Décisions | Chambre civile
ACJC/1207/2024 du 01.10.2024 ( OO ) , IRRECEVABLE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/8099/2022 ACJC/1207/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 1ER OCTOBRE 2024 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre une ordonnance rendue par la 17ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 8 mai 2024, représenté par Me Peter PIRKL, avocat, REGO AVOCATS, Esplanade de Pont-Rouge 4, case postale, 1212 Genève 26,
et
Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par Me Dimitri TZORTZIS, avocat, NOMOS Avocats, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève.
A. a. Par acte du 22 novembre 2022, B______ a saisi le Tribunal de première instance d'une action en responsabilité des organes de la société formée à l'encontre de A______.
b. Le Tribunal a imparti à ce dernier un délai pour répondre à la demande.
c. Par courrier du 13 mars 2024, A______ a sollicité la limitation de la procédure aux questions d'irrecevabilité de la demande, de constitution de sûretés et de suspension de la procédure.
Il a exposé qu'il existait plusieurs motifs d'irrecevabilité au sens de l'art. 59 CPC, sans préciser lesdits motifs, qu'il entendait demander des sûretés et qu'il existait un motif de suspension de la procédure civile vu la procédure pénale portant sur les mêmes faits et actuellement pendante devant le Tribunal fédéral. Le traitement de ces aspects procéduraux pouvait, selon lui, se résoudre sans devoir présenter la réponse aux allégués de la demande.
d. B______ s'y est opposé.
e. A______ a maintenu sa position par courrier du 6 mai 2024.
f. Par ordonnance du 8 mai 2024, le Tribunal a rejeté la demande de limitation de la procédure et a imparti un nouveau délai de trente jours à A______ pour déposer sa réponse, en attirant son attention sur le fait que ce délai ne serait pas prolongé.
En substance, le Tribunal a considéré que les motifs d'irrecevabilité et/ou de suspension pouvaient être soulevés dans la réponse. A______ n'avait pas suffisamment explicité sa demande, de sorte qu'on ne voyait pas en quoi la limitation de la procédure permettait de la simplifier, ce d'autant que la demande, de quelque 24 pages, n'était pas d'une ampleur telle qu'on ne pouvait attendre de lui qu'il y réponde d'emblée.
B. a. Par acte du 21 mai 2024, A______ a interjeté recours contre cette ordonnance et conclu à son annulation, en requérant l'octroi de l'effet suspensif qui, à défaut d'opposition de sa partie adverse, a été accordé par décision du 27 mai 2024.
Il a sollicité, préalablement, l'apport de la procédure pénale P/1______/2023 et l'intégralité de la présente procédure. Au fond, il a conclu à la limitation de la procédure à la question de la recevabilité de la demande, à ce que la cause soit suspendue jusqu'à droit jugé sur la procédure pénale précitée et à ce que sa partie adverse soit astreinte à verser des sûretés à hauteur de 73'377 fr. 80.
b. Dans sa réponse, B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.
c. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.
d. Par avis du greffe de la Cour du 5 juillet 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 La décision querellée, qui rejette une demande de limitation de la procédure, constitue une ordonnance d'instruction d'ordre procédural, qui peut faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC, la voie de l'appel étant exclue (Jeandin, in Commentaire romand, CPC, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozess-ordnung, 2016, n. 11 ad art. 319 CP).
1.2 Le recours doit être écrit et motivé, et déposé auprès de l'instance de recours dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (art. 321 al. 1 et 2 CPC).
En l'espèce, le recours a été introduit dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 3 et 321 CPC), de sorte qu'il est recevable sous cet angle.
1.3 Le recours contre une telle décision n'étant prévu par aucune autre disposition légale spécifique (art. 125 CPC a contrario), le recourant doit démontrer subir un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).
1.3.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" consacré par l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 77).
Constitue un "préjudice difficilement réparable" toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n. 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC et les références citées).
Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_1051/2020 du 28 avril 2021 consid. 3.1). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une violation des dispositions en matière de preuve qu'à l'occasion d'un appel sur le fond ne constitue pas en soi un préjudice difficilement réparable (Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC; Colombini, op. cit., p. 155, Spühler, in Basler Kommentar ZPO, 3ème éd. 2017, n. 8 ad art. 319 CPC).
Le refus du premier juge de limiter le procès à une seule question ne constitue pas un dommage difficilement réparable, mais est une conséquence inhérente à l'ouverture de toute action judiciaire (Colombini, op. cit, p. 157; ACJC/122/2015 du 6 février 2015 consid. 5.1). Le juge n'a aucunement l'obligation, sous réserve d'un abus de son pouvoir d'appréciation, de limiter la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 4A_142/2014 du 2 octobre 2014 consid. 2 in SJ 2015 I 68).
C'est au recourant qu'il appartient d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).
1.3.2 Selon l'art. 229 al. 2 CPC, les parties peuvent librement compléter les allégations et offres de preuves de la demande ou de la réponse soit dans le cadre d'un deuxième échange d'écritures ou, s'il n'y en a pas, lors des débats d'instruction ou, à défaut d'une telle audience, à l'ouverture des débats principaux (ATF 140 III 312 consid. 6.3.2.3).
Cette disposition garantit le droit à une "deuxième chance", qui permet à chaque partie de s'exprimer sans restriction à deux reprises (ATF 147 III 475 consid. 2.3.3.5; 144 III 67 consid. 2.1). Passé ce "temps limite", des éléments invoqués sans retard et avec la diligence requise pourront être introduits aux conditions de l'art. 229 al. 1 CPC.
1.3.3 En l'espèce, il sied de relever à titre préalable que l'ordonnance querellée porte sur le refus de limiter la procédure. Ce faisant, le Tribunal n'a pas statué sur la recevabilité de la demande, la suspension ou les sûretés en elles-mêmes, qui n'ont fait l'objet d'aucune requête formelle devant le Tribunal. Il s'ensuit que les conclusions en suspension et en versement des sûretés, qui sont ainsi nouvellement formulées par le recourant devant la Cour, excèdent le cadre des débats. Elles sont dès lors irrecevables.
Quant au refus de limiter la procédure, le recourant allègue que l'obliger à déposer sa réponse dans le délai imparti lui causerait un préjudicie difficilement réparable dans la mesure où, une fois la réponse déposée, il n'y aurait plus de place pour modifier ou compléter l'état de fait en fonction de la décision à venir dans la procédure pénale.
Par cette argumentation, le recourant perd de vue qu'après le premier échange d'écritures, les parties conservent la possibilité de s'exprimer une seconde fois sans restriction, soit lors d'une deuxième échange d'écritures, soit lors d'une audience d'instruction ou, à défaut, à l'ouverture des débats principaux. Par la suite, le recourant pourra encore introduire des faits et offre de preuve aux condition de l'art. 229 al. 1 CPC. Le recourant conserve ainsi tous ses droits de partie qu'il pourra faire valoir tout au long de la procédure. Il pourra se déterminer sur la demande dirigée à son encontre, participer à l'instruction et faire valoir son point de vue ainsi que l'ensemble de ses arguments.
On peine à discerner ce qui pourrait empêcher le recourant d'invoquer la future décision pénale devant le Tribunal, comme un vrai nova, en application de l'art. 229 al. 1 let. a ou de l'art. 229 al. 2 CPC. Le recourant indique au demeurant lui-même que l'issue de la procédure pénale ne saurait tarder, puisque la cause est désormais pendante devant le Tribunal fédéral, alors que l'instruction de la présente procédure par le Tribunal n'en est qu'au stade du premier échange d'écritures.
Par ailleurs, le recourant n'allègue pas qu'il ne serait pas en mesure de déposer sa réponse, incluant ses arguments liés à l'irrecevabilité de la demande, à la suspension et à la fourniture de suretés, dans le délai qui lui a été imparti, ce d'autant plus que celui-ci est de facto prolongé compte tenu de l'effet suspensif accordé au présent recours. De plus, comme l'a relevé, à juste titre, le Tribunal, la demande n'est pas d'une ampleur telle qu'elle empêcherait le recourant d'y répondre d'emblée. Si ses griefs s'avèrent fondés, le Tribunal pourra entrer en matière et, cas échéant, statuer sur les questions préalables, avant d'instruire le fond. La limitation de la procédure à une ou plusieurs questions déterminées pourra, au besoin, être ordonnée après le dépôt de l'écriture de réponse du recourant. Dans ces circonstances, le fait de déposer une réponse complète, sans limitation préalable de la procédure, n'est pas susceptible de causer au recourant un préjudice difficilement réparable.
Le recours est dès lors irrecevable, faute de préjudice difficilement réparable. Point n'est besoin d'entrer en matière sur les autres arguments du recourant, relatifs au fond du litige.
2. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais judiciaires du recours, lesquels sont arrêtés à 1'000 fr., y compris la décision prononcée sur effet suspensif (art. 106 al. 1 CPC et art. 26 et 41 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile, RTFMC, E 1 05.10) et entièrement compensés par l'avance du même montant qu'il a déjà versée, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Le recourant sera, en outre, condamné aux dépens de l'intimé, fixés à 1'000 fr., débours et TVA inclus (art. 85, 87 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).
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La Chambre civile :
Déclare irrecevable le recours interjeté le 21 mai 2024 par A______ contre l'ordonnance rendue le 8 mai 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8099/2022.
Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance opérée par ce dernier, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
Condamne A______ à verser 1'000 fr. à B______ à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, aux conditions de l'art. 93 LTF.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.