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Décisions | Chambre civile

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C/23081/2022

ACJC/1550/2024 du 03.12.2024 sur JTPI/5044/2024 ( OO ) , JUGE

Recours TF déposé le 24.01.2025, 4A_32/2025
Normes : CO.530
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23081/2022 ACJC/1550/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 3 DECEMBRE 2024

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [VD], appelant d'un jugement rendu par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 24 avril 2024, représenté par Me Sophie GIRARDET, avocate, rue de Bourg 8, case postale 7284, 1002 Lausanne,

et

SAS A ASSOCIE UNIQUE B______, ayant son siège ______, France, p.a. B______/C______, SUCCURSALE DE GENEVE, ______ [GE], intimée, représentée par Me Julien FIVAZ, avocat, EVIDENTIA AVOCATS, rue Jacques-Grosselin 8,
1227 Carouge GE.

 


EN FAIT

A. Par jugement JPTI/5044/2024 du 24 avril 2024, reçu par les parties le 26 avril 2024, le Tribunal de première instance a débouté A______ de toutes ses conclusions prise à l'encontre de SAS A ASSOCIE UNIQUE B______, dans la mesure de leur recevabilité (chiffre 1 du dispositif), mis à sa charge les frais judiciaires en 5'200 fr. (ch. 2), l'a condamné à payer 8'535 fr. à titre de dépens à cette dernière (ch. 3) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Le 27 mai 2024, A______ a formé appel de ce jugement, concluant à ce que la Cour de justice le réforme, constate que la société simple le liant à SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ a été dissoute, subsidiairement prononce sa dissolution, dise que ladite société doit être liquidée et l'autorise à résilier en son nom et pour le compte de SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ le bail à loyer commercial portant sur la location d'un local à l'avenue 1______ pour la prochaine échéance contractuelle. Subsidiairement il a conclu à ce que la Cour annule le jugement querellé et renvoie la cause au Tribunal pour nouvelle décision, le tout avec suite de frais et dépens.

b. Le 20 août 2024, SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ a conclu à la confirmation du jugement querellé avec suite de frais et dépens.

c. Le 23 septembre 2024, A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

d. SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ a renoncé à dupliquer.

e. Les parties ont été informées le 25 octobre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. B______/C______, SUCCURSALE DE GENEVE (ci-après B______/C______), inscrite au Registre du commerce de Genève le ______ 2013, est la succursale genevoise de la société française SAS A ASSOCIES UNIQUE B______ (ci-après : B______ SAS).

A teneur de l'inscription au Registre du commerce, cette succursale a notamment comme but social le commerce de meubles. D______, actionnaire unique de B______ SAS au moment de l'inscription de la succursale et A______ ont tous deux été inscrits comme représentants de la succursale, avec signature individuelle, dès le ______ 2013.

b. B______ SAS souhaitait louer une arcade commerciale pour y exercer ses activités à Genève. Le bailleur de l’arcade commerciale visée par celle-ci a subordonné la conclusion du bail à la condition qu’une personne physique solvable et domiciliée en Suisse le signe en qualité de colocataire solidaire aux côtés de B______ SAS.

Pour satisfaire à cette exigence du bailleur, D______ a demandé à A______, qui était un ami proche, de cosigner avec B______ SAS le contrat de bail commercial et d’en devenir cotitulaire avec elle, ce qu'il a accepté.

c. Par contrat (de reprise) de bail à loyer commercial conclu avec le bailleur le 11 juin 2013, B______ SAS et A______, signant comme colocataires solidairement responsables, ont ainsi pris à bail commun un magasin d'environ 120 m2 situé au rez-de-chaussée de l'immeuble sis no. ______, av. 1______, [code postal] Genève.

Un dépôt en sous-sol et deux places de parking dépendent de ce bail, étant précisé que la résiliation du bail du magasin entraîne automatiquement celle des baux du dépôt et des parkings.

Le bail commercial, fixant un loyer initial de 57'600 fr. par an, était valable jusqu’au 30 juin 2018, puis tacitement renouvelable de cinq ans en cinq ans sauf avis de résiliation signifié six mois avant une échéance reconductible.

d. En novembre 2018, D______ a vendu le capital-actions de B______ SAS, ainsi que sa succursale à Genève B______/C______, à un tiers, soit à E______, domicilié en France, depuis lors ayant droit économique de B______ SAS.

D______ et A______ ont été radiés le 9 janvier 2019 de leurs fonctions respectives de signataire et de fondé de procuration de B______/C______, et remplacés par E______, domicilié en France et F______, domicilié en Suisse. L'inscription de ce dernier a été radiée en mars 2021.

e. A plusieurs reprises depuis 2019, B______ SAS ne s’est acquittée qu’avec retard du loyer dû pour l’arcade, conduisant chaque fois le bailleur à adresser à A______ des sommations de paiement.

f. Le 24 janvier 2020, A______ a prié B______ SAS, soit pour elle F______, de "faire le nécessaire pour que [sa] caution soit résiliée".

F______ a répondu que si le loyer de janvier n'avait pas été payé, il allait le faire. Il a demandé à E______ de venir à Genève le plus rapidement possible pour intervenir auprès du bailleur afin de libérer A______ du contrat.

g. Le 5 février 2020, B______ SAS a demandé au bailleur de remplacer A______, en sa qualité de cotitulaire du bail, par sa succursale genevoise.

Le 16 mars 2020, le bailleur s’y est refusé et a conditionné la sortie de A______ du contrat de bail à son remplacement, en qualité de colocataire de B______ SAS, par une personne physique solvable et domiciliée en Suisse.

F______ a indiqué dans ce cadre au bailleur qu'il n'entendait pas être à titre personnel cosignataire du bail.

h. Par courriel du 20 mars 2020, A______ a rappelé à F______ que, au moment de la vente de la société B______ SAS, en novembre 2018, il avait dû fournir une lettre de démission; D______ et E______ avaient convenu que ce dernier reprendrait le bail et que F______ serait caution auprès du bailleur. Par la suite il avait reçu plusieurs sommations pour des loyers impayés. A chaque fois, F______ avait payé le loyer et prié E______ de faire le nécessaire auprès du bailleur. Ces démarches n'avaient cependant jamais été finalisées et il était toujours "caution" contre son gré. Il avait l'intention de porter l'affaire devant les tribunaux.

i. Le 23 avril 2020, A______, indiquant à E______ qu’il n’avait jamais voulu revêtir la qualité de colocataire de l’arcade commerciale avec B______ SAS après le rachat de celle-ci par ses soins, lui a demandé de présenter au bailleur, en remplacement de sa personne, un nouveau colocataire solvable et domicilié en Suisse et de lui signer une reconnaissance de dette portant engagement à lui rembourser tous montants qu’il serait amené à devoir payer au bailleur en cas de défaut de paiement du loyer par B______ SAS.

E______ n'a pas déféré à cette requête.

j. Les 25 et 29 juin 2020, A______ a indiqué au bailleur qu’il contestait être encore cotitulaire du bail avec B______ SAS et qu’il s’opposait à sa reconduction à la prochaine échéance contractuelle.

Les 26 juin et 2 juillet 2020, le bailleur lui a répondu que sa sortie du contrat de bail nécessitait qu’il soit remplacé, en qualité de cotitulaire et colocataire solidaire aux côtés de B______ SAS, par une personne physique solvable et domiciliée en Suisse. Le bail ne pourrait être résilié pour sa prochaine échéance (soit au 30 juin 2023), moyennant préavis de résiliation donné six mois à l’avance, que par décision commune signée des deux cotitulaires du bail.

k. Par jugement du 18 novembre 2020, le Tribunal de commerce de C______ [France], sur déclaration de cessation de paiement de B______ SAS, a ouvert contre elle une procédure de contrôle et de redressement judiciaires.

Par jugement du 3 août 2022, ce même Tribunal a arrêté un plan de redressement judiciaire de B______ SAS, en a fixé la durée à huit ans, et a chargé des administrateurs et commissaires judiciaires de contrôler sa mise en œuvre.

l. Le 30 juin 2022, A______ a fait savoir à E______ qu’il réitérait sa volonté de dénoncer le contrat de société simple qui le liait à B______ SAS et entendait dissoudre ladite société.

m. Par demande du 4 avril 2023, déposée avec l’autorisation de procéder du 12 janvier 2023, A______ a pris les mêmes conclusions que celles figurant dans son appel. Il a en outre conclu à ce que le Tribunal constate qu'il avait valablement résilié le bail à loyer commercial portant sur un local sis no. ______, avenue 1______, [code postal] Genève, pour la prochaine échéance contractuelle, soit le 30 juin 2023.

A______ a allégué avoir conclu avec B______ SAS un contrat de société simple ayant pour but commun la location d'un local commercial. Il n'avait aucun intérêt personnel ou commercial à la conclusion de ce contrat, si ce n'est la volonté de rendre service à son ami D______. Au moment de la vente de B______ SAS à E______, il avait été convenu que celui-ci, ou une personne physique solvable et domiciliée en Suisse, le remplacerait comme colocataire. Or cet engagement n'avait pas été respecté. Il avait dénoncé à plusieurs reprises le contrat de société simple et celle-ci avait été dissoute au plus tôt en mai 2019 et au plus tard le 30 septembre 2022. Il existait de justes motifs de dissolution car B______ SAS avait des problèmes financiers. En outre, il n'avait jamais souhaité former une société simple avec celle-ci depuis son rachat. Il ne pouvait pas être exigé de lui qu'il reste indéfiniment titulaire du contrat de bail, étant souligné qu'il n'avait plus le pouvoir d'engager la succursale de B______ SAS par sa signature. Dans le cadre de la liquidation de la société simple, il incombait au Tribunal de le libérer de ses obligations résultant du bail ou de contraindre sa partie adverse à résilier celui-ci.

n. Sur les questions encore litigieuses en appel, B______ SAS a conclu au déboutement de sa partie adverse de toutes ses conclusions.

Elle a contesté que les parties aient eu une volonté commune d'exploiter ou d'occuper ensemble les locaux pris à bail, de sorte que les règles de la société simple étaient inapplicables. Les obligations de A______ relevaient des règles du cautionnement.

o. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

p. La cause a été gardée à juger par le Tribunal à l'issue de l'audience du 20 novembre 2023.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel, formé dans les délais et forme légaux, contre une décision finale rendue dans une affaire patrimoniale avec une valeur litigieuse supérieure à 10'000 fr. (57'600 fr., selon les allégations de l'appelant, non contestées par l'intimée) est recevable (art. 308 et 311 CPC).

1.2 L'instance d'appel dispose d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit. En particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus. Il incombe toutefois au recourant de motiver son appel (art. 311 al. 1 CPC) (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. Le Tribunal a retenu qu'il n'était pas compétent pour statuer sur la conclusion de l'appelant tenant à ce qu'il constate que le bail avait été valablement résilié par ses soins pour l'échéance du 30 juin 2023 car seul le Tribunal des baux et loyers était compétent pour ce faire. Il n'était de plus pas possible de statuer sur les droits du bailleur alors que celui-ci n'était pas partie à la procédure. Par ailleurs, le Tribunal a considéré que les parties n'étaient pas liées par un contrat de société simple car l'appelant s'était limité à rendre service bénévolement à l'ancien actionnaire de l'intimé. Il n'avait jamais occupé ou exploité l'arcade ni entendu payer le loyer. Une volonté commune des parties de partager les droits, obligations, profits et pertes liées au bail commun faisait défaut. Il n'existait pas de volonté de poursuivre un but social commun, de sorte que les règles sur la société simple n'étaient pas applicables. Les parties avaient conclu un contrat de mandat non onéreux. L'appelant avait gratuitement fourni à l'intimée une prestation de service en cosignant avec elle le bail pour lui donner, selon ses propres termes, sa "caution" à l'égard du bailleur, et ce, dans le but de favoriser ses intérêts juridiques et économiques. Les règles du mandat ne permettaient pas à l'appelant de résilier le contrat de bail sans l'accord de l'intimée et sans le consentement du bailleur.

L'appelant fait valoir que les parties avait comme but commun de permettre le développement des activités commerciales de l'intimée en Suisse et, dans ce cadre, d'obtenir la conclusion d'un bail commercial. L'intimée lui avait conféré le pouvoir de la représenter et l'appelant s'était engagé contractuellement à ses côtés à l'égard du bailleur. Le fait que l'appelant ait accepté cette association par amitié envers l'ancien actionnaire de l'intimé n'était pas déterminant, pas plus que le fait qu'il n'ait pas personnellement occupé l'arcade, ce qui n'était au demeurant pas possible s'agissant d'un bail commercial. Son apport consistait en une prestation personnelle, à savoir l'acceptation de la qualité de colocataire qui le rendait personnellement responsable des dettes de la société simple. Cet apport était indispensable à la réalisation du but commun. Les apports des associés ne devaient pas forcément être égaux. Il avait intérêt au succès de l'activité de l'intimée, ne serait-ce que pour éviter d'être recherché en paiement par le bailleur. La relation nouée entre les parties en l'espèce ne présentait pas les caractéristiques d'un mandat. Même à supposer qu'un mandat ait existé, il avait été résilié depuis longtemps, de sorte qu'il ne pouvait régir les relations entre les parties. Le raisonnement du Tribunal contrevenait à l'art. 27 al. 2 CC car il impliquait que l'appelant était dans l'impossibilité à vie de se délier de son engagement envers l'intimée et envers la bailleresse.

2.1.1 Plusieurs personnes peuvent être colocataires, par exemple un couple, marié ou non, des étudiants, les membres d’une hoirie ou d’une société simple. Dans leurs rapports internes, il convient d’appliquer les règles relatives à la communauté qui les unit. En matière de dettes, les colocataires sont solidairement responsables dès lors qu’ils appartiennent à une communauté. S’agissant de colocataires concubins, ils sont solidaires en vertu des règles sur la société simple. Il convient de retenir le principe de l'application des règles de la société simple de manière générale pour tous les colocataires de baux d’habitations ou de locaux commerciaux (Bohnet/Dietschy-Martenet, Droit du bail à loyer et à ferme, 2017, n. 24 à 15 ad art. 253 CO; Lachat, Le bail à loyer, 2019, p. 96).

S’ils entendent résilier le bail ou contester le loyer, les colocataires doivent agir ensemble, qu’ils soient conjoints, partenaires enregistrés ou simples colocataires. Si un colocataire veut se libérer du bail alors que les autres désirent le maintenir, il ne pourra le faire qu’avec l’accord des colocataires restants et du bailleur, qui conclura un nouveau contrat avec ceux-ci. A défaut d’un tel accord, un colocataire ne peut pas seul se départir du contrat. Il est contraint de dénoncer le contrat de société simple le liant aux autres colocataires ou d’agir en résiliation de celui-ci pour justes motifs (art. 545 al. 1 ch. 6 et 7 CO). Le sort du bail commun sera réglé lors de la liquidation de la société simple (art. 550 CO). (Bohnet/Dietschy-Martenet, op. cit., n. 35 ad art. 253 CO).

La colocation offre au bailleur l'avantage d'être confronté à deux ou plusieurs locataires qui répondent solidairement des obligations découlant du bail. Il peut réclamer à chacun des colocataires la totalité du loyer, des frais accessoires et des autres obligations économiques découlant du bail. En ce sens, la colocation diminue les risques du bailleur et lui offre une forme de garantie. Dès lors, avant d'octroyer un logement ou un local commercial, le bailleur demande fréquemment qu'un tiers s'engage aux côtés du futur occupant des lieux, par exemple, un père ou une mère signant avec leur fille ou leur fils le bail d'une résidence d'étudiants, une femme fortunée signant un bail d'une étude d'avocats avec son mari avocat pour des motifs de solvabilité. Ces hypothèses correspondent toutes à une colocation, même si le bail commun présuppose d'ordinaire que l'usage des locaux soit cédé à l'ensemble des signataires du contrat. Le fait que le tiers ait agi dans l'intérêt de l'occupant des lieux, afin qu'il se voie attribuer le bail, devrait suffire en règle générale à faire admettre l'hypothèse d'une véritable colocation. Une conception trop stricte de la colocation aurait pour effet de restreindre l'accès au marché locatif pour les personnes économiquement faibles (Lachat, op. cit., 2019, p. 94 et 95).

2.1.2 La société simple est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d'unir leurs efforts ou leurs ressources en vue d'atteindre un but commun et qui ne présente pas les caractéristiques distinctives d'une autre société réglée par la loi (art. 530 al. 1 et 2 CO). N'importe quel sujet de droit, qu'il s'agisse d'une personne physique ou d'une personne morale, peut revêtir la qualité d'associé d'une société simple. Les éléments caractéristiques du contrat de société simple sont, d'une part, l'existence d'un apport, c'est-à-dire une prestation que chaque associé doit faire au profit de la société et, d'autre part, le but commun, qui rassemble les efforts des associés. Le but de la société simple peut être occasionnel (réalisation d'une opération déterminée) ou permanent (par exemple convention d'actionnaires). L'apport que chaque associé doit fournir peut consister aussi bien dans une prestation patrimoniale que personnelle. Il n'est pas nécessaire que les apports soient égaux, la seule limite étant celle de l'art. 27 al. 2 CC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_74/2015 du 8 juillet 2015 consid. 4.2.1).

 

   

La société simple est la relation typique à la base de la plupart des activités que deux ou plusieurs personnes exercent en commun pour une durée limitée, le plus souvent en y assortissant un régime de solidarité au sens de l'art. 143 CO. On la retrouve par exemple si deux ou plusieurs personnes décident de louer un local (colocataires) (Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 2016, n. 6856).

Chaque associé doit faire une prestation, car l’art. 531 al. 1 CO est de droit impératif; l’apport est en effet un élément essentiel à la qualification du contrat. L’affirmation est toutefois relativisée par le fait que l’apport ne doit pas être obligatoirement une valeur appréciable en argent et susceptible d’être comptabilisée, mais peut aussi être négatif ou immatériel (Tercier/Bieri/ Carron, op. cit. n. 6821).

2.1.3 A teneur de l'art. 394 al. 1 CO, le mandat est un contrat par lequel le mandataire s’oblige, dans les termes de la convention, à gérer l’affaire dont il s’est chargé ou à rendre les services qu’il a promis. Les règles du mandat s’appliquent aux travaux qui ne sont pas soumis aux dispositions légales régissant d’autres contrats (al. 2). Une rémunération est due au mandataire si la convention ou l’usage lui en assure une (al. 3).

Le mandat se définit comme le contrat général des services que rend une personne indépendante, sans promesse de résultat. Le mandat a donc nécessairement pour objet une obligation de faire (Werro, Commentaire romand, 2021, n. 2, 4 et 7 ad art. 394 CO).

Dans sa définition moderne, le mandat comprend essentiellement deux caractéristiques: une activité diligente dans l’intérêt du mandant et une rémunération, qui s’impose dans la plupart des mandats, comme contrepartie de l’activité diligente. En règle générale, le mandat se conclut à titre onéreux. Il constitue alors un contrat synallagmatique (Werro, op. cit., n. 15 et 18 ad art. 394 CO).

A teneur de l'art. 404 al. 1 CO, le mandat peut être révoqué ou répudié en tout temps.

Avec la résiliation, le contrat prend fin ex nunc. Cette fin a pour effet premier que l’obligation principale du mandataire de rendre le service promis s’éteint (Werro, op. cit., n. 5 ad art. 404 CO).

2.1.4 Lorsqu’un contrat de société simple se conclut entre deux personnes et que celles-ci stipulent des droits et les obligations de façon inégale, la société se rapproche d’un contrat bilatéral. Parfois, la distinction par rapport à un mandat d’intérêt commun peut se révéler délicate. La différence fondamentale consiste dans l’intérêt que les parties ont à l’exécution du service: dans une société simple, les deux parties ont un intérêt de même nature, tandis que, dans un mandat, chaque partie a un intérêt propre. Pour distinguer le mandat de la société simple, la doctrine mentionne de plus des critères, tels que la gratuité, la participation plutôt passive d’une partie et l’existence d’une propriété commune ou d’une copropriété. Ainsi, on retiendra une société simple lorsque les parties partagent les bénéfices (ou les pertes). En revanche, on retiendra plutôt un mandat lorsqu’elles prévoient que l’une des deux reçoit une rémunération minimale fixe ou une simple commission en fonction du résultat (Werro, op. cit., n. 28 ad art. 394 CO).

Les règles d'interprétation déduites de l'art. 18 CO s'appliquent également aux contrats conclus par actes concluants, ce qui signifie qu'il sied de rechercher d'abord la volonté réelle des parties puis, à défaut, d'interpréter leurs comportements selon le principe de la confiance (arrêts du Tribunal fédéral 4A_21/2011 du 4 avril 2011 consid. 3.1; 4C.54/2001 du 9 avril 2002 consid. 2b, in SJ 2002 I 557).

2.2 En l'espèce, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, il n'y a pas de raison de déroger à la règle générale, rappelée par plusieurs auteurs cités ci-dessus, selon laquelle les règles de la société simple s'appliquent entre les personnes qui prennent en commun un local à bail.

Le fait que l'appelant n'ait pas occupé personnellement l'arcade, ni entendu payer le loyer n'est pas déterminant. La doctrine précitée relève que cette situation, dans laquelle une personne intervient comme colocataire solidairement responsable dans un contrat de bail aux fins de fournir une garantie supplémentaire au bailleur, est fréquente. Ce type de configuration n'exclut pas en soi l'application des règles de la société simple aux rapports entre les locataires.

L'appelant et l'intimée, au moment de la conclusion du bail, poursuivaient un but commun à savoir permettre à l'intimée de pouvoir prendre à bail un local pour exploiter son magasin de meubles. L'apport de l'appelant a consisté essentiellement à fournir sa garantie financière, en figurant sur le bail en tant que colocataire (il se désigne d'ailleurs lui-même comme "caution") et celui de l'intimée à exploiter le magasin.

L'on relèvera que, même s'il n'est pas établi que l'appelant a exercé une activité concrète dans le cadre de la marche des affaires de l'intimée, il se considérait quand même impliqué dans celle-ci.

Cela est attesté par le fait que, dès la fondation de la succursale, et avant la conclusion du bail litigieux, il a été inscrit au Registre du commerce comme fondé de procuration de celle-ci.

Son implication dans l'activité de la succursale ressort en outre de la formulation de son courriel du 20 mars 2020 à l'intimée, dans lequel il indique avoir dû "démissionner" de ses fonctions auprès de la succursale genevoise de l'intimée après le rachat de celle-ci, soulignant qu'il ne fait plus partie de cette société depuis sa démission.

L'usage de l'expression "démission" implique en effet qu'il s'estimait, même dans une mesure limitée, partie prenante des activités de l'intimée avant que celle-ci ne change d'actionnariat.

Le fait que l'appelant n'a pas reçu de contrepartie financière pour son engagement n'est pas décisif. L'apport d'un associé d'une société simple ne doit pas être obligatoirement une valeur appréciable en argent, mais peut aussi être immatériel. En l'occurrence, il y a lieu de retenir que la satisfaction d'avoir pu contribuer à l'essor de l'activité professionnelle d'une personne qui lui était chère constituait une contrepartie suffisante pour l'appelant.

A cela s'ajoute que les relations nouées par les parties en l'espèce ne présentent pas les caractéristiques d'un contrat de mandat.

L'appelant n'a exercé aucune activité au service de l'intimée, alors que le mandat a nécessairement pour objet une obligation de faire. La participation plutôt passive d'une partie est ainsi un indice en faveur de la qualification d'un contrat de société simple.

Les deux parties avaient un intérêt de même nature, à savoir obtenir un local permettant à l'intimée d'exploiter son magasin. Or, dans un mandat, chaque partie à un intérêt propre.

Le mandat, dans sa conception moderne, est en principe onéreux, alors que les parties n'ont prévu aucune rémunération en faveur de l'appelant.

A supposer, ce qui est douteux, que figurer sur un bail au titre de colocataire aux fins de fournir une garantie financière puisse être considéré comme un "service", force est, en tout état de cause, de constater que les règles sur la fin du mandat ne sont pas appropriées à la situation qui nous occupe.

L'appelant a, dès début 2020, fait savoir à l'intimée qu'il voulait que sa "caution" soit "résiliée" et il a par la suite, à maintes reprises, répété qu'il n'entendait pas rester colocataire avec elle depuis que son actionnariat avait changé.

A supposer que la relation contractuelle entre les parties soit un mandat, le contrat aurait dû prendre fin immédiatement dès la résiliation, en application de l'art. 404 CO, et l'obligation de l'appelant de rendre le "service promis", à savoir figurer sur le bail, s’éteindre.

Or tel n'est le cas puisque, en dépit du fait qu'il a résilié le contrat qui le lie à l'intimée, l'appelant est contraint de continuer à fournir ses "services", à savoir à demeurer partie au bail litigieux, puisque l'intimée n'entreprend pas les démarches nécessaires pour le délier de ses obligations.

L'on ne peut qu'en conclure que, même à supposer que les parties aient été initialement liées par un contrat de mandat, celui-ci a pris fin depuis plusieurs années et a été remplacé par une autre relation contractuelle, qui doit être qualifiée de société simple.

Il résulte de ce qui précède que les parties sont liées par un contrat de société simple, et non par un contrat de mandat.

3. L'appelant fait valoir qu'il a résilié le contrat de société simple, que celle-ci est dissoute, qu'elle doit être liquidée et que le bail doit être résilié.

L'intimé soutient que les conclusions tendant à la résiliation du bail doivent être tranchées par le Tribunal des baux et loyers, avec la participation du bailleur.

3.1.1 Si la société a été formée pour une durée indéterminée, elle prend fin par la dénonciation du contrat par l’un des associés moyennant un avertissement donné six mois à l'avance (art. 545 al. 1 ch. 6 et 546 al. 1 CO).

Sous la lettre marginale "Fin de la société", la loi prévoit les règles applicables à la dissolution (art. 545 à 547 CO) et à la liquidation (art. 548 à 551 CO) de la société simple. Bien que théoriquement distinctes, ces deux étapes forment en fait une seule opération, au terme de laquelle la société prend véritablement fin: la société dissoute a, en effet, comme but nouveau et unique, sa liquidation (Chaix, Commentaire romand 2024, n. 1 ad art. 545-547).

Chaque associé est habilité à demander la liquidation et peut saisir la justice d’une telle action, pour autant que la société détienne des actifs et que le requérant puisse prétendre à des droits sur ceux-ci. Les associés doivent notamment dénoncer les contrats de durée pour leur plus prochain terme légal ou conventionnel (Chaix, op. cit., n. 1 et 9 ad art. 548-550 CO).

3.1.2 Si un colocataire veut se départir du bail, mais que le ou les autres locataires souhaitent demeurer dans les locaux, le colocataire sortant doit dissoudre et liquider la société simple (art. 545 al. 1 ch. 6 et 7 CO). Lors de la liquidation de la société simple, les parties ou, le cas échéant le juge, peuvent soit libérer le colocataire sortant de ses obligations résultant du bail, notamment du paiement du loyer et des charges ou de l’indemnité due pour les dégâts à la chose louée – sans effets à l’égard du bailleur (art. 551 CO), soit contraindre le locataire récalcitrant à résilier le bail. Un jugement entré en force qui condamne le colocataire à résilier le bail vaut déclaration de volonté de résilier, compte tenu de l’art. 344 al. 1 CPC. Le ou les autres locataires doivent de leur côté donner congé – puisque celui-ci doit être commun –, en respectant les mêmes délai et terme (Dietschy Martenet, Les colocataires de baux d’habitations ou de locaux commerciaux / I. - II., dans: Bohnet François/Carron Blaise (éd.), 19e Séminaire sur le droit du bail, Bâle, Neuchâtel 2016, p. 200).

Le colocataire sortant qui veut se départir du bail peut le faire en une seule procédure: dissoudre la société pour justes motifs et demander sa liquidation (Lachat, op. cit., 2019, p. 106).

3.1.3 Selon l'art. 344 al. 1 CPC, lorsque la condamnation porte sur une déclaration de volonté, la décision tient lieu de déclaration dès qu’elle devient exécutoire.

3.1.4 Si la procédure cantonale est soumise au principe de disposition, le tribunal peut, même sans conclusions subsidiaires, allouer moins qu’il n’est requis, si les conditions pour admettre entièrement les conclusions ne sont pas réunies (arrêt du Tribunal fédéral 5A_449/2014 du 2 octobre 2014 consid. 6.2.1 et 6.2.2).

3.2 En l'espèce, l'appelant a dénoncé au plus tard le 30 juin 2022 le contrat de société le liant à l'intimée. Le délai de six mois prévu par la loi est dès lors expiré, de sorte que la Cour fera droit à la conclusion de l'appelant tenant à ce qu'elle constate que la société simple le liant à l'intimée a été dissoute et qu'elle doit être liquidée.

L'appelant a renoncé en appel aux conclusions tendant à ce que le Tribunal constate que le bail a valablement été résilié qu'il avait prises devant le Tribunal et qui ont été déclarées irrecevables par celui-ci.

Le Tribunal a par contre déclaré recevable la conclusion de l'appelant tendant à ce qu'il soit autorisé à résilier, en son nom et pour le compte de l'intimée, le bail litigieux. L'intimée fait valoir que cette conclusion est irrecevable au motif que cette question est de la compétence du Tribunal des baux et loyers. Elle ne critique cependant pas de manière motivée le raisonnement du Tribunal sur ce point. C'est au demeurant à juste titre que le Tribunal a jugé cette conclusion recevable car elle ne concerne pas une question en lien avec la validité du contrat de bail à l'égard du bailleur, mais uniquement un aspect des rapports internes entre les associés.

La doctrine susmentionnée prévoit de plus que la dissolution de la société et sa liquidation, dans le cadre de laquelle le sort des contrats de durée doit être tranché, peuvent être traité au cours d'une seule et même procédure.

La Cour ne peut cependant pas autoriser l'appelant à résilier le bail seul, car l'art. 550 al. 1 CO prévoit que la liquidation qui suit la dissolution de la société doit être faite en commun par tous les associés. Dans le cadre de cette liquidation, le juge peut uniquement contraindre le colocataire restant à résilier le bail.

En application du principe "qui peut le plus, peut le moins", la Cour condamnera ainsi l'intimée à résilier le bail litigieux pour sa plus prochaine échéance.

Il incombera à l'appelant, conformément aux principes juridiques susmentionnés, de donner également son congé de son côté, en respectant les mêmes délai et terme de résiliation.

Le jugement querellé sera par conséquent annulé. La Cour constatera que la société simple liant les parties a été dissoute et qu'elle doit être liquidée. L'intimée sera condamnée à résilier le bail portant sur le magasin d'environ 120 m2 situé au rez-de-chaussée de l'immeuble sis no. ______, av. 1______, [code postal] Genève.

4. L'intimée, qui succombe pour l'essentiel, sera condamnée aux frais et dépens des deux instances (art. 106 al. 1 et 318 al. 3 CPC).

Le Tribunal a fixé les frais judiciaires de première instance à 5'200 fr., ce qui n'est pas critiqué et est conforme aux dispositions légales (art. 5, 15 et 17 RTFMC), de sorte que ce montant sera confirmé. Les frais judiciaires d'appel seront quant à eux fixés à 5'000 fr. (art. 17 et 35 RTFMC). Ces montants seront compensés avec les avances de 10'200 fr. fournies par l'appelant, acquises à l'Etat de Genève (art. 111 CPC). L'intimée sera condamnée à verser ce montant à l'appelant.

L'appelant fait valoir dans son appel que le montant de 8'535 fr. de dépens fixé par le Tribunal est supérieur de 851 fr. au seuil prévu par la loi pour une valeur litigieuse de 57'600 fr. Tel n'est pas le cas, car l'appelant a omis dans son calcul de tenir compte du fait que les dépens doivent être majorés de la TVA en 8,1% et des débours en 3% (art. 84, 85 RTFM et 25 et 26 LaCC). Les dépens de première instance seront dès lors fixés au montant arrondi de 8'500 fr., débours et TVA inclus.

Les dépens d'appel seront arrêtés à 5'600 fr., débours et TVA inclus (art. 84, 85 et 90 RTFMC).

* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/5044/2024 rendu le 24 avril 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/23081/2022.

Au fond :

Annule le jugement précité et, statuant à nouveau :

Constate que la société simple liant A______ à la SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ a été dissoute.

Dit que cette société simple doit être liquidée.

Condamne SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ à résilier le bail portant sur le magasin d'environ 120 m2 situé au rez-de-chaussée de l'immeuble sis no. ______, av. 1______, [code postal] Genève, ainsi que celui du dépôt et des deux places de parking dépendant de ce magasin.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met les frais judiciaires des deux instances, arrêtés à 10'200 fr., à la charge de SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ et les compense avec les avances versées, acquises à l'Etat de Genève.

Condamne SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ à verser 10'200 fr. à A______ au titre des frais judiciaires de première et seconde instance.

Condamne SAS A ASSOCIE UNIQUE B______ à verser 14'100 fr. à A______ au titre des dépens de de première et seconde instance.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.