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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/120/2023

ATA/357/2023 du 04.04.2023 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/120/2023-FORMA ATA/357/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 avril 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______, enfants mineures, agissant par leurs parents, Mme et M. C______ recourantes

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé

 



EN FAIT

A. a. Par deux décisions identiques du 2 décembre 2022, le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) a rejeté la demande formée par les enfants mineures A______ et B______, nées respectivement le ______ 2015 et le ______ 2017 agissant par leurs parents, Mme et M. C______, d’être admises dans l’enseignement public genevois dès l’année scolaire 2023-2024.

Toutes deux étaient domiciliées en D______, à E______, avec leurs parents. Elles n’avaient pas de fratrie déjà scolarisée au sein de l’enseignement public genevois.

B. a. Par acte remis à la poste suisse le 13 janvier 2023, A______ et B______, agissant par leurs parents, ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ces décisions, concluant à leur annulation et leur admission dans l’enseignement primaire public genevois à la rentrée 2023-2024.

A______ était suivie par un psychologue et un psychiatre, dont le cabinet se trouvait à F______, et qui appuyait sa demande. Il serait plus simple pour les parents d’avoir l’école et la psychologue dans le même environnement. Les parents travaillaient à Genève, M. C______ en qualité de tôlier dans une carrosserie avec des horaires commençant parfois à 07h00 le matin, Mme C______ en qualité d’assistante en prophylaxie à temps plein dans une clinique dentaire G______oise avec des horaires irréguliers. Cette dernière pourrait mieux s’organiser si ses filles étaient scolarisées dans une des écoles publiques de la région de G______, ou de F______, H______, I______, J______ ou dans les alentours proches de la psychologue. C’était la grand-mère qui amenait et reprenait les filles à l’école, mais ils ne pourraient plus compter sur elle à la rentrée car elle allait partir au K______.

Leur première raison était l’épanouissement et la santé mentale de leur fille aînée, qui était primordiale. Compte tenu de la situation qu’elle rencontrait à l’école et notamment du mépris de ses camarades, elle était démotivée. Ses parents espéraient qu’en changeant son environnement, elle s’épanouirait mieux et ne serait pas dégoûtée de l’école.

Ils produisaient un certificat de son psychiatre.

b. Le recours a donné lieu à l’ouverture de deux procédures distinctes pour A______ (A/120/2023) et B______ (A/121/2023).

c. Le 13 février 2023, le DIP a conclu au rejet du recours.

Les recourantes ne disposaient d’aucune fratrie scolarisée dans l’enseignement public du canton. Le DIP n’avait aucune latitude dans l’application de la loi. Les difficultés rencontrées par A______ pouvaient très certainement trouver une solution en D______. Les problématiques organisationnelles étaient le lot de nombreuses familles. Il n’y avait pas de droit de choisir l’école primaire à Genève.

d. Les recourantes n’ont pas répliqué dans le délai imparti au 20 mars 2023.

e. Le 29 mars 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

C. Il ressort de la procédure l’élément suivant, pertinent pour la solution du litige :

Le 12 janvier 2023, le Dr L______, médecin psychiatre FMH, a certifié que l’état de santé de A______ justifiait un suivi spécialisé depuis de nombreuses années. Elle était scolarisée à E______ avec une situation délicate qui nécessitait sans doute que des mesures d’accompagnement puissent être prises sur le plan scolaire et pédagogique. En effet, A______ subissait une situation de harcèlement. Un changement d’école était préconisé, mais malheureusement dans l’école publique française proche de chez elle où elle pourrait être scolarisée se trouvait également l’une de ses harceleuses. En accord avec sa famille, ses deux parents qui travaillaient tous deux à Genève, il pensait qu’il était souhaitable qu’elle puisse être scolarisée près du lieu de travail de l’un d’eux à Genève. Il souhaitait pouvoir obtenir une dérogation bienveillante.

EN DROIT

1.             Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Selon l'art. 70 al. 1 LPA, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

En l'espèce, les procédures A/120/2023 et A/121/2023 portent sur des décisions, concernent des complexes de fait et soulèvent des questions juridiques identiques. Ils sont formés par deux sœurs mineures âgées de 8 et 6 ans et représentées par leurs parents, qui ont initialement formé un seul recours. Il se justifie ainsi de joindre ces causes sous le numéro A/120/2023.

3.             Le litige porte sur le refus du DIP de scolariser les recourantes dans l’enseignement primaire public genevois.

3.1 À teneur de l’art. 19 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit est garanti. Au niveau cantonal, l’art. 24 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (A 2 00 - Cst-GE) dispose que le droit à l’éducation, à la formation et à la formation continue est garanti (al. 1). Toute personne a droit à une formation initiale publique gratuite (al. 2).

L’art 62 Cst. prévoit pour sa part que l’instruction publique est du ressort des cantons (al. 1). Les cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants. Cet enseignement est obligatoire et placé sous la direction ou la surveillance des autorités publiques. Il est gratuit dans les écoles publiques (al. 2). Les cantons pourvoient à une formation spéciale suffisante pour les enfants et adolescents handicapés, au plus tard jusqu'à leur 20ème anniversaire (al. 3). Si les efforts de coordination n'aboutissent pas à une harmonisation de l'instruction publique concernant la scolarité obligatoire, l'âge de l'entrée à l'école, la durée et les objectifs des niveaux d'enseignement et le passage de l'un à l'autre, ainsi que la reconnaissance des diplômes, la Confédération légifère dans la mesure nécessaire (al. 4). La Confédération règle le début de l'année scolaire (al. 5). Les cantons sont associés à la préparation des actes de la Confédération qui affectent leurs compétences ; leur avis revêt un poids particulier (al. 6).

3.1.1 Selon son art. 1, la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10) régit l’instruction obligatoire, soit la scolarité et la formation obligatoires jusqu’à l’âge de la majorité pour l’enseignement public et privé (al. 1). Elle régit également l’intégration et l’instruction des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés de la naissance à l’âge de 20 ans révolus (al. 2). Elle s’applique aux degrés primaire et secondaire I (scolarité obligatoire) et aux degrés secondaire II et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles (ci-après : degré tertiaire B) dans les établissements de l’instruction publique (al. 3).

L’instruction publique comprend le degré primaire, composé du cycle élémentaire et du cycle moyen (art. 4 al. 1 let. a LIP). Selon l’art. 60 LIP, le degré primaire dure huit ans et comprend deux cycles d’une durée de quatre ans chacun, à savoir le cycle élémentaire (années 1 à 4) et le cycle moyen (années 5 à 8).

3.1.2 L’art. 37 al. 1 LIP prévoit que tous les enfants et jeunes en âge de scolarité obligatoire et habitant le canton de Genève doivent recevoir, dans les écoles publiques ou privées, ou à domicile, une instruction conforme aux prescriptions de ladite loi, au programme général établi par le département conformément à l’accord intercantonal sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire du 14 juin 2007 (HarmoS - C 1 06) et à la convention scolaire romande du 21 juin 2007 (CSR - C 1 07).

Le département, avec le concours des services concernés, veille à l’observation de l’obligation d’instruction, telle que définie à l’art. 1 LIP (art. 38 al. 1 LIP). Les parents sont tenus, sur demande du département, de justifier que leurs enfants, jusqu’à l’âge de la majorité, reçoivent l’instruction obligatoire fixée par la loi (art. 38 al. 2 LIP).

La scolarité est obligatoire pour les enfants dès l’âge de 4 ans révolus au 31 juillet (art. 55 al. 1 LIP). Tout enfant, dès l’âge de 4 ans révolus au 31 juillet, doit être inscrit à l’école dans les trois jours qui suivent son arrivée à Genève (art. 57 al. 1 LIP).

3.1.3 L’art. 58 LIP prévoit que, sous réserve des al. 2 à 5, les élèves sont scolarisés dans l’établissement correspondant au secteur de recrutement du lieu de domicile ou à défaut du lieu de résidence des parents (al. 1). Si les élèves de ce secteur de recrutement sont en nombre insuffisant ou sont trop nombreux pour l’organisation rationnelle de l’enseignement, le département peut les affecter à une autre école. Cette affectation n’est pas sujette à recours (al. 2).

3.1.4 Au niveau réglementaire, l'art. 23 al. 1 REP est applicable aux enfants domiciliés hors canton. Il prévoit que sont admis dans l'enseignement primaire public genevois (a) les élèves domiciliés en D______ et déjà scolarisés dans l’enseignement public genevois, pour autant que l'un de leurs parents au moins soit assujetti à Genève à l'impôt sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton et (b) les frères et sœurs ainsi que les demi-frères et les demi-sœurs des enfants scolarisés au sein d'établissements scolaires publics genevois.

3.1.5 La demande d’admission au sens de l’art. 23 al. 1 REP doit être déposée auprès de la DGEO dans le délai fixé chaque année par le département et publié sur le site Internet de ce dernier (al. 3), en l’espèce, le 31 janvier 2023 (https://www.ge.ch/inscrire-mon-enfant-ecole-primaire/enfant-domicilie-hors-du-canton, consulté le 30 mars 2023).

3.1.6 Selon la jurisprudence de la chambre de céans, l'art. 23 REP dispose d'une base légale suffisante (ATA/487/2020 du 19 mai 2020 consid. 6 à 9).

3.2 En l’espèce, les recourants ne contestent pas que leurs filles n’étaient pas scolarisées jusqu’ici dans l’enseignement public du canton de Genève, et qu’elles n’ont par ailleurs pas de fratrie scolarisée dans l’enseignement public du canton. Il suit de là qu’elles ne remplissent pas les conditions légales pour être scolarisées dans l’enseignement public genevois dès la prochaine rentrée scolaire.

Les recourants font valoir les problèmes de santé de leur aînée.

Dans un cas concernant le cycle d’orientation, la chambre de céans a jugé que des problèmes médicaux et de motivation en lien avec l’école ne constituaient pas des circonstances justifiant une dérogation (ATA/897/2022 du 6 septembre 2022 consid. 5).

En l’espèce, la prise en charge médicale de A______ apparaît assurée.

Ses parents font valoir des problèmes de logistique. Ceux-ci ne sont toutefois pas spécifiques à la situation de leur fille, mais communs en matière de scolarisation au degré primaire. Ils ne justifient pas une dérogation aux principes territoriaux de scolarisation.

Les parents de A______ font enfin valoir des difficultés scolaires, et le Dr L______ explique que A______ serait victime de harcèlement.

Les difficultés scolaires, y compris le harcèlement, doivent trouver leur solution dans le lieu de scolarisation de l’enfant déterminé par les règles territoriales, avec l’appui des autorités administratives, et au besoin civiles ou pénales. Elles ne sauraient justifier une dérogation à l’art. 23 al. 1 REP.

La chambre de céans a, certes, admis un cas de force majeure concernant un élève victime d’un harcèlement très grave dans un collège en D______, mais uniquement pour admettre la restitution du délai pour demander l’inscription en Suisse alors que les autres conditions étaient remplies (sœur scolarisée à Genève dans l’enseignement public ; ATA/815/2022 du 17 août 2022). Ce précédent diffère considérablement du cas d’espèce et ne peut lui être appliqué.

Il appartient in casu aux parents de rechercher une solution dans le ressort de l’enseignement français.

C’est ainsi à bon droit que le DIP a refusé l’inscription des recourantes.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge des recourantes, soit pour elles de leurs parents pris solidairement (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des causes A/120/2023 et A/121/2023 sous le numéro de cause A/120/2023 ;

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 janvier 2023 par les enfants mineures A______ et B______, représentées par leurs parents, Mme et M. C______, contre les décisions du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 2 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de Mme et M. C______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Mme et M. C______, représentants légaux des recourantes, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Payot Zen Ruffinen, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :