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Décisions | Chambre civile

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C/23918/2020

ACJC/1189/2024 du 27.09.2024 sur JTPI/15135/2023 ( OO ) , MODIFIE

En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23918/2020 ACJC/1189/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 27 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par la 18ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 décembre 2023, représentée par Me Gabriel RAGGENBASS, avocat, OA Legal SA, place de Longemalle 1, 1204 Genève,

et

B______, sise ______, intimée, représentée par Me Claude BRETTON-CHEVALLIER, avocate, NOMEA Avocats SA, avenue de la Roseraie 76A, case postale, 1211 Genève 12.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/15135/2023 du 22 décembre 2023, communiqué aux parties le 9 janvier 2024, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a dit que B______ a violé son obligation de diligence en n'exécutant pas dès le 9 mars 2020 l'instruction de A______ du 17 février 2020 (ch. 1 du dispositif), dit qu'il sera statué sur le sort des frais dans la décision finale (ch. 2) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3).

En substance, le Tribunal a retenu que si B______ avait violé ses obligations d'exécution de l'ordre de sa cliente dès le 9 mars 2020, tel n'était pas le cas précédemment dans la mesure où les instructions données par la cliente n'apparaissaient pas définitives, celle-ci ne l'ayant, en tous les cas, pas démontré.

B. Par acte du 8 février 2024, A______ a formé appel contre ce jugement et conclu à son annulation et à ce qu'il soit reconnu que B______ avait violé ses obligations à compter du 19 février 2020, en n'exécutant pas son ordre du 17 février 2020, sous suite de frais et dépens.

En substance, elle reproche au Tribunal une violation des règles sur le fardeau de la preuve et une constatation inexacte des faits pertinents. Elle lui reproche en particulier d'avoir retenu qu'elle n'avait pas démontré que son ordre était définitif et de s'être basé sur une correspondance postérieure entre elle et une employée de la banque, ainsi que sur les notes de celle-ci, pour parvenir à sa conclusion, alors que les déclarations de ladite employée devaient être prises avec précaution, du fait de son statut, et ne correspondaient pas à la réalité.

Par réponse du 8 avril 2024, B______ a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement, pour les motifs retenus par le Tribunal.

Par réplique et duplique des 24 mai et 13 juin 2024, les parties ont persisté dans leurs précédentes conclusions.

Les parties ont été informées en date du 4 juillet que la cause avait été gardée à juger.

C. Résultent pour le surplus du dossier les faits pertinents suivants :

a. B______, de siège à C______, exploite une banque.

A______ est cliente de B______ depuis 1991.

Elle est titulaire et ayant droit économique de la relation n° 1______.

Elle a octroyé à B______ les 17 janvier 2008 et 10 mai 2015, deux mandats de gestion portant, le premier, sur le compte dépôt 2______, le second, sur le compte dépôt 3______.

La documentation bancaire dûment signée permet, tant à la Banque qu'au client, de mettre un terme en tout temps à leurs relations, la résiliation du mandat de gestion devant intervenir par écrit. En cas de résiliation de ce dernier contrat par le client, le moment de la fin des relations contractuelles est réputé intervenir au moment de la réception par la Banque de l'avis de résiliation (art. 18 CG édition janvier 2020, art. 15.2 mandat de gestion du 15 mai 2015).

D______, alors employé de B______, a été chargé de la relation bancaire de A______ du 17 janvier 2008 jusqu'à son départ pour la banque E______ en juillet 2019.

F______ lui a ensuite succédé au sein de B______ auprès de cette cliente.

La relation bancaire de A______ était subdivisée en 3 portefeuilles valorisés au total à 1'108'412 fr. le 18 février 2020.

b. Par courrier du 10 février 2020, envoyé le 17 février 2020 et adressé à B______, A______ a écrit :

[…] Par la présente, je vous informe de ma volonté de clôturer mes portefeuilles B______ et de les transférer auprès de E______ et ainsi de poursuivre ma relation de confiance précédemment établie depuis plus de 10 ans avec mon conseiller D______.

Je vous prie en conséquence de bien vouloir procéder aux opérations suivantes :

Liquidités – 01: Je souhaite conserver mes comptes, cartes ainsi que mon 3e pilier et mes hypothèques tel quel.

Portefeuille – 02: Liquider l'entier des positions, à l'exception des parts "B______ 4______ Property Fund" en respectant les monnaies d'échanges, puis clôturer les comptes et transférer toutes les liquidités selon les coordonnées bancaires ci-après.

B______ Manage Advanced – 05 : Fermeture du mandat de gestion en vendant la totalité des positions par rédemption et en conservant les monnaies respectives puis transférer dès que possible CHF 600'000.-. Clôturer enfin les comptes et dépôts et transférer le solde des liquidités sur mes comptes […] en mains de la banque E______.

c. Il ressort des enquêtes menées par le Tribunal que dans un tel cas, la procédure au sein de B______ est de chercher à comprendre la décision du client, d'identifier ses éventuelles sources d'insatisfaction et d'essayer de le convaincre de rester (travail de rétention). Le départ d'un gestionnaire pour un autre établissement financier implique aussi le départ de clients. Dans le cas du départ du gérant D______ pour la banque E______, certains clients qui avaient annoncé leur volonté de le suivre, s'étaient finalement ravisés.

d. Le 19 février 2020, date de réception par B______ du courrier de A______, F______ a tenté de joindre la cliente par téléphone, en vain, et lui a laissé un message. Elle souhaitait s'assurer que sa décision était définitive.

e. Le lendemain, 20 février 2020, la cliente lui a adressé le courriel suivant :

Bonjour F______ [prénom],

Merci pour votre message d'hier soir.

Je serai joignable seulement demain après 17h00.

Je comprends votre point de vue, mais ma décision a été réfléchie et j'ai pris plusieurs mois à me décider.

J'ai absolument rien à vous reprocher, ni à vous, ni à la banque…c'est juste un feeling très personnel que je suis en train de suivre…..

Merci pour votre compréhension.

Je vous souhaite une bonne journée.

A______ [prénom]

f. La gérante a rappelé la cliente le 21 février 2020.

Il ressort des notes internes établies par la gérante et de son témoignage que, lors de cette conversation, elle lui a notamment indiqué qu'un transfert de son portefeuille affaiblirait sa position vis-à-vis de B______ lors de la négociation de sa prochaine échéance hypothécaire. Il ressort des mêmes notes internes que, lorsqu'elle lui a proposé de différer sa décision, A______ lui aurait répondu qu'elle allait réfléchir et la tiendrait informée.

La gérante a déclaré au Tribunal qu'elle "sentait toujours l'ambivalence chez la cliente" et estimait que "c'était beaucoup moins clair" que pour d'autres clients dans la même situation vis-à-vis de ce gestionnaire. La cliente ne lui avait pas ordonné à cette occasion d'exécuter son instruction du 17 février 2020, ni montré son impatience à cet égard.

Selon les notes internes de la gérante toujours, celle-ci a appelé sa cliente à nouveau le 4 mars 2020. Cette dernière lui aurait communiqué qu'il s'agissait d'une "décision difficile compte tenu de son ancienneté, d'autant qu'elle n'avait rien à reprocher à B______". A cette occasion, la gérante avait souligné que la banque E______ n'avait pas de service hypothécaire, que B______ avait été là pour elle et encore récemment dans son besoin de prêt pour financer sa retraite et que les marchés étaient turbulents, ce qui n'était pas propice à des changements.

Selon les notes de la gérante toujours, la cliente aurait indiqué qu'elle allait encore réfléchir et lui donner des dates pour un entretien. Pour la gérante, la décision de la cliente n'était alors pas encore définitive.

g. Le 9 mars 2020, la gérante a adressé à sa cliente un mail dont la teneur est la suivante : (…) "je souhaitais faire le suivi de notre dernière discussion pour savoir si vous avez eu le temps de réfléchir à votre décision de transfert compte tenu des turbulences "(…).

A______ a réagi le jour-même par un téléphone à la gérante pour confirmer ses instructions du 17 février 2020, lors duquel F______ lui a alors dit regretter son choix et l'a informée qu'elle serait rappelée par son manager conformément à la procédure interne de B______, ce que G______ a fait le 10 mars 2020, la cliente lui confirmant à nouveau son souhait de mettre un terme à la relation bancaire, suite à quoi, il a donné l'ordre d'exécuter les instructions de A______.

h. Les titres du portefeuille 02, objet du courrier de la cliente du 17 février 2020, ont été liquidés le 19 mars 2020 (date de l'opération), la date de comptabilisation étant le 24 mars 2020. B______ a ensuite versé divers montants en mains de la banque E______. La procédure d'appel ne porte pas, à ce stade, sur la question du montant du dommage subi.

i. Par courrier du 27 mars 2020, déjà, A______ a fait part de son mécontentement quant au délai de transfert et de liquidation de ses portefeuilles.

Elle a indiqué avoir confirmé sa volonté de transférer ses avoirs par courriel du 20 février 2020 et pensait que le nécessaire avait été fait. C'était parce que la banque E______ n'avait rien reçu qu'elle avait appelé F______ le 4 mars 2020 et constaté que le transfert n'avait pas été opéré.

j. Estimant que la liquidation tardive lui avait fait perdre plusieurs milliers de francs, elle demandait que B______ assume ses responsabilités en calculant précisément la perte subie sur son portefeuille depuis le 20 février 2020 et que cette perte lui soit remboursée dans les plus brefs délais.

En réponse, B______ a proposé le versement de 15'000 fr., sans reconnaissance de responsabilité, correspondant à la perte encourue entre le 9 et le 19 mars 2020, soit entre l'"annonce définitive" et le moment réel du transfert.

A______ a refusé la proposition de B______ et a réclamé un dédommagement d'un montant de 100'000 fr. au titre de préjudice causé par la violation contractuelle de la Banque, soit la différence entre la valeur du portefeuille au moment de la réception de l'instruction, et celle au moment de son exécution tardive.

A défaut d'accord, la procédure a été engagée le 28 avril 2021, la cliente requérant la condamnation de la banque au paiement en sa faveur de 84'905,83 fr., avec intérêt à 5% dès le 18 février 2020, de 29'132,43 USD, avec intérêt à 5% dès le 18 février 2020, de 6'234, euros, avec intérêt à 5% dès le 18 février 2020 et de 6'215,37 GBP, avec intérêt à 5% dès le 18 février 2020. B______ a conclu, notamment, à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle s'engage à verser EUR 3'465.- et USD 9'995.37, au titre du dommage subi par la cliente entre le 9 mars et le 19 mars 2020.

Suite à l'audience du 14 février 2023 du Tribunal, les parties se sont déclarées d'accord avec le prononcé d'un jugement partiel sur la question de savoir si une violation de ses obligations d'exécution devait être retenue à l'égard de B______ et si oui, à partir de quand.

Après les derniers échanges d'écritures sur cette question, le jugement partiel querellé a été rendu.

EN DROIT

1. 1.1 Le jugement attaqué est un jugement partiel (jugement sur partie), rendu à des fins de simplification du procès (art. 125 CPC), tranchant définitivement une partie du litige. Il est assimilé à une décision finale de première instance dans cette mesure et est attaquable immédiatement (c.f. art. 308 al. 1 let. a CPC). La valeur litigieuse étant supérieure à 10'000 fr., la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 2 CPC).

1.2 Déposé dans le délai utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 131 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs motivés qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 et les références citées). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus
(ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_55/2017 du 16 juin 2017 consid. 5.2.3.2).

Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1, 58 al. 1 et 247 al. 1 CPC).

2. Le Tribunal a rendu un jugement partiel statuant sur la seule question de l'existence d'une violation de son obligation de diligence par la banque à l'égard de sa cliente.

Il l'a admise, ce qui n'est pas contesté par les parties, pour la période débutant le 9 mars 2020 jusqu'à l'exécution effective de l'instruction (19 mars 2020). Il ne l'a pas admise pour la période précédente, estimant que la banque avait démontré que la cliente était hésitante durant le laps de temps entre la réception de ses instructions le 19 février 2020 et le 9 mars 2020.

L'appelante fait essentiellement grief au Tribunal d'avoir violé les règles sur le fardeau de la preuve et d'avoir apprécié les preuves apportées de manière erronée. Elle expose avoir prouvé avoir donné l'ordre, motivé, de clôturer sa relation le 19 février 2020, confirmé le 20 février 2020 par écrit. Elle considère que l'intimée n'a quant à elle pas prouvé qu'elle aurait, comme elle le soutient, souhaité différer cette exécution pour réfléchir encore à l'instruction en question.

2.1 Selon l'art. 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. Cette disposition répartit le fardeau de la preuve, auquel correspond en principe le fardeau de l'allégation (Hohl, Procédure civile, Tome I, 2016, n. 786 ss) et, partant, les conséquences de l'absence de preuve ou d'allégation (ATF 127 III 519 consid. 2a).

En tant que règle sur la répartition du fardeau de la preuve, l'art. 8 CC détermine laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve d'un fait pertinent. Lorsque le juge ne parvient pas à constater un fait dont dépend le droit litigieux, il doit alors statuer au détriment de la partie qui aurait dû prouver ce fait (arrêt du Tribunal fédéral 4A_566/2015 consid. 4.1.3).

Le juge enfreint l'art. 8 CC s'il tient pour exactes les allégations non prouvées d'une partie, nonobstant leur contestation par l'autre (JdT 2006 I 131;
JdT 1989 I 84). En revanche, l'art. 8 CC ne régit pas l'appréciation des preuves, de sorte qu'il ne dicte pas au juge comment forger sa conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d; 127 III 248 consid. 3a ). 

L'appréciation des preuves par le juge consiste à soupeser le résultat des différents moyens de preuves administrés et à décider s'il est intimement convaincu que le fait s'est produit, et partant, s'il peut le retenir comme prouvé. Lorsque la preuve d'un fait est particulièrement difficile à établir, les exigences relatives à sa démonstration sont moins élevées; elles doivent en revanche être plus sévères lorsqu'il s'agit d'établir un fait qui peut être facilement établi (arrêt du Tribunal fédéral 5A_812/2015 consid. 5.2). 

Selon l'art. 157 CPC, le tribunal établit sa conviction par une libre appréciation des preuves administrées.

2.2 Le mandataire est responsable envers le mandant de la bonne et fidèle exécution du mandat (article 398 al. 2 CO). Parmi les obligations du mandataire figure ainsi celle de la diligence qui lui impose de mettre en œuvre des moyens d'action raisonnables pour atteindre le résultat voulu par les parties et de le livrer. La mesure de la diligence s'apprécie concrètement, soit en fonction de la difficulté du service, du temps à disposition du mandataire, de l'importance de l'affaire et du risque inhérent à l'activité (WERRO, CR-CO I, Art. 253 – 529 CO, 2021, n° 13 et 14 ad art. 398 CO).

Le mandataire qui a reçu des instructions précises ne peut s'en écarter qu'autant que les circonstances ne lui permettent pas de rechercher l'autorisation du mandant et qu'il y a lieu d'admettre que celui-ci l'aurait autorisé s'il avait été au courant de la situation (article 397 al. 1 CO). Lorsque, en dehors de ces cas, le mandataire enfreint au détriment du mandant les instructions qu'il a reçues, le mandat n'est réputé accompli que si le mandataire prend le préjudice à sa charge (al. 2).

Le mandataire qui ne respecte pas une instruction, ou ne l’exécute pas de manière diligente, par exemple, en retardant son exécution, viole son obligation contractuelle (Wuest, Le devoir de respecter les instructions du client ou du fondé de procuration, in Le mandat de gestion de fortune, 2017, p. 349; arrêt du Tribunal fédéral 4A_351/2007 consid. 2.3.1).

Ceci ne signifie toutefois pas que le mandataire doive suivre sans discernement les instructions du client. Au contraire, en présence d’instructions déraisonnables, il a l’obligation, fondée sur son devoir général de fidélité et de diligence, de vérifier si les instructions sont utiles, appropriées, opportunes et réalistes. Si tel est (devenu) le cas, il n’est pas tenu de les exécuter. Il a le devoir d’y rendre attentif le client et de limiter l’exécution du contrat au strict nécessaire, jusqu’à ce que la situation soit clarifiée. Si le client maintient son instruction après avoir reçu l’avis du mandataire, ce dernier est tenu d’exécuter l’instruction, sans qu’il engage sa responsabilité pour d’éventuels dommages découlant de l’exécution de l’instruction (Wuest, op. cit., p. 346).

2.2 Dans le cas d'espèce, le Tribunal a retenu que l'appelante avait mis fin au contrat de gestion de fortune qui la liait à la banque et donné les instructions de liquidation de deux de ses portefeuilles par le courrier envoyé par elle le 17 février 2020 à la banque et reçu par cette dernière le 19. Il retient également, ce qui n'est pas contesté en appel, que la banque admet un retard d'exécution des ordres à partir du 9 mars 2020. Pour la période antérieure à cette date, le Tribunal, retenant le contenu des notes internes et les déclarations de l'employée de l'intimée, en particulier, a considéré qu'il avait été démontré que la cliente était, malgré ses instructions écrites répétées, hésitante quant à sa réelle volonté de les voir exécuter.

D'entrée de cause, l'on doit rappeler que la cliente, dans le cadre de sa demande en paiement, avait le fardeau d'apporter la preuve des instructions données par elle et du défaut d'exécution de la banque à qui elles avaient été données. Par contre, il appartenait à l'intimée d'apporter, le cas échéant si elle souhaitait le soutenir comme elle l'a fait, la preuve de ce que les instructions données n'étaient, par hypothèse, pas définitives ou pouvaient être exécutées de manière différée.

Or, il ressort de la procédure que l'appelante a prouvé avoir donné les instructions de clôture de la relation rappelées plus haut par courrier du 17 février 2020 reçu par la banque le 19. Ces instructions détaillées étaient parfaitement claires et motivées par le fait précis qu'elle souhaitait continuer à faire gérer ses avoirs par son gestionnaire précédent ayant quitté la banque pour la banque E______. Si certes, le courrier en question ne mentionne pas les termes "avec effet immédiat", il ne contient aucune référence non plus à un éventuel délai qui serait donné à l'intimée pour s'exécuter. Son libellé, parfaitement limpide, au présent et non au conditionnel, implique que la relation doit être clôturée de suite ("je vous informe de ma volonté de clôturer mes portefeuilles"). Dans la mesure où la raison de cette clôture était également explicitée en toutes lettres, il n'existait aucun motif incitant, comme le soutient la banque "à chercher à comprendre" la décision, sauf à souhaiter, ce qui, d'ailleurs, a été admis par la banque en procédure, tenter de faire de la "rétention" de client, c’est-à-dire, dans les faits, tenter d'empêcher le client de changer d'établissement. Ce travail de "rétention", dans l'intérêt exclusif de la banque, ne saurait en tout état justifier l'absence d'exécution d'un ordre clair. S'agissant des motifs exposés par la cliente, celle-ci ne pouvait être plus précise et explicite puisqu'elle écrit, après avoir fait part de sa volonté de clôture, son souhait de voir ses fonds transférés "auprès de E______ et ainsi poursuivre la relation de confiance établie depuis plus de 10 ans avec mon conseiller D______".

Mais il y a plus. Après avoir été contactée par l'employée de l'intimée F______ le jour-même de la réception des instructions de clôture et reçu son message téléphonique par lequel cette dernière voulait s'assurer que cette décision était réfléchie et définitive, l'appelante a immédiatement, le lendemain matin, confirmé par écrit le caractère réfléchi et impératif desdites instructions par mail à l'adresse de son contact F______. Elle a précisé à cette occasion que sa décision était réfléchie et qu'elle avait pris des mois à se décider. Il en découle que dès cet instant à tout le moins, il était clair pour la banque que la volonté de la cliente devait être suivie de l'effet qu'elle impliquait.

Par ailleurs, l'on ne saurait retenir sur la base des seules notes internes de l'employée F______, dont on ne sait précisément quand elles ont été établies, qui font surtout état d'appréciations subjectives de leur rédactrice et qui sont sans doute destinées partiellement à sa hiérarchie dans le cadre du "travail de rétention" que pratique l'intimée dans ces cas, ainsi que de ses propres déclarations, que la preuve rapportée par l'appelante de l'existence de ses instructions et de sa volonté que celles-ci soient exécutées, aurait été mise en échec. Au contraire, il doit être retenu que l'intimée n'a pas établi que la volonté de la cliente aurait pu faire, malgré les instructions claires, l'objet d'une exécution différée de près de trois semaines. Les seuls éléments de preuve apportés par la banque, émanant de son employée, première concernée par l'erreur commise, n'ont qu'une force probante tout à fait moindre au vu, notamment, du lien de subordination entre elles. En tous les cas et quoiqu'il en soit, ils n'emportent pas la conviction que les faits prouvés par l'appelante pourraient devoir ne pas être retenus du fait que la preuve d'une volonté de différer les effets des instructions donnée et confirmées aurait été rapportée.

Dans cette mesure, et dans la mesure où les instructions données, claires, motivées raisonnablement, non contraires aux intérêts de la cliente et confirmées par elle de surcroit après contact de la banque suite à leur réception, la violation de l'obligation de la banque remonte bien au 20 février 2020, date de la confirmation écrite de l'ordre et non au 9 mars 2020, comme retenu à tort par le Tribunal.

En définitive, l'appel doit être admis et le ch.1 du dispositif du jugement attaqué annulé. Il sera statué à nouveau sur ce point, en ce sens que la constatation de la violation de l'obligation de diligence de la banque prend date au 20 février 2020.

4. L'intimée qui succombe (art.106 al.1 CPC) supportera les frais de la procédure d'appel arrêtés à 2'500 fr. (art. 36 RTFMC) et versera des dépens à l'appelante arrêtés à 3'500 fr.

Les frais seront compensés partiellement avec l'avance versée par l'appelante en 1'000 fr. qui reste acquise à l'Etat de Genève. L'intimée sera condamnée à lui rembourser le montant de cette avance.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 8 février 2024 par A______ contre le jugement JTPI/15135/2023 rendu le 22 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/23918/2020.

Au fond :

Annule le chiffre 1 du dispositif de ce jugement.

et statuant à nouveau sur ce point :

Dit que B______ a violé son devoir de diligence à l'égard de A______ en n'exécutant pas son instruction du 17 février 2020, dès le 20 février 2020.

Confirme le jugement pour le surplus.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'500 fr., les met à la charge de B______, compensés partiellement avec l'avance de frais de 1'000 fr. fournie par l'appelante, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser le solde des frais en 1'500 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire et à rembourser à A______ le montant de l'avance de 1'000 fr..

Condamne B______ à verser 3'500 fr. à titre de dépens d'appel à A______.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.