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Décisions | Chambre civile

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C/24371/2023

ACJC/1015/2025 du 22.07.2025 sur ORTPI/358/2025 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24371/2023 ACJC/1015/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 22 JUILLET 2025

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, recourante contre une ordonnance rendue par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 mars 2025, représenté par Me Pierre OCHSNER, avocat, OA Legal SA, place de Longemalle 1, 1204 Genève,

et

Madame B______, domiciliée ______, intimée, représentée par Me Daniel F. SCHUTZ, avocat, Cours des Bastions 5, 1205 Genève.

 


EN FAIT

A. a. Par jugement JTPI/12535/2022 du 20 octobre 2022, confirmé par arrêt de la Cour de justice ACJC/1139/2023 du 14 septembre 2023, le Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal) a, notamment, dissous par le divorce le mariage contracté le ______ 1990 à C______ (Nicaragua) par A______, né le ______ 1961 à Genève (GE), originaire de D______ (AG) et B______, née [B______] le ______ 1968 à E______ (Nicaragua), originaire de D______ (AG) (chiffre 1 du dispositif), attribué la garde de F______ à B______ (ch. 3), condamné A______ à verser à B______, par mois et d'avance, allocations familiales ou d'études non comprises, à titre de contribution à l'entretien de F______, 750 fr. jusqu'au 30 novembre 2024, 750 fr. du 1er décembre 2024 au 31 juillet 2025, puis 950 fr. dès le 1er août 2025, en cas de formation professionnelle ou d'études sérieuses et régulières (ch. 8), condamné A______ à verser à B______, par mois et d'avance, à titre de contribution post-divorce, la somme de 3'389 fr. jusqu'au 31 mars 2026 (ch. 14).

b. Le 15 novembre 2023, A______ a saisi le Tribunal d'une demande en modification du jugement de divorce, assortie d'une requête de mesures provisionnelles. Il a conclu, sur mesures provisionnelles, à la suspension des contributions d'entretien en faveur de B______ et de F______, et, sur le fond, à la suppression desdites contributions et, en conséquence, à la modification des chiffres 8 et 14 du jugement de divorce du 20 octobre 2022.

c. Par ordonnance du 12 décembre 2023, le Tribunal a imparti un délai au 15 janvier 2024 à B______ pour déposer sa réponse écrite, délai prolongé au 8 février 2024.

Par mémoire réponse du 8 février 2024, B______ a conclu au déboutement de A______ sur mesures provisionnelles et sur le fond.

d. Le 26 février 2024, le Tribunal a tenu une audience de conciliation sur le fond et de comparution personnelle des parties sur mesures provisionnelles. A______ a déposé une réplique et les parties ont été entendues.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a dit qu'il rendrait une ordonnance sur la recevabilité de la réplique et les offres de preuve.

e. Par ordonnance du 30 mai 2024, le Tribunal a imparti un délai de 30 jours à B______ pour dupliquer et réservé l'offre de preuve de celle-ci. Le délai a été prolongé au 12 juillet 2024 à la requête de la précitée.

Par duplique du 12 juillet 2024, B______ a persisté dans ses conclusions.

f. Les parties ont été citées à comparaître à une audience devant se tenir le 11 novembre 2024, par courrier du 21 août 2024.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a ordonné l'ouverture des débats principaux. Les parties ont renoncé à plaider.

Par ordonnance rendue sur le siège, le Tribunal a notamment imparti un délai à B______ pour fournir l'adresse des témoins dont il a ordonné l'audition. Il a ensuite procédé à l'audition des parties et réservé la suite de la procédure.

Le 11 décembre 2024, B______ a fait parvenir au Tribunal le nom et l'adresse des témoins dont elle sollicitait l'audition.

g. Par courrier du 11 février 2025, le conseil de A______ a prié le Tribunal de bien vouloir statuer sur mesures provisionnelles.

h. Par ordonnance du 17 mars 2025, le Tribunal a ordonné l'audition des témoins G______ et H______, dit que la convocation suivrait et réservé l'admission éventuelle d'autres moyens de preuve à un stade ultérieur de la procédure.

i. Par courrier du 28 mars 2025, le Tribunal a convoqué les parties à une audience d'enquêtes devant se tenir le 7 mai 2025. A la requête de B______, l'audience a été annulée et reportée au 2 juin 2025, avant d'être à nouveau annulée, toujours à la requête de la précitée. Une nouvelle audience n'a à ce jour par été fixée.

B. a. Par acte expédié le 28 mars 2025 à la Cour, A______ a formé recours contre l'ordonnance du 17 mars 2025, concluant à son annulation, au constat d'un retard injustifié et d'un déni de justice, sous suite de frais et dépens.

Il fait valoir en substance que sa partie adverse aurait tardivement sollicité l'audition des témoins mentionnés dans l'ordonnance querellée, et que le Tribunal aurait versé dans l'arbitraire en ordonnant ces auditions. Il reproche par ailleurs au premier juge de n'avoir pas statué sur les mesures provisionnelles requises en novembre 2023.

b. Par réponse du 19 mai 2025, B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Elle soutient que A______ ne subit aucun préjudice irréparable, l'allongement de la procédure et les contraintes financières étant sans pertinence à cet égard. Elle conteste également que le Tribunal ait tardé dans la conduite de la procédure de manière injustifiée.

c. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 22 mai 2025 de ce que la cause était gardée à juger, A______ ayant renoncé à répliquer.


 

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, in CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats. Elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps (Jeandin, op. cit., n. 14 ad art. 319 CPC).

En l'espèce, l'ordonnance entreprise est une ordonnance d'instruction, relevant de l'administration des preuves, au sens de l'art. 319 let. b CPC.

1.2 Cette ordonnance peut faire l'objet d'un recours dans les dix jours à compter de sa notification (art. 321 al. 1 et 2 CPC), délai qui a été respecté en l'espèce.

1.3 Il reste à déterminer si la décision querellée est susceptible de causer à la recourante un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC (cf. infra consid. 2), les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées (cf. Jeandin, op. cit., n. 18 ad art. 319 CPC).

1.4 Le recours pour retard injustifié peut être formé en tout temps (art. 321 al. 4 CPC).

En l'espèce, le recours est recevable en ce que le recourant se plaint d'un retard injustifié, respectivement d'un déni de justice, du Tribunal à statuer sur mesures provisionnelles.

2. Le recourant soutient que l'audition des témoins ordonnée à tort par le premier juge prolongerait la procédure, ce qui lui causerait un préjudice difficilement réparable. Continuer de payer les contributions fixées par le jugement de divorce le mettrait dans le dénuement, ses revenus ayant substantiellement baissé depuis qu'il a pris une retraite anticipée en octobre 2023.

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2.2.1; ACJC/1311/2015 du 30 octobre 2015 consid. 1.1; ACJC/351/2014 du 14 mars 2014 consid. 2.3.1).

En résumé, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 En l'espèce, le recourant ne démontre pas que l'ordonnance entreprise lui cause un préjudice difficilement réparable. En effet, même s'il devait persister à considérer que l'audition de témoins n'aurait pas dû être ordonnée par le Tribunal, il pourra diriger son grief contre la décision finale par la voie de l'appel. L'instance d'appel aura la possibilité d'écarter les déclarations des témoins et de statuer à nouveau sans en tenir compte. Ainsi, le recourant conserve ses moyens dans le cadre de l'appel contre le jugement au fond. Conformément aux principes rappelés supra, la seule prolongation de la procédure ne cause pas de dommage difficilement réparable au recourant. S'agissant du dénuement dans lequel le recourant serait plongé, outre que celui-ci n'est pas établi, il est constant que des problèmes financiers ne sont pas constitutifs d'un préjudice difficilement réparable. En effet, celui allégué serait réparé si le recourant obtenait gain de cause à l'issue de la procédure. Il ne prétend pas en effet qu'il ne pourrait pas récupérer des montants éventuellement versés à tort.

Il suit de là que le recours est irrecevable, en ce qu'il vise l'audition de témoins.

3. Le recourant se plaint d'un retard injustifié, respectivement d'un déni de justice, au motif qu'il a déposé une requête en modification du jugement de divorce, assortie de mesures provisionnelles, le 14 novembre 2023, et qu'à ce jour aucune décision n'a été rendue.

3.1.1 Il y a déni de justice [formel] lorsqu'une autorité refuse expressément de rendre une décision bien qu'elle y soit tenue (ATF 135 I 6 consid. 2.1; 124 V 130 consid. 4). Il y a, en revanche, retard injustifié à statuer lorsque l'autorité compétente ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable. Ce qui doit être considéré comme une durée raisonnable s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard en particulier à la complexité et l'urgence de l'affaire, au comportement des autorités et des parties, ainsi qu'à l'enjeu du litige pour l'intéressé (ATF 135 I 265 consid. 4.4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_670/2016 du 13 février 2017 consid. 3.1; 5A_684/2013 du 1er avril 2014 consid. 6.2).

3.1.2 La procédure sommaire s'applique aux mesures provisionnelles (art. 248 let. d CPC).

Lorsque la requête ne parait pas manifestement irrecevable ou infondée, le tribunal donne à la partie adverse l'occasion de se déterminer oralement ou par écrit (art. 253 CPC).

Dans les causes soumises à la procédure sommaire au sens propre, les faits doivent être rendus simplement vraisemblables, le juge examine sommairement le bien-fondé juridique de la prétention et il rend une décision provisoire, ne réglant donc pas définitivement la situation juridique des parties et ne revêtant pas l'autorité de la chose jugée (ATF 138 III 636).

3.2 En l'espèce, saisi d'une requête de mesures provisionnelles en novembre 2023, le Tribunal a fixé un délai à l'intimée pour se déterminer par écrit. Il a ensuite également fixé une audience de comparution personnelle des parties "sur mesures provisionnelles", ce dont il aurait pu se dispenser, l'intimée s'étant déjà exprimée par écrit. Il ne ressort pas du procès-verbal de cette audience, tenue en février 2024, que les parties aient plaidé sur mesures provisionnelles. Au contraire, à l'issue de l'audience, le Tribunal a réservé sa décision sur une question de procédure, relevant pour partie de la procédure au fond. Trois mois plus tard, il a imparti un délai de 30 jours à l'intimée, qu'il a ensuite prolongé, pour permettre une nouvelle fois à celle-ci de se prononcer par écrit, avant de fixer à nouveau une audience, six mois plus tard, soit en novembre 2024, sur le fond mais également de "comparution personnelle sur mesures provisionnelles". Il ne ressort pas non plus du procès-verbal de cette audience que les parties auraient plaidé sur mesures provisionnelles. Quatre mois plus tard, en mars 2025, le Tribunal a rendu l'ordonnance querellée, dans le cadre de la procédure au fond, sans statuer sur les mesures provisionnelles.

Il est ainsi manifeste que le Tribunal a commis un retard injustifié en prolongeant sans nécessité la procédure de mesures provisionnelles, pourtant sommaire, et en ne rendant pas de décision. Il sera donc invité à statuer sans délai sur les mesures provisionnelles requises par le recourant en novembre 2023.

4. Les frais judiciaires du recours, arrêtés à 1'000 fr., seront mis pour moitié à charge du recourant, compte tenu de l'issue de la procédure, et laissés à la charge du canton pour moitié (art. 106 et 107 al. 2 CPC ).

Le recourant sera condamné à verser à l'intimée des dépens de recours de 500 fr., au vu du travail fourni par l'avocat et du peu de complexité de la cause (art. 23 LaCC).

Aucun dépens ne peut être mis à la charge du canton (ATF 140 III 385 consid. 4.1).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 28 mars 2025 par A______ contre l'ordonnance ORTPI/358/2025 rendue le 17 mars 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24371/2023.

Déclare recevable le recours formé par A______ pour retard injustifié.

Au fond :

L'admet.

Invite le Tribunal à statuer sans délai sur les mesures provisionnelles requises le 15 novembre 2023 par A______.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ à raison de la moitié, et à la charge du canton pour l'autre moitié.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ le solde de son avance en 500 fr.

Condamne A______ à verser à B______ la somme de 500 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL; président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.


 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.