Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/248/2003 du 29.04.2003 ( VG ) , IRRECEVABLE
du 29 avril 2003
dans la cause
O. SOFTWARE (SUISSE) SARL
contre
VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DES FINANCES ET DE
L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
représentée par Me Saverio Lembo, avocat
EN FAIT
1. Selon un avis publié dans la Feuille d'avis officielle (FAO) du 24 mai 2002, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a lancé un appel d'offres public au renouvellement du progiciel financier de la ville (SIF 2004) conforme au règlement cantonal genevois sur la passation des marchés publics en matière de fournitures et de services du 25 août 1999 (RPMPFS - L 6 05.03).
2. Les sociétés O. Software (Suisse) Sàrl (ci-après : O.), société ayant pour but les ventes, développement et promotion des ventes des produits du groupe O. dans le domaine de l'informatique, en particulier logiciels, et G. International S.A. (ci-après : G.), spécialisée dans l'information et la fourniture de matériels et logiciels, ont participé à la procédure de soumission (procédure sélective) pour les deux phases (présélection et présentation d'une offre). Le 26 juin 2002, O. et G. ont déposé une offre commune, tout en précisant à la ville que G. serait son interlocuteur unique pour tout le projet et en assumerait l'entière responsabilité contractuelle (courrier du 24 septembre 2002 sur papier à entête G., contresigné par O., à la ville).
3. Le 19 juillet 2002, G. et O. ont reçu en main propre les documents relatifs à l'appel d'offres en vue du projet SIF 2004. Le document de réception a été signé par O. et G..
4. Le 24 septembre 2002, O. et G. ont déposé leur dossier de présélection. L'offre portait sur un total sans option de CHF 7'040'983.-, et avec option de CHF 7'314'913.-.
5. Lors d'un entretien du 17 octobre 2002, la ville a demandé à G. et à O. des précisions complémentaires. Les éléments de réponse, établis par G. et O., lui ont été adressés les 18 et 21 octobre 2002.
6. Le 24 octobre 2002, la ville a pris la décision d'adjudication et informé O. d'une part et G. d'autre part que son choix s'était porté sur un autre soumissionnaire.
Ces courriers indiquaient la voie de recours au Tribunal administratif dans un délai de dix jours.
7. Le 28 octobre 2002, G. s'est adressée à la ville. Tout en respectant la décision d'adjudication de celle-ci, elle souhaitait en particulier connaître plus de détails sur les points négatifs formulés respectivement à G. et à O..
8. Le 4 novembre 2002, O. a recouru auprès du Tribunal administratif à l'encontre de la décision d'adjudication du 24 octobre 2002. Elle a conclu préalablement à l'octroi de l'effet suspensif et à ce qu'un délai supplémentaire lui soit accordé pour compléter son recours. Sur le fond, le Tribunal administratif devait constater le caractère illicite de la décision d'adjudication, l'annuler et renvoyer la cause à la ville pour nouvelle décision d'adjudication. Subsidiairement, et après avoir constaté le caractère illicite de la décision rendue, la ville devait être condamnée à payer à O. les dépenses engagées pour les procédures de soumission et de recours, soit CHF 350'000.- au moins, sous réserve d'amplification, le tout avec suite de dépens.
9. La ville s'est déterminée sur effet suspensif le 29 novembre 2002.
D'entrée de cause, elle a soulevé l'irrecevabilité du recours, O. n'ayant pas la qualité de partie à la procédure en application de l'article 60 lettres a et b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). O. ne pouvait agir seule, car la partie au sens de la lettre a de l'article 60 LPA était en l'espèce le consortium formé par O. et G.. De plus, elle n'était pas touchée directement et n'avait pas d'intérêt personnel digne de protection au sens de la lettre b de la même disposition légale, l'intérêt en jeu appartenant au consortium.
La ville s'est opposée à la restitution de l'effet suspensif au recours et subsidiairement à ce que O. soit condamnée à fournir des sûretés à concurrence de CHF 2'314'517.-.
10. Dans son complément de recours du 16 décembre 2002, O. a renoncé à ses conclusions en restitution d'effet suspensif.
S'agissant de sa qualité pour recourir, elle a relevé que la décision d'adjudication prise par la ville avait été adressée à elle seule, sans aucune mention à G.. Il était pour le moins abusif que la ville soutienne qu'elle n'avait pas la qualité pour agir seule. Elle pouvait de bonne foi se fier aux indications reçues par la ville.
Sur le fond, elle a persisté dans ses précédentes conclusions.
11. La ville a déposé sa réponse sur le fond le 30 janvier 2003 et conclu au rejet du recours.
12. Par courrier spontané du 28 février 2003, O. a demandé au Tribunal administratif d'inviter les parties à déposer leurs listes de témoins.
EN DROIT
1. a. L'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 est entré en vigueur le 9 décembre 1997 (AIMP - L 6 05). Le 12 juin 1997, le canton de Genève a adopté une loi autorisant le Conseil d'Etat a adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics (LAIMP - L 6 05.0). Cette loi est entrée en vigueur le 9 août 1997. En application de cette loi, le Conseil d'Etat a adopté le 23 août 1999 le RPMPFS. L'appel d'offres lancé par la ville entre dans le champ d'application de ce règlement, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté. Les articles 15 alinéa 1 AIMP et 3 alinéa 1 LAIMP prévoient une voie de recours au Tribunal administratif, lequel statue de manière définitive. Le délai de recours est de dix jours (art. 15 al. 2 AIMP).
b. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est à cet égard recevable.
c. Le marché en question dépassant le seuil prévu à l'annexe 3 du RPMPFS, le recours est également recevable de ce point de vue. Cette question n'est d'ailleurs pas contestée par les parties.
2. Se pose néanmoins la qualité pour recourir d'O..
Les articles 30 AIMP et 28 du règlement L 6 05.01 prévoient expressément que l'offre peut être déposée par un consortium.
En l'espèce, O. et G. ont déposé une offre commune. A cet égard, ces deux sociétés ont constitué un consortium, soit une société simple au sens des articles 330 et ss du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO - RS 220). En droit suisse, la société simple n'a pas la personnalité morale. En revanche, elle crée un rapport de consorité nécessaire entre les associés au point que les consorts ne peuvent agir ou être actionnés qu'ensemble (arrêt de la Cour de justice du 11 juillet 2002).
3. L'article 60 lettre a LPA garantit la qualité pour recourir aux parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée. Toutefois, cette lettre doit se lire en parallèle avec la lettre b, selon laquelle cette qualité appartient à toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.
L'article 60 lettre b LPA a la même portée que l'article 103 OJF, il donne la qualité pour agir à toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (ATA Comité d'initiative pour l'aménagement du triangle de Villereuse du 7 décembre 1993; B. et de J. du 11 octobre 1993; S. du 27 mai 1991).
Tel est le cas de celui auquel la décision attaquée apporte des inconvénients qui pourraient être évités grâce au succès du recours ou celui auquel ce recours pourrait procurer des avantages dont la décision le prive, qu'il s'agisse d'intérêts juridiques ou de simples intérêts de faits. Toutefois, le recourant doit être touché dans une mesure et avec une intensité plus grande que quiconque, de façon spéciale directe, et doit avoir un intérêt étroitement lié à l'objet du litige à ce que la décision attaquée soit annulée ou modifiée (ATF 111 Ib 160, 114 V 96).
4. Au vu de ce qui précède, la qualité pour recourir d'O. doit lui être déniée.
D'une part, ce n'est pas O. qui est directement touchée par la décision qu'elle conteste mais bien le consortium qu'elle formait avec G.. Or, cette dernière non seulement n'a pas recouru, mais elle a expressément déclaré à l'autorité adjudicatrice qu'elle entendait respecter la décision de celle-ci. De plus, O. n'a nullement prétendu agir au nom et pour le compte de G.. Elle a au contraire agi seule, en son propre nom, sans aucune référence au consortium qu'elle formait avec G..
D'autre part, seul le consortium formé par O. et G. pourrait se prévaloir d'un intérêt digne de protection, à savoir l'annulation de la décision d'adjudication dans le but de se voir adjuger le marché. Or, O. ne peut pas prétendre se voir adjuger seule un marché pour lequel elle a présenté une offre commune avec G..
Enfin, la ville a communiqué la décision d'adjudication à tous les intéressés et on ne voit pas en quoi, à cet égard, elle aurait donné à la recourante des indications susceptibles d'induire cette dernière en erreur.
5. Le recours sera donc déclaré irrecevable.
Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante. S'agissant de l'indemnité de procédure, la ville de Genève dispose d'un service juridique dûment constitué et compétent. A cet égard, il ne se justifierait pas de lui allouer l'indemnité de procédure à laquelle elle conclut. Toutefois, étant donné que le contentieux des marchés publics est encore nouveau, il lui sera alloué, pour tenir compte exclusivement de cet élément, une indemnité de procédure de CHF 1500.-, à la charge de la recourante.
PAR CES MOTIFS
le Tribunal administratif
déclare irrecevable le recours interjeté le 4 novembre 2002 par O. Software (Suisse) Sàrl contre la décision de la Ville de Genève - département des finances et de l'administration générale du 24 octobre 2002;
met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'000.-;
alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à la ville de Genève, à la charge de la recourante;
communique le présent arrêt à O. Software (Suisse) Sàrl ainsi qu'à Me Saverio Lembo, avocat de la Ville de Genève, département des finances et de l'administration générale.
Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.
Au nom du Tribunal administratif :
la greffière-juriste : le président :
C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le la greffière :
Mme M. Oranci