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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/881/2002

ATA/107/2003 du 04.03.2003 ( CE ) , ADMIS

Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; MESURE DISCIPLINAIRE; PROCEDURE; LICENCIEMENT; CE
Normes : LPAC.21 al.2; LPA.18; LPA.42; CST.29
Résumé : Les règles en matière de licenciement d'un fonctionnaire n'ayant pas été suivies, le licenciement du recourant doit être considéré comme nul et ce dernier fait ainsi toujours partie du personnel de l'administration cantonale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 4 mars 2003

 

 

 

dans la cause

 

 

M. P. S.

représenté par le Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs,

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT

 



EN FAIT

 

 

1. M. P. S. a été engagé dès le 15 avril 1995 en qualité d'huissier d'information au secrétariat général du Département des finances (ci-après: le département).

 

2. Par arrêté du Conseil d'Etat du 25 mars 1998, il a été nommé fonctionnaire, dès le 1er avril 1998, en qualité d'huissier.

 

3. M. S. et ses collègues huissiers avaient pour chef de service M. R. C.. Celui-ci étant absent pour cause de maladie, il a été remplacé par M. D. S. à partir du 16 août 2001.

 

4. Le 16 avril 2002, une altercation physique a eu lieu entre M. D.T S. et M. S. et il a été fait appel à la gendarmerie. Le test de l'éthylomètre a révélé un taux de 1,2 gr d'alcool dans l'haleine de M. S.. Les deux protagonistes ont souffert de diverses lésions mais n'ont pas déposé plainte pénale l'un contre l'autre.

 

5. Par courrier du 17 avril 2002, la secrétaire adjointe du département des finances a prié le chef de la police judiciaire de bien vouloir désigner un enquêteur afin de procéder à une enquête administrative suite à la bagarre survenue entre M. D.T S. et M. S..

 

6. Par courrier du même jour, adressé sous pli recommandé à M. S., la secrétaire adjointe a indiqué à celui-ci qu'il était libéré de l'obligation de venir travailler, avec effet immédiat, et qu'une ouverture d'enquête administrative était sollicitée à son encontre.

 

7. Par courrier du 18 avril 2002, la secrétaire adjointe du département des finances a écrit au directeur général de l'office du personnel de l'Etat qu'une ouverture d'enquête administrative à l'encontre de MM. D.T S. et P. S. était sollicitée, de même que la suspension provisoire de l'un et l'autre avec effet immédiat. Mme Nadia Magnin, inspectrice à la brigade des enquêtes générales, désignée par le chef de la police de sûreté, avait accepté d'intervenir en tant qu'enquêteuse.

 

8. Par arrêté du 24 avril 2002, le Conseil d'Etat, au vu de la requête du département des finances du 18 avril 2002, a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. S. et l'a confiée à Mme N. M.. Par le même arrêté, il a prononcé la suspension provisoire de fonction de M. S. avec maintien de son traitement et cette décision a été déclarée exécutoire nonobstant recours.

 

9. Mme M. a déposé son rapport le 27 mai 2002 après avoir entendu de manière non contradictoire une série de fonctionnaires "à titre de renseignements en qualité de témoins", y compris MM. D.T S. et S., sans qu'il ressorte de ces procès-verbaux que ces personnes aient été déliées du secret de fonction.

 

A l'occasion de son audition du 6 mai 2002, M. S. n'était pas assisté de son conseil.

 

10. Le 21 juin 2002, M. S. a été reçu par la secrétaire adjointe du département des finances en présence de Mme C. T., collaboratrice du service des ressources humaines dudit département. A cette occasion, M. S. a été informé que l'enquête administrative n'avait pas été effectuée de manière régulière puisqu'il n'avait pas participé à l'audition des témoins. Il pouvait exiger un complément d'enquête et solliciter une nouvelle audition desdits témoins en sa présence et celle de son avocat. M. S. y ayant renoncé, il a été invité à signer une déclaration en ce sens. C'est ainsi que figure au dossier une attestation datée du 21 juin 2002 par laquelle il déclare renoncer au droit qui était le sien d'être présent lors des auditions de tous les témoins. Il sollicitait la transmission du rapport de l'enquête administrative afin de pouvoir rédiger ses observations.

 

11. Ce rapport lui a été transmis par pli recommandé du 25 juin 2002 et un délai de 30 jours lui a été imparti pour faire part de ses observations.

 

12. Par courrier du 17 juillet 2002, M. S. a relevé qu'il avait déjà exprimé son souhait de changer de service et qu'il regrettait ce qui s'était passé.

 

13. Par arrêté du 20 août 2002, le Conseil d'Etat a licencié M. S. avec effet au 30 novembre 2002 en déclarant cette décision exécutoire nonobstant recours. Il a été reproché à M. S. d'avoir enfreint ses devoirs de service à l'occasion de la bagarre survenue le 16 avril 2002. Il s'agissait d'un motif objectivement fondé, justifiant un licenciement au sens des articles 21 alinéa 2, lettre b et 22 lettre b de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05).

 

14. Par acte déposé au greffe le 23 septembre 2002, M. S. a saisi le tribunal administratif d'un recours contre cette décision en concluant principalement à ce qu'il soit constaté que la résiliation des rapports de service était contraire au droit. Le tribunal devait constater que la décision de licenciement était excessive au regard de l'inaction du département des finances face aux risques signalés de conflits, même physiques, dans le service de l'intéressé. La décision de licenciement devait être annulée et la réintégration proposée au Conseil d'Etat. Subsidiairement, une indemnité correspondant à douze mois de salaire brut devait être allouée à M. S..

 

15. Le Conseil d'Etat a conclu au rejet du recours, la bagarre survenue le 16 avril 2002 constituait un motif objectivement fondé, justifiant le licenciement et la décision attaquée ne pouvait qu'être confirmée.

 

16. Le 13 décembre 2002, le juge délégué a procédé à l'audition des parties. M. S. a admis que le 16 avril 2002, il était en état d'ébriété sur les lieux de son travail et qu'il avait eu une bagarre avec M. D.T S..

 

Le 21 juin 2002, il avait signé le document qui lui était présenté par la secrétaire adjointe. Aucune pression n'avait été exercée à son encontre et il ne tenait pas à assister aux auditions de ses collègues ou à être confronté à l'occasion d'une réaudition de ceux-ci.

 

17. Le juge délégué a indiqué aux parties que par arrêt du 10 décembre 2002, le tribunal avait statué dans la cause concernant M. D.T S.. Copie de cet arrêt a été remise au mandataire de M. S. qui a été invité à se déterminer à son sujet.

 

18. Celui-ci a fait part de ses observations le 30 janvier 2003.

 

Le licenciement devait être annulé puisque les dispositions prévues par la loi de procédure administrative n'avaient pas été respectées. Si tel n'était pas le cas, l'audition de trois témoins était requise.

 

19. Sur quoi la cause a été gardée à juger.

 

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. La présente cause diffère de celle relative à M. D.T S. jugée par le tribunal de céans le 10 décembre 2002, en ce sens que M. D.T S. n'avait pas le statut de fonctionnaire. Il se trouvait encore en période probatoire alors que M. S. avait été nommé.

 

3. Selon l'article 21, alinéa 2 LPAC, après la période probatoire :

 

b) Le Conseil d'Etat peut, pour un motif objectivement fondé, mettre fin aux rapports de service du fonctionnaire en respectant le délai de résiliation.

 

4. Est considéré comme objectivement fondé, tout motif dûment constaté démontrant que la poursuite des rapports de service est rendue difficile en raison notamment du manquement grave ou répété aux devoirs de service (article 22 litt b LPAC).

 

5. Dans un tel cas, le Conseil d'Etat peut, en tout temps, ordonner l'ouverture d'une enquête administrative qu'il confie à un ou plusieurs magistrats ou fonctionnaires en fonction ou retraités (article 27, alinéa 2 LPAC). L'intéressé est informé de l'enquête dès son ouverture et il peut se faire assister d'un conseil de son choix. Les dispositions de la LPA sont applicables (art. 27, alinéas 1 et 3 LPAC), en particulier celles relatives à l'établissement des faits.

 

De plus, le Conseil d'Etat peut suspendre provisoirement le membre du personnel auquel il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction et cette décision est notifiée par lettre motivée (article 28, alinéas 1 et 2 LPAC).

 

6. Les articles 18 et suivants LPA définissent la procédure régissant l'établissement des faits. Ceux applicables aux témoignages figurent à la section 5 (articles 28 à 36 LPA). Seuls, le Conseil d'Etat, les chefs de département, le chancelier, les autorités administratives chargées d'instruire les procédures disciplinaires et les juridictions administratives peuvent entendre des témoins. L'autorité doit citer les témoins par écrit, la citation mentionnant le droit du témoin à être indemnisé et les conséquences du défaut. La personne chargée de procéder à l'audition doit exhorter les témoins à dire toute la vérité, rien que la vérité et, cas échéant, les rendre attentifs aux sanctions attachées au faux témoignage (article 307 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CPS - RS 311. 0).

 

7. L'article 42 LPA autorise les parties à participer à l'audition des témoins ainsi qu'à proposer des questions à soumettre à ces derniers, sauf si un intérêt public ou privé, ou la nature de l'affaire, s'y oppose (ATA D. S. du 10 décembre 2002).

 

8. En l'espèce, le tribunal administratif constate que les règles rappelées ci-dessus n'ont pas été respectées par l'autorité administrative :

 

a. Le 17 avril 2002, la secrétaire adjointe du département a écrit à M. S. qu'il était libéré de l'obligation de venir travailler, avec effet immédiat. Ce courrier constituait matériellement une suspension, de la compétence du Conseil d'Etat, qui devait être prise sous la forme d'une décision et indiquer les voies de recours, ce qui a été fait, mais le 24 avril 2002 seulement. C'est par cet arrêté également que M. S. a été informé qu'il pouvait se faire assister par un conseil.

 

b. Il résulte du dossier que l'enquêteuse, une inspectrice de sûreté, a été désignée par le chef de la police judiciaire alors que ce choix a été entériné par l'autorité compétente le 24 avril 2002 également.

 

c. Les dispositions relatives à l'audition des témoins n'ont pas été respectées. Presque toutes les auditions débutent avec la mention que la personne est entendue "à titre de renseignements en qualité de témoin" dans le cadre de l'enquête administrative..." ce qui ne correspond pas à l'exhortation prévue à l'article 34 lettre e LPA. De plus, il n'apparaît pas que ces personnes ont été déliées du secret de fonction. Enfin, M. S. n'a pas été invité à assister à ces auditions sans que l'un des motifs prévus par la loi ne soit rempli.

 

9. Le 21 juin 2002, une fois l'enquête administrative achevée, la secrétaire adjointe du département a fait signer à M. S. un document par lequel celui-ci renonçait à des auditions contradictoires ou à la réaudition de ces témoins. Il n'en demeure pas moins qu'une telle attestation, même si elle a été signée librement par M. S., comme celui-ci l'a déclaré lors de l'audience de comparution personnelle, ne saurait réparer a posteriori la violation du droit d'être entendu commise à son détriment.

10. a. Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel (120 Ib 379 consid. 3b p. 383; 119 Ia 136 consid. 2b p. 138 et les arrêts cités). La décision entreprise pour violation de ce droit est nulle, si, comme en l'espèce, l'autorité de recours ne jouit pas du même pouvoir d'examen des questions litigieuses que celle intimée, car l'autorité de recours ne peut alors substituer son pouvoir d'examen à celui de l'autorité de première instance (ATF 120 V 357 consid. 2b p. 363; 118 Ib 269 consid. 3a p. 275-276; 117 Ib 64 consid. 4 p. 87; 116 Ia 94 consid. 2 p. 96; 114 Ia 307 consid. 4a p. 314; en droit genevois: cf. art. 61 al. 2 LPA; P. MOOR, Droit administratif: les actes administratifs et leur contrôle, vol. II, Berne 1991, ch. 2.2.7.4 p. 190). Tel qu'il est garanti par l'article 29 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999, entrée en vigueur le 1er janvier 2000 (Cst féd. - RS - 101), le droit d'être entendu comprend en particulier le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 122 I 53 consid. 4a p. 55; 119 Ia 136 consid. 2d p. 139; 118 Ia 17 consid. 1c p. 19; 116 Ia 94 consid. 3b p. 99; 115 Ia 8 consid. 2b p. 11).

 

b. Le droit d'être entendu de M. S. a ainsi été violé et cette violation ne peut être réparée par devant le tribunal de céans, celui-ci ne disposant pas du même pouvoir d'examen que l'administration (art. 61 LPA).

 

c. Il en résulte que la procédure suivie par l'intimé n'a pas été régulière.

 

d. L'enquête administrative étant obligatoire dans le cadre du licenciement d'un fonctionnaire - alors que tel n'est pas le cas pour un employé - le respect du droit d'être entendu doit être scrupuleusement respecté.

 

C'est la raison pour laquelle la solution du présent arrêt diffère de celle adoptée précédemment (ATA D.S. du 10 décembre 2002).

 

11. En conséquence, le licenciement de M. S. est nul (ATA B. du 18 mai 1999).

 

L'intéressé fait ainsi toujours partie du personnel de l'administration cantonale.

 

12. Le recours sera donc admis.

 

13. Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument. Il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure, celle-ci n'ayant pas été requise (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 23 septembre 2002 par M. P. S. contre l'arrêté de licenciement pris par le Conseil d'Etat le 20 août 2002;

 

au fond :

 

l'admet;

 

constate la nullité du licenciement de M. S.;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt au Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs, mandataire du recourant, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : M. Thélin, président, M. Paychère, Mmes Bovy, Bonnefemme-Hurni, juges, M. Torello, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le président :

 

Marielle Tonossi Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme O. Oranci