. 110).

2.4 Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la Convention entre la Confédération suisse et le Grand‑Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune du 21 janvier 1993 (RS 0.672.951.81 ; ci-après : CDI CH-LUX) ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts visés par la CDI CH-LUX, dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la CDI CH‑LUX. L’échange de renseignements n’est pas restreint par l’art. 1 (art. 26 § 1 CDI CH-LUX). Les renseignements reçus en vertu du § 1 par un État contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet État et ne sont communiqués qu’aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l’établissement ou le recouvrement des impôts mentionnés au § 1, par les procédures ou poursuites concernant ces impôts, par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts. Ces personnes ou autorités n’utilisent ces renseignements qu’à ces fins. Elles peuvent révéler ces renseignements au cours d’audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements. Nonobstant ce qui précède, les renseignements reçus par un État contractant peuvent être utilisés à d’autres fins lorsque cette possibilité résulte des lois des deux États et lorsque l’autorité compétente de l’État qui fournit les renseignements autorise cette utilisation (art. 26 § 2 CDI CH-LUX).

2.5 Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la Convention entre la Confédération suisse et le Royaume des Pays-Bas en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales du 26 février 2010 (RS 0.672.963.61 ; ci-après : CDI CH-NLD) ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des États contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales, dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la CDI CH-NLD. L’échange de renseignements n’est pas restreint par les art. 1 et 2 (art. 26 § 1 CDI CH-NLD). L'art. 26 § 2 CDI CH-NLD a la même substance que l'art. 26 § 2 CDI CH-LUX.

2.6 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

2.7 En l'espèce, la recourante demande la consultation de pièces qu'elle n'a pas produites, de sorte qu'il s'agit d'autres pièces au sens des art. 114 al. 2 LIFD et
17 al. 2 LPFisc. À ce stade de la procédure, les faits étant établis, la contribuable peut en prendre connaissance si aucune sauvegarde d'intérêts publics ou privés ne s'y oppose. L'intérêt en l'occurrence invoqué par l'autorité intimée et retenu par l'instance précédente est celui au maintien du secret fiscal et à la protection de la sphère privée des tiers apparaissant dans les pièces en cause.

Il convient dès lors d'examiner pièce par pièce si le secret fiscal s'oppose ou non à une communication de chacune d'entre elles.

À titre préalable, il convient de constater que, si l'on aurait pu se demander si certains documents parmi les pièces en cause, en particulier les échanges entre l'AFC-GE et l'administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH), ne constitueraient pas des documents internes, non soumis à consultation (Lydia MASMEJEAN/Antoine BERTHOUD in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 17 ad art. 114), l'autorité intimée ne les a pas considérés comme tels et les a versés au dossier, de sorte qu'ils doivent être considérés comme faisant partie du dossier et que leur caractère consultable doit être examiné comme pour les autres pièces.

La pièce no 251 correspond aux comptes annuels 2011 accompagnant le rapport du gérant à l'assemblée générale ordinaire, d'une tierce société, dont l'autorité intimée a donné le nom dans son résumé des éléments essentiels, ERI BANCAIRE PARIS SA. Cette pièce est couverte par le secret fiscal et la recourante n'a pas produit de levée du secret concernant cette société. L'intérêt de la recourante à la consultation de ces pièces ne peut l'emporter au maintien du secret fiscal, s'agissant de documents financiers concernant une société tierce, par essence protégés par ledit secret. Le refus de consultation est par conséquent conforme au droit. Par ailleurs, l'autorité intimée a indiqué les éléments qu'elle estimait essentiels, soit la répartition du chiffre d'affaires 2010 et 2011, le fait que les comptes étaient consolidés dans ceux de la société mère, B______ SA, et que la filiale G______ avait été liquidée avec un boni en 2011, ainsi que l'identité du gérant ayant signé les comptes. La chambre administrative n'identifie pas d'autre élément, qui serait essentiel et n'aurait pas été communiqué, et la recourante ne soutient pas d'argumentation sur cette pièce en particulier, de sorte qu'il convient de retenir que les éléments essentiels ont été communiqués. Le grief sera écarté quant à cette pièce.

La pièce no 265 est la requête que l'autorité intimée a formulée auprès de l'AFC‑CH pour solliciter que cette dernière demande l'assistance administrative au Luxembourg. Le texte de ce document mentionne deux tierces sociétés, soit B______ SA et E______ SA, SPF, deux entités qui ont expressément autorisé l'accès de la recourante à toute pièce détenue par les autorités suisses les concernant. Seul un schéma mentionne des personnes qui n'ont pas autorisé l'accès aux pièces les concernant. Au vu de l'absence d'intérêt au secret fiscal en relation avec les deux sociétés susmentionnées et de la possibilité de caviarder le schéma pour occulter tous les éléments relatifs aux autres personnes que la recourante et les deux sociétés susmentionnées, l'intérêt au maintien du secret fiscal ne peut l'emporter sur l'intérêt de la recourante à consulter cette pièce. Par conséquent, le grief sera admis en relation avec cette pièce et l'accès à celle-ci sera accordé à la recourante, après caviardage de toutes les informations relatives aux personnes autres que la recourante, B______ SA, C______ SA, D______ LTD et E______ SA, SPF.

La pièce no 266 correspond à un échange de courriels entre l'autorité intimée et l'AFC-CH concernant la demande d'assistance administrative au Luxembourg auquel ladite demande telle que formulée auprès des autorités luxembourgeoises est annexée. Cette demande a un contenu similaire à la pièce no 265. Par ailleurs, les échanges de courriels ne comportent pas de mentions des tiers. L'accès à cette pièce sera par conséquent accordé à la recourante dans la même mesure que pour la pièce no 265, soit après caviardage de toutes les informations relatives aux personnes autres que la recourante, B______ SA, C______ SA, D______ LTD et E______ SA, SPF.

S'agissant de la pièce no 267, il s'agit de la réponse des autorités luxembourgeoises à la demande d'assistance administrative, comportant une annexe. En ce qui concerne le courrier de réponse des autorités luxembourgeoises, il contient des informations sur une société tierce, dont l'AFC-GE a indiqué le nom dans sa communication des informations jugées essentielles, soit F______. Or, il apparaît que ce courrier ne contient pas plus d'informations couvertes par le secret fiscal que celles déjà données par l'autorité intimée dans sa communication des informations essentielles. Il n'y a dès lors plus d'intérêt à garder le secret fiscal par rapport à ce courrier, qui peut donc être communiqué dans son intégralité. S'agissant de l'annexe, elle n'est pas mentionnée dans les informations essentielles transmises par l'autorité intimée, mais contient des informations qui peuvent être pertinentes pour la résolution du litige au fond. Il s'agit du contrat de licence mentionné par les autorités luxembourgeoises dans leur réponse. En tant que F______ n'a pas donné son consentement à la communication des pièces la concernant et que la radiation d'une société n'éteint pas le secret fiscal, celui-ci doit l'emporter. L'AFC‑GE sera néanmoins invitée à communiquer à titre d'information essentielle, une fois le présent arrêt entré en force, le mode de fixation des redevances prévu par ce contrat.

La pièce no 268 correspond à la demande d'assistance administrative de l'AFC-GE à l'AFC-CH pour les Pays-Bas, laquelle porte sur la même société tierce que la pièce no 267, dont l'autorité intimée a indiqué le nom dans les informations essentielles. Elle comporte encore le nom d'une autre société tierce, dont l'autorité intimée a donné le nom dans les informations essentielles communiquées par rapport à la réponse à cette demande d'assistance administrative. Il n'y a dès lors plus d'informations dont il se justifie de maintenir le secret dans cette pièce, si ce n'est dans le schéma qui l'accompagne, qui mentionne encore d'autres entités et devra être caviardé pour occulter toutes les informations relatives aux personnes autres que la recourante, B______ SA, C______ SA, D______ LTD et E______ SA, SPF.

En ce qui concerne la pièce no 269, il s'agit de la réponse des Pays-Bas, qui comporte un courrier en allemand et sa traduction en français, ainsi que des annexes, en néerlandais. Le courrier comporte des informations concernant des tierces personnes, mais aucune information concernant celles-ci qui n'a pas déjà été communiquée dans les informations essentielles transmises par l'autorité intimée, de sorte que rien ne s'oppose à l'accès à l'intégralité du courrier. Par contre, si les pièces annexées concernent la société radiée, elles comprennent toutes les informations fiscales et financières de cette dernière, ces informations étant par essence couvertes par le secret fiscal, qui doit être maintenu, ce d'autant plus que la communication du courrier suffit à apporter les informations essentielles à la recourante. Au vu de ce qui précède, il sera donné accès à la recourante au courrier des autorités néerlandaises dans son intégralité, sans les annexes.

La pièce no 270 correspond à la deuxième demande d'assistance administrative aux Pays-Bas. Cette pièce ne contient rien de plus qui soit soumis au secret fiscal que les informations déjà communiquées par l'AFC-GE. Il se justifie donc de donner accès à la recourante à cette pièce dans son intégralité.

Finalement, s'agissant de la pièce no 271, il s'agit du courrier de réponse des autorités néerlandaises à la deuxième demande d'assistance administrative, avec ses annexes. Le courrier comporte des informations concernant des tiers, mais aucune information concernant ceux-ci qui n'a pas déjà été communiquée dans les informations essentielles transmises par l'autorité intimées, de sorte que rien ne s'oppose à l'accès à son intégralité. Les annexes contiennent des informations relatives à des sociétés tierces dont aucune n'a donné son accord à la communication des informations la concernant et la communication du courrier des autorités suffit à garantir l'accès de la recourante aux informations essentielles. Il sera dès lors donné accès à la recourante au courrier des autorités néerlandaises dans son intégralité, sans les annexes.

Dans ces circonstances, le recours sera partiellement admis. L'accès aux pièces nos 265 et 266 sera accordé à la recourante, après caviardage de toutes les informations relatives aux personnes autres que la recourante, B______ SA, C______ SA, D______ LTD et E______ SA, SPF. L'accès à la pièce no 267 sera partiellement octroyé, soit uniquement au courrier de réponse des autorités luxembourgeoise, à l'exclusion de l'annexe, par rapport à laquelle l'AFC‑GE sera invitée à communiquer à titre d'information essentielle, une fois le présent arrêt entré en force, le mode de fixation des redevances prévu par ce contrat. L'accès à la pièce no 268 sera accordé dans son intégralité, sous réserve du schéma, à caviarder s'agissant de toutes les informations relatives aux personnes autres que la recourante, B______ SA, C______ SA, D______ LTD et E______ SA. L'accès aux pièces nos 269 et 271 sera partiellement accordé, soit uniquement aux deux courriers des autorités néerlandaises, à l'exclusion des annexes. L'accès à la pièce no 270 dans son intégralité sera accordé. L'accès aux pièces, dans la mesure admise, sera uniquement accordé après entrée en force du présent arrêt.

3.             La recourante obtenant gain de cause dans une large mesure, aucun émolument ne sera mis à sa charge (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée, la recourante n'y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 octobre 2023 par A______ SA contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 2 octobre 2023  ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision du Tribunal administratif de première instance du 2 octobre 2023 en tant qu'elle refuse la consultation des pièces nos 265 à 271 ;

accorde l'accès aux pièces nos 265 à 271 dans la mesure admise dans les considérants ;

dit que ledit accès ne sera accordé qu'après l'entrée en force du présent arrêt ;

invite l'administration fiscale cantonale à communiquer, à titre d'information essentielle et après l'entrée en force du présent arrêt, le mode de fixation des redevances prévu par le contrat faisant partie de la pièce no 267 ;

confirme la décision du Tribunal administratif de première instance du 2 octobre 2023 pour le surplus ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alexandre FALTIN, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Gaëlle VAN HOVE, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :