Décisions | Chambre civile
ACJC/1561/2024 du 05.12.2024 sur ORTPI/483/2024 ( OO ) , IRRECEVABLE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/2355/2023 ACJC/1561/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU JEUDI 5 DÉCEMBRE 2024 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre une ordonnance rendue par la 21ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 18 avril 2024, représenté par Me Albert RIGHINI, avocat, RVMH Avocats, rue Gourgas 5, case postale 31, 1211 Genève 8,
et
Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Caroline FERRERO MENUT, avocate, Etude Canonica & Associés, rue François-Bellot 2, 1206 Genève.
A. a. A______, né en 1976, et B______, née en 1975, tous deux de nationalité polonaise, se sont mariés le ______ 2004 à C______, en Pologne.
b. Deux enfants sont issus de cette union, soit D______ et E______, nés respectivement les ______ 2005 et ______ 2007.
c. Les époux se sont installés à Genève en 2019, après avoir vécu en Pologne, à F______ (France) et à Monaco.
d. Par demande non motivée du 10 février 2023, complétée le 7 juin 2023, B______ a déposé une demande unilatérale de divorce devant le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal).
Les parties s'opposent principalement sur l'entretien des enfants et de l'épouse, sur la liquidation du régime matrimonial, comprenant notamment des biens immobiliers sis à G______ (Pologne) et à F______ (France), des sociétés détenues par A______, des comptes bancaires et d'autres biens mobiliers, ainsi que sur le partage des avoirs de prévoyance LPP.
Dans leurs écritures respectives, les parties ont toutes deux requis, à titre préalable, la production de nombreuses pièces concernant la situation financière de leur partie adverse, notamment au sujet des sociétés dans lesquelles A______ est impliqué.
e. Par ordonnance du 3 novembre 2023 rendue sur mesures provisionnelles, le Tribunal a condamné A______ à verser en mains de son épouse 22'000 fr. par mois pour l'entretien de celle-ci et 2'200 fr. par mois pour l'entretien de D______ qui vivait avec elle, le tout dès le 1er septembre 2023, ainsi que 60'000 fr. à titre de provisio ad litem.
f. Lors de l'audience du 18 janvier 2024, les parties ont formulé des allégués supplémentaires et complété leurs réquisitions de preuve.
g. Par courriers des 15 février et 18 mars 2024, les parties se sont déterminées sur les réquisitions de preuves sollicitées de part et d'autre.
B. Par ordonnance ORTPI/483/2024 du 18 avril 2024 intitulée "ordonnance de production de pièces et de preuve", le Tribunal a rendu la décision entreprise dont le dispositif est le suivant:
"1. Donne acte à B______ de son engagement à produire les documents suivants et l'y condamne en tant que de besoin :
1) le bordereau de taxation fiscale 2022,
2) les déclarations fiscales de conjoint séparé si elles existent,
3) une copie de ses diplômes.
2. Donne acte à A______ de son engagement à produire les documents suivants et l'y condamne en tant que de besoin :
1) le contrat de bail de l'appartement de H______ [GE] avec toutes les pièces relatives au litige sur la résiliation du bail et les défauts de la chose louée,
2) la preuve de paiement des charges courantes de E______,
3) le relevé du compte à partir duquel il verse la pension pour D______ entre janvier 2023 et janvier 2024,
4) les bilans et comptes de pertes et profits audités de I______ SA pour 2020, 2021 et 2022.
3. Ordonne à A______ de produire les pièces suivantes :
5) preuve du paiement de son loyer à J______ [Angleterre] et de ses charges courantes,
6) détails des mouvements de toutes ses cartes de crédit du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2023,
7) extraits détaillés de tous ses comptes bancaires en Suisse et à l'étranger avec les mouvements détaillés pour la période du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2023,
8) attestation de la K______ indiquant tous les comptes qu'il détient auprès de cette banque, ouverts, clôturés, avec les dates d'ouverture et de clôture ainsi que tous les actifs qu'il a détenus (coffre, titres, etc.),
9) copie des contrats qu'il a conclus avec L______,
10) copie des contrats de prêt qu'il a conclus avec M______ et I______ SA,
11) statuts, bilans et comptes de pertes et profits audités pour 2020, 2021 et 2022 de N______ GMBH,
12) statuts, bilans et comptes de pertes et profits audités pour 2020, 2021 et 2022 de I______ SA,
13) procès-verbaux des assemblées générales du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2023 de I______ SA,
14) statuts, bilans et comptes de pertes et profits audités pour 2020, 2021 et 2022 de M______,
15) procès-verbaux des assemblées générales du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2023 de M______,
16) acte constitutif de O______ FOUNDATION et ses annexes,
17) contrat de prêt conclu entre SCP P______ et A______ à concurrence de Eur 1'950'000.-,
18) procès-verbal de l'assemblée générale de SCP P______ signé par les actionnaires acceptant de contracter un prêt de Eur 1'950'000.- à l'égard d'un tiers,
19) toute décision des actionnaires de SCP P______ acceptant le remboursement d'un prêt contracté.
4. Assortit l'injonction de production par A______ des pièces mentionnées sous chiffres nos 10, 12, 13 et 16 ci-dessus de la menace de la peine prévue à l'article 292 CP.
5. Ordonne à B______ de produire les pièces suivantes :
4) les extraits de toutes ses relations bancaires ou postales dont elle est/était titulaire où co-titulaire pour la période du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2023,
5) un exemplaire de ses bordereaux de taxation pour 2023.
6. Impartit aux deux parties un délai au vendredi 7 juin 2024 pour produire les pièces visées dans la présente ordonnance.
7. Dit qu'il sera procédé à l'audition des parties, requise par B______, audition qui sera ordonnée une fois les pièces, visées par la présente ordonnance, produites par les parties. "
C. a. Par acte du 2 mai 2024, A______ a formé un recours, subsidiairement un appel, contre l'ordonnance précitée et a conclu à l'annulation des chiffres 2, 3, 4 et 6 de son dispositif.
Préalablement, il a requis la restitution de l'effet suspensif, requête qui a été admise dans une mesure limitée au chiffre 3 points 10, 12, 13 et 16 du dispositif de l'ordonnance par arrêt du 31 mai 2024, le sort des frais ayant été réservé à la décision finale.
b. Dans sa réponse, B______ a conclu au déboutement de sa partie adverse de toutes ses conclusions. Subsidiairement, elle a conclu à l'annulation du chiffre 4 du dispositif de l'ordonnance attaquée et à la confirmation de celle-ci pour le surplus.
Elle a produit deux pièces complémentaires, soit des courriers des 23 août 2023 et 30 janvier 2024.
c. Les parties ont répliqué et dupliqué, puis se sont encore déterminées les 5 et 15 juillet 2024, en persistant dans leurs conclusions respectives. B______ a produit un courrier du 7 juin 2024 à titre de pièce nouvelle.
d. Par avis de la Cour du 30 août 2024, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.
1. 1.1. Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).
Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, in Commentaire romand, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 11 ad art. 319 CPC). Les ordonnances de preuve au sens de l'art. 154 CPC sont des ordonnances d'instruction (Jeandin, op.cit. n. 14 ad art. 319 CPC).
Le délai de recours est de dix jours, à moins que la loi n'en dispose autrement (art. 321 al. 2 CPC).
1.2 En l'espèce, la décision attaquée est une ordonnance intitulée "ordonnance de production de pièces et de preuve" par laquelle le Tribunal se prononce sur les mesures probatoires sollicitées par les parties, statuant ainsi sur le déroulement et la conduite de la procédure. Il s'agit sans équivoque d'une ordonnance de preuve au sens de l'art. 154 CPC, qui ne peut être contestée que par la voie du recours.
Le recours a été interjeté en temps utile et dans la forme prescrite par la loi. Dans la mesure où la loi ne prévoit pas d'autre voie de recours dans ces cas, l'ordonnance attaquée doit encore être susceptible de causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).
1.3 Reste donc à examiner si la décision querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant.
1.3.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" consacré par l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 77).
Constitue un "préjudice difficilement réparable" toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n. 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC et les références citées).
Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_1051/2020 du 28 avril 2021 consid. 3.1).
La décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice irréparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (ATF 141 III 80 consid. 1.2 et les arrêts cités). La règle comporte toutefois des exceptions. Il en va ainsi, notamment, lorsque la sauvegarde de secrets est en jeu; par exemple, la divulgation forcée de secrets d'affaires est propre à léser irrémédiablement les intérêts juridiques de la partie concernée, en tant qu'elle implique une atteinte définitive à sa sphère privée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_240/2024 du 17 mai 2024 consid. 4.3; 5A_1058/2019 du 4 mai 2020 consid. 1; 4A_108/2017 du 30 mai 2017 consid. 1.2). Une décision relative à l'administration des preuves est également susceptible de causer un tel dommage lorsqu'elle est assortie de la menace des sanctions prévues par l'art. 292 CP. En effet, le risque d'ouverture d'une procédure pénale pour insoumission à une décision de l'autorité suffit pour admettre un dommage irréparable de nature juridique (arrêts du Tribunal fédéral 5A_745/2014 du 16 mars 2025 consid. 1.2.3; 5D_166/2011 du 13 décembre 2011 consid. 2.4.1; 5P.444/2004 du 2 mai 2005 consid. 1.1).
1.3.2 Aux termes de l'art. 292 CP, celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende.
Pour entraîner les conséquences pénales de l'art. 292 CP, la décision doit indiquer au destinataire avec suffisamment de précision qu'il encourt une amende s'il n'obtempère pas à l'ordre qui lui a été signifié (ATF 105 IV 248 consid. 2). Il ne suffit ainsi pas de rappeler à l’intéressé que la désobéissance est punissable, ni même de le menacer, en cas d’insoumission, des peines de CP 292. Il faut que l’insoumis ait été informé que sa désobéissance serait punie, conformément à CP 292, d’une amende (Bichovsky, in Commentaire romand, Code pénal, 2017, n° 14 ad art. 292 CP et les références citées).
1.3.3 En l'espèce, le seul préjudice difficilement réparable allégué par le recourant est celui relatif de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP assortie à la production de certaines pièces, contenue au chiffre 4 du dispositif attaqué.
Or, l'ordonnance attaquée ne contient aucune menace d'amende. Son dispositif, tout comme sa motivation, se limitent à évoquer l'art. 292 CP ou "la référence à l'art. 292 CP", sans en reproduire le texte légal et sans déterminer le contenu de la sanction en cas d'insoumission. Ces indications ne répondent pas aux exigences légales, de sorte que la menace prononcée au chiffre 4 du dispositif attaqué est viciée.
Dans la mesure où la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP prononcée par le Tribunal est affectée d’un vice, elle ne saurait donner lieu à l'ouverture d'une information pénale ni, partant, causer un préjudice difficilement réparable au recourant.
Le recours est dès lors irrecevable.
Il n'y a ainsi pas lieu d'examiner le fond du recours, quand bien même le bien-fondé de la menace prononcée paraît également douteux, compte tenu du fait que le défaut de collaboration des parties n'est en principe pas susceptible de faire l'objet d'une sanction disciplinaire ou pénale (art. 164 CPC; Message relatif au CPC du 28 juin 2006, FF 6841 ss, 6926).
2. Les frais judiciaires de recours seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 41 RTFMC) et entièrement compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par le recourant, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Les frais judiciaires seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).
Au vu de la nature familiale du litige, il ne sera pas alloué de dépens de recours (art. 107 al. 1 let. c CPC).
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La Chambre civile :
A la forme :
Déclare irrecevable le recours interjeté le 2 mai 2024 par A______ contre l'ordonnance ORTPI/483/2024 rendue le 18 avril 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2355/2023.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires de recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l’avance de frais versée, qui reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Paola CAMPOMAGNANI, Madame Stéphanie MUSY, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.
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Indication des voies de recours :
La présente décision, qui ne constitue pas une décision finale, peut être portée, dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (art. 72 LTF), aux conditions de l'art. 93 LTF.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.