Décisions | Assistance juridique
DAAJ/69/2025 du 02.06.2025 sur AJC/1141/2025 ( AJC ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE AC/81/2025 DAAJ/69/2025 COUR DE JUSTICE Assistance judiciaire DÉCISION DU LUNDI 2 JUIN 2025 |
Statuant sur le recours déposé par :
Madame A______, domiciliée ______, représentée par Me E______, avocate,
contre la décision du 10 mars 2025 de la vice-présidence du Tribunal civil.
A. a. Le 15 janvier 2025, A______ (ci-après : la recourante) a sollicité l'assistance juridique pour former une action devant le Tribunal des prud'hommes à l'encontre de son ancienne employeuse, C______.
A l'appui de sa requête, la recourante a expliqué avoir été employée par C______ de mars 2020 à fin juin 2023 afin de s'occuper des parents âgés de celle-ci, tous deux atteints de troubles psychiques importants. A partir du mois de juin 2020, elle s'était installée chez les parents de C______ et travaillait environ 59h par semaine pour un salaire mensuel de 1'350 fr. Elle a produit un courrier que le Syndicat D______ a adressé à C______ le 2 novembre 2023 réclamant le paiement de son salaire selon le Contrat-type de travail de l'économie domestique (CTT-Edom) et indiquant souhaiter trouver un arrangement à l'amiable, ainsi qu'un courrier du conseil de C______ du 29 février 2024 répondant qu'il allait se déterminer sur ses prétentions dans les plus brefs délais. Elle a fait valoir que ses conclusions chiffrées pouvaient être estimées à tout le moins à 199'404 fr.
b. Le 12 février 2025, le greffe de l'assistance juridique a indiqué à la recourante ne pas être en mesure d'évaluer les chances de succès, voir l'opportunité, de la procédure envisagée. Elle lui a fixé un délai au 4 mars 2025 pour produire une copie de la prise de position de C______ sur ses prétentions et pour indiquer quels moyens de preuves seraient proposés, notamment en ce qui concernait le nombre d'heures effectivement travaillées et les vacances non prises.
c. Par courrier du 3 mars 2025, la recourante a répondu que la prise de position de C______ ayant été formulée sous les réserves d'usage, elle ne pouvait malheureusement pas en fournir une copie. S'agissant des moyens de preuve, elle a indiqué vouloir faire témoigner l'infirmière Cristina, ainsi que son amie Sandra, qui avait travaillé pour la famille C______ en même temps qu'elle. Elle a ajouté avoir déposé une plainte pénale dans le cadre de laquelle elle avait formulé des réquisitions de preuves, tel que les séquestres du téléphone de C______ et des caméras de surveillance présentes dans l'appartement, éléments qui permettraient de démontrer les heures de travail qu'elle avait effectuées.
B. Par décision du 10 mars 2025, reçue par la recourante le 13 du même mois, la vice-présidence du Tribunal civil a rejeté la requête d'assistance juridique précitée, au motif que la recourante avait échoué dans le fardeau de la preuve quant à l'opportunité de déposer une action en justice.
La vice-présidence du Tribunal civil a considéré que la recourante était en droit de lui remettre une copie du courrier du conseil de C______, même si celui-ci avait été formulé sous les réserves d'usage, dès lors que le juge de l'assistance juridique n'était pas celui qui devait traiter du fond de l'affaire. En outre, le magistrat en charge de l'assistance juridique ainsi que les fonctionnaires/employés du greffe étaient soumis au secret de fonction et la partie adverse au fond n'était pas partie à la procédure d'assistance juridique. A défaut de connaître la prise de position de C______, il n'était pas possible de déterminer l'opportunité de déposer une action en justice, notamment eu égard à la valeur litigieuse résiduelle notamment. En effet, les chances de succès pourraient être appréciées différemment en fonction des points contestés par la partie adverse et les moyens de preuve à disposition, étant rappelé qu'en cas de procès aux prud'hommes, la partie qui obtient gain de cause ne perçoit pas de dépens, ce qui signifie que, quel que soit le résultat de la procédure, chaque partie garde ses frais d'avocat à sa charge, et que ceux-ci peuvent vite s'élever à d'importants montants, même au tarif avantageux de l'assistance juridique, surtout lorsqu'il faut auditionner de nombreux témoins pour tenter d'établir des faits difficilement prouvables. En outre, les frais judiciaires et d'avocat encourus sous le couvert de l'assistance juridique constituaient une dette que la recourante pourrait être amenée à rembourser dans l'éventualité où elle obtiendrait gain de cause, de sorte que ce qu'elle obtiendrait de son ancienne employeuse serait amputé de sa dette d'assistance juridique. Il s'agissait également d'un élément à prendre en compte dans l'opportunité d'agir en justice.
C. a. Recours est formé contre cette décision, par acte expédié le 21 mars 2025 à la présidence de la Cour de justice. La recourante conclut à son annulation et à être mise au bénéfice de l'assistance juridique avec effet au 14 janvier 2025. Subsidiairement, elle a conclu au renvoi de la cause au premier juge pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Elle a conclu à être exemptée des frais de procédure et à ce qu'une indemnité pour ses frais de défense lui soit octroyée pour le recours.
b. La vice-présidence du Tribunal civil a renoncé à formuler des observations.
1. 1.1. La décision entreprise est sujette à recours auprès de la présidence de la Cour de justice en tant qu'elle refuse l'assistance juridique (art. 121 CPC et art. 21 al. 3 LaCC), compétence expressément déléguée à la vice-présidente soussignée sur la base des art. 29 al. 5 LOJ et 10 al. 1 du Règlement de la Cour de justice (RSG E 2 05.47). Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours (art. 321 al. 1 CPC) dans un délai de dix jours (art. 321 al. 2 CPC et 11 RAJ).
1.2. En l'espèce, le recours est recevable pour avoir été interjeté dans le délai utile et en la forme écrite prescrite par la loi.
1.3. Lorsque la Cour est saisie d'un recours (art. 121 CPC), son pouvoir d'examen est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC, applicable par renvoi de l'art. 8 al. 3 RAJ). Il appartient en particulier au recourant de motiver en droit son recours et de démontrer l'arbitraire des faits retenus par l'instance inférieure (Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., n. 2513-2515).
2. À teneur de l'art. 326 al. 1 CPC, les conclusions et les allégations de faits nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'une procédure de recours, de sorte que tous les faits nouvellement articulés par la recourante pour la première fois devant la Cour sont irrecevables.
3. La recourante reproche au Tribunal d'avoir retenu un manque de collaboration à son égard alors que son conseil n'était pas en droit de communiquer un courrier marqué des réserves d'usage. Elle reproche également au premier juge de l'avoir privée de la possibilité de se faire représenter dans une procédure tendant à obtenir réparation contre les auteurs de son exploitation en tant que victime de traite, de ne pas avoir tenu compte, de manière arbitraire, du fait que la procédure pénale augmentait considérablement les chances de succès de la procédure civile et d'avoir violé son droit d'être entendue en statuant de manière peu compréhensible.
3.1 Reprenant l'art. 29 al. 3 Cst., l'art. 117 CPC prévoit que toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit à l'assistance judiciaire à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès.
Un procès est dépourvu de chances de succès lorsque les perspectives de le gagner sont notablement plus faibles que les risques de le perdre, et qu'elles ne peuvent donc être considérées comme sérieuses, de sorte qu'une personne raisonnable et de condition aisée renoncerait à s'y engager en raison des frais qu'elle s'exposerait à devoir supporter; en revanche, une demande ne doit pas être considérée comme dépourvue de toute chance de succès lorsque les perspectives de gain et les risques d'échec s'équilibrent à peu près ou lorsque les premières sont seulement un peu plus faibles que les seconds. Ce qui est déterminant est de savoir si une partie, qui disposerait des ressources financières nécessaires, se lancerait ou non dans le procès après une analyse raisonnable. Une partie ne doit pas pouvoir mener un procès qu'elle ne conduirait pas à ses frais, uniquement parce qu'il ne lui coûte rien (ATF 142 III 138 consid. 5.1 ; ATF 128 I 225 consid. 2.5.3).
L'absence de chances de succès peut résulter des faits ou du droit. L'assistance sera refusée s'il apparaît d'emblée que les faits pertinents allégués sont invraisemblables ou ne pourront pas être prouvés (arrêt du Tribunal fédéral 4A_614/2015 du 25 avril 2016 consid. 3.2).
Aux termes de l'art. 7 al. 1 RAJ, la personne requérante doit fournir les renseignements et pièces nécessaires à l'appréciation des mérites de sa cause et de sa situation personnelle.
3.2 En l'espèce, la recourante a fourni tous les documents et informations dont elle disposait au premier juge afin qu'il puisse statuer sur son indigence et les chances de succès de sa cause. Le conseil de la recourante a exclusivement refusé de communiquer le contenu de pourparlers transactionnels avec l'ex-employeuse de la recourante dès lors que ces derniers ont été formulés sous les réserves d'usage. Point n'est toutefois besoin d'examiner si la recourante était dans l'obligation de produire les courriers échangés entre les conseils sous les réserves d'usage, puisque le premier juge disposait des éléments nécessaires pour statuer sans ces courriers.
En effet, si, comme l'a relevé le premier juge, la position de la partie adverse est un élément à prendre en considération dans les chances de succès d'une procédure, on ne saurait toutefois prétériter la recourante dans l'examen de ces chances de succès parce qu'elle a entamé des pourparlers avec sa partie adverse. En effet, dans la quasi-totalité des demandes d'assistance juridique, la position de la partie adverse est ignorée, ce qui n'empêche pas le juge de statuer sur les chances de succès de la requête. Compte tenu de tous les éléments fournis par la recourante, le premier juge était en mesure de procéder à l'examen des chances de succès de la procédure envisagée. Cela étant, puisque la position de la partie adverse est ignorée, le premier juge pourra partir du principe, comme dans tous les cas où aucune transaction n'est en cours, ce qui est généralement le cas, que la partie adverse s'opposera à la demande.
La Cour ne dispose pas des éléments lui permettant de statuer sur le bien-fondé de la requête d'assistance judiciaire. La décision querellée ne comporte aucun fait permettant de statuer sur les conditions d'indigence et de chances de succès de la procédure envisagée et les explications données par l'intéressée à l'appui de son recours sont irrecevables.
La cause sera donc renvoyée à la vice-présidence du Tribunal civil afin d'examiner si la recourante réunit les conditions d'octroi de l'assistance juridique.
4. Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, il n'est pas perçu de frais judiciaires pour la procédure d'assistance juridique (art. 119 al. 6 CPC).
Compte tenu de l'issue du litige, l'État de Genève sera condamné à verser à la recourante 400 fr. à titre de dépens (ATF 140 III 501 consid. 4).
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PAR CES MOTIFS,
LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 21 mars 2025 par A______ contre la décision rendue le 10 mars 2025 par la vice-présidence du Tribunal civil dans la cause AC/81/2025.
Au fond :
Admet le recours et annule la décision entreprise.
Cela fait :
Renvoie la cause à la vice-présidence du Tribunal civil pour nouvelle décision.
Déboute A______ de toutes autres conclusions.
Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires pour le recours.
Condamne l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à verser la somme de 400 fr. à A______ à titre de dépens.
Notifie une copie de la présente décision à A______ en l'Étude de Me E______ (art. 137 CPC).
Siégeant :
Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, vice-présidente; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.