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Décisions | Chambre civile

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C/22866/2024

ACJC/1164/2025 du 29.08.2025 sur DTPI/5179/2025 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CPC.98; CPC.407f
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22866/2024 ACJC/1164/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 29 AOÛT 2025

Pour

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre une décision rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 17 avril 2025, représentée par Me Jean-Jacques MARTIN, avocat, EVIDENTIA AVOCATS, rue Jacques-Grosselin 8, 1227 Carouge (GE).

 


EN FAIT

A. Le 30 septembre 2024, A______ SA a déposé devant le Tribunal de première instance une requête de conciliation à l'encontre de [la compagnie d'assurance] B______.

Une autorisation de procéder a été délivrée le 23 janvier 2025 à la suite de l'échec de la tentative de conciliation et A______ SA a déposé devant le Tribunal une demande en paiement le 11 avril 2025.

B. Par décision du 17 avril 2025, le Tribunal a imparti à A______ SA un délai au 2 juin 2025 pour fournir une avance de frais de 40'000 fr., vu la valeur litigieuse de 1'132'473 fr.

C. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 2 mai 2025, A______ SA a formé recours contre cette décision. Elle a conclu, avec suite de frais, à ce qu'un délai de 30 jours dès le prononcé de l'arrêt de la Cour lui soit imparti pour fournir une avance de frais de 10'000 fr., subsidiairement de 20'000 fr.

Elle a soutenu que l'art. 98 CPC dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2025 était applicable, vu le dépôt de sa demande le 11 avril 2025.

b. Invité à se déterminer sur ce recours, le Tribunal a conclu à son rejet dans la mesure de sa recevabilité. Il a notamment soutenu que, la procédure ayant été initiée le 30 septembre 2024, l'art. 98 CPC dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2024 était applicable, cette disposition n'étant pas mentionnée à l'art. 407f CPC.

c. A______ SA s'est déterminée le 12 juin 2025, persistant dans ses explications et conclusions.

d. Le 13 juin 2025, la Cour a informé A______ SA que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours (art. 103 CPC: art. 319 let. b ch. 1 CPC). La décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC.

Interjeté dans le délai requis et selon la forme prévue par la loi (art. 321
al. 1 CPC), le recours est recevable.

2. Le recourant soutient que la procédure de conciliation s'est achevée et que la procédure devant le Tribunal, qui est une phase procédurale distincte, s'est ouverte en 2025, de sorte que l'art. 98 CPC dans sa teneur en vigueur à ce moment-là est applicable.

2.1
2.1.1 Selon l'art. 98 aCPC (en vigueur jusqu'au 31 décembre 2024), le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés alors que selon l'art. 98 nCPC (en vigueur dès le 1er janvier 2025), le tribunal ou l'autorité de conciliation peuvent exiger du demandeur une avance à concurrence de la moitié des frais judiciaires présumés.

L'art. 404 al. 1 CPC dispose que "les procédures en cours [rechtshängig; pendenti] à l'entrée en vigueur de la présente loi sont régies par l'ancien droit de procédure jusqu'à la clôture de l'instance". Selon l'art. 405 al. 1 CPC (dans sa teneur selon le ch. I de la modification du 17 mars 2023), "les voies de droit sont régies par le droit en vigueur au moment de la communication de la décision aux parties".

Selon l'art. 407f CPC, les dispositions mentionnées (ce qui n'est pas le cas de l'art. 98 CPC) s'appliquent également aux procédures en cours (rechtshängig, pendenti) à l'entrée en vigueur de la modification du 17 mars 2023, soit le 1er janvier 2025. A contrario, les autres dispositions, dont l'art. 98 CPC, ne s'appliquent pas aux procédures en cours à l'entrée en vigueur de la modification précitée (Willisegger, Basler Kommentar, 5ème éd., 2024, n. 16 ad
art. 407f CPC).

La question se pose de savoir ce qu'il faut entendre par "procédure en cours".

2.1.2 Selon l'art. 62 al. 1 CPC (Début de la litispendance, Beginn der Rechtshängigkeit, Inizio della pendenza della causa), l'instance est introduite par le dépôt de la requête de conciliation, de la demande ou de la requête en justice, ou de la requête commune en divorce. L'art. 202 al. 1 CPC prévoit par ailleurs que la procédure est introduite par la requête de conciliation.

Selon certains auteurs, une procédure est en cours dès qu'il y a litispendance, soit déjà lorsqu'elle en est au stade de la conciliation (Willisegger, op. cit., n. 13 ad art. 407f CPC; Tappy, Le droit transitoire applicable aux règles introduites par la novelle du 17 mars 2023, in CPC 2025, La révision du Code de procédure civile, 2024, n. 14 p. 223; Hofmann/Lüscher, Le Code de procédure civle, 3ème éd., 2023, p. 425).

Selon Grunho Pereira, Heinzmann et Bastons Bulletti en revanche, sur lesquels le recourant fonde son argumentation, cette conception doit être écartée car elle entraînerait une dérogation importante au principe général selon lequel les règles de procédure sont immédiatement applicables à leur entrée en vigueur. En prenant en compte la durée d'une procédure de première et de seconde instances, l'application des dispositions révisées serait retardée de plusieurs années (L'art. 407f nCPC : étrange disposition transitoire de la révision du CPC, Newsletter du CPC Online du 12 décembre 2024, n.16). Il conviendrait ainsi de découper la procédure en plusieurs étapes indépendantes, à savoir la procédure devant l'autorité de conciliation, celle devant le tribunal de première instance et enfin la seconde instance cantonale (n. 19). Ainsi, en cas de conciliation préalable, les opérations de procédure devant l'autorité de conciliation et la procédure de première instance peuvent ne pas être soumises au même droit de procédure, si la demande est déposée après le 1er janvier 2025, et ce même si l'autorisation de procéder a été délivrée en 2024 (n. 21). Par l'expression "procédure en cours", le législateur vise non pas la litispendance au sens de l'art. 62 CPC, mais bien chaque phase du procès, à savoir la procédure de conciliation, la première instance et la seconde instance cantonales, qui sont des phases procédurales distinctes. Chacune d'elles est considérée "en cours" à partir du moment où l'acte qui l'introduit (requête en conciliation, demande au fond ou appel/recours) est déposé et jusqu'à ce que l'acte final ait été rendu (autorisation de procéder, décision finale ou substitut de décision). Autrement dit, tout acte introductif de l'une de ces phases du procès, s'il est déposé à partir du 1er janvier 2025, provoque l'application du nouveau CPC (n. 23).

2.1.3 Cela étant, il convient de considérer ce qui suit.

Un principe veut certes que les règles de procédure sont immédiatement applicables. Le code de procédure civile a toutefois prévu quelques dispositions transitoires spéciales qui excluent que ledit principe s'applique de manière générale et absolue. Le législateur a en effet expressément prévu une liste de dispositions qui s'appliquent dès l'entrée en vigueur de la modification du 17 mars 2023, ce qui exclut ainsi, a contrario, que les autres dispositions qui ne sont pas mentionnées soient d'application immédiate. Il a ainsi accepté que ces dernières dispositions ne soient pas applicables aux procédures en cours, quand bien même celles-ci pouvaient se poursuivre plusieurs années après l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions du code de procédure civile.

Ensuite, les règles de droit transitoire prévoient une réglementation spécifique pour les voies de droit à l'art. 405 CPC (également applicables dans le cadre de la modification du 17 mars 2023, faute de quoi cette disposition n'aurait pas été modifié à cette occasion; cf. Tappy, op. cit., n. 7 p. 216), mais elles ne distinguent en revanche pas la phase de la conciliation et la procédure de première instance au fond. Les termes allemand et italien utilisés par le code de procédure civile permettent par ailleurs de considérer qu'une procédure est "en cours" (selon la terminologie française) dès le début de la litispendance, soit au moment du dépôt de la requête de conciliation. La distinction opérée par les auteurs cités par la recourante ne ressort pas du code de procédure civile. Admettre le découpage proposé reviendrait à considérer que l'instance est introduite au sens de
l'art. 62 CPC, avec les nombreuses conséquences procédurales qui en découlent (cf. art. 59 al. 2 let. d CPC ou 9 LDIP), mais qu'elle n'est pas "en cours", ce qui paraît difficile à concevoir. L'art. 202 al. 1 CPC dispose également que "la procédure" est introduite par la requête de conciliation, ce dont il convient de de déduire qu'elle est "en cours" dès ce moment. Enfin, la litispendance est une notion communément utilisée pour déterminer quand s'est noué le lien d'instance et par conséquent quand une procédure est en cours. Or, il serait dangereux pour la cohérence et l'unité du système procédural de définir de plusieurs manières différentes le moment à partir duquel une procédure est en cours.

Il convient dès lors de considérer, en définitive, que l'avis de doctrine sur lequel se fonde le recourant propose de scinder la procédure, en particulier celle de première instance, en plusieurs étapes, sans que ce découpage ne repose sur des concepts juridiques établis. Cet avis ne peut dès lors être suivi et il doit être considéré que la procédure est "en cours" au sens de l'art. 407f CPC dès le dépôt de la requête de conciliation.

2.2 En l'espèce, la requête de conciliation a été déposée le 30 septembre 2024. La procédure de première instance est dès lors soumise à l'ancien droit de procédure pour ce qui est des dispositions qui ne sont pas mentionnées à l'art. 407f CPC. Tel est le cas de l'art. 98 CPC qui s'applique donc dans sa teneur en vigueur avant le 1er janvier 2025.

Le recours n'est dès lors pas fondé en tant qu'il vise à ce que le Tribunal réclame, en application du nouveau droit de procédure en vigueur depuis le 1er janvier 2025, une avance de frais à concurrence de la moitié des frais judiciaires présumés seulement.

3. Le recourant soutient que les frais judiciaires présumés peuvent être estimés à 20'000 fr. sur la base de l'art. 17 du règlement fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010 (RTFMC - E 1 05.10). Le Tribunal a relevé que selon le "Tarif interne des demandes d'avances de frais pour le TPI", l'avance de frais était fixée à 40'000 fr. lorsque la valeur litigieuse était comprise entre 1'000 fr. et 2'000'000 fr.

3.1 Pour déterminer le montant des frais, il y a lieu de se référer au tarif des frais prévus par le droit cantonal (art. 96 CPC).

Selon l'art. 19 al. 3 LaCC, les émoluments forfaitaires sont calculés en fonction de la valeur litigieuse, s'il y a lieu, de l'ampleur et de la difficulté de la procédure et sont fixés dans un tarif établi par le Conseil d'Etat (art. 19 al. 6 LaCC), soit le règlement fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010.

La fixation de l'avance de frais doit correspondre en principe à l'entier des frais judiciaires présumables (art. 2 RTFMC), compte tenu notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause, de l'ampleur de la procédure et de l'importance du travail qu'elle impliquera, par anticipation sur la décision fixant l'émolument forfaitaire arrêté en fin de procédure (art. 5 RTFMC).

L'art. 17 RTFMC prévoit un émolument forfaitaire de décision de 20'000 fr. à 100'000 fr. pour une demande en paiement dont la valeur litigieuse porte sur un montant entre 1'000'001 fr. et 10'000'000 fr.

3.2 En l'espèce, le recourant ne soutient pas, à juste titre, que le montant de l'avance qui lui est réclamée excéderait celui qu'autorise le Règlement applicable. Le fait que l'avance fixée corresponde au tarif interne du Tribunal n'est certes pas à lui seul déterminant, celui-ci n'étant qu'un outil d'aide à la décision. Le recourant se limite cependant à affirmer, sans autre explication sur la nature du litige et les questions de fait ou de droit que celui-ci soulève, qu'il ne présente pas de complexité particulière, ce qui n'est pas suffisant pour considérer que le montant de l'avance aurait dû être fixé dans le bas de la fourchette prévue, comme le réclame le recourant. Il ne peut dès lors être retenu que le Tribunal a mésusé de son pouvoir d'appréciation en fixant une avance de frais de 40'000 fr.

Au vu de ce qui précède, aucun motif ne commande de réduire le montant de l'avance de frais réclamée par le Tribunal.

4. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais du recours (art. 106
al. 1 CPC).

Les frais judiciaires seront arrêtés à 400 fr. et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ SA contre la décision DTPI/5179/2025 rendue le 17 avril 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22866/2024.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 400 fr., les met à la charge de A______ SA et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.