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Décisions | Chambre civile

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C/14488/2025

ACJC/846/2025 du 23.06.2025 ( IUS ) , REJETE

Normes : CPC.261; CPC.265; CC.28; LCD.3.al1.leta; LCD.3.al1.letb
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14488/2025 ACJC/846/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 23 JUIN 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], requérante sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, représentée par Me Olivier CRAMER, avocat, Cramer Avocats,
place du Bourg-de-Four 24, case postale 3171, 1211 Genève 3,

et

B______ CORP, sise ______, États-Unis, citée sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, représentée par Me Clarence PETER, avocat, Kellerhals Carrard Genève SNC, rue François-Bellot 6, 1206 Genève.

 


Attendu, EN FAIT, que par requête formée devant la Cour de justice le 20 juin 2025, A______ SA a conclu, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles;

-     à ce qu'il soit ordonné à B______ CORP. de procéder au retrait immédiat de l'intégralité de l'article du 11 juin 2025 intitulé "B______ demands $17.5M from A______ over 33,000 ton soybean meal deal, threatens $52M theft lawsuit" du site internet C______;

-     à ce qu'il soit fait interdiction à B______ CORP. de procéder à toute communication publique par laquelle il serait affirmé expressément ou implicitement que la société A______ SA se serait rendue coupable ou serait responsable de vol et à toute autre imputation attentatoire à l'honneur et à la réputation de A______ SA et

-     à ce qu'il soit fait interdiction à B______ CORP. de toute communication publique de nature à dénigrer ou à attenter à la réputation, au crédit ou à l'honneur de A______ SA;

-     le tout sous la menace de la peine de l'art. 292 CP et avec suite de frais;

Que A______ SA a allégué ce qui suit :

Qu'elle est active dans le trading de matières premières, en particulier les céréales, les légumineuses et les huiles;

Qu'en août 2023, une de ses relations d'affaires, la société iranienne D______ avait manifesté son intérêt pour l'acquisition de 31'000 tonnes métriques (MT) de farine de soja grillé; que dans le cadre de cette affaire, A______ SA et B______ CORP. avaient été mises en relation par un courtier et avaient conclu le 5 septembre 2023 un contrat dans le cadre duquel, même si la société iranienne était l'acquéreur final de la marchandise, A______ SA acquérait auprès de B______ CORP. 31'000 MT de farine de soja au prix de 528 USD/MT; qu'ainsi, B______ CORP. avait adressé une facture à A______ SA le 19 septembre 2023 d'un montant de 17'533'356 USD;

Que A______ SA avait pour sa part conclu avec D______ un contrat portant sur la vente par la première à la seconde de 31'000 MT de farine de soja, marchandise que cette dernière avait réceptionné le 12 février 2024;

Qu'il avait été convenu que B______ CORP. serait payée par A______ SA lorsque cette dernière aurait été payée par D______; que cette dernière n'avait cependant pas payé A______ SA et que des discussions s'en étaient suivies aux termes desquelles il avait été convenu que A______ SA cédait à B______ CORP. sa créance à l'encontre de D______ (Assignement letter du 15 avril 2024);

Que A______ SA n'avait plus eu de nouvelles par la suite quant au paiement, jusqu'au 10 août 2024 lorsqu'elle avait reçu, par l'intermédiaire d'une étude d'avocat E______, une mise en demeure de payer une somme de 19'070'912 USD à B______ CORP., correspondant au montant de la facture du 19 septembre 2023, auxquels s'ajoutaient divers montants; qu'elle avait manifesté son opposition le 15 août 2024; que bien que qu'elle ait manifesté sa volonté de régler la question à l'amiable, B______ CORP avait requis une poursuite contre elle (poursuite n° 1______) d'un montant de 15'001'013 fr. avec intérêts à 12% dès le 19 septembre 2023, se fondant sur le contrat du 5 septembre 2023, poursuite à laquelle elle avait formé opposition; que B______ CORP. avait par ailleurs introduit une demande arbitrale à son encontre le 4 septembre 2024, sur la base du contrat conclu entre elles;

Que A______ SA avait entamé des négociations avec D______ afin que cette dernière s'acquitte de ses obligations envers B______ CORP.; que dans ce cadre, il avait été convenu que D______ paie la marchandise à A______ SA, qui s'est engagée à l'égard de B______ CORP. le 1er novembre 2024 à lui payer 17'533'356 USD dans un délai de 60 jours et les intérêts dans un délai de 90 jours; que D______ n'avait pas respecté ses engagements de paiement envers A______ SA qui n'avait dès lors elle-même pas pu respecter les siens envers B______ CORP.; qu'un avenant à l'accord du 1er novembre 2024 avait donc été conclu afin de prolonger les délais de paiement au 15 janvier 2025, respectivement au 31 janvier 2025;

Que D______ s'était finalement acquittée du prix d'achat, mais pas des intérêts, en plusieurs versements, le dernier le 22 mai 2025; que des discussions s'étaient ensuite tenues entre A______ SA et B______ CORP. à la fin du mois de mai 2025 sur la manière dont la première devait s'acquitter du montant convenu; que A______ SA avait par ailleurs donné des ordres de paiement, lesquels n'avaient toutefois pas été exécutés pour des raisons de compliance;

Que contre toute attente, le 11 juin 2025, B______ CORP. avait fait publier, respectivement sollicité la publication d'un "article" sur le site internet C______, lequel ne serait pas un média d'information transparent et impartial mais un site propageant des "pink slime"; que cet article, dont le titre était "B______ demands $17.5M from A______ over 33,000 ton soybean meal deal, threatens $52M theft lawsuit" exposait les faits de manière tronquée et donc inexacte et trompeuse; que A______ SA est notamment accusée de "vol", qu'elle pourrait être redevable de ce fait d'une somme de 52'000'000 USD et qu'une action pourrait être introduite en E______ [États-Unis] et qu'elle aurait sciemment et volontairement retenu des fonds et privé B______ CORP. de ceux-ci; que l'article comportait des liens à certains documents originaux liés à la transaction entre les parties;

Que des conséquences de cet article s'étaient déjà produites puisqu'une banque qui devait effectuer des paiements en faveur de A______ SA avait bloqué ceux-ci, requérant des informations supplémentaires qui avaient nécessairement trait au contenu de l'article; que l'un de ses prêteurs avait refusé d'exécuter sa prestation portant sur 20'000'000 USD en sa faveur en invoquant l'article du 11 juin 2025; que plusieurs banques et contreparties lui avaient demandé des explications; qu'elle risquait de subir un préjudice de plusieurs millions de dollars américains si rien n'était fait;

Que A______ SA avait demandé le 16 juin 2025 à B______ CORP. de retirer cet article, ce que cette dernière avait refusé le lendemain;

Que la publication par B______ CORP. de l'article du 11 juin 2025 contrevenait aux art. 2 et 3 al. 1 let. a et b LCD dans la mesure où elle dénigrait ses prestations et lui causait une atteinte dans sa clientèle; qu'elle subissait également une atteinte à sa personnalité selon l'art. 28 CC; que son préjudice était difficilement réparable dans la mesure où l'article nuisait gravement à sa réputation; que des mesures superprovisionnelles devaient être ordonnées dans la mesure où son préjudice difficilement réparable allait s'aggraver jusqu'à ce que la Cour statue sur mesures provisionnelles;

Considérant, EN DROIT, que la Cour de céans est, prima facie, compétente ratione materiae, pour connaître des conclusions formulées à titre superprovisionnel par la requérante au vu des dispositions invoquées et de la valeur litigieuse alléguée (art. 5
al. 1 lit. d et al. 2 CPC; art. 120 al. 1 lit. a LOJ); que le litige présente un élément d'extranéité au vu du siège de la citée à l'étranger, aux États-Unis (Bucher, Commentaire romand LDIP-CL, 2ème éd., 2025, n. 23 ad art. 1 LDIP); que selon
l'art. 10 LDIP, sont compétents pour prononcer des mesures provisoires soit les tribunaux suisses compétents au fond (let. a), soit les tribunaux d'exécution de la mesure (let. b); que la compétence internationale des tribunaux suisses pour connaître d'une action fondée sur une atteinte à la personnalité et à la concurrence loyale s'examine au regard de l'art. 129 LDIP (Guillaume, Commentaire romand LDIP-CL, 2ème éd., 2025, n. 4 ad art. 129 LDIP); qu'en cas de délits commis sur Internet (tels des actes de concurrence déloyale ou des publications diffamatoires), les critères du lieu de l’acte et du lieu du résultat utilisés aux fins de la détermination du for doivent être adaptés pour prendre en compte les caractéristiques des actes illicites concernés (Guillaume, op.cit., n. 45 ad art. 129 LDIP); que le lieu du résultat se trouve en principe au lieu où la prétendue victime a le centre de ses intérêts, lequel correspond généralement (mais pas nécessairement) à la résidence habituelle d’une personne physique, respectivement le siège statutaire d’une personne morale (Guillaume, op. cit., n. 47 ad art. 129 LDIP); que la Cour est donc également compétente ratione loci;

Que le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être, et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC);

Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite;

Qu'en cas d'urgence particulière, notamment s'il y a risque d'entrave à leur exécution, le juge peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre les parties (art. 265 al. 1 CPC);

Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; Bohnet, Commentaire romand, 2ème éd., 2019,
n 3 ss ad art. 261 CPC);

Qu'est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement; en principe, un préjudice financier n'est pas difficilement réparable (JdT 2016 III 188; JdT 2013 III 131); qu'une violation des droits de propriété intellectuelle ou de droit absolus, tels les droits de la personnalité, est susceptible de constituer un dommage difficilement réparable (Sprecher, Basler Kommentar, Zivilprozessordnung, 4ème éd., 2024, n. 34 ad art. 261 CPC);

Que celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé peut notamment demander au juge (a) de l'interdire si elle est imminente ou (b) de la faire cesser si elle dure encore (art. 9 al. 1 LCD);

Que, selon l'art. 2 LCD, est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commerciale trompeuse ou contrevenant de toute autre manière aux règles de la bonne foi et ayant une influence sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients; qu'agit notamment de façon déloyale celui qui dénigre autrui, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses et inutilement blessantes (art. 3 al. 1 let. a LCD) ou donne des indications inexactes ou fallacieuses sur lui-même, son entreprise, sa raison de commerce, ses marchandises, ses œuvres, ses prestations, ses prix, ses stocks, ses méthodes de vente ou ses affaires ou qui, par de telles allégations, avantage des tiers par rapport à leurs concurrents (art. 3 al. 2
let. b LCD); que le dénigrement s'entend de la projection d'une image négative ou méprisable d'un concurrent, qu'elle porte spécifiquement sur sa personne ou sur les éléments qui lui sont associés (produits, prestations, prix, affaires); que le dénigrement n'est pas en lui-même illicite mais uniquement lorsqu'il procède d'allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes (Kuonen, Commentaire romand, LCD, 2017,
n. 26 ad art. 3 al. 1 let. a LCD); qu'à l'inverse de l'art. 3 al. 1 let. a LCD, l'art. 3 al. 1
let. b LCD vise l'induction en erreur par la sur-appréciation de la personne ou des prestations d'un concurrent; que la tromperie constitue une forme qualifiée d'induction en erreur (Kuonen op. cit., n. 1 et 2 ad art. 3 al. 1 let. b LCD); qu'il y a lieu de s'interroger sur le sens que le destinataire moyen de la prestation sur le marché donne à l'allégation (Kuonen, op. cit., n. 17 ad art. . 3 al. 1 let. b LCD);

Que selon l'art. 28 CC, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe; que la personne morale (de droit privé ou de droit public, suisse ou étrangère) est également détentrice de droits de la personnalité, mais dans la mesure de l’étendue de la jouissance des droits civils que lui confère la loi (art. 53 CC; Jeandin, Commentaire romand, Code civil, 2ème éd., 2023, n. 20 ad art. 28 CC);

Qu'en l'espèce, l'utilisation du terme de "vol" ("theft") est vraisemblablement de nature à donner une impression fallacieuse ou trompeuse des agissements de la requérante en tant qu'il comporte une connotation pénale, alors que le litige entre les parties est vraisemblablement essentiellement de nature commerciale; que la requérante relève cependant que le site C______ propage des "pink slime", soit des nouvelles de faible qualité, ce qui tend à réduire la crédibilité et donc son potentiel effet trompeur sur les lecteurs;

Que par ailleurs, la requérante sollicite qu'il soit ordonné à la citée de procéder au retrait de l'article du 11 juin 2025 figurant sur le site C______; que la requérante ne rend cependant pas suffisamment vraisemblable à ce stade, en l'absence d'explications de la citée, que cette dernière serait l'auteur ou l'initiatrice de l'article litigieux ou que la citée détiendrait un quelconque pouvoir lui permettant procéder au retrait dudit article du site C______ dont il n'est pas allégué qu'elle en serait titulaire ou propriétaire;

Que la requérante sollicite également qu'il soit fait interdiction à la citée de procéder à toute communication publique par laquelle il serait affirmé que la requérante se serait rendue coupable ou serait responsable de vol et de toute autre imputation attentatoire à son honneur et à sa réputation; qu'elle ne rend cependant pas vraisemblable que la citée aurait l'intention, serait susceptible ou serait sur le point de communiquer de manière imminente des propos attentatoires à l'honneur de la requérante, dont la nature n'est pas précisée;

Que la requérante sollicite enfin qu'il soit fait interdiction à la citée de toute communication de nature à la dénigrer ou à attenter à sa réputation, à son crédit ou à son honneur; qu'il ne peut cependant être fait interdiction à la citée, de manière abstraite et en l'absence de tout élément rendant vraisemblable la commission imminente d'une atteinte à ses droits, de lui interdire de la dénigrer ou d'attenter à sa réputation, ce qui ne constituerait qu'un simple rappel de la loi;

Qu'au vu de ce qui précède, et en l'absence de déterminations de la citée, il n'est pas rendu vraisemblable que la requérante aurait été victime ou serait sur le point de subir un préjudice difficilement réparable dont la citée serait l'auteur et qui nécessiterait que des mesures soient ordonnées avant que la citée ne soit entendue; que la requête de mesures superprovisionnelles sera dès lors rejetée;

Qu'un délai de dix jours dès la notification du présent arrêt sera imparti à la citée pour répondre à la requête de mesures provisionnelles (art. 265 al. 2 CPC);

Qu'il sera statué sur les frais judiciaires relatifs à la présente décision avec l'arrêt au fond (art. 104 al. 3 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur mesures superprovisionnelles :

Rejette la requête de mesures superprovisionnelles formée le 20 juin 2025 par A______ SA à l'encontre de B______ CORP.

Dit qu'il sera statué sur les frais liés à la présente décision dans l'arrêt rendu sur mesures provisionnelles.

Statuant préparatoirement sur mesures provisionnelles :

Impartit à B______ CORP. un délai de dix jours dès notification du présent arrêt pour répondre par écrit à la requête de mesures provisionnelles formée par A______ SA.

Réserve la suite de la procédure.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3).