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Décisions | Chambre civile

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C/25396/2021

ACJC/1384/2024 du 05.11.2024 sur JTPI/2414/2024 ( OO ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25396/2021 ACJC/1384/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 5 NOVEMBRE 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______ (VD), appelante d'un jugement rendu par la 21ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 16 février 2024, représentée par Me Jean-Marc COURVOISIER, avocat, RELIEF AVOCATS, rue Pichard 22, case postale 6931, 1002 Lausanne (VD),

et

B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Joël CHEVALLAZ, avocat, Mangeat Avocats Sàrl, rue de Chantepoulet 1, case postale, 1211 Genève 1.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/2414/2024 du 16 février 2024, reçu par les parties le 19 février 2024, le Tribunal de première instance, statuant à titre incident, a dit que les prétentions invoquées par B______ (recte: B______) SA à l'encontre de A______ SA n'étaient pas prescrites (chiffre 1 du dispositif), réservé le sort des frais à la décision finale (ch. 2) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3).

B. a Par acte expédié le 20 mars 2024 à la Cour de justice, A______ SA forme appel contre ledit jugement, dont elle requiert l'annulation. Elle conclut, avec suite de frais des deux instances, principalement, au rejet des conclusions prises à son encontre par B______ SA et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants de l'arrêt à rendre.

b. Dans sa réponse du 15 mai 2024, B______ SA conclut, avec suite de frais, à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, en persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées le 10 septembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour :

a. B______ SA, sise à Genève, a pour but l'exploitation de bureaux d'études, d'urbanisme, d'architecture, de génie-civil et d'expertise. C______ en est l'administrateur unique avec signature individuelle.

A______ SA, sise à D______ (VD), a pour but notamment l'étude, la fabrication, l'exécution et la vente de toutes constructions métalliques, telles que ponts, charpentes, chaudronnerie, serrurerie, équipements industriels et façades.

E______ SA (auparavant SARL), sise à Genève, a pour but notamment la construction, la vente, la location et la gestion de surfaces destinées à l'entreposage d'avions.

F______ SA, sise dans le canton de Nidwald, radiée en ______ 2021, avait pour but la planification, l'étude de projets et la réalisation de bâtiments et d'installations ainsi que la création d'infrastructures, principalement dans le domaine de l'aviation. De septembre 2009 à mai 2020, C______ a été membre avec signature individuelle du conseil d'administration de la société.

b. Par contrat d'entreprise totale du 15 juillet 2007, E______ SA, en qualité de maître d'ouvrage, a chargé F______ SA (représentée entre autres par C______), en qualité d'entrepreneur, de réaliser un hangar pour avions avec bureaux, locaux multi-usages et parkings sur la parcelle n. 1______ sise à G______ [GE].

Par deux contrats d'entreprise signés respectivement en janvier et en décembre 2008, F______ SA a confié à A______ SA les travaux de construction métallique (pour le prix de 3'900'000 fr.), respectivement les travaux de revêtements extérieurs du hangar (pour le prix de 2'880'000 fr.). La direction de travaux était confiée à B______ SA.

La norme SIA 118 a été intégrée dans ces deux contrats d'entreprise.

c. Le 26 février 2009, les travaux de construction métallique ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception de l'ouvrage selon les art. 157 ss de la norme SIA 118, lequel est signé uniquement par A______ SA. B______ SA fait valoir que ce procès-verbal n'est opposable ni à la direction des travaux ni au maître de l'ouvrage, qui ne l'ont pas signé.

Les travaux de revêtements extérieurs ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception de l'ouvrage selon les art. 157 ss de la norme SIA 118 signé le 23 avril 2009 par A______ SA, ainsi que par B______ SA en tant que "Direction des travaux". Le procès-verbal mentionne que la vérification révèle des défauts mineurs et que l'ouvrage est considéré comme reçu.

Le 3 juillet 2009 a eu lieu la réception du hangar par E______ SA, en présence notamment des représentants de celle-ci, ainsi que de ceux de F______ SA et de B______ SA. Le procès-verbal de réception de l'ouvrage selon les art. 157 ss de la norme SIA 118 mentionne que la vérification révèle des défauts mineurs et que l'ouvrage est considéré comme reçu.

d. Un litige est apparu en lien avec l'étanchéité du hangar.

B______ SA soutient que A______ SA serait responsable des défauts ayant engendré les fuites d'eau.

Selon A______ SA les infiltrations d'eau auraient été causées notamment par la mauvaise conception du hangar, telle qu'élaborée par F______ SA.

e. Par courrier du 27 septembre 2012, le conseil de F______ SA, faisant suite à la correspondance échangée et à une réunion "technique" du 20 septembre 2012, a communiqué au conseil de A______ SA un avis des défauts supplémentaire, qui s'ajoutait aux précédents, relatif à un problème de "plis des tôles-déformations-désolidarisation".

Il a invité A______ SA a lui retourner la déclaration annexée audit courrier, dont la teneur (en traduction libre de l'allemand) était la suivante :

"La soussignée déclare par la présente renoncer à invoquer l'exception de prescription ("auf die Einrede der Verjährung zu verzichten") jusqu'au 31 décembre 2015 à l'encontre d'éventuelles prétentions de F______ SA en relation avec les problèmes survenus dans le toit du hangar (…). L'établissement de cette déclaration n'implique pas la reconnaissance d'une quelconque responsabilité. En outre, la déclaration n'est valable que dans la mesure où la prescription n'est pas déjà acquise au moment de l'émission de la déclaration".

A______ SA a signé ladite déclaration le 8 novembre 2012, qui a été retournée à F______ SA par courrier du 12 novembre 2012.

Par lettre du 7 décembre 2015, le conseil de A______ SA a confirmé à celui de F______ SA que sa cliente prolongeait "sa renonciation à la prescription du 8 novembre 2012 jusqu'au 31 décembre 2016, sous les mêmes conditions".

Par courrier du 6 décembre 2016, le conseil de A______ SA a fait parvenir à celui de F______ SA une déclaration du 1er décembre 2016, par laquelle sa cliente renonçait "à se prévaloir de la prescription s'agissant de toutes prétentions qui pourraient être formulées contre elle par F______ AG en relation avec le chantier E______". La renonciation était faite sans aucune reconnaissance de responsabilité et ne déployait des effets que jusqu'au 31 décembre 2017 pour autant que la prescription ne soit pas d'ores et déjà acquise.

Par courrier du 18 décembre 2017, le conseil de A______ SA a confirmé à celui de F______ SA que sa cliente prolongeait "la renonciation à invoquer l'exception tirée de la prescription jusqu'au 31 décembre 2018, sans reconnaissance aucune de responsabilité et que pour autant que la prescription ne soit pas d'ores et déjà acquise à ce jour".

Par lettre du 7 décembre 2018, le conseil de A______ SA a confirmé à celui de F______ SA que sa cliente prolongeait "la renonciation à invoquer l'exception tirée de la prescription jusqu'au 31 décembre 2019, sans reconnaissance aucune de responsabilité et que pour autant que la prescription ne soit pas d'ores et déjà acquise à ce jour".

Par courrier du 22 novembre 2019, le conseil de A______ SA a confirmé à celui de F______ SA que sa cliente prolongeait "la renonciation à invoquer l'exception tirée de la prescription jusqu'au 31 décembre 2020, sans reconnaissance aucune de responsabilité et que pour autant que la prescription ne soit pas d'ores et déjà acquise à ce jour".

f. En mai 2020, F______ SA a été dissoute d'office en application de l'art. 153b ORC, au motif que le délai qui lui avait été imparti pour rétablir la situation légale en ce qui concernait son siège avait expiré sans avoir été utilisé. C______ a été nommé liquidateur avec signature individuelle.

La faillite de F______ SA en liquidation a été prononcée par jugement du 25 août 2020 du Tribunal cantonal de Nidwald.

La cession des droits de la masse en faillite à l'encontre de A______ SA a été proposée aux créanciers le 20 mai 2021. Le 21 mai 2021, B______ SA a sollicité et obtenu la cession des droits.

La procédure de faillite a été clôturée le 13 septembre 2021 et F______ SA en liquidation a été radiée d'office le ______ 2021.

g. Le 22 décembre 2021, B______ SA a ouvert action contre A______ SA par le dépôt d'une requête de conciliation. Après l'échec de la conciliation, elle a porté le 13 juillet 2022 devant le Tribunal une demande tendant à ce que A______ SA lui verse 2'438'286 fr. 59, à savoir les frais de réfection de l'ouvrage que F______ SA avait dû payer afin de faire éliminer le défaut d'étanchéité par des entreprises tierces.

B______ SA a soutenu que le hangar litigieux construit par A______ SA n'avait "jamais fait l'objet de réceptions partielles tout au long des travaux. La présence d'un défaut d'étanchéité dans la toiture, constaté pour la première fois le 3 juillet 2009, a[vait] eu pour conséquence de différer la réception définitive. La réception définitive n'a[vait] finalement pas eu lieu étant donné que le maître d'ouvrage principal, E______, a[vait] écarté la Défenderesse du chantier de réparation de la toiture. La dernière tentative de la Défenderesse de remédier aux défauts d'étanchéité a[vait] donc eu lieu le 30 janvier 2019, lorsqu'elle a[vait] présenté sa proposition de réfection à F______ et E______. Suite au refus de la proposition par E______, la réfection de l'ouvrage a[vait] été confiée à une entreprise tierce et finalement réceptionné le 6 novembre 2019. Partant, la prétention de la Demanderesse n'[était] pas frappée de prescription".

h. Le 17 janvier 2023, A______ SA a demandé au Tribunal de limiter la procédure, respectivement la réponse, à la question de la prescription des prétentions de sa partie adverse.

Par acte du 16 mars 2023 au Tribunal, A______ SA a fait valoir que la toiture, partie de l'ouvrage défectueuse, avait été considérée comme reçue le 23 avril 2009 sous réserve de défauts mineurs. L'ouvrage entier avait été formellement réceptionné le 3 juillet 2009 avec la même réserve. Il y avait donc eu réception de l'ouvrage en 2009. La renonciation à la prescription avait pour effet de prolonger le délai de prescription, mais n'emportait aucune suspension de celle-ci. La prescription avait été acquise durant les renonciations à l'exception de prescription consenties par A______ SA. Elle aurait dû être interrompue par l'un ou l'autre des moyens prévus par l'art. 135 CO avant le 31 décembre 2020, ce qui n'avait pas été le cas puisque la requête de conciliation avait été déposée le 22 décembre 2021, soit après la fin du délai fixé dans la dernière renonciation.

A______ SA a persisté à demander la limitation de la procédure à la question de la prescription, ce que le premier juge a refusé par ordonnance du 24 mars 2023.

Dans sa réponse du 17 avril 2023, A______ SA a conclu, avec suite de frais, au rejet des prétentions de B______ SA. Elle a maintenu son exception de prescription.

i. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

B______ SA a conclu au rejet de l'exception de prescription. Selon elle, le cours du délai de prescription de ses prétentions avait été valablement interrompu, à tout le moins du 8 novembre 2012 au 31 décembre 2020, puis il avait à nouveau été interrompu le 22 décembre 2021 lors du dépôt de la requête de conciliation. Ainsi, même si la réception de l'ouvrage avait eu lieu le 26 février 2009, le délai aurait couru du 26 février 2009 au 7 novembre 2012, soit environ 3 ans et 9 mois, puis du 1er janvier 2021 au 22 décembre 2021, soit 11 mois et 21 jours, soit moins de 5 ans au total. Les renonciations à invoquer la prescription devaient être interprétées selon le principe de la confiance et, d'après la jurisprudence, selon l'interprétation objective, le débiteur qui renonçait à invoquer la prescription entendait suspendre le cours du délai de prescription pour la durée indiquée.

A titre superfétatoire, B______ SA a fait valoir que sa partie adverse avait tenté de remédier aux divers défauts entre 2009 et 2019 et accepté de prendre en charge un certain montant. Elle avait ainsi reconnu sa dette, ce qui avait interrompu la prescription et fait courir des nouveaux délais de cinq ans (art. 135 ch. 1 CO).

Selon A______ SA, la renonciation à invoquer la prescription était une prolongation du délai de prescription. Même à supposer que la réception de l'ouvrage serait intervenue le 23 avril 2009, le cours de la prescription n'avait pas été suspendu du fait des déclarations de renonciation, de sorte que le délai de prescription de cinq ans était arrivé à échéance le 23 avril 2014. F______ SA avait accepté, par ses renonciations, de prolonger le délai jusqu'au 31 décembre 2020. Sans nouvelle prolongation de la renonciation à compter du 31 décembre 2020, le délai de prescription était échu depuis le 1er janvier 2021.

A______ SA a contesté toute reconnaissance de dette qui aurait fait courir un nouveau délai de prescription.

j. A l'issue de l'audience de débats d'instruction du 1er février 2024, le Tribunal a imparti à B______ SA un délai "pour faire part exclusivement de sa position définitive sur une limitation de la procédure à la question de la prescription et sans aucun développement juridique supplémentaire". Il a dit qu'à réception de cette détermination, il garderait la cause à juger "alternativement sur la prescription ou sur l'ordonnance de preuves".

k. Par acte du 7 février 2024, B______ SA a confirmé au Tribunal qu'elle s'opposait à une limitation de la procédure à la question de la prescription.

l. Sur quoi, le premier juge a rendu le jugement partiel attaqué, dans lequel il expose en préambule que, "dans la mesure où les parties [s'étaient exprimées] sur le fond à l'occasion d'un double échange d'écritures, il se justifi[ait], à ce stade de la procédure, que le Tribunal rende une décision incidente, au sens de l'art. 237 CPC, au sujet de la prescription, pour qu'il ne soit plus nécessaire d'y revenir ultérieurement".

m. Sur la question litigieuse de la prescription, le Tribunal a considéré que la volonté réelle commune de A______ SA et F______ SA ne pouvait pas être établie sur la base des pièces produites.

Il convenait donc de procéder à une interprétation objective des diverses déclarations de renonciation à la prescription qui avaient été signées entre le 8 novembre 2012 et le 22 novembre 2019. Aucune référence n'était faite à une poursuite qui aurait interrompu la prescription, à défaut de signature de la déclaration de renonciation. Il fallait donc en déduire que A______ SA avait accepté de renoncer à se prévaloir de la prescription, pour des périodes successives, d'abord de trois ans, puis, à cinq reprises, d'une année. En d'autres termes, ces déclarations de renonciation à invoquer la prescription ne valaient pas interruption de la prescription, mais suspension du cours du délai de prescription pour chacune des durées indiquées.

Concrètement, le délai de 5 ans avait commencé à courir au plus tôt le 26 février 2009. Il avait couru jusqu'au 7 novembre 2012, soit pendant 3 ans, 8 mois et 10 jours environ. Il avait ensuite été suspendu du 8 novembre 2012 jusqu'au 31 décembre 2020. Le délai avait recommencé à courir du 1er janvier 2021 jusqu'au 21 décembre 2021, soit pendant 11 mois et 21 jours, puisque la requête de conciliation avait été déposée le 22 décembre 2021, requête qui avait interrompu la prescription, en application de l'art. 135 CO.

Ainsi, le délai de prescription avait couru pendant 3 ans, 8 mois et 10 jours puis pendant 11 mois et 21 jours. Le délai de prescription de cinq ans prévu par
l'art. 180 de la norme SIA n'était donc pas échu lors du dépôt de la requête de conciliation, qui marquait le début de la litispendance (art. 62 al. 1 CPC).

Les prétentions que faisait valoir B______ SA à l'encontre de A______ SA n'étaient donc pas prescrites.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) rendues dans des affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

Le jugement qui rejette le moyen tiré de la prescription est une décision incidente qui doit être attaquée immédiatement (art. 237 al. 2 CPC; JEANDIN, CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 9 ad art. 308 CPC).

L'appel a été introduit en temps utile, selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1 et 311 al. 1 CPC), et porte sur des conclusions supérieures à 10'000 fr., de sorte qu'il est recevable.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen
(art. 310 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (ATF
142 III 413 consid. 2.2.4).

La partie intimée à l'appel peut elle-aussi présenter des griefs dans sa réponse à l'appel, si ceux-ci visent à exposer que malgré le bien-fondé des griefs de l'appelant, ou même en s'écartant des constats et du raisonnement juridique du jugement de première instance, celui-ci est correct dans son résultat. L'intimé à l'appel peut ainsi critiquer dans sa réponse les considérations et les constatations du jugement attaqué qui pourraient lui être défavorables au cas où l'instance d'appel jugerait la cause différemment (arrêts du Tribunal fédéral 5A_23/2024 du 24 septembre 2024 consid. 3.3.2.2; 4A_258/2015 du 21 octobre 2015 consid. 2.4.2; 4A_267/2015 du 27 juin 2016 consid. 3).

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir considéré que les prétentions de l'intimée n'étaient pas prescrites. Elle conteste l'argumentation du premier juge, selon laquelle le délai de prescription aurait été suspendu du 8 novembre 2012 au 31 décembre 2020, par l'effet de ses renonciations à la prescription. Elle reproche au Tribunal d'avoir considéré que la volonté réelle et commune de F______ SA et d'elle-même ne pouvait pas être déterminée et d'avoir ainsi recouru à l'interprétation objective.

L'intimée ne critique pas de son propre chef le raisonnement du premier juge et se borne à le faire sien. Elle ne présente donc pas d'elle-même d'autres motifs de faire droit à ses conclusions sur la question de la prescription.

2.1 L'art. 180 al. 1 de la norme SIA 118 prévoit que les droits du maître en cas de défauts se prescrivent par cinq ans à partir de la réception de l'ouvrage ou de la partie de l'ouvrage.

Le juge ne peut suppléer d'office le moyen résultant de la prescription (art. 142 CO). La preuve que la prescription est atteinte incombe à l'entrepreneur (CHAIX, CR CO I, 3ème éd. 2021, n. 44 ad art. 372 CO) qui soulève ce moyen.

2.2 La modification du Code des obligations du 15 juin 2018 relative à la révision du droit de la prescription (RO 2018 5343, p. 5347) est entrée en vigueur le 1er janvier 2020. L'art. 49 Tit. Fin CC (droit transitoire) a été modifié comme suit: lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (al. 1); lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus courts que l’ancien droit, l’ancien droit s’applique (al. 2); l’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effets sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3); au surplus, la prescription est régie par le nouveau droit dès son entrée en vigueur (al. 4).

Ainsi, le nouveau droit est sans incidence sur les renonciations émises avant son entrée en vigueur (KUONEN, La renonciation à invoquer la prescription: le temps d'y renoncer? in Le nouveau droit de la prescription, 2019, p. 49 ss, n. 51-52).

En l'espèce, les déclarations de renonciation de l'intimée à se prévaloir de l'exception de prescription sont intervenues entre novembre 2012 et novembre 2019. C'est ainsi à juste titre que le Tribunal a considéré que l'entrée en vigueur du nouveau droit était sans incidence sur la présente cause, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par les parties.

2.2.1 L'empêchement et la suspension de la prescription sont réglés à l'art. 134 CO, qui énumère des cas dans lesquels la prescription ne court pas ou, si elle a commencé à courir, est suspendue, puis commence à courir ou reprend son cours dès l'expiration du jour où cessent les causes qui la suspendent.

L'interruption de la prescription est réglée à l'art. 135 CO. Un nouveau délai commence à courir dès l'interruption (art. 137 al. 1 CO).

La renonciation à soulever l'exception de prescription (anciennement la renonciation à la prescription) est réglée à l'art 141 CO. La présente cause relève de l'ancien droit de la prescription, de sorte que l'art. 141 CO dans sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2020 ne trouve pas application.

La preuve de la suspension ou de l'interruption de la prescription incombe au maître d'ouvrage (CHAIX, CR CO I, 3ème éd. 2021, n. 44 ad art. 372 CO).

2.2.2 Selon l'art. 141 al. 1 aCO, est nulle toute renonciation anticipée à la prescription. En revanche, après que le contrat a été conclu, le débiteur peut parfaitement renoncer à se prévaloir de la prescription tant que court ledit délai, ce qui signifie qu'il lui est loisible par exemple de renoncer à soulever l'exception de prescription en cas de procès (ATF 132 III 226 consid. 3.3.7).

Selon l'ancienne jurisprudence fédérale, la renonciation anticipée devait être interprétée conformément au principe de la confiance (ATF 112 II 231 consid. 3e/bb). Depuis, le Tribunal fédéral, se ralliant à l'avis de la doctrine, a précisé que la durée pour laquelle la renonciation doit valoir doit se déterminer conformément à la volonté des parties. Toutefois, la renonciation à la prescription ne saurait être émise pour une durée dépassant le délai ordinaire de 10 ans institué par l'art. 127 CO. La renonciation à la prescription repousse la survenance de la prescription. (ATF 132 III 226 consid. 3.3.7 et 3.3.8).

D’un point de vue pratique, le Tribunal fédéral assimile dans une jurisprudence constante les effets concrets de la "renonciation à la prescription" et de la "renonciation à soulever l’exception de prescription": dans les deux cas, la prescription est prolongée de la durée de la renonciation. En d'autres termes, les parties prolongent le délai de prescription de la durée pour laquelle le débiteur renonce; le délai de prescription continue à courir jusqu'au terme convenu de la renonciation et la prescription peut, dans l'intervalle, être interrompue ou suspendue. Doit être réservée une volonté contraire des parties (ATF 99 II 185 consid. 3a - JdT 1974 I 46, pp. 53-54; arrêts du Tribunal fédéral 4A_ 707/2012 du 28 mai 2013 consid. 7.4.2; 9C_104, 108, 109/2007 du 20 août 2007 consid. 8.2.1; arrêt du Tribunal cantonal valaisan TCV C1 18 74 du 7 avril 2020, publié in RVJ 2021 177 ss, consid. 4.1.2 et 4.2 et les références citées; arrêt du Tribunal cantonal vaudois n° 15/2013/PMR du 8 mars 2013 consid. VI d à f; MÜLLER, La renonciation à soulever l’exception de prescription, in Le nouveau droit de la prescription, 2019, n. 74).

La nouvelle formulation de l'art. 141 CO a repris en grande partie la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 132 III 226), qui avait clarifié la situation juridique sous l'ancien droit tout en laissant certaines incertitudes, en particulier sur l'effet de la renonciation à invoquer la prescription, volontairement laissé par le législateur à l'interprétation de la volonté des parties ou de leur déclaration. Le Message du Conseil fédéral a volontairement laissé la question indécise de savoir si la renonciation a un effet purement procédural, à savoir d'empêcher le débiteur de soulever l'exception de prescription, ou un effet matériel également, à savoir de suspendre le cours de la prescription pour la durée indiquée. Pour le législateur, c'est ainsi une affaire d'interprétation que de déterminer si la prescription continue ou non à courir en dépit de la renonciation à invoquer la prescription. On peut donc inciter les parties, mais avant tout le débiteur qui renonce, à préciser dans le texte de l'acte que la prescription est suspendue. En l'absence de précision dans le texte de la renonciation [quant à l'effet matériel ou procédural de celle-ci], le principe de la confiance devrait probablement conduire à retenir la suspension du cours du délai de prescription. C'est ce que veulent en principe les parties (PICHONNAZ, CR CO I, 3ème éd. 2021, n. 2, 7, 28 et 29 ad art. 141 CO et les références citées).

Si seul le créancier a formulé la déclaration de renonciation, c’est ce dernier qui doit supporter les conséquences d’un éventuel manque de clarté et non le débiteur (règle des causes ambigües) (MÜLLER, op. cit., n. 54).

2.2.3 Que l'on considère la renonciation à invoquer la prescription comme un acte juridique bilatéral ou unilatéral, son interprétation répond aux principes de l'art. 18 CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_507/2020 du 28 mai 2021 consid. 4.1).

Ceci signifie que le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_507/2022 du 29 juin 2022 du 29 juin 2023 consid. 4.1; 4A_643/2020 du 22 octobre 2021 consid. 4).

Ce n'est que si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves -, qu'il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre. Il s'agit d'une interprétation selon le principe de la confiance (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; arrêts du Tribunal fédéral 4A_507/2022 précité consid. 4.1; 4A_643/2020 précité consid. 4). Il n'y a pas lieu de s'écarter du sens littéral du texte adopté par les cocontractants lorsqu'il n'existe aucune raison sérieuse de penser qu'il ne correspond pas à leur volonté (ATF 136 III 186 consid. 3.2.1).

L'interprétation de la volonté subjective a la priorité sur l'interprétation de la volonté objective (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1). Ce principe de priorité relève du droit (ATF 131 III 606 consid. 4.1). En effet, lorsque les parties se sont exprimées de manière concordante (échange de manifestations de volonté concordantes), qu'elles se sont effectivement comprises et, partant, ont voulu se lier, elles sont liées par un accord de fait. Ce n'est que subsidiairement, si un tel accord de fait n'a pas pu être établi, que le contrat peut être conclu dans le sens objectif que l'on peut donner à leurs déclarations de volonté selon le principe de la confiance et, donc, par un accord de droit (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_227/2020 du 28 janvier 2021 consid. 3.2.2).

Subsidiairement, si l'interprétation selon le principe de la confiance ne permet pas de dégager le sens de clauses ambiguës, celles-ci sont à interpréter en défaveur de celui qui les a rédigées, en vertu de la règle "in dubio contra stipulatorem" (ATF 133 III 61 consid. 2.2.2.3; 122 III 118 consid. 2a).

2.3 En l'espèce, il est admis que les prétentions de F______ SA à l'encontre de l'appelante, dont l'intimée a obtenu la cession après la faillite de la première, se prescrivent par cinq ans à compter de la réception de l'ouvrage. Ainsi, si la prescription avait commencé à courir en 2009 (cf. ci-dessus, "En fait", let. C.c), elle serait venue à échéance en 2014, si l'appelante n'avait pas renoncé à se prévaloir de l'exception de prescription. Par ailleurs, il n'est ni contesté ni contestable que les renonciations litigieuses ne ressortissent à aucun cas prévu par la loi de suspension ou d'interruption du cours de la prescription. De plus, l'intimée ne soutient pas, à juste titre, que les renonciations successives auraient fait courir un (ou plusieurs) nouveau(x) délai(s) de prescription de cinq ans.

2.3.1 Le texte des déclarations de renonciation manifestées par l'appelante est clair et ne laisse planer aucun doute quant à la durée et aux effets de celles-ci.

La déclaration de novembre 2012 n'a pas été rédigée par l'appelante, mais par le conseil de la (prétendue) créancière, soit du maître d'ouvrage F______ SA. Ledit avocat n'a pas proposé à l'appelante de renoncer au cours de la prescription, mais de renoncer à se prévaloir de l'exception de prescription. La (prétendue) créancière a donc voulu attribuer à la renonciation un effet procédural; elle n'a pas précisé que le délai de prescription serait suspendu jusqu'à l'échéance de la prolongation, prévue pour le 31 décembre 2015. Cette date revenait d'ailleurs à prolonger d'une année le cours de la prescription qui, par hypothèse, avait commencé à courir en 2009. En signant la déclaration, l'appelante a accepté de s'engager à renoncer à se prévaloir de l'exception de prescription jusqu'à fin 2015, pour autant que la prescription ne soit pas déjà acquise. Il s'agit d'un engagement à s'abstenir soumis à une condition.

Par la suite, le maître d'ouvrage a sollicité de l'appelante des prolongations annuelles de la renonciation, chaque fois avant la fin de l'année précédente. C'est en effet manifestement toujours à la demande de F______ SA - puisqu'en décembre 2015, décembre 2017, décembre 2018 et novembre 2019, l'entrepreneuse a écrit au maître d'ouvrage qu'elle "confirmait" la prolongation -, que l'appelante a par la suite prolongé sa renonciation, à la même condition, à cinq reprises sans interruption jusqu'au 31 décembre 2020, la dernière fois en novembre 2019. A teneur du dossier, F______ SA (en liquidation dès mai 2020, puis en faillite depuis août 2020) n'a plus sollicité l'appelante après novembre 2019 et notamment en 2020, afin qu'elle renonce à se prévaloir de l'exception de prescription pour une année supplémentaire.

Il apparaît donc que F______ SA et l'appelante, sur proposition de la première qui a formulé la déclaration de renonciation initiale, ont convenu de prolonger le délai de prescription à plusieurs reprises, pour la dernière fois jusqu'au 31 décembre 2020.

Dans la mesure où la volonté réelle et commune des intéressées peut être établie de manière univoque, le recours au principe de la confiance est exclu. En toute hypothèse, compte tenu du texte clair des renonciations, une interprétation objective conduirait à la même solution. En cas de doute, les renonciations devraient être interprétées en défaveur du maître d'ouvrage, qui a rédigé la déclaration initiale.

Ainsi, si le délai de prescription a commencé à courir en 2009, les renonciations de l'appelante ont eu pour effet d'en prolonger le cours jusqu'au 31 décembre 2020 au plus tard, mais sans le suspendre ni l'interrompre. Dès lors, dans cette hypothèse, les prétentions de l'intimée, qui n'a agi en justice que le 22 décembre 2021, seraient prescrites, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal.

Le grief de l'appelante se révèle donc fondé.

2.3.2 Le Tribunal a basé son raisonnement sur la suspension du délai de prescription quinquennale de l'art. 180 al. 1 de la norme SIA 118 du 8 novembre 2012 au 31 décembre 2020 et s'est dispensé de déterminer à quelle date ce délai avait commencé à courir, se bornant à retenir "au plus tôt le 26 février 2009", date qui est contestée par l'intimée. Les éléments figurant au dossier ne permettent pas, à ce stade, de déterminer le début dudit délai. Par ailleurs, le premier juge n'a pas examiné les arguments soulevés à titre subsidiaire par l'intimée, qui a fait valoir d'abord que l'ouvrage aurait été réceptionné le 6 novembre 2019, puis que l'intimée aurait reconnu la dette, ce qui aurait interrompu la prescription (cf. ci-dessus, En fait, let. C. f et C.h).

Même si l'intimée ne reprend pas ces arguments devant la Cour, il y a lieu de renvoyer la cause au Tribunal pour éventuelle instruction complémentaire et nouvelle décision sur la question de la prescription, dans le sens des considérants (art. 318 al. 1 let c CPC).

3. Les frais sont mis à la charge de la partie succombante (art. 106 al. 1 CPC).

En l'espèce, l'intimée succombe sur la seule question soumise à la Cour, soit celle de savoir si le délai de prescription de cinq ans a été suspendu durant la période de renonciation, par l'appelante, à se prévaloir de l'exception de prescription.

Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 36 RTFMC), mis à la charge de l'intimée et compensés avec l'avance fournie par l'appelante, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimée versera à l'appelante 1'000 fr. à titre de restitution des frais judiciaires d'appel (art. 111 al. 2 CPC).

Elle lui versera également 2'500 fr., débours et TVA compris, à titre de dépens d'appel (art. 20 al. 1 et 2, 25 et 26 LaCC; art. 84, 85 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 20 mars 2024 par A______ SA contre le jugement JTPI/2414/2024 rendu le 16 février 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/25396/2021-21.

Au fond :

Annule le jugement attaqué.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de B______ SA et les compense avec l'avance versée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ SA à verser à A______ SA 1'000 fr. à titre de frais judiciaires d'appel et 2'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.