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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1589/2022

ATA/1045/2022 du 18.10.2022 ( FPUBL ) , REJETE

Recours TF déposé le 21.11.2022, rendu le 05.09.2023, REJETE, 8C_683/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1589/2022-FPUBL ATA/1045/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 octobre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT
représenté par Me Nicolas Wisard, avocat



EN FAIT

1) Monsieur A______ travaille en qualité de gardien de prison depuis le 1er février 2008. Il est membre de l’Union du personnel du corps de police (ci-après : UPCP).

2) M. A______ est soumis à des horaires continus, avec pause, et exerce ses fonctions en uniforme.

3) Par courrier du 26 mars 2021, l’UPCP a sollicité du Conseil d’Etat l’ouverture d’une procédure administrative au sens de l’art. 4A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10). Compte tenu d’une récente décision judiciaire, il apparaissait que le temps consacré par un membre de l’UPCP pour revêtir ou dévêtir un uniforme devait être décompté sur ses horaire de travail. C’était ainsi un temps de quinze minutes par changement de tenue qui aurait dû être décompté en leur faveur et indemnisé, durant les dix années précédentes, voire davantage, dès lors que la disposition légale sur laquelle avait été fondée la décision précitée, à savoir l’art. 13 al. 1 de l’ordonnance 1 relative à la loi sur le travail du 10 mai 2000 (RS 822.111 - OLT 1), était entrée en vigueur en 2000.

4) Le 20 octobre 2021, le Conseil d’État a indiqué qu’il n’entendait pas accéder à sa demande. Il l’invitait à lui indiquer si elle souhaitait le prononcé d’une décision sujette à recours.

Au regard de la pratique habituelle dans la branche concernée, une compensation volontaire, supplémentaire ou distincte pour le temps passé dans le vestiaire aurait dû être explicitement consignée dans un règlement, comme c’était le cas pour toutes les indemnités ou compensations. Les dispositions topiques ne précisaient pas si l’horaire règlementaire comprenait le temps consacré à l’habillement lors de la prise de service.

Le temps nécessaire pour revêtir un uniforme était bien inférieur aux quinze minutes avancées et était pour le moins modeste au regard des horaires règlementaires prévus tant pour les policiers que les agents de détention. Contrairement à la pratique usuelle des hôpitaux, qui répondait à des questions d’hygiène, il n’était pas exigé des agents de détention qu’ils se changent sur leur lieu de travail. Il leur était ainsi loisible de s’équiper à leur domicile. Il en allait de même des policiers, aucune règle ne leur interdisant de rentrer chez eux en uniforme.

Les dispositions de l’OLT 1 ne s’appliquaient pas aux administrations cantonales.

Dans un arrêt récent (8C_514/2020 du 20 janvier 2021), le Tribunal fédéral avait estimé qu’il n’était pas insoutenable de considérer que le temps consacré par le personnel de la fonction publique, en l’occurrence des infirmières et des infirmiers, ne devait pas être comptabilisé comme temps de travail rémunéré, respectivement était inclus dans le traitement mensuel.

5) Le 22 novembre 2021, l’UPCP a sollicité la prise d’une décision formelle individualisée sujette à recours concernant quatre de ses membres, dont M. A______.

Elle n’était pas d’accord avec la portée que le Conseil d’État prêtait à l’arrêt du Tribunal fédéral. Celui-ci avait retenu que le temps complémentaire nécessaire au changement de tenue devait être indemnisé. Les motifs qui avaient amené le Tribunal fédéral à rejeter, sous l’angle restreint de l’arbitraire, la demande en paiement n’étaient pas transposables en l’espèce, au vu des différences de droit cantonal applicable.

Même à supposer que l’OLT 1 n’était pas directement applicable, ce qui était contesté, elle constituait un minimum légal auquel il ne pouvait être dérogé.

L’indemnisation de quinze minutes par changement de tenue était requise, non par jour uniquement. Pour le personnel tenu à une pause journalière, cela représentait donc une heure sur les huit que comptait une journée de travail, ce qui n’était pas négligeable. Dès lors que l’arme de service faisait partie intégrante de l’uniforme et exigeait un lieu de conservation sécurisé, il ne pouvait être exigé des policiers qu’ils rentrent à leur domicile ou se rendent au travail en uniforme. Le temps devait quoi qu’il en soit être comptabilisé, indépendamment du lieu en question.

Elle sollicitait la confirmation que le Conseil d’État renonçait à se prévaloir de la prescription à l’égard de l’ensemble du personnel.

6) a. Par arrêté du 30 mars 2022, le Conseil d’État a rejeté la demande de M. A______.

Les prescriptions de la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (LTr - RS 822.11) et de l’OLT 1 n’étaient pas applicables aux rapports de service entre le canton de Genève et son personnel affecté à la police et au domaine de la détention. C’était uniquement en considération du droit cantonal que la question en cause devait être tranchée. Or, ni la législation générale sur la fonction publique ni les dispositions spécialement applicables au personnel de police ne prévoyaient que le temps consacré au changement d’uniforme donnait le droit à une indemnisation ou une compensation.

Ce motif était suffisant pour rejeter la demande de M. A______.

Pour le surplus, l’UPCP avait estimé de manière excessive à quinze minutes la durée indispensable pour un changement de tenue, notamment si on la comparait avec la même durée, mais totale, qui avait été invoquée par les employés zurichois dans une affaire tranchée par le Tribunal fédéral. Il n’était pas crédible de soutenir qu’il fallait quatre fois plus de temps pour revêtir les uniformes genevois que pour enfiler les tenues de travail hospitalières zurichoises.

b. Par arrêtés du même jour, le Conseil d’État a également rejeté les demandes similaires formées pour trois autres membres de l’UPCP (un policier soumis à un horaire administratif avec pause, un agent de détention avec horaires continus sans pause et un policier avec horaires continus, sans pause).

7) Par acte du 16 mai 2022, M. A______ a interjeté recours par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêt précité, en concluant à son annulation et à ce que le département soit condamné à lui verser le traitement afférent au temps mis à vêtir et dévêtir son uniforme, à hauteur de quinze minutes par changement, pour les dix années précédentes et pour l’avenir. Préalablement, il devait être ordonné au Conseil d’État de produire l’intégralité du dossier de la cause, une audience de comparution personnelle et l’ouverture d’enquêtes.

Il était tenu d’être présent sur son lieu de travail en uniforme complet, dès sa prise de service, de sorte qu’il était contraint de prendre les quinze minutes à la mise et à l’enlèvement dudit uniforme sur son lieu de travail, avant et après les horaires de son service. Cela représentait une demi-heure par jour, en l’absence de pause de midi, et une heure en présence d’une telle pause.

Les soignants de l’institution de maintien, d’aide et de soins à domicile (ci-après : IMAD) s’étaient récemment vu octroyer une rémunération à hauteur de dix minutes par changement de blouse, tandis que les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) feraient de même prochainement. Le temps nécessaire pour mettre une blouse était pourtant largement inférieur à celui requis pour vêtir et dévêtir l’uniforme complet de policier, qui en comptait de plus une dizaine, en fonction de ses missions.

L’autorité avait commis un déni de justice en limitant son pouvoir de d’examen à l’arbitraire.

Si aucune norme cantonale spécifiait explicitement que le temps d’habillement était comptabilisé dans le temps de travail, aucune norme ne l’excluait. L’autorité aurait ainsi dû se livrer à une interprétation de la législation topique. Or, il ressortait de cet examen que le législateur avait soumis personnel pénitentiaire au port intégral de l’uniforme « dès la prise de service ». Pour ce personnel, le régime légal imposait donc une contrainte et du temps complémentaires, en dehors du temps réglementaire. Une telle obligation ne pouvait se concevoir et se justifier que pour autant que le temps correspondant soit considéré comme du « temps de travail », ce qui était d’ailleurs conforme à la pratique usuelle en matière de droit privé, dont les travaux préparatoires n’avaient pas indiqué vouloir s’écarter.

Il ressortait par ailleurs de la directive n° OCD 05.02 « directive concernant l’habillement et la gestion des uniformes des agents de détention » que la tenue civile pouvait être portée indifféremment entre le domicile et le lieu de travail, mais que le personnel devait en tout cas porter l’uniforme dès sa prise de service. La directive n° DS COPP.01 « directive générale sur le temps de travail », entrée en vigueur le 30 mars 2015 et mise à jour le 14 novembre 2018, que les éléments réglementés rejoignaient en tous points le régime applicable en droit privé. Il ressortait ainsi de la législation que le temps pour l’habillement devait être comptabilisé comme temps de travail.

L’exigence de consacrer une demi-heure par jour de son temps libre pour vêtir et dévêtir l’uniforme imposé par son employeur était une ingérence grave dans sa liberté personnelle, sa vie privée et familiale, et ce à titre gratuit. Cette contrainte, qui ne reposait sur aucune base légale, violait également le principe de la légalité.

La décision litigieuse consacrait une inégalité de traitement d’une part, envers les autres collaborateurs soumis à des rapports de droit public, tels que les soignants de l’IMAD, pour lesquels aucune réglementation ne prévoyait non plus d’indemnisation du temps d’habillage, d’autre part à l’égard des trois autres collaborateurs qui avaient demandé une décision sur cette question, alors que leur situation concrète n’était pas la même.

8) Le département a conclu au rejet du recours.

Au cours des négociations qui avaient été menées avec le Conseil d’État durant les années 2009 et 2010, les syndicats de police n’avaient pas abordé la question d’une contrepartie pécuniaire au temps consacré à l’habillement de service. Le recours faisait partie d’une série de démarches judiciaires des policiers genevois tendant à obtenir des compléments de rémunération, tantôt par l’application du régime de décompte et compensation du temps de travail, tantôt par l’application extensive d’indemnités spécifiques du droit cantonal.

L’absence de règles incluant le temps d’habillement dans le temps de travail ou allouant une indemnisation spécifique en contrepartie constituait un silence qualifié. L’ensemble normatif devait donc être compris comme imposant aux agents de détention le devoir de porter l’uniforme, et de prendre le temps nécessaire à cet effet en dehors du temps consacré au service, sans rémunération.

Cette exigence ne devait pas s’analyser comme une restriction des droits fondamentaux. Même à admettre que tel soit le cas, cela ne constituait pas une restriction inadmissible auxdits droits. Aucune obligation de se changer deux ou quatre fois par service n’était imposée aux agents de détention par leur employeur puisqu’ils pouvaient porter la tenue de service sur le trajet entre le domicile et le lieu de travail ainsi que pendant les pauses. Le grief de violation de la liberté personnelle était donc infondé, tout comme celui d’une violation du principe de l’égalité de traitement.

Les actions des travailleurs se prescrivant par cinq ans, les prétentions antérieures au 22 novembre 2016 étaient de toute façon prescrites.

9) Dans sa réplique, le recourant a relevé que l’intimé n’avait pas produit l’intégralité du dossier, mais uniquement un chargé de pièces constitué d’extraits de législation ou de projets de loi. Il sollicitait son audition pour attester du temps réellement nécessaire à l’habillement, que l’autorité sous estimait manifestement. Le fait qu’il puisse ou non se changer à son domicile n’était pas pertinent, l’indemnisation due au titre du temps mis à la disposition de l’employeur étant pareillement due, qu’il soit pris au domicile ou sur le lieu de travail.

Le législateur n’avait à l’évidence pas appréhendé la problématique de la définition du temps de travail pour les agents de détention contraints de revêtir un uniforme. Ce qui était déjà le cas dans l’ancienne législation.

L’interpellation du 26 mars 2021 avait, même à admettre la prescription quinquennale, interrompu celle-ci.

10) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) Préalablement, le recourant sollicite l'apport du dossier intégral par le Conseil d’État, une audience de comparution personnelle et l’ouverture d’enquêtes.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu garantit notamment au justiciable le droit de s'expliquer avant qu'une décision soit prise à son détriment, le droit d'avoir accès au dossier et le droit d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuve pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 143 III 65 consid. 3.2; 142 II 218 consid. 2.3). Le droit du justiciable de faire administrer des preuves n'empêche toutefois pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 144 II 427 consid. 3.1.3).

b. En l’espèce, le recourant sollicite son audition afin qu’il puisse attester du temps réellement nécessaire pour revêtir son uniforme. Cela étant, il a déjà affirmé qu’il correspondait à quinze minutes. On ne voit dès lors pas ce que son audition pourrait apporter de plus à la résolution du litige, étant précisé que cet élément n’est de toute façon pas déterminant pour les motifs qui seront exposés aux considérants ci-dessous.

L’intimé a produit un chargé contenant plusieurs pièces. Son dossier paraît complet, ce que le recourant ne remet pas en cause. Ce dernier ne sollicite au demeurant pas la production d’un document particulier en sus ni ne précise son utilité pour la résolution du litige.

Pour le surplus, la chambre de céans dispose d'un dossier complet lui permettant de trancher le litige en toute connaissance de cause, sans procéder à d’autres actes d’instruction.

3) Le recourant se plaint d’un déni de justice au motif que l’autorité intimée aurait limité son pouvoir d’examen à l’arbitraire. Ce grief doit être examiné en premier lieu dès lors qu'il est de nature à entraîner l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours au fond (ATF 141 V 557 consid. 3 et arrêt du Tribunal fédéral 2D_54/2014 du 23 janvier 2015 consid. 4 ; ATA/399/2022 du 12 avril 2022 consid. 4).

a. Selon la jurisprudence, l'autorité qui ne traite pas un grief relevant de sa compétence, motivé de façon suffisante et pertinent pour l'issue du litige, commet un déni de justice formel proscrit par l'art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; ATF 136 I 6 consid. 2.1 ; 117 Ia 116 consid. 3a et les références citées). Il en va de même lorsqu'elle restreint sa cognition à l'arbitraire alors même qu'elle dispose d'un plein pouvoir d'examen (arrêt du Tribunal fédéral 1A.25/2006 du 13 mars 2007 consid. 4.1). S'agissant d'une autorité judiciaire, le déni de justice, tel qu'il vient d'être décrit, peut constituer une violation de la garantie de l'accès au juge ancrée à l'art. 29a Cst. Cette disposition donne en effet le droit d'accès à une autorité judiciaire exerçant un pouvoir d'examen complet sur les faits et du droit (ATF 137 I 235 consid. 2.5 et consid. 2.5.2).

Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend le droit d'obtenir une décision motivée (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 129 I 232 consid. 3.2). L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 138 IV 81 consid. 2.2 ; 137 II 266 consid. 3.2). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée ; la motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 9C_701/2018 du 27 novembre 2018 consid. 5.2). En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 et les références citées).

b. En l’espèce, le recourant reproche à l’autorité intimée de s’être exclusivement fondée sur le raisonnement du Tribunal fédéral dans l’arrêt 8C_514/2020 précité pour considérer que seul le droit cantonal s’appliquait et rejeter sa demande, alors même le Tribunal fédéral avait limité son examen à l’arbitraire, ce qui ne saurait être la limite du pouvoir d’examen du Conseil d’État.

Le recourant ne saurait toutefois être suivi. En effet, le Conseil d’État a d’abord relevé, dans la décision litigieuse, que les rapports de travail du personnel de l’administration cantonale étaient soumis au droit public cantonal uniquement et non aux dispositions relevant du droit privé. Pour ce faire, il s’est appuyé sur la doctrine, se référant à titre exemplatif à l’arrêt du Tribunal fédéral précité, lequel examinait l’application des dispositions légales de la LTr et de l’OLT 1 aux administrations cantonales.

Après avoir passé en revue plusieurs dispositions légales et règlementaires cantonales applicables aux agents de détention, il a constaté qu’il n’était pas prévu que le temps consacré au changement de tenue donne droit à une indemnisation ou une compensation. Il est ainsi arrivé à la conclusion que le personnel des établissements de détention était tenu d’entrer en service après s’être équipé de l’uniforme propre à la fonction, sans que le temps y consacré ne soit comptabilisé dans le temps de travail ni ne fasse l’objet d’une indemnisation spécifique en complément du traitement. Le Conseil d’État a ensuite relevé, sur la base de l’arrêt précité, que le Tribunal fédéral avait d’ailleurs jugé qu’une telle solution n’était pas arbitraire.

Le Conseil d’État a enfin relevé, pour le surplus, que la durée indispensable pour le changement de tenue avait été évaluée de manière excessive.

C’est donc à tort que le recourant prétend que l’autorité intimée aurait limité son examen à l’arbitraire, de sorte que ce grief sera écarté.

4) La LTr s'applique, sous réserve de ses art. 2 à 4, à toutes les entreprises publiques et privées (art. 1 al. 1 LTr). Il y a entreprise selon la loi lorsqu'un employeur occupe un ou plusieurs travailleurs de façon durable ou temporaire, même sans faire usage d'installations ou de locaux particuliers (art. 1 al. 2 1ère phr. LTr).

Sous le titre marginal « exception quant aux entreprises », l'art. 2 al. 1 LTr dispose que la loi ne s'applique pas, sous réserve de son art. 3a, notamment aux administrations fédérales, cantonales et communales, sous réserve de l'art. 2 al. 2 LTr (let. a).

Autrement dit, seules les dispositions visées par l'art. 3a LTr s'appliquent aux administrations fédérales, cantonales et communales (arrêt du Tribunal fédéral C_789/2020 du 4 novembre 2021 consid. 4.3.1).

L'art. 3a let. a LTr est une contre-exemption du champ d'application, lequel prévoit que les dispositions de la loi relatives à la protection de la santé (art. 6, 35 et 36a) s'appliquent aussi à l'administration fédérale ainsi qu'aux administrations cantonales et communales (arrêt du Tribunal fédéral 8C_789/2020 précité consid. 4.3.2 ; STEFANIE MEIER-GUBSER, Aspects méconnus de la LTr : champ d'application, protection de la santé, durées du travail et du repos, in L'expert fiduciaire: revue professionnelle et organe officiel de publication de l'Union suisse des fiduciaire TREX 2019/1/37 ss, spéc. p. 38-39).

L'énumération des dispositions applicables selon l'art. 3a LTr est exhaustive. À côté des art. 6, 35 et 36a LTr qui y sont expressément mentionnés, elle ne comprend pas d'autres dispositions protectrices, y compris celles dont l'objet peut également avoir une influence sur la santé des travailleurs ; en particulier, les dispositions sur la durée du travail, l'aménagement des horaires et le repos (art. 9 à 28 LTr) ne sont pas comprises dans la contre-exception faite en faveur de la protection de la santé des travailleurs (arrêt du Tribunal fédéral 8C_789/2020 précité consid. 4.3.2 ; MEIER-GUBSER, op. cit., TREX 2019/1/37 ss, spéc. p. 40).

Les dispositions contenues dans le chapitre « Durée du travail et du repos » de l'OLT 1 (art. 13 à 42 OLT 1) ne sont ainsi pas comprises dans le champ d'application de l'art. 3a LTr, même si l'art. 6 LTr est cité parmi les bases légales mentionnées. Pour les catégories de travailleurs énumérées sous let. a à c, les législations spécifiques de droit public (administrations) ou le code des obligations (contrats de droit privé) fixent le cadre de la durée du travail (commentaire de la LTr édité par le Secrétariat d’État à l’économie [ci-après : SECO], dans sa version d’avril 2022 [ci-après : Commentaire LTr], 003a-1 ; Roland A.MÜLLER/Christian MADUZ, Kommentar zum Arbeitsgesetz, 8ème éd., Zürich 2017, n° 4 ad art. 3a LTr).

5) a. En tant qu’agent de détention, le recourant était soumis à l’ancienne loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 (aLOPP - F 1 50) et à son règlement d’application du 30 septembre 1985 (aROPP - F 1 50.01). Depuis le 1er mars 2017, il est soumis à la loi l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 (LOPP - F 1 50), qui a abrogé l’aLOPP (art. 34 LOPP) et au règlement sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 22 février 2017 (ROPP - F 1 50.01), lequel a abrogé l’aROPP (art. 65 let. a ROPP). Depuis le 1er octobre 2012, il est également soumis au règlement fixant les indemnités pour la direction et le personnel de surveillance des établissements de détention du 31 octobre 2012 (RIED - F 1 50.09). Il est enfin soumis au code de déontologie.

b. Selon l’art. 6 LOPP, le personnel pénitentiaire est soumis à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), et à ses dispositions d’application, sous réserve des dispositions particulières de la LOPP (al. 1). Il est de même soumis à la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l'État, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15) et à ses dispositions d’application (al. 2).

Des droits particuliers sont notamment prévus aux art. 15 et 16 LOPP, et l’art. 29 LOPP prévoit que le Conseil d'État détermine par règlement la nature et le montant des indemnités et compensations auxquelles ont droit les membres du personnel pénitentiaire.

L’art. 30 ROPP charge l’autorité compétente de fixer l’horaire de travail et le type d’horaires pour chaque membre du personnel pénitentiaire en fonction des nécessités de l'activité (al. 1). Cet horaire est réputé horaire réglementaire (al. 2). Tout horaire de travail et type d’horaire peut être modifié par l’autorité compétente afin de répondre aux nécessités de l’activité (al. 3). Pour le personnel pénitentiaire soumis à l’horaire irrégulier, la direction générale fixe par voie de directive les conditions dans lesquelles les horaires sont définis et sont modifiables (art. 56 al. 2 ROPP). Pour le personnel pénitentiaire non soumis à l’horaire irrégulier, l’art. 8A du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01) s’applique (art. 56A ROPP).

Les art. 50 à 55 ROPP, prenant place dans le chapitre intitulé « droits et devoirs spécifiques du personnel pénitentiaire », traitent des différents indemnités, compensations ou débours auxquels le personnel pénitentiaire peut prétendre. Sous le titre « heures supplémentaires et service de piquet », les art. 56 à 59 ROPP traitent entre autres de la compensation des heures supplémentaires.

c. Le RIED s'applique à la direction et au personnel de surveillance des établissements de détention (art. 1). Il prévoit des indemnités pour risques inhérents à la fonction (art. 2) et pour service de nuit et travaux spéciaux (art. 3).

d. Sous la note marginale « habillement », l’art. 31 LOPP prévoit que les agents de détention sont armés et équipés aux frais de l’État (al. 1). Sauf dispositions contraires, les agents de détention portent l’uniforme (al. 2).

Sous la note marginale « tenues vestimentaires et accessoires du personnel pénitentiaire », l’art. 6 ROPP prévoit que la direction générale définit une pratique transversale en matière de gestion et de commande des tenues vestimentaires et accessoires (al. 1). Dans ce cadre, les établissements évaluent leurs besoins en tenues vestimentaires et accessoires, sur la base des effectifs en personnel et des besoins de celui-ci (al. 2). La direction générale règle par directive le port de l’uniforme dans les établissements (al. 3).

L’art. 50 ROPP prévoit en outre que les cas dans lesquels les agents de détention ne doivent pas porter l’uniforme dans le cadre de l’accomplissement de leur travail sont définis par la direction de l’établissement, en fonction des besoins du service et dans le respect de la directive prévue à l’art. 6 al. 3.

e. La directive n° 5.2 précitée, entrée en vigueur le 1er octobre 2017, a pour objectif de régler la tenue portée par le personnel uniformé de l’OCD, l’organisation, la dotation et le renouvellement des diverses pièces d’uniforme pour l’ensemble des agents de l’OCD.

Elle prévoit que l’uniforme ou une tenue civile peuvent être portés indifféremment entre le domicile et le lieu de travail (art. 3.1.c.a) et que dans tous les cas, le personnel porte son uniforme dès sa prise de service et jusqu’à la fin de celui-ci (art. 3.1.c.b), des exceptions étant prévues en cas de conduite accompagnée (art. 3.1.c.c). Le personnel doit exécuter son service vêtu de la tenue prescrite (art. 3.1.c.d).

L'équipement des agents de détention est fourni par l'État (art. 3.2 à 3.4). Il comprend l'équipement collectif et l'équipement personnel (armement, matériel et tenues d'uniforme). Il est sous la responsabilité de son utilisateur, mais reste la propriété de la police (ch. 2).

La tenue de service chaude comprend, outre les vêtements proprement dits, une ceinture de charge, un gilet multi-poches, des gants de protection et des gants chauds (art. 3.7.1). La tenue de service allégée comprend une ceinture de charge et des gants de protection (art. 3.7.b). La tenue spéciale des gardes GSCD et des gardes armés comprend en outre un étui à menottes, un pistolet dans son étui et un spray au poivre dans son étui (art. 3.8).

6) a. Le principe de la légalité, consacré à l'art. 5 al. 1 Cst., exige que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi.

b. La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4.1 ; 133 III 175 consid. 3.3.1).

L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune. Une lacune authentique (ou proprement dite) suppose que le législateur s'est abstenu de régler un point alors qu'il aurait dû le faire et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. En revanche, si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante ou objectivement insoutenable (ATA/317/2020 du 31 mars 2020 consid. 2d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 440). D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en principe interdit, selon la conception traditionnelle qui découle notamment du principe de la séparation des pouvoirs, de corriger les silences qualifiés et les lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire d'une violation de la Constitution (ATF 139 I 57 consid. 5.2 ; 138 II 1 consid. 4.2). Lorsqu'il apparaît que c'est à dessein que la loi ne réglemente pas une situation donnée, ce silence qualifié doit en principe être respecté. Il n'y a alors pas de place pour un quelconque comblement de lacune (ATA/317/2020 précité consid. 2d ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 441).

7) En l’espèce, les parties s’accordent sur le fait qu’il n’existe aucune base légale ou règlementaire cantonale prévoyant expressément que le temps consacré au changement de tenue du personnel pénitentiaire soumis au port d’un uniforme serait comptabilisé comme temps de travail et/ou donnerait droit à une indemnité.

L’autorité intimée en conclut que la demande du recourant devrait dès lors être rejetée. Ce dernier considère au contraire que dès lors qu’aucune disposition ne l’exclut non plus, il conviendrait de se livrer à une interprétation de la législation topique, au moyen des règles dégagées par la jurisprudence fédérale, et notamment grâce au droit privé qui aurait un régime équivalant. Toutefois, aucun élément ne permet de constater qu’un régime similaire au droit privé devrait être appliqué en l’espèce.

En particulier, le fait que la directive DS COPP.01 à laquelle le recourant se réfère, intitulée « directive générale sur le temps de travail », entrée en vigueur le 30 mars 2015 et mise à jour le 14 novembre 2018, réglemente des éléments de la même manière que dans la LTr, et en particulier dans l’art. 18 OLT 1, ne saurait signifier, comme semble le considérer le recourant, que le régime du droit privé devrait s’appliquer à la problématique du cas d’espèce. C’est également à tort que le recourant prétend que le régime instauré par la directive n° 5.2 concernant « l’habillement et la gestion des uniformes des agents de détention », qui prévoit le port de l’uniforme obligatoire dès la prise de service, rejoindrait celui prévalant en droit privé. Le recourant tente par ces allégations de fonder un rattachement avec la LTr et plus particulièrement l’art. 13 OLT 1, alors même que cette législation n’est pas applicable, sous réserve des art. 6, 35 et 36a LTr, au personnel des administrations publiques, et donc au personnel des établissements pénitentiaires.

En outre, il ne saurait être tiré de l’art. 31 al. 1 LOPP, qui prévoit que les agents de détention sont armés et équipés aux frais de l’État, qu’une rémunération devrait leur être allouée pour le temps passé à revêtir et dévêtir leur uniforme. Le fait que l’art. 56 ROPP prévoie la rémunération des heures supplémentaires, ne permet pas non plus d’arriver à ce constat.

Même à admettre l’application de la LTr, et en particulier de l’art. 13 OLT 1 cité par le recourant, la conclusion ne serait pas différente. En effet, selon l’art. 13 al. 1 OLT 1, est réputé durée du travail au sens de la loi le temps pendant lequel le travailleur doit se tenir à la disposition de l’employeur ; le temps qu’il consacre au trajet pour se rendre sur son lieu de travail et en revenir n’est pas réputé durée du travail. Le commentaire du SECO de l’OLT 1 de décembre 2020 [ci-après : Commentaire OLT] précise que toutes les activités et mesures qui doivent être effectuées ou prises, par exemple pour des raisons de sécurité ou d’hygiène au travail, avant que l’acte de travail à proprement dit puisse débuter, comptent comme temps de travail. L’habillage et le changement de vêtements nécessaires au processus de travail en font partie : enfilage d’un équipement de protection dans un but de protection de la santé et contre les accidents, enfilage d’une tenue de travail par-dessus les vêtements de ville ou d’une tenue de travail stérile ou encore passage dans un sas pour des raisons d’hygiène (ad. art. 13 OLT 1, p. 113 - 1). Ledit commentaire précise encore qu’est considéré comme temps de travail le temps pendant lequel le travailleur se tient à la disposition de l’employeur, indistinctement de l’endroit où il se trouve : qu’il s’agisse de l’entreprise, d’un train ou de tout autre endroit, le lieu en soi n’est pas pris en considération (ad. art. 13 OLT 1, p. 113 - 1).

À teneur dudit commentaire, pour être considéré comme temps de travail, il fait que des mesures soient nécessairement prises pour des raisons de sécurité, d'hygiène ou de santé « au travail ». Cela implique que la mesure doive obligatoirement être entreprise sur un lieu de travail et non au domicile. En effet, si le travailleur est libre de vêtir ou de dévêtir son uniforme à son domicile, on ne saurait admettre qu’il soit dans une situation dans laquelle il se tient « à la disposition de l’employeur ». Admettre le contraire reviendrait à devoir considérer que toute personne qui s’apprête d’une certaine manière avant de se rendre à son travail se tient à disposition de son employeur et doit être rémunérée pour cela.

Aucune disposition légale ou règlementaire ni aucune directive n’interdit au personnel pénitentiaire soumis au port de l’uniforme de se rendre sur son lieu de travail vêtu de celui-ci. Au contraire, l’art. 3.1.c.a directive n° 5.2 concernant « l’habillement et la gestion des uniformes des agents de détention » prévoit expressément que l’uniforme peut être porté entre le domicile et le lieu de travail. Il va en revanche de soi que lorsque le membre du personnel pénitentiaire doit changer de tenue sur son lieu de travail, par exemple dans le cadre d’une mission déterminée, il s’agit de temps de travail comptabilisé comme tel. Il n’est par ailleurs pas contesté que l’arme de service fait partie des outils de travail de certains membres du personnel pénitentiaire. Cela étant, les obligations y relatives sont les mêmes pour le personnel de police en civil, de sorte qu’il n’y a pas de lien direct avec le port de l’uniforme, et donc avec l’indemnisation que le recourant souhaite obtenir à ce titre.

Dans ces conditions, il n’est nul besoin d’instruire ni de discuter la question du temps consacré par le recourant à revêtir, respectivement dévêtir, son uniforme, ni encore de savoir s’il doit le faire en cas d’horaire avec pause.

8) Le recourant considère que la décision litigieuse consacrerait une inégalité de traitement avec les autres collaborateurs soumis à des rapports de droit public, tels que les soignants de l’IMAD, qui ont droit à l’indemnisation de leur temps d’habillage, ou encore les agents de détention non tenus au port de l’uniforme. La situation serait à l’inverse traitée de manière identique entre les quatre collaborateurs ayant sollicité une décision sur cette question, alors que leur situation concrète ne serait pas la même.

a. Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante

Une décision viole le droit à l'égalité de traitement consacré à l’art. 8 Cst. lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_178/2022 du 16 mars 2022 consid. 5.1). La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 129 I 161 consid. 3.2 ; 125 II 385 consid. 5b). L'inégalité de traitement apparaît comme une forme particulière d'arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l'être de manière semblable ou inversement (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; 137 I 167 consid. 3.5 ; 129 I 346 consid. 6).

b. En l’espèce, contrairement à ce que fait valoir le recourant, sa situation n’est pas similaire à celle des soignants de l’IMAD. Les contraintes liées à l’uniforme ne sont pas les mêmes, indépendamment du temps nécessaire pour revêtir celui-ci, et ce pour des raisons évidentes d’hygiène, au regard des patients fragiles et malades avec lesquels le personnel de cette institution a contact. Alors que l’uniforme des agents de détention peut être revêtu au domicile ou sur le lieu de travail, il est notoire que les vêtements de travail du personnel soignant sont, pour des motifs d’hygiène, revêtus sur le lieu de travail uniquement. Il n’existe pas non plus d’inégalité de traitement par rapport au personnel pénitentiaire non soumis au port d’un uniforme, dès lors que pour l’une ou l’autre catégorie, l’obligation reste la même, à savoir se vêtir avant de se rendre au travail. Dans tous les cas, aucune obligation n’est imposée au recourant de revêtir son uniforme sur son lieu de travail plutôt qu’à son domicile.

Enfin, le présent litige se rapporte exclusivement à la situation du recourant et non à celle des autres membres du personnel de l’État ayant sollicité des décisions pour les mêmes motifs que ceux invoqués par celui-ci. Cela étant, le fait que des décisions similaires aient été rendues n’apparaît pas critiquable dès lors que, même soumis à des horaires différents, avec ou sans pause, la problématique et les normes légales applicables aux autres recourants sont en substance les mêmes.

Ce grief sera dès lors écarté.

9) Le recourant considère que le fait de lui imposer de consacrer une demi-heure, respectivement une heure, par jour de son temps libre à vêtir et dévêtir son uniforme représenterait une ingérence grave dans sa liberté personnelle ainsi que sa vie privée et familiale.

a. La liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) garantit aux personnes physiques la liberté de mouvement (ATF 142 I 135 consid. 4.1) ainsi que tous les aspects élémentaires de l'épanouissement personnel (ATF 142 I 195 consid. 3.2).

Le droit au respect de la sphère privée au sens de l'art. 13 al. 1 Cst., dont le champ d'application matériel concorde largement avec celui de l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), garantit quant à lui notamment le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale ; il protège l'identité, les relations sociales et les comportements intimes de chaque personne physique, l'honneur et la réputation (ATF 137 I 167 consid. 3.2 ; 135 I 198 consid. 3. 1 ; 126 II 377 consid. 7).

b. Les droits fondamentaux peuvent être restreints, pour autant que la restriction soit fondée sur une base légale, repose sur un intérêt public ou sur la protection d'un droit fondamental d'autrui et soit proportionnée au but visé (art. 36 Cst.).

Selon la jurisprudence, les restrictions graves aux libertés nécessitent une base légale claire et nette dans une loi formelle que le Tribunal fédéral revoit avec plein pouvoir d'examen (ATF 127 I 6 consid. 6 ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 4ème éd., 2021, n. 194), alors que les atteintes plus légères peuvent, par le biais d'une délégation législative, figurer dans des actes de niveau inférieur à la loi, ou trouver leur fondement dans une clause générale (ATF 123 I 112 consid. 7 ; 122 I 360 consid. 5b/bb).

Pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction à un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé, lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive ; il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 143 I 403 consid. 5.6.3 ; 141 I 20 consid. 6.2.1 ; 137 I 167 consid. 3.6).

c. La question de savoir si le fait d’imposer une tenue spécifique pour l’exercice d’une profession constituerait une atteinte aux droits fondamentaux précités n’est pas litigieuse, le recourant concédant que le droit d’imposer l’uniforme n’est pas contesté. Seul est ainsi remis en cause le fait que l’habillage soit imposé durant son temps libre, sans contrepartie financière. Or, comme le relève à juste titre l’autorité intimée, l’élément qu’il dénonce est uniquement le fait de ne pas être rémunéré, ce qui ne constitue pas en tant que tel une atteinte à sa liberté personnelle ou à son droit au respect de sa sphère privée.

Pour le surplus, même à admettre l’existence d’une atteinte à un droit fondamental – ce qui n’est pas établi , il n’en découlerait pas, comme semble le prétendre le recourant, le droit à obtenir une indemnisation. Le constat d’une telle atteinte pourrait certes aboutir à l’annulation de la décision s’y rapportant, mais ne saurait être réparée par l’allocation d’une indemnité.

Partant, ce grief sera également écarté.

10) Compte tenu de ce qui précède, le recourant n'est pas parvenu à démontrer que le refus par le Conseil d’État de l’indemniser pour le temps nécessaire à revêtir, respectivement dévêtir, son uniforme serait contraire au droit. Ses conclusions relatives au paiement d’une indemnité seront dès lors également écartées.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

11) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant et aucune indemnité ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mai 2022 par Monsieur A______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 30 mars 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :