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Décisions | Chambre civile

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C/24426/2022

ACJC/245/2025 du 18.02.2025 sur OTPI/656/2024 ( SCC ) , CONFIRME

Normes : CPC.99; CPC.103; CPC.101; CPC.76; CPC.106
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24426/2022 ACJC/245/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 18 FÉVRIER 2025

Entre

Madame A______, domiciliée ______, Etats-Unis,

Monsieur B______, domicilié ______, Etats-Unis,

Monsieur C______, domicilié ______, Etats-Unis,

Monsieur D______, domicilié ______, Etats-Unis,

recourants à l'encontre d'une ordonnance rendue par la 18ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 16 octobre 2024, tous représentés par
Me Serge CALAME, avocat, MLL Legal SA, rue du Rhône 65, case postale 3199,
1211 Genève 3,

et

Madame E______, domiciliée ______, Chili, intimée, représentée par
Me Raphaël REINHARDT, avocat, SEDLEX Avocats, avenue Mon-Repos 24, case postale 1410, 1001 Lausanne,

F______, ______ [GE], autre partie à la procédure, représentée par
Me Emma LOMBARDINI, avocate, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4.


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/656/2024 du 16 octobre 2024, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevables les conclusions de C______, A______, B______ et D______ tendant à la fixation de sûretés en garantie des dépens (ch. 1) et a condamné ces derniers aux frais, en 2'000 fr. ainsi qu'à payer à E______ la somme de 2'000 fr. à titre de dépens (ch. 2 et 3).

B. a. Par acte déposé le 30 octobre 2024 à la Cour de justice, C______, A______, B______ et D______ ont formé recours contre cette ordonnance, concluant à ce que la Cour l'annule et condamne E______ à fournir des suretés à hauteur de 500'000 fr. en garantie de leurs dépens. En cas de non-paiement des sûretés, la demande de E______ serait déclarée irrecevable.

b. Le 25 novembre 2024, E______ a conclu à l'irrecevabilité du recours subsidiairement à son rejet, avec suite de frais et dépens.

c. Dans sa détermination du 25 novembre 2024, [la banque] F______ a rappelé qu'en sa qualité de partie défenderesse à la procédure introduite par E______ à son encontre, elle n'avait pas sollicité le versement de sûretés en garantie des dépens. Elle s'en rapportait à justice sur le recours formé par les intervenants, souhaitant qu'aucun frais judiciaires ou dépens ne soit mis à sa charge.

d. Les parties ont été informées le 17 décembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger par la Cour.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. Le 10 mai 2023, E______ a formé à l'encontre de F______ une demande tendant au transfert par cette dernière de la moitié des avoirs du compte joint N° 1______, soit la moitié des actions, la moitié des produits dérivés et la moitié des matières premières, avec intérêts à 5% l'an (sur la valeur du compte joint au ______ décembre 2022), en faveur du compte N° 2______ dont E______ était seule titulaire auprès du même établissement.

Elle a indiqué qu'elle était domiciliée au Chili et qu'elle était titulaire du compte joint N° 1______ auprès de F______ ouvert le ______ août 1993 avec son défunt mari, G______. A la suite du décès de son époux, le compte joint était détenu par elle-même, d'une part, et par les héritiers de G______, d'autre part, à savoir elle-même et les trois enfants issus du premier mariage du défunt, C______, A______ et B______. E______ était par ailleurs seule titulaire du compte N° 2______ auprès de F______.

b. Par ordonnance du 15 juin 2023, dans la cause C/24426/2022, le Tribunal a transmis la demande à F______., lui impartissant un délai au 31 août 2023 pour répondre.

c. Le 11 août 2023, C______, A______, B______ et D______ – ce dernier étant désigné comme étant l'exécuteur testamentaire de la succession de G______ aux Etats-Unis - ont formé devant le Tribunal une requête en intervention accessoire au sens de l'art. 74 CPC, dans la cause C/24426/2022 opposant E______ à F______. La requête en intervention était accompagnée d'une requête de sûretés en garantie des dépens au sens de l'art. 99 CPC.

d. Le 24 août 2023, le Tribunal a transmis la demande d'intervention accessoire et de sûretés en garantie des dépens à E______ et à F______, leur impartissant un délai au 25 septembre 2023 pour se déterminer sur ces requêtes.

e. F______ a fait savoir, par courrier du 25 septembre 2023, qu'elle ne s'opposait pas à cette intervention.

f. Dans sa réponse du 6 novembre 2023, F______ a conclu, préalablement, à la dénonciation de l'instance à C______, A______, B______ et D______ et, sur le fond, au déboutement de E______ de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

g. Par ordonnance du 20 novembre 2023, le Tribunal a notamment invité C______, A______, B______ et D______ à préciser quel rôle ils entendaient jouer dans la procédure.

h. C______, A______, B______ et D______ ont répondu qu'ils acceptaient la dénonciation de la procédure et intervenaient afin de requérir toutes les mesures propres à soutenir F______.

i. Lors de l'audience du 12 décembre 2023, F______ a indiqué qu'elle ne s'opposait pas sur le principe de l'intervention.

E______ a relevé que la requête en intervention était abusive mais s'en rapportait à justice sur la décision d'intervention.

Sur ce, le Tribunal a gardé la cause à juger sur le principe de l'intervention.

j. Par ordonnance ORTPI/33/2024 du 11 janvier 2024, le Tribunal a admis l'intervention accessoire de C______, A______, B______ et D______ et leur a transmis une copie du dossier de la cause.

k. Aux termes de leur détermination du 21 juin 2024, C______, A______, B______ et D______ ont conclu à ce que le Tribunal condamne E______ à fournir des sûretés en garantie de leurs dépens, à hauteur de 500'000 fr., la demande de E______ devant être déclarée irrecevable à défaut de paiement des sûretés. Ils ont requis, une fois les sûretés versées, la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé par les autorités chiliennes quant à la capacité de discernement de E______. A titre principal, ils ont conclu au déboutement de E______ de ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

l. A l'audience du 15 octobre 2024 devant le Tribunal, les parties ont plaidé sur la question des sûretés. C______, A______, B______ et D______ ont persisté dans leur requête. E______ a conclu à l'irrecevabilité de la requête, avec suite de frais et dépens. [La banque] F______ a exposé qu'elle s'en rapportait à justice quant à la recevabilité de la requête de sûretés des intervenants accessoires, précisant qu'elle-même ne requerrait pas le versement de sûretés et ne souhaitait pas que les frais et dépens concernant la question des sûretés soient mis à sa charge.

A l'issue de l'audience, la cause a été gardée à juger sur la question des sûretés.

C. Dans la décision entreprise, le Tribunal a considéré que les intervenants accessoires n'avaient pas été contraints de participer à la procédure et leur position procédurale ne leur permettait pas de prendre des conclusions propres. De plus, la partie défenderesse n'avait pas sollicité le versement de sûretés en garantie des dépens. Partant, les conclusions des intervenants accessoires en fixation de sûretés étaient irrecevables.

EN DROIT

1. 1.1 Conformément à l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.

Ces décisions ayant nature d'ordonnance d'instruction, le délai de recours est de dix jours en application de l'art. 321 al. 2 CPC (Tappy, CR CPC, 2019, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC; Suter/von Holzen, in : Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 2025, n. 14 ad art. 99 CPC et n. 8 ad art. 103 CPC).

Interjeté dans le délai et selon la forme prescrits par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable.

1.2 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).

2. 2.1.1 Selon l'art. 99 al. 1 CPC, le demandeur doit, sur requête du défendeur, fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens, notamment, lorsqu'il n'a pas de domicile ou de siège en Suisse (let. a) ou pour d'autres raisons qui font apparaître un risque considérable que les dépens ne soient pas versés (let. d).

Contrairement aux avances, les sûretés ne sont jamais ordonnées d’office. Il faut selon la loi une requête du défendeur. La notion de défendeur doit être prise au sens large, et recouvre au fond toute partie attirée contre son gré dans un procès dans lequel elle fait l’objet de conclusions la touchant personnellement et pourra avoir droit à des dépens en cas de succès, ce qui inclut par exemple aussi un appelé en cause (Tappy, op. cit., n. 11 ad art. 99 CPC).

Selon une partie de la doctrine, les intervenants du côté de la partie défenderesse, notamment les intervenants accessoires, doivent également être habilités, selon les principes généraux, à déposer la requête en sûretés pour le compte de la partie défenderesse, à moins que celle-ci ne s’y soit expressément opposée (art. 76 al. 2 CPC; Suter/von Holzen, op. cit., n. 11 ad art. 99 CPC). Dans la mesure où l’intervenante a elle-même droit à des dépens, elle peut également demander la caution pour elle-même (Suter/von Holzen, op. cit., n. 11 ad art. 99 CPC).

Le tribunal impartit un délai pour la fourniture des avances et des sûretés (art. 101 al. 1 CPC). Si les avances ou les sûretés ne sont pas fournies à l'échéance d'un délai supplémentaire, le tribunal n'entre pas en matière sur la demande ou la requête (art. 101 al. 3 CPC) puisque le paiement des sûretés est une condition de recevabilité de la demande (art. 59 al. 2 let. f et art. 101 al. 3 CPC).

2.1.2 Aux termes de l'art. 106 al. 1 CPC, les frais, qui comprennent les frais judiciaires et les dépens (art. 95 al. 1 CPC) sont mis à la charge de la partie succombante. Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (art. 106 al. 2 CPC). Lorsque plusieurs personnes participent au procès en tant que parties principales ou accessoires, le tribunal détermine la part de chacune aux frais dans la mesure de leur participation (art. 106 al. 3 CPC).

Selon la jurisprudence et une partie de la doctrine, le rapport juridique à la base de l’intervention et de la dénonciation d’instance lie le dénonçant et le dénoncé; l’intervenant accessoire défend des intérêts qui reposent sur ce rapport et non sur une relation juridique qui le lierait à la partie adverse. Par conséquent, l’intervenant accessoire n’a en principe pas droit à des dépens, à moins que l’équité ne l’exige (arrêt du Tribunal fédéral 4_480/2014 du 5 novembre 2015 consid. 4.3 et les références citées; cf. en lien avec la procédure devant le Tribunal fédéral, ATF 130 III 571 consid. 4.6; Jenny, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 2025, n. 19 ad art. 106 CPC). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral retient qu’il ne se justifie en principe pas d’allouer des dépens à l’intervenant qui adhère aux conclusions de la partie qu’il soutient (arrêt du Tribunal fédéral 4A_412/2011 du 4 mai 2012 consid. 4).

Tappy estime que l’intervenant peut prétendre à des dépens lorsqu’il ne forme pas une communauté d’intérêts avec la partie qu’il soutient (Tappy, op. cit., n. 35 ad art. 106 CPC).

Dans un arrêt du Tribunal cantonal des Grisons du 9 février 2023, cité par les recourants, des dépens ont été octroyés en appel à un intervenant accessoire (PKG 2023 N° 9). Dans cette affaire, le canton des Grisons était intervenu en première instance en soutien de la partie demanderesse qui avait agi en paiement contre la partie défenderesse. Dans le cadre de l'appel formé par cette dernière, qui avait succombé en première instance, la partie demanderesse, intimée en appel, n'avait pas répondu à l'appel de la défenderesse dans les délais. Le canton des Grisons avait en revanche répondu à l'appel, concluant à la confirmation du jugement de première instance (favorable à la partie demanderesse). A l'issue de la procédure d'appel, le Tribunal cantonal, qui a confirmé le jugement de première instance, a alloué pour des raisons d'équité des dépens au canton des Grisons, qui avait conduit seul la procédure d'appel en soutien de la partie intimée, demanderesse en première instance et défaillante en appel, avec cette précision qu'aucun dépens n'avait été octroyé en première instance à l'intervenant (mais uniquement à la partie demanderesse).

2.2 En l'espèce, il sera en premier lieu observé que les recourants ont déposé leur requête en intervention dans la procédure opposant la demanderesse à la banque, avant que cette dernière leur dénonce le litige. Ils n'ont donc pas été attirés contre leur gré dans le procès. Or, les sûretés visent précisément à permettre à une partie qui se retrouve contrainte de participer à une procédure judiciaire qu'elle n'a pas initiée – et qui est de ce fait exposée à des frais d'avocat -, de pouvoir obtenir la garantie que ses dépens seront couverts si sa partie adverse succombe.

Il est aussi constaté que la banque, en soutien de laquelle les recourants interviennent, n'a pas sollicité le versement de sûretés en garantie de ses propres dépens.

Certes, les recourants ne requièrent pas que des sûretés soient versées en faveur de la banque mais sollicitent qu'une caution soit versée en leur faveur, pour leurs propres dépens. Or, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, les intervenants accessoires n'ont en principe pas droit à des dépens dans l'hypothèse où la partie en soutien de laquelle ils interviennent obtient gain de cause et se voit allouer des dépens. A ce stade de la procédure, la situation des recourants ne saurait être assimilée à celle du canton des Grisons telle qu'elle ressort de l'arrêt du 9 février 2023 précité. En effet, dans cette affaire, le Tribunal cantonal des grisons a alloué des dépens à un intervenant accessoire qui avait participé seul à la procédure d'appel et non pas aux côtés de la partie qu'il soutenait, qui était défaillante.

Les recourants n'ont du reste, du moins à ce stade de la procédure, pas pris de conclusions propres mais soutiennent la position de la banque qui a conclu au déboutement de la demande. Ils forment donc une communauté d'intérêts avec la partie qu'ils soutiennent et n'ont donc en principe pas droit à des dépens distincts. Enfin, il sera encore rappelé que la conséquence du non versement des sûretés est l'irrecevabilité de la demande (art. 101 al. 3 CPC). Or, l'on ne saurait admettre que le non versement de sûretés réclamées par un intervenant accessoire pour ses propres dépens, conduise à l'irrecevabilité d'une demande engagée par la partie demanderesse à l'encontre d'une partie défenderesse qui, comme en l'espèce, n'a pas sollicité le versement de sûretés.

Eu égard à ce qui précède, c'est à juste titre que le Tribunal n'a pas donné suite à la requête de sûretés des intervenants accessoires. Mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

3. Les recourants qui succombent seront condamnés solidairement aux frais de la procédure (art.106 CPC).

Les frais du recours seront fixés à 2'400 fr. (art. 21 et 41 RTFMC) et entièrement compensés avec l'avance fournie par les recourants de même montant, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 CPC).

Les dépens dus à l'intimée par les recourants seront arrêtés à 2'000 fr. (art. 85, 87, 88 et 90 RTFMC). Il ne sera pas alloué de dépens à F______, qui n'a pas pris de conclusions dans ce sens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 30 octobre 2024 par C______, A______, B______ et D______ contre l'ordonnance OTPI/656/2024 rendue le 16 octobre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24426/2022.

Au fond :

Le rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met à la charge de C______, A______, B______ et D______, pris solidairement, les frais judiciaires du recours, arrêtés à 2'400 fr. et entièrement compensés avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne C______, A______, B______ et D______, pris solidairement, à payer 2'000 fr. à E______ à titre de dépens de recours.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens à F______.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

La présidente :

Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.