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Décisions | Chambre civile

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C/19022/2023

ACJC/569/2024 du 07.05.2024 sur OTPI/69/2024 ( SDF ) , CONFIRME

En fait
En droit

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19022/2023 ACJC/569/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 7 MAI 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par la 2ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 23 janvier 2024, représentée par Me Rachel DUC, avocate, INTERDROIT AVOCAT-E-S SÀRL, boulevard de Saint-Georges 72, case postale, 1211 Genève 8,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Stéphane REY, avocat, rue Michel-Chauvet 3, case postale 477, 1211 Genève 12.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/69/2024 du 23 janvier 2024, reçue par A______ le 25 janvier 2024, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant sur mesures provisionnelles, a prononcé la vie séparée des époux A______ et B______ (chiffre 1 du dispositif), attribué au précité la jouissance exclusive du domicile familial situé chemin 1______ no. ______, [code postal] C______ [GE], ainsi que du mobilier le garnissant (ch. 2), fixé à A______ un délai de départ au vendredi 16 février 2024 (ch. 3), autorisé si besoin B______ à faire exécuter la décision en recourant à la force publique dès le lundi 19 février 2024 (ch. 4), renvoyé la question des frais à la décision finale (ch. 5), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 6), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 7), et, statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, dit qu'une suite immédiate serait réservée à la procédure dès réception du rapport du Service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale (SEASP) (ch. 8).

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 5 février 2024, A______ a fait appel de cette ordonnance, concluant implicitement à l'annulation des chiffres 2 à 4 de son dispositif et, cela fait, à l'attribution à elle-même de la jouissance du domicile conjugal, au partage des frais judiciaires et à la compensation des dépens.

Elle a allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles.

b. Par arrêt du 16 février 2024, la Cour a rejeté la requête de A______ tendant à la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance attaquée et dit qu'il serait statué sur les frais dans l'arrêt rendu sur le fond.

c. Dans sa réponse du 21 février 2024, B______ a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation de l'ordonnance attaquée, au partage des frais judiciaires et à la compensation des dépens.

Il a produit des pièces nouvelles.

d. Les parties se sont encore déterminées spontanément les 7, 13 et 21 mars 2024.

A______ a produit des pièces nouvelles.

e. La cause a été gardée à juger le 11 avril 2024, ce dont les parties ont été avisées le jour même.

C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. B______, né le ______ 1984, de nationalité italienne, et A______, née [A______] le ______ 1988, de nationalité suisse, ont contracté mariage le ______ 2011 à D______ [GE].

Trois enfants sont issus de cette union : E______, né le ______ 2008, F______, né le ______ 2010, et G______, née le ______ 2018.

A une date non spécifiée, la famille s'est installée dans un appartement de 4 pièces sis chemin 1______ no. ______, [code postal] C______. Le contrat de bail à loyer portant sur le domicile conjugal n'a pas été versé au dossier. Selon les allégués - non contestés - de B______, les époux sont tous deux titulaires du bail.

b. Depuis plusieurs années, les époux connaissent d'importantes dissensions conjugales et s'accusent mutuellement de violences physiques et psychologiques. La situation familiale est suivie depuis 2011 par le Service des mineurs (SPMi) et par le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE), qui a ouvert une procédure sous le numéro de cause C/2______/2011.

c. Par ordonnance pénale rendue le 22 août 2022 dans la cause P/3______/2021, le Ministère public a déclaré A______ coupable des chefs de lésions corporelles simples (art. 123 CP) et violation du devoir d'assistance ou d'éducation (art. 219 CP) et l'a condamnée à une peine pécuniaire avec sursis. Cette ordonnance fait notamment état des éléments suivants :

- En avril et juillet 2021, la police était intervenue au domicile conjugal, à la demande de B______, lequel reprochait à son épouse d'avoir laissé les enfants seuls à la maison sans surveillance, de l'avoir frappé sous l'emprise de l'alcool et d'avoir causé divers esclandres et faits de violence devant les enfants.

- En mai 2022, lors d'une intervention au domicile de H______, mère de A______, la police avait constaté que cette dernière séjournait dans ce logement avec G______, dans des conditions de vie insalubres (traces d'urine sur le sol, matelas installés par terre, bouteilles de bière).

- Sur mandat du TPAE, un rapport d'expertise familiale avait été rendu en juin 2022. Il en ressortait que A______ souffrait d'un trouble mental et du comportement lié à l'utilisation d'alcool (syndrome de dépendance, dipsomanie) nécessitant un suivi psychothérapeutique spécifique; la précitée présentait de faibles capacités parentales, même en dehors des épisodes d'alcoolisation, ceux-ci rajoutant une gravité supplémentaire à sa situation psychosociale complexe; elle avait besoin d'un soutien psycho-socio-éducatif pour répondre aux besoins de ses enfants et rester abstinente. B______ ne présentait pas de trouble psychique; un soutien psychothérapeutique était recommandé pour lui permettre de travailler sur les traits de la personnalité sensible présents et éviter l'apparition de symptômes dépressifs. Les trois enfants présentaient un trouble émotionnel de l'enfance de type externalisé; les aînés de la fratrie avaient besoin de l'encadrement d'une action éducative en milieu ouvert (AEMO) et la cadette de mesures thérapeutiques (logopédie, psychomotricité) pour traiter son trouble spécifique du développement de la parole et du langage.

d. Par décision DTAE/5916/2023 du 31 juillet 2023, le TPAE a ordonné le placement des trois enfants en foyer, réservé un droit de visite en faveur des parents à exercer "selon l'évolution de la situation, la structure d'accueil et la curatrice", instauré une curatelle d'organisation et de surveillance des relations personnelles parents-enfants et maintenu la curatelle d'assistance éducative.

A teneur du signalement du SPMi du 31 juillet 2023 et de la décision DTAE/5916/2023 rendue sur cette base, A______ présentait des problèmes de consommation importante d'alcool, à laquelle se rajoutait une consommation de crack. B______ semblait quant à lui dépassé par la situation et se montrait ambivalent quant à sa capacité à assumer seul la prise en charge de ses enfants qui étaient pris dans un conflit de loyauté. La relation père-fils était très tendue et conflictuelle. Le père indiquait avoir de la peine à fixer un cadre et les enfants semblaient "être dans la toute-puissance". Le 19 juillet 2023, au vu des tensions conjugales, B______ avait provisoirement quitté le logement familial. Le même mois, E______ avait rapporté à l'éducatrice AEMO que sa mère sortait souvent la nuit et qu'il devait parfois s'occuper de G______. Le 30 juillet 2023, B______ avait sollicité l'intervention de l'Unité mobile d'urgences sociales (UMUS), après avoir reçu l'appel d'une amie de A______ l'informant que cette dernière se trouvait à J______ en état d'ébriété et entourée de policiers. Il s'était rendu d'urgence au domicile conjugal pour s'occuper des enfants jusqu'au retour de son épouse. Il avait informé le SPMi qu'il vivait "dans une chambre en colocation chez des amis" et qu'il ne pouvait pas y accueillir les enfants, raison pour laquelle il ne s'opposait pas à leur placement.

Dans son rapport d'intervention du 30 juillet 2023 à l'attention du SPMi, l'UMUS a précisé que B______ lui avait fait part de son inquiétude quant à la situation de son épouse et à l'état "déplorable" du logement familial. Lorsque l'UMUS s'était rendue sur place, B______ était en train de faire le ménage, après avoir ramassés divers détritus par terre (bouteille de vodka vide, emballages de nourriture, crottes de chat, mégots de cigarette). E______ et G______ étaient aussi présents. L'appartement était "effectivement sale". Le sol restait souillé et collant même après le passage de la serpillère. Le dessus des meubles et les vitres étaient sales. La caisse des chats était pleine et le balcon était souillé de défécations de chats. Plus tard dans la journée, B______ avait indiqué à l'UMUS que A______ était rentrée à la maison et qu'il avait préféré quitter les lieux pour ne pas envenimer la situation devant les enfants, son épouse l'ayant frappé et insulté.

e. E______ et F______ ont été placés au foyer K______ et G______ au foyer de L______ à M______ [GE]. A une date qui ne ressort pas du dossier, le TPAE a suspendu les relations personnelles entre A______ et ses trois enfants.

f. De mi-juillet à octobre 2023, B______ a sous-loué un logement à la rue 4______ no. ______.

Il a réintégré le domicile conjugal en octobre 2023, date à laquelle il a constaté que la propriétaire de l'immeuble, la Fondation HBM N______, avait résilié le bail y relatif avec effet au 31 octobre 2023 pour défaut de paiement du loyer. Devant le Tribunal, B______ a déclaré qu'il était en train de régler l'arriéré de loyer et que la bailleresse avait accepté de lui octroyer un délai d'épreuve.

g. Lors de l'audience du TPAE du 31 octobre 2023, O______, collaboratrice du SPMi, a déclaré que les enfants s'étaient bien intégrés dans leurs nouveaux lieux de vie. Le droit de visite de la mère - qui avait été injoignable du 9 août au 20 octobre 2023 - ayant été suspendu, les enfants voyaient uniquement leur père, à raison de deux fois une heure trente par semaine au foyer pour les aînés, respectivement d'une visite par semaine au Point rencontre (en modalité "accueil") pour la cadette. Les visites se passaient bien. Le père avait fait de gros efforts pour ouvrir le dialogue avec ses fils et s'investissait beaucoup auprès d'eux, ce qui leur permettait de "passer des moments de qualité". Les aînés avaient toutefois exprimé le besoin d'effectuer un travail thérapeutique avec leur père, sous la supervision d'un tiers. En l'état, vu le flou qui entourait les conditions de vie des parents, qui vivaient à nouveau sous le même toit, il n'était pas envisageable d'élargir les relations personnelles père-enfants. Il était donc important que les visites se déroulent au foyer pour les aînés et au Point rencontre pour la cadette, "faute de quoi [les enfants] seraient confrontés à leur mère sans aucun cadre".

B______ a déclaré que les visites avec ses enfants se passaient "super bien" et qu'il s'estimait capable de s'occuper d'eux, étant souligné qu'il travaillait et ne consommait ni alcool ni drogue. Il était revenu au domicile conjugal, qui se trouvait en "état d'abandon", car son épouse n'avait pas été en mesure de "reprendre les choses en mains". Il avait besoin d'un logement où il pourrait accueillir les enfants. A______ a quant à elle déclaré qu'il lui était arrivé de consommer de la cocaïne, mais jamais de crack. Elle souhaitait revoir régulièrement ses enfants. Elle avait l'intention de reprendre un suivi pour traiter son problème d'addiction, étant précisé qu'elle avait réduit sa consommation d'alcool. Elle espérait que G______, qui était séparée de ses frères, pourrait revenir rapidement vivre auprès de ses parents, ou à tout le moins auprès de son père, plutôt que de rester toute seule en foyer.

h. Par décision DTAE/8754/2023 du 4 décembre 2023, le TPAE a, notamment, levé la suspension des relations personnelles mère-enfants, réservé un droit de visite en faveur de A______, à exercer au sein d'une structure de médiation pour les aînés et au Point rencontre (en modalité "un pour un", puis en modalité "accueil") pour la cadette, réservé un droit de visite en faveur de B______ sur sa fille, à exercer au sein du foyer de L______ à raison d'une heure trente par semaine au minimum, et maintenu les curatelles existantes.

A teneur du rapport du SPMi du 6 novembre 2023 et de la décision DTAE/8754/2023 rendue sur cette base, B______ était ponctuel, régulier et investi dans l'exercice de son droit de visite sur G______; il était à l'écoute des besoins de sa fille et "chacun pass[ait] un moment de qualité". Le foyer de L______ était favorable à ce que les visites père-fille se déroulent au sein de l'institution sans surveillance ni accompagnement. Les visites père-fils se poursuivaient au foyer K______ et un suivi thérapeutique serait prochainement mis en place auprès de la Fondation P______.

De son côté, A______ se disait prête à prendre soin d'elle et à entreprendre les démarches nécessaires à la reprise des relations mère-enfants. Un premier entretien avait été fixé avec un psychologue de l'association Q______ et avec une intervenante socio-judiciaire du Service de probation et d'insertion. Il était essentiel que la reprise des visites puisse intervenir de façon structurée et accompagnée. Celles-ci pourraient avoir lieu au Point rencontre pour la cadette et auprès de la Fondation P______ pour les aînés, ceux-ci ayant manifesté de l'appréhension à revoir leur mère et le foyer n'étant pas favorable à ce que les visites se déroulent en ses murs.

i. Dans l'intervalle, le 30 octobre 2023, B______ a saisi le Tribunal d'une requête de mesures protectrices de l'union conjugale. Il a conclu en substance à ce que la jouissance du domicile conjugal, l'autorité parentale et la garde exclusives des enfants lui soient octroyées, à ce qu'un délai soit fixé à A______ pour quitter le domicile conjugal, à ce qu'un droit de visite sur les enfants soit réservé à la précitée, à exercer selon les modalités préconisées par le SEASP, à ce que A______ soit condamnée à contribuer mensuellement à l'entretien des enfants à raison de 330 fr. par enfant et à ce que les allocations familiales soient versées à lui-même.

j. Le 16 novembre 2023, il a formé une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles, concluant à l'octroi de la jouissance exclusive du domicile conjugal et au prononcé de l'évacuation immédiate de son épouse dudit domicile, avec mesures d'exécution directe. Il a allégué - certificat médical à l'appui - avoir été agressé le 7 novembre 2023 par deux individus qui se trouvaient au domicile conjugal en compagnie de son épouse, tous trois occupés à consommer des stupéfiants.

Par ordonnance du 17 novembre 2023, le Tribunal a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles, faute d'urgence justifiant le prononcé des mesures requises avant audition des parties.

k. Lors de l'audience du Tribunal du 4 décembre 2023, A______ a conclu à ce que la jouissance du domicile conjugal lui soit octroyée et à ce qu'un délai de départ soit imparti à B______. Elle a contesté les faits relatés par celui-ci, exposant être elle-même victime de violences conjugales, son époux lui ayant cassé un doigt (fait contesté par l'intéressé). A cet égard, elle a produit un constat médical daté du 8 novembre 2023, faisant état d'un hématome de 3 cm sur chaque côté du nez, de douleurs cervicales et d'une fracture sur la phalange distale du 4ème doigt de la main gauche; ce constat mentionne par ailleurs que A______ présentait à l'examen une "agitation liée à la prise de substance".

A l'issue de l'audience, le Tribunal a demandé au SEASP d'établir un rapport d'évaluation sociale.

l. Dans leurs déterminations spontanées des 22 décembre 2023 et 9 janvier 2024, les époux ont chacun affirmé être victimes de violences conjugales, tout en contestant les reproches formulés à leur encontre.

A réception de ces écritures, le Tribunal a gardé la cause à juger sur mesures provisionnelles.

m. Le 5 février 2024, A______ a porté plainte pénale contre son époux des chefs d'injure, de lésions corporelles simple et de violation du devoir d'assistance ou d'éducation. A l'appui de cette plainte, elle a allégué que son époux l'insultait régulièrement, ce qui ressortait notamment de divers messages WhatsApp, qu'il incitait leur fils cadet à en faire de même, et qu'il lui avait cassé un doigt en fermant brutalement une porte. Elle s'est référée à cet égard au constat médical du 8 novembre 2023, précisant que les autres lésions constatées (hématome, douleurs cervicales) n'avaient pas été causées par son époux mais par une tierce personne.

n. Le 7 mars 2024, elle a débuté un suivi thérapeutique auprès de R______, psychologue et psychothérapeute au sein de la Fondation Q______. Dans une attestation datée du même jour, ce praticien a précisé avoir convenu avec sa patiente d'un "suivi hebdomadaire centré sur [l]a problématique addictologique [de l'intéressée] et sa difficulté de régulation des émotions". Ce suivi consistait en des entretiens psychothérapeutiques et un suivi biologique (urinaire et sanguin) pour attester de son abstinence.

o. A teneur des déclarations des parties et des pièces figurant au dossier, la situation personnelle et financière des époux se présente comme suit :

o.a B______ effectue un apprentissage d'installateur électricien auprès de l'entreprise S______ SA. Cette formation, débutée en août 2021, devrait prendre fin en août 2025. En 2022, il a perçu un salaire net moyen de quelque 3'000 fr. par mois. Ses fiches de salaire pour les mois de juillet à septembre 2023 font état d'un salaire mensuel brut de 3'500 fr. et net (moyenne) de 3'224 fr.

Outre le loyer du logement conjugal en 1'384 fr., il s'acquitte de sa prime d'assurance-maladie de base en 590 fr. 10 par mois. Selon ses explications, il n'a pas de famille en Suisse qui pourrait l'héberger.

o.b A______ n'exerce pas d'activité lucrative et bénéficie de l'aide financière de l'Hospice général. Elle occupe actuellement une chambre sans confort (i.e sans cuisine ni salle de bains) mise à sa disposition par la Fondation T______. Dans un courriel du 22 décembre 2023, l'Hospice général a précisé qu'en cas d'attribution du domicile conjugal à A______, il pourrait prendre en charge le loyer s'y rapportant, moyennant que la précitée puisse présenter des quittances établissant que le montant versé pour le loyer avait bien été utilisé à cet effet.

D. Dans l'ordonnance attaquée, le Tribunal a retenu que les conditions pour le prononcé de mesures provisionnelles étaient remplies. En effet, le SEASP avait été sollicité pour rendre un rapport d'évaluation sociale, de sorte que la cause ne serait pas en état d'être jugée sur mesures protectrices avant plusieurs mois. Dans l'intervalle, il était urgent de prononcer la séparation des parties et de statuer sur l'attribution du domicile conjugal, compte tenu des très vives tensions entre les époux, établies par pièces, notamment par l'ordonnance pénale P/3______/2021 du 22 août 2022 et les certificats médicaux versés au dossier.

Il ressortait des pièces produites que B______ - au bénéfice d'un emploi stable depuis plusieurs années - était plus à même financièrement d'assurer le paiement du loyer du domicile conjugal que A______ qui était sans ressources et soutenue par l'Hospice général. Au cours des quelques mois durant lesquels l'époux avait quitté le logement familial, l'épouse ne s'était pas préoccupée de payer le loyer (respectivement de solliciter l'Hospice général à cet égard), de sorte que le bail avait été résilié pour demeure du locataire. L'époux était en train de résorber l'arriéré de loyer et, grâce à son intervention, la bailleresse avait accepté de lui octroyer un délai d'épreuve. Il ressortait également des pièces produites que A______ rencontrait des problèmes d'addiction (alcool et crack), de sorte qu'il existait un risque bien réel qu'elle consacre l'argent qui serait cas échéant mis à sa disposition par l'Hospice général pour le paiement du loyer à l'acquisition des produits précités. Pour cette même raison et compte tenu des différentes décisions rendues par le TPAE, notamment la décision de placement du 31 juillet 2023, il apparaissait à ce stade que le père disposait d'un intérêt prépondérant à avoir la jouissance du domicile conjugal, puisqu'il était vraisemblable qu'il pourrait bénéficier avant la mère d'un droit de visite sur les enfants encore placés en foyer, voire d'en avoir la garde exclusive. En l'état, il se justifiait donc d'attribuer la jouissance du domicile conjugal à l'époux.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) et dans le délai utile de 10 jours (art. 142 al. 1 et 3, 248 let. d, 271 let. a et 314 al. 1 CPC), à l'encontre d'une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC) qui porte sur l'attribution du domicile conjugal et dont la valeur litigieuse, capitalisée selon l'art. 92 al. 2 CPC, est supérieure à 10'000 fr.

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC). Toutefois, les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire, sa cognition est limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit, l'exigence de célérité étant privilégiée par rapport à celle de sécurité (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb, JdT 2002 I 352; arrêt du Tribunal fédéral 5A_823/2014 du 3 février 2015 consid. 2.2).

1.3 La présente cause est soumise aux maximes d'office et inquisitoire illimitée en tant qu'elle concerne l'attribution du logement conjugal, dans la mesure où les enfants mineurs des époux sont également concernés par cette question (arrêt du Tribunal fédéral 5A_930/2012 du 16 mai 2013 consid. 3.3.3. et 3.3.4).

1.4 Les allégués nouveaux et les pièces nouvelles dont les parties se prévalent devant le Cour sont recevables dès lors qu'elles sont pertinentes pour statuer sur l'attribution du domicile conjugal.

2. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir octroyé la jouissance du logement familial à l'intimé.

2.1 Si les époux ne parviennent pas à s'entendre au sujet de la jouissance de l'habitation conjugale, le juge l'attribue provisoirement à l'une des parties en faisant usage de son pouvoir d'appréciation (cf. art. 176 al. 1 ch. 2 CC). Il doit procéder à une pesée des intérêts en présence, de façon à prononcer la mesure la plus adéquate au regard des circonstances concrètes (arrêt du Tribunal fédéral 5A_760/2023 du 19 mars 2024 consid. 3.1 et les références citées).

En premier lieu, le juge doit examiner à quel époux le domicile conjugal est le plus utile ("grösserer Nutzen"). Ce critère conduit à attribuer le logement à celui des conjoints qui en tirera objectivement le plus grand bénéfice, vu ses besoins concrets. A cet égard, entrent notamment en considération l'intérêt de l'enfant, confié au parent qui réclame l'attribution du logement, à pouvoir demeurer dans l'environnement qui lui est familier, l'intérêt professionnel d'un époux qui, par exemple, exerce sa profession dans l'immeuble, ou encore l'intérêt d'un époux à pouvoir rester dans l'immeuble qui a été aménagé spécialement en fonction de son état de santé. L'application de ce critère présuppose en principe que les deux conjoints occupent encore le logement dont l'usage doit être attribué. Le fait que l'un d'eux ait par exemple quitté le logement conjugal non pas pour s'installer ailleurs, mais pour échapper provisoirement à un climat particulièrement tendu au sein du foyer, ou encore sur ordre du juge statuant de manière superprovisionnelle, ne saurait toutefois entraîner une attribution systématique de la jouissance du logement à celui des époux qui l'occupe encore (ibidem).

Si ce premier critère de l'utilité ne donne pas de résultat clair, le juge doit, en second lieu, examiner à quel époux l'on peut le plus raisonnablement imposer de déménager, compte tenu de toutes les circonstances. Sous ce rapport, doivent notamment être pris en compte l'état de santé ou l'âge avancé de l'un des époux ou encore le lien étroit qu'entretient l'un d'eux avec le domicile conjugal, par exemple un lien de nature affective. Des motifs d'ordre économique ne sont en principe pas pertinents, à moins que les ressources financières des époux ne leur permettent pas de conserver ce logement. Si ce deuxième critère ne donne pas non plus de résultat clair, le juge doit alors tenir compte du statut juridique de l'immeuble et l'attribuer à celui des époux qui en est le propriétaire ou qui bénéficie d'autres droits d'usage sur celui-ci (Ibidem.).

2.2 En l'espèce, le Tribunal a retenu, avec raison, que le domicile conjugal était plus utile à l'époux, dans la mesure où il est vraisemblable que celui-ci devrait pouvoir bénéficier avant l'épouse d'un droit de visite élargi sur E______, F______ et G______, actuellement placés en foyer, voire en obtenir la garde exclusive.

A ce stade de l'instruction du dossier, il ressort en effet des pièces produites et des déclarations des parties que l'appelante souffre d'une dépendance à l'alcool - et vraisemblablement aux stupéfiants - depuis plusieurs années, ce qui a eu des répercussions négatives sur sa capacité à prendre en charge ses enfants. En août 2022, elle a ainsi été déclarée coupable de violation de son devoir d'assistance ou d'éducation (art. 219 CP) pour avoir, entre autres, séjourné avec fille, alors âgée de 4 ans, dans un logement insalubre. Il résulte par ailleurs des rapports du SPMi et de l'audience du TPAE du 31 octobre 2023 que l'appelante n'a plus eu de contact avec ses enfants d'août à novembre 2023 et qu'elle n'est - en l'état - pas apte à entretenir des relations suivies avec eux en dehors d'une structure spécialisée, offrant un cadre adapté. A l'inverse, depuis le placement des enfants, l'intimé s'est montré très investi auprès de chacun d'eux et a exercé son droit de visite de façon régulière et assidue. Compte tenu de l'évolution positive de la situation, l'intimé voit désormais sa fille chaque semaine au foyer de L______ sans supervision ni encadrement. Il est dès lors vraisemblable que, moyennant qu'il dispose d'un logement adéquat, l'intimé pourra, dans un avenir proche, passer du temps avec ses enfants en dehors de leur lieu de placement, dans le cadre d'un élargissement progressif de son droit aux relations personnelles. A cette fin, il importe que l'intimé puisse accueillir ses enfants dans un environnement adéquat et familier, ce qui constitue une première étape avant qu'il soit possible d'envisager - à terme - la levée de la mesure de placement.

Par ailleurs, comme l'a relevé le Tribunal, l'appelante - qui n'est suivie pour ses problèmes d'addiction que depuis le 7 mars 2024 - ne rend pas vraisemblable qu'elle serait apte à assumer durablement la charge que représente le logement familial, que ce soit sur le plan financier ou administratif (paiement du loyer, gestion courante du courrier et des factures, nettoyage et entretien de l'appartement). A cet égard, il sera relevé que pendant les quelques mois d'absence de l'intimé, l'appelante ne s'est pas inquiétée du paiement du loyer ni de la tenue le ménage, de telle sorte que le bail a été résilié selon l'art. 257d CO, d'une part, et que le logement est devenu (quasiment) insalubre, ainsi que l'UMUS l'a constaté le 30 juillet 2023, d'autre part.

A la lumière des considérations qui précèdent, le Tribunal a correctement usé de son pouvoir d'appréciation en attribuant la jouissance exclusive du domicile conjugal à l'intimé.

L'ordonnance attaquée sera dès lors confirmée.

3. Les frais judiciaires d'appel, comprenant l'émolument de décision sur effet suspensif, seront fixés à 1'000 fr. (art. 31 et 37 RTFMC) et mis à la charge des parties à raison de la moitié chacune, au vu de leurs conclusions concordantes sur ce point et de la nature du litige (art. 107 al. 1 let. c CPC). Dans la mesure où les parties plaident au bénéfice de l'assistance juridique, ces frais seront laissés provisoirement à la charge de l'Etat de Genève, qui pourra en réclamer le remboursement ultérieur aux conditions de l'art. 123 CPC.

Pour les mêmes motifs, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 5 février 2024 par A______ contre l'ordonnance OTPI/69/2023 rendue le 23 janvier 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19022/2023.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de parties à raison de la moitié chacune et les laisse provisoirement à la charge de l'Etat de Genève.

Dit que chaque partie supportera ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente, Madame Sylvie DROIN et Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

La présidente :

Nathalie RAPP

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, dans les limites de l'art. 98 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.