Décisions | Chambre civile
ACJC/792/2025 du 13.06.2025 ( IUS ) , REJETE
république et | canton de genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE C/13402/2025 ACJC/792/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU VENDREDI 13 JUIN 2025 |
Entre
A______ SA, sise ______ [GE], requérante suivant requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles, représentée par Me Antoine BOESCH, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale , 1211 Genève 4;
et
B______ AG, sise ______ [ZG], citée, en personne.
Attendu, EN FAIT, que, par acte déposé à la Cour de justice le 10 juin 2025, A______ SA a formé une requête de mesures superprovionnelles et provisionnelles à l'encontre de B______ AG, par laquelle elle conclut, sur mesures superprovisionnelles, soit avant audition des parties, puis à nouveau sur mesures provisionnelles :
"1. de faire interdiction à B______ AG, y compris par tous bureaux, agences et représentations au Pérou, en Equador ou ailleurs dans le monde, d'acquérir ou prendre livraison sous quelque forme que ce soit de la part de C______ SA sise en Equador à D______ ou de toutes filiales, affiliées, agences, représentations ou bureaux en dépendant, de rejets ou résidus ("tailings"), ou concentrés d'or ("gold concentrates" ou "concentrados de oro") issus de ces rejets ou résidus, issus du site de C______ SA à E______ en Equador, faisant l'objet du contrat daté du 9 novembre 2023 entre C______ SA et A______ SA produit en pièce 5, cela sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP.
2. En cas de violation des mesures prononcées, condamner B______ AG à verser à A______ SA un montant de CHF 1'000.- par tonne de matériau acquis ou reçu par B______ AG en violation desdites mesures.
3. Dispenser A______ SA de fournir des sûretés.
4. Sur mesures provisionnelles après audition des parties, fixer à A______ SA un délai de 90 jours pour agir au fond en validation des mesures prononcées.
5. Condamner B______ AG en tous les frais et dépens, y compris une équitable indemnité valant participation aux honoraires de son conseil, Me Antoine BOESCH.
6. Débouter B______ AG de toutes autres conclusions."
Qu'il ressort des faits exposés que A______ SA et C______ SA ont signé un contrat dénommé "BUYER'S CONTRACT P_SARMC_CT00028" le 9 novembre 2023 portant sur l'acquisition par A______, à titre exclusif, des résidus de minerai d'or issus de l'exploitation de C______ SA à E______;
Qu'aux termes de l'art. 3 de ce contrat, l'acquéreur avait le droit exclusif de prendre livraison de 100% du matériau "pendant la durée de vie du projet" avec un minimum de 24'000 DMT (dry metric ton) à livrer par le vendeur à l'acquéreur entre novembre 2023 et mars 2025. Après mars 2025, l'acquéreur avait l'option, à sa seule discrétion, de prendre livraison de 100% de la production pour le "restant de la durée de vie du projet" jusqu'à l'épuisement complet de la ressource de "tailings";
Que A______ SA soutient que le contrat ne prévoit aucune clause relative à sa dénonciation ou résiliation avant terme, soit avant livraison par C______ SA de la quantité minimum de matériau prévue de 24'000 tonnes;
Qu'elle relève que les arts. 21 et 22 dudit contrat prévoient une élection de for en faveur du droit anglais et une clause d'arbitrage avec siège à Londres, selon les règles de la London Court of International Arbitration;
Que A______ SA expose encore avoir fait un prêt de USD 500'000 à C______ SA afin de lui permettre de développer son installation sur son site minier;
Qu'elle précise que jusqu'en février 2025, C______ SA lui a livré 3'717.29 tonnes de matériau, pour lesquelles elle a payé un prix total de USD 3'319'634.67;
Qu'elle indique avoir employé à son service F______, lequel a déménagé dans leur nouveau bureau à G______ au Pérou le 31 juillet 2024 et a conclu avec A______ LATAM SRL un nouveau contrat de travail à cette date, lequel contient une clause de confidentialité et de non concurrence;
Que l'art. 13 du contrat de travail que ce dernier avait précédemment signé avec A______ SA prévoyait que pendant son engagement et pour une durée de trois mois suivant la fin des rapports de travail, celui-ci s'engageait à ne pas, directement ou indirectement, que ce soit comme propriétaire, associé, employé, ayant-droit, agent, consultant, administrateur, organe ou à quelque titre que ce soit, s'engager, s'associer ou s'affilier avec une quelconque affaire ou activité impliquant l'acquisition ou la fourniture de métaux industriels;
Que cet employé a quitté A______ LATAM SRL à la fin de l'année 2024;
Que A______ SA allègue qu'il "s'est immédiatement rapproché de, et mis à collaborer avec, la société zougoise B______ AG", elle-même active dans le négoce de matières premières;
Qu'elle allègue également que C______ SA aurait commencé à effectuer des livraisons successives du matériau litigieux (concentrado de oro) dès le 11 mars 2025 à B______ AG, ce qu'elle déduit de la consultation du site "H______" qu'elle produit, et a cessé toutes livraisons à A______ SA;
Que le 14 avril 2025, C______ SA a écrit à A______ SA que le contrat signé entre elles avait pris fin le 31 mars 2025 et qu'il n'y avait plus d'obligations en cours de la part de C______ SA, précisant que A______ SA n'avait pas payé les produits livrés, représentant une somme d'environ USD 65'000;
Que A______ SA soutient que la fin des rapports contractuels est fondée sur des "prétextes fallacieux";
Qu'en se référant au site "H______", elle estime que C______ SA a effectué diverses livraisons du matériau litigieux à B______ AG les 11 et 21 mars 2025, 14 et 30 avril 2025 et 20 mai 2025 et que "selon toute vraisemblance" C______ SA poursuit à ce jour des livraisons à B______ AG, alors que ce matériau (en quantité limitée) lui était réservé en exclusivité jusqu'à concurrence de 24'000 tonnes;
Qu'elle estime qu'il est impossible que B______ AG ait pu obtenir le matériau litigieux autrement que par l'intervention de F______, lequel aurait convaincu C______ SA de "détourner" le matériau de A______ SA vers B______ AG, en violation du contrat que celle-ci avait conclu avec elle et que son ex-employé connaissait bien;
Que le 11 avril 2025, elle a mis en demeure F______ de cesser toute action susceptible de contribuer d'une manière ou d'une autre à la violation continue du contrat conclu par C______ SA et elle-même;
Que le 24 avril 2025, A______ SA a notamment exigé de C______ SA qu'elle cesse toute transaction avec des tiers concernant le matériau litigieux;
Qu'elle a également adressé un courrier le 30 avril 2025 à B______ AG exigeant qu'elle cesse la prise de livraison du matériau litigieux, dès lors que cette livraison était effectuée en violation du contrat qu'elle avait conclu avec C______ SA et en violation par F______ de ses obligations légales et contractuelles envers son ancien employeur;
Que, selon elle, B______ AG devait être en possession d'une copie du contrat qu'elle avait signé avec C______ SA;
Que B______ SA a répondu par le biais de son conseil anglais, en substance, qu'aucune relation contractuelle ne la liait à A______ SA et que le conseil de celle-ci n'identifiait aucune obligation légale non-contractuelle spécifique due par B______ AG à A______ SA, qui aurait été violée;
Qu'à l'appui de sa requête de mesures superprovisionnelles, A______ SA fait valoir en préambule qu'elle a été et continue d'être la victime d'actes de concurrence déloyale de la part de B______ AG, de C______ SA et de F______, et qu'elle se réserve d'agir contre ces trois entités et personne, tout en ne sollicitant des conclusions que contre la première sur superprovisionnelles et sur provisionnelles;
Qu'elle soutient que B______ AG a pris une nouvelle livraison de matériau le 20 mai 2025 après la mise en demeure qui lui a été adressée le 30 avril 2025, de sorte que celle-ci a clairement manifesté son intention de passer outre et de poursuivre ses agissements en violation des droits de A______ SA et de la LCD;
Que ces agissements occasionnent à A______ SA un dommage très important (estimé sans préjudice à ce stade à environ USD 7'000'000 pour ce qui est de la quantité de matériau que C______ SA devait livrer à A______ SA selon le contrat), dont A______ SA ne pourra que très difficilement (voire pas du tout) obtenir la réparation autrement, puisqu'il sera au mieux aléatoire d'obtenir l'exécution d'une sentence arbitrale contre C______ SA en Equador;
Que ces circonstances justifient le prononcé de mesures urgentes au sens de l'art. 265 CPC;
Considérant, EN DROIT, que la Cour de céans est compétente à raison de la matière (art. 5 al. 1 lit. a et d et al. 2 CPC; art. 120 al. 1 lit. a LOJ) et de la valeur litigieuse (art. 5 al. 1 lit. d CPC) pour connaître des conclusions formulées à titre superprovisionnel par la requérante;
Que le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être, et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC);
Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite;
Qu'en cas d'urgence particulière, notamment s'il y a risque d'entrave à leur exécution, le juge peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre les parties (art. 265 al. 1 CPC);
Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss; spéc. 6961, BOHNET, Commentaire romand, N 3 ss ad art. 261 CPC);
Qu'est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement; en principe, un préjudice financier n'est pas difficilement réparable (JdT 2016 III 188; JdT 2013 III 131); selon la pratique, cela peut toutefois être le cas lorsque le demandeur ne peut pas aisément recouvrer son éventuelle créance à l'issue du procès principal, notamment si la solvabilité de l'intimé apparaît douteuse (SPRECHER, Basler Kommentar ZPO, n. 28b et 34 ad art. 261 CPC; HUBER, Kommentar ZPO, n. 20 ad art. 261 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1);
Que le juge doit procéder à la pesée des intérêts en présence, c'est-à-dire à l'appréciation des désavantages respectifs pour chacune des parties selon que la mesure requise est ou non ordonnée (HOHL, Procédure civile I, n° 1780);
Que la mesure ordonnée doit être proportionnée au risque d'atteinte (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1);
Que celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé peut notamment demander au juge de l'interdire si elle est imminente ou de la faire cesser si elle est dure encore (art. 9 al. 1 let. a et b LCD);
Qu'en l'espèce, la requérante ne rend pas vraisemblable qu'il existe une urgence particulière justifiant le prononcé des mesures qu'elle requiert avant audition des parties citées;
Qu'elle semble majoritairement reprocher à C______ SA une violation de ses obligations contractuelles envers elle, ce pour quoi une clause arbitrale a été convenue entre les parties dans le contrat qu'elles ont signé, désignant le High Court of London comme arbitre et le droit anglais come applicable;
Qu'elle formule également des griefs à l'encontre de son ex-employé, lequel aurait commis des actes de concurrence déloyale à son encontre, au profit de B______ AG, qu'elle assigne dans la présente procédure;
Qu'il ne ressort cependant pas, à ce stade de la procédure et pour autant que cela soit pertinent, que F______ aurait travaillé de manière certaine pour B______ AG ou lui aurait communiqué des informations confidentielles, la requérante dans son courrier à lui adressé le 11 avril 2025 ayant elle-même précisé : "j'ai cru comprendre que vous avez ensuite travaillé, alors que vous étiez toujours basé au Pérou, pour B______ AG", émettant un doute à ce sujet;
Que l'acte de concurrence déloyale invoqué n'est, prima facie et sans préjudice du fond, pas évident;
Que, quoi qu'il en soit, la requérante ne rend pas vraisemblable qu'elle détient encore des droits de livraison du matériau litigieux, le contrat qui la liait à C______ SA ayant été résilié pour le 31 mars 2025;
Que par ailleurs, elle ne rend pas vraisemblable qu'une livraison, qu'elle serait en droit de voir interdire, serait sur le point d'être effectuée;
Qu'en conséquence, le prononcé de mesures superprovisionnelles, sans devoir attendre la détermination de sa partie adverse, ne se justifie pas;
Que le principe de proportionnalité commande dès lors le rejet de la requête de mesures superprovisionnelles;
Qu'un délai de dix jours dès la notification de la présente ordonnance sera imparti à la citée pour répondre à la requête de mesures provisionnelles (art. 265 al. 2 CPC);
Qu'il sera statué sur les frais judiciaires relatifs à la présente décision avec l'arrêt au fond (art. 104 al. 3 CPC).
* * * * *
La Chambre civile :
Statuant sur mesures superprovisionnelles :
Rejette la requête de mesures superprovisionnelles formée par A______ SA à l'encontre de B______ AG le 10 juin 2025.
Dit qu'il sera statué sur les frais liés à la présente décision dans l'ordonnance rendue sur mesures provisionnelles.
Statuant préparatoirement sur mesures provisionnelles :
Transmet la requête de mesures provisionnelles du 10 juin 2025 et le chargé de pièces l'accompagnant à B______ AG.
Impartit à B______ AG un délai de dix jours dès notification de la présente ordonnance pour répondre par écrit à la requête de mesures provisionnelles formée par A______ SA.
Réserve la suite de la procédure.
Siégeant :
Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Camille LESTEVEN, greffière.
S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3).