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Décisions | Chambre civile

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C/16578/2021

ACJC/1551/2024 du 03.12.2024 sur OTPI/546/2024 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CPC.99
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16578/2021 ACJC/1551/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 3 DECEMBRE 2024

 

Entre

Monsieur A______ et Madame B______, domiciliés ______ [GE], recourants contre une ordonnance rendue par la 1ère Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 août 2024, représentés par Me Jean DONNET, avocat, NOMEA Avocats SA, avenue de la Roseraie 76A, case postale, 1211 Genève 12,

et

Madame C______, domiciliée ______, Hongrie, intimée, représentée par Me Alexander TROLLER, avocat, Lalive SA, rue de la Mairie 35, case postale 6569, 1211 Genève 6.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/546/2024 du 29 août 2024, reçue par les parties le 2 septembre 2024, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a rejeté la requête en sûretés formée par A______ et B______ à l'encontre de C______ (ch. 1 du dispositif), a condamné les précités, conjointement et solidairement, à verser 1'000 fr. de frais judiciaires à l'Etat de Genève (ch. 2) ainsi que 2'000 fr. de dépens à C______ (ch. 3) et a réservé la suite de la procédure (ch. 4).

B. a. Le 12 septembre 2024, A______ et B______ ont formé recours contre cette ordonnance, concluant à ce que la Cour de justice l'annule et condamne C______ à verser 145'246 fr. à titre de sûretés dans un délai de 30 jours, avec suite de frais et dépens.

b. Le 7 octobre 2024, C______ a conclu au rejet du recours, avec suite de frais et dépens.

c. A______ et B______ ont déposé une écriture spontanée le 17 octobre 2024, persistant dans leurs conclusions.

d. Les parties ont été informées le 4 novembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger par la Cour.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. Le 17 février 2022, C______ a formé à l'encontre de A______ et B______ une demande en paiement portant sur un montant de 1'439'415'500 roubles russes, correspondant à 17'672'280 fr.

Elle a indiqué dans sa demande qu'elle était citoyenne russe et hongroise. Elle avait habité en Russie jusqu'en 1996, époque de son déménagement à D______ [Hongrie], où elle était toujours domiciliée actuellement. Elle a mentionné comme adresse sur sa demande "rue 1______ 9/1, [code postal] D______". Il ressort de la procédure que l'orthographe correcte de la rue en question est "1______", et que l'erreur figurant sur la page de garde de la demande résulte d'une inadvertance, qui a été corrigée par la suite.

b. C______ a été partie à plusieurs procédures en Russie en lien avec le complexe de faits à la base de la présente affaire.

c. Dans leur écriture en réponse, A______ et B______ ont conclu au déboutement de C______ de toutes ses prétentions.

d. Dans leur mémoire de duplique, ils ont conclu à ce que le Tribunal condamne cette dernière à leur verser 145'246 fr. de sûretés.

Ils ont notamment fait valoir que leur partie adverse n'était pas domiciliée à D______ car les noms "C______" et "E______" figuraient sur la même boîte aux lettres de l'immeuble sis rue 1______ 9. Elle avait de plus indiqué une adresse en Russie, à F______ (no. ______, rue 2______, G______ [Russie]) dans le cadre des procédures auxquelles elle était partie en Russie.

e. Suite aux allégations de ses parties adverses, C______ a fourni des précisions sur son lieu de domicile.

Elle a expliqué qu'elle était domiciliée dans l'appartement n° 1 de l'immeuble sis 1______ 9, alors que la société E______, dont elle était gérante, avait son siège dans l'appartement n° 3 du même immeuble. Elle était propriétaire de ces deux appartements. Elle était également propriétaire d'un appartement sis rue 1______ 46, également à D______.

Elle avait habité jusqu'en 2005 environ dans son appartement rue 1______ 9, avant de déménager au rue 1______ 46. Elle avait conservé son adresse officielle au n° 9. Il était en effet possible en Hongrie d'avoir deux adresses, à savoir l'une utilisée pour les documents officiels et l'autre de résidence.

L'adresse en Russie indiquée dans les procédures russes étaient une adresse de correspondance, exigée par les autorités russes. A______ et B______ avaient d'ailleurs également admis avoir une adresse en Russie, laquelle était utilisée par les autorités.

Elle a produit de nombreux documents à l'appui des allégations précitées à savoir, sa carte de domicile, sa carte de domicile fiscal, des extraits du registre foncier de D______, ses déclarations fiscales hongroises pour 2021 et 2022, ainsi que des factures d'électricité, d'eau, de gaz et de ramassage des ordures pour les appartements sis rue 1______ 9/1 et 46.

f. La cause a été gardée à juger par le Tribunal sur la question des sûretés le 30 mai 2024.

EN DROIT

1. 1.1 Conformément à l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.

Ces décisions ayant nature d'ordonnance d'instruction, le délai de recours est de dix jours en application de l'art. 321 al. 2 CPC (Tappy, CR-CPC, 2019, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC; Suter/Von Holzen, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 2016, n. 14 ad art. 99 CPC et n. 8 ad art. 103 CPC).

Interjeté dans le délai et selon la forme prescrits par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable.

1.2 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).

1.3 La requête de sûretés est soumise à la procédure sommaire (Rüegg/Rüegg, Basler Kommentar ZPO, 3ème éd. 2017, n. 4 ad art. 100 CPC; Tappy, op. cit., n. 4 et 11 ad art. 103 CPC) et le juge se fondera essentiellement sur les allégations et preuves des parties (ACJC/938/2015 du 20 août 2015 consid. 2.1).

2. Le Tribunal a retenu que, selon l'art. 17 de la Convention relative à la procédure civile conclue à La Haye le 1er mars 1954 (CLaH54), à laquelle tant la Suisse que la Hongrie étaient parties, aucune caution ne pouvait être exigée de la part de l'intimée qui avait rendu vraisemblable par le dépôt de nombreux documents qu'elle était domiciliée à D______. L'incertitude sur la question de savoir à quel numéro exact de la rue 1______ l'intimée résidait ne justifiait pas le dépôt de sûretés.

Les recourants font valoir devant la Cour que le domicile réel de l'intimée n'est pas connu et qu'elle maintient "une confusion suspecte sur sa réelle adresse" afin que son domicile réel reste inconnu. En effet, elle avait deux adresses à des numéros différents de la même rue. Il n'était pas établi par pièces qu'elle était propriétaire de l'appartements situé 46 1______. Elle utilisait l'adresse sociale de sa société comme domicile fictif et avait indiqué une adresse en Russie dans les procédures judiciaires russes. Ils courraient dès lors le risque de ne pas pouvoir recouvrer les éventuels dépens alloués à l'issue de la procédure.

2.1 Selon l'art. 99 al. 1 CPC, le demandeur doit, sur requête du défendeur, fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens, notamment, lorsqu'il n'a pas de domicile ou de siège en Suisse (let. a) ou pour d'autres raisons qui font apparaître un risque considérable que les dépens ne soient pas versés (let. d).

La règle de l'art. 99 al. 1 CPC est très souvent battue en brèche par des règles contraires de traités internationaux qui l'emportent, vu l'art. 2 CPC (Tappy, op. cit., n. 21 ad art. 99 CPC).

Selon l'art. 17 de la CLaH 54 (RS 0.274.12) à laquelle tant la Suisse que la Hongrie sont parties, aucune caution ni dépôt, sous quelque dénomination que ce soit, ne peut être imposée, à raison soit de leur qualité d’étrangers, soit du défaut de domicile ou de résidence dans le pays, aux nationaux d’un des États contractants, ayant leur domicile dans l’un de ces États, qui seront demandeurs ou intervenants devant les tribunaux d’un autre de ces États.

L’art. 99 al. 1 lit. d CPC constitue une clause générale qui permet de prendre en considération toute circonstance propre à accroître sensiblement le risque que les dépens restent sinon impayés (Tappy, op. cit., n. 38 ad art. 99 CPC). Parmi les cas qui peuvent entrer dans le cadre de cette clause générale figurent par exemple les motifs mentionnés à l'art. 190 al. 1 LP, qui vise notamment le cas du débiteur qui n’a pas de résidence connue ou qui a pris la fuite dans l’intention de se soustraire à ses engagements (Schmid/Sørensen, in Kurzkommentar ZPO, 3ème éd., 2021, n. 12 ad art. 99 CPC).

2.2 En l'espèce, le Tribunal a retenu à juste titre qu'il était vraisemblable, à la lecture des nombreux documents justificatifs produits par l'intimée, à savoir sa carte de domicile, sa carte de domicile fiscal, des extraits du registre foncier de D______, ses déclarations fiscales hongroises pour 2021 et 2022, des factures d'électricité, d'eau, de gaz et de ramassage des ordures pour les appartements sis rue 1______ 9/1 et 46, qu'elle était domiciliée à D______.

Aucun élément du dossier ne permet de retenir que l'intimée œuvrerait à cacher son domicile réel, comme l'allèguent les recourants.

Elle a d'emblée indiqué l'adresse rue 1______ 9/1 à D______ sur la demande comme étant son domicile officiel, et cette allégation est confirmée par les pièces produites. A supposer qu'elle ne s'acquitte pas spontanément des éventuels dépens qui pourraient être dus aux recourants à l'issue de la procédure, rien ne permet de retenir que l'intimée ne pourra pas être atteinte à cette adresse dans le cadre d'une procédure de recouvrement.

Le fait qu'elle dispose d'un autre appartement dans la même rue et qu'elle y réside également n'est pas décisif pour la question des sûretés. Les explications de l'intimée selon lesquelles la législation hongroise n'oblige pas les habitants à résider exclusivement à leur domicile officiel sont crédibles. A cela s'ajoute que les deux appartements en cause sont situés, dans la même rue, dans un pays signataire de la CLaH54 de sorte, en toute hypothèse, quel que soit son lieu de résidence exact, l'intimée est exemptée du paiement des sûretés, conformément à la convention précitée.

Contrairement à ce que font valoir les recourants, l'intimée n'utilise vraisemblablement pas l'adresse de sa société E______ comme domicile fictif. Il ressort des pièces produites et des explications fournies que l'intimée est propriétaire de deux appartements dans l'immeuble en question. L'un est son domicile officiel et l'autre le siège de sa société, ce qui n'a rien de répréhensible.

Il importe par ailleurs peu de savoir si l'intimée a ou non établi sa qualité de propriétaire de l'appartement sis rue 1______ 46, cet élément n'étant pas pertinent pour l'issue du litige.

Enfin, l'intimée a expliqué de manière crédible que, en tant que citoyenne russe, elle était tenue d'avoir une adresse en Russie même si elle était domiciliée à l'étranger, pour conserver ses droits et faciliter ses démarches administratives. Il ressort d'ailleurs de la duplique des recourants (p. 4) que les autorités russes utilisent également pour ces derniers une adresse de correspondance en Russie, alors même qu'ils sont domiciliés à Genève. Les recourants reconnaissent d'ailleurs qu'une procédure d'enregistrement de domicile russe est nécessaire pour qu'un citoyen russe résident à l'étranger puisse exercer ses droits en Russie.

Il résulte de ce qui précède que la décision querellée ne consacre ni une constatation manifestement inexacte des faits, ni une violation du droit.

Le recours sera dès lors rejeté.

3. Les recourants qui succombent seront condamnés solidairement aux frais de la procédure (art.106 CPC).

Les frais du recours seront fixés à 1'000 fr. (art. 21 et 41 RTFMC) et partiellement compensés avec l'avance fournie par les recourants en 800 fr. (art. 111 CPC). Ces derniers seront condamnés à verser à l'Etat de Genève le solde en 200 fr.

Les dépens dus à l'intimée seront arrêtés à 2'000 fr., débours et TVA inclus (art. 85, 87, 88 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ et B______ contre l'ordonnance OTPI/546/2024 rendue le 29 août 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/16578/2021.

Au fond :

Le rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met à la charge de A______ et B______, pris solidairement, les frais judicaires de recours, arrêtés à 1'000 fr. et partiellement compensés avec l'avance fournie.

Condamne solidairement A______ et B______ à payer à l'Etat de Genève 200 fr. au titre des frais judiciaires de recours.

Condamne solidairement A______ et B______ à payer à C______ 2'000 fr. de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.