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Décisions | Chambre civile

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C/28079/2019

ACJC/688/2024 du 28.05.2024 sur JTPI/6726/2023 ( OO ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/28079/2019 ACJC/688/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 28 MAI 2024

 

Entre

1) Monsieur A______, domicilié ______ [SO],

2) Madame B______, domiciliée ______ [SO], appelants d'un jugement rendu par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 12 juin 2023, représentés tous deux par Me Julien TRON, avocat, MLL Froriep SA, rue du Rhône 65, case postale 3199, 1211 Genève 3,

et

Madame C______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par
Me Raphaël REINHARDT, avocat, SEDLEX Avocats, avenue Mon-Repos 24, case postale 1410, 1001 Lausanne.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/6726/2023 du 12 juin 2023, le Tribunal de première instance a débouté A______ et B______ de toutes leurs conclusions dans la mesure où elles étaient recevables (ch. 1), a arrêté les frais judiciaires à 46'000 fr. mis à la charge des précités solidairement entre eux, et compensés avec l'avance opérée, dont le solde leur a été restitué (ch. 2), a condamné ceux-ci à verser à C______ 44'625 fr. à titre de dépens (ch. 3), et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B.            Le 16 août 2023, A______ et B______ ont formé appel contre ce jugement. Ils ont conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait au renvoi de la cause au Tribunal pour instruction sur le fond, subsidiairement à l'admission des conclusions formulées "dans la requête de conciliation du 10 décembre 2019, respectivement dans l'action au fond du 21 avril 2021, dont la teneur était [suit la reproduction de ces conclusions]", au rejet des exceptions et objections présentées par C______, en particulier l'exception de la prescription et/ou de la péremption, à la constatation que la litispendance existait depuis le 10 décembre 2019, que selon l'inventaire officiel de la succession de feu D______ du 14 juin 2023, la valeur de la succession s'élevait au total à 766'323 fr. 93 et que par conséquent la valeur litigieuse pour eux était de 191'581 fr. chacun soit ¼ de la succession chacun, à ce que les frais de justice et les dépens soient réduits à 14'000 fr. et 21'063 fr. respectivement, et mis à la charge de C______, et plus subsidiairement à ce que leur "demande de retrait" du 23 mars 2021 soit déclarée non contraignante, à ce que soit annulée la "décision de classement de l'organe de conciliation" du 24 mars 2021 et à ce qu'il soit ordonné à l'organe de conciliation de poursuivre la procédure.

Ils ont nouvellement déposé une communication de la Justice de paix du 6 juillet 2023 leur remettant une copie de l'inventaire de la succession de feu D______ établi le 14 juin 2023, et un courrier expédié par l'avocate de la précitée à la Cour de justice le 12 juin 2015 dans le cadre de la cause C/1______/2010.

Ils ont notamment fait valoir que la valeur litigieuse avait été fixée jusqu'alors à 2'327'000 fr. soit deux fois un quart de la valeur de la succession litigieuse (4'654'000 fr.), en tenant compte des montants résultant du courrier susmentionné du 12 juin 2015, alors qu'il résultait de l'inventaire de la succession établi en juin 2023 une valeur de 766'323 fr. 93; la valeur litigieuse était ainsi de 383'152 fr.

C______ a conclu à la confirmation du jugement attaqué, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Elle s'est notamment prévalue de l'irrecevabilité des pièces nouvellement produites en appel, dont elle a soutenu qu'elles ne faisaient que reprendre des éléments déjà connus des parties depuis février et novembre 2021. Elle a considéré que la valeur litigieuse mise en exergue par les appelants devait être maintenue.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Par avis du 26 février 2024, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :

a. Le 10 décembre 2019, A______ et B______, avocats et notaires à F______ (SO), agissant par avocat, ont déposé en conciliation une requête dirigée contre C______ (enregistrée sous n° C/28079/2019).

Ils ont conclu à ce qu'il soit dit et constaté que le pacte successoral conclu le 12 août 2003 entre les époux E______ et D______ annulait et remplaçait tous testaments antérieurs, que le testament public de D______ du 10 décembre 2013 annulait subsidiairement était nul (ou éventuellement réductible) et remplaçait son testament olographe du 23 mars 2010 dans tous les cas pour ses dispositions contraires au pacte successoral susmentionné, que le testament public de D______ était nul (ou éventuellement réductible) dans tous les cas pour ses dispositions contraires au pacte successoral susmentionné, que le testament olographe de D______ du 20 octobre 2015 était nul (ou éventuellement réductible) dans tous les cas pour ses dispositions contraires au pacte successoral du 12 août 2003, que plus particulièrement la désignation de C______ comme héritière universelle dans le testament public du 10 décembre 2013 et le testament olographe du 20 octobre 2015 était nulle voire réductible, que, avec effet formateur, les héritiers légaux nommés dans le pacte successoral du 12 août 2003, en particulier eux-mêmes, avaient droit à recevoir chacun ¼ de la succession de D______, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Ils ont allégué notamment ce qui suit : E______ était décédé le ______ 2007 et D______ le ______ 2018. Quand vivaient, les époux avaient passé un pacte successoral devant un notaire soleurois, désignant comme leurs héritiers quatre personnes, dont A______ et B______ ("le père de G______ était le médecin de la famille D______/E______ et les familles étaient amies de sorte que G______ a connu D______ depuis l'enfance- A la mort de son père en 1986, D______ a consulté G______ pour des conseils professionnels. Il est resté son avocat par la suite. B______ et A______ sont les enfants de G______. […] D______ avait confié la gestion de ses biens immobiliers à F______ à B______ et avait mandaté occasionnellement A______ dans divers litiges") à raison d'un quart chacune, et opérant un legs en faveur de C______. Ultérieurement, après la mort de son mari, D______ avait rédigé des testaments olographes et public successifs, instituant comme héritière unique C______. Une procédure (C/1______/2010), intentée par D______ contre A______ et B______ était suspendue au Tribunal fédéral (5A_98/2018), saisi par le recours formé par ces derniers le 30 janvier 2018 contre l'arrêt ACJC/1592/2010 rendu par la Cour le 5 décembre 2017, dans l'attente de droit connu sur l'acceptation de la succession de feu D______. Dans son arrêt précité, la Cour avait notamment retenu une valeur litigieuse de 2'227'419 fr. en se référant à un courrier de l'avocate de la défunte du 12 juin 2015. "Vers le 15 juin 2019", ils avaient obtenu des informations officieuses au sujet des testaments, "qui n'avaient à ce jour pas été officiellement ouverts", de D______, et eu connaissance du testament de la précitée nommant C______ comme son héritière universelle ainsi que du fait que "ce testament pourrait être retenu par les autorités compétentes comme étant valable et applicable".

Ils ont soutenu que le testament public de D______ devait être déclaré nul ou réduit dans la mesure où il était contraire au pacte successoral, tandis que le testament olographe postérieur au testament public était "également contestable" au sens de l'art. 493 al. 3 CC.

b. Plusieurs audiences de conciliation ont été successivement appointées. La première a été annulée par le Tribunal, en raison de la pandémie Covid-19, les suivantes reportées à la demande de l'une des parties ou des deux parties.

A la requête du Tribunal d'indiquer au 15 mars 2021 si une nouvelle convocation était souhaitée, les parties ont répondu par courriers séparés. Tant A______ et B______ que C______ ont fait connaître qu'ils renonçaient d'un commun accord à la procédure de conciliation, au sens de l'art. 199 al. 1 CPC. Les premiers ont requis la délivrance de l'autorisation de procéder, la dernière a observé qu'il n'y avait pas lieu de délivrer une autorisation de procéder "les demandeurs pouvant au vu de l'accord […] introduire leur demande directement auprès de l'instance de jugement compétente".

Par courrier du 23 mars 2021, le conseil de A______ et B______ s'est adressé au Tribunal en ces termes : "Je vous confirme que mes clients retirent leur requête de conciliation et vous prient de leur faire parvenir un jugement de retrait indiquant que les parties ont renoncé à la procédure de conciliation (art. 221 al. 2 lit. b CPC) et qu'une action peut être directement déposée auprès du Tribunal de première instance".

A______ et B______ allèguent que le greffe du Tribunal aurait appelé par téléphone leur avocat pour lui "recommander de retirer la demande de conciliation", puisque "la déclaration de la partie adverse de renoncer à la procédure de conciliation remplacerait/substituerait l'autorisation de procéder, ce qui [leur] permettrait de déposer directement une plainte auprès du Tribunal de première instance compétent", affirmer qu'il s'agirait de "la possibilité la plus simple", et qu'ils "n'en subiraient aucun préjudice". Sur quoi, le courrier précité du 23 mars 2021 a été expédié.

Ils ont offert en preuve de leurs allégués précités, outre des notes téléphoniques de leur conseil, l'audition de celui-ci ainsi que de la collaboratrice du greffe qui aurait téléphoné.

L'une de ces notes, datée du 18 mars 2021, fait état d'une demande de confirmation du greffe du retrait de la requête "pour continuer [flèches vers la droite] 1ère instance", car "il n'est pas nécessaire de délivrer une autorisation de procéder si la partie adverse renonce à la procédure de concil. [flèche crochet vers la droite] ça remplace l'autorisation de procéder. Plus simple [flèche vers la droite] retirer requête et redéposer demande [flèche vers la droite]. J'envoie projet lettre au client".

c. Par jugement du 24 mars 2021, le Tribunal a donné acte aux parties de ce qu'elles avaient renoncé à la procédure de conciliation, a constaté que la procédure était devenue sans objet et a rayé la cause du rôle.

Ce jugement n'a pas fait l'objet d'un recours.

d. Par courrier du 1er avril 2021, l'avocat de C______ s'est adressé au Tribunal, notamment en ces termes : "Les parties ont renoncé à la procédure de conciliation C/28079/2019 qui avait été initiée, la cause a donc été rayée du rôle par jugement du 24 mars 2021 […]. Ainsi un nouveau numéro de cause devra être attribué lors du dépôt de l'action en annulation devant votre instance".

e. Le 21 avril 2021, A______ et B______ ont expédié à l'attention du Tribunal un acte intitulé "Requête de conciliation du 10 décembre 2019 déposée au nom de M. A______ et Mme B______. Courrier d'accompagnement du dépôt d'une action au fond". Il était ensuite mentionné qu'était déposée une "action" des précités contre C______, puis ajouté ce qui suit : "Vous trouverez dans les lignes suivantes quelques explications concernant le dépôt de la présente action ainsi que les circonstances des présentes".

Ils ont notamment avancé que la litispendance avait été établie lors du dépôt de la requête de conciliation, le 10 décembre 2019, que les parties avaient ensuite renoncé à la procédure de conciliation, qu'ainsi l'autorité de conciliation n'était pas compétente du point de vue fonctionnel pour traiter de l'affaire. Ils avaient dès lors "retiré la requête de conciliation afin de déposer cette même demande auprès du Tribunal de céans comme instance de jugement de première instance". Ne disposant pas de l'exemplaire original de ladite requête, resté dans le dossier du juge conciliateur, ils ont annexé une copie de celle-ci à leur acte, en priant le Tribunal de verser l'original à son dossier.

Ils ont conclu préalablement à ce qu'il soit dit que la requête de conciliation qu'ils joignaient à leur acte valait "action contre Mme C______ (ou C______ [autre prénom]), valablement déposée auprès du Tribunal de première instance de Genève et était recevable, à ce qu'il soit constaté que la litispendance courait depuis le 10 décembre 2019, et à ce que soit ordonné à l'autorité de conciliation l'apport du dossier de conciliation (procédure C/28079/2019) à la "présente procédure". Ils ont ensuite reproduit les conclusions prises dans la requête de conciliation du 10 décembre 2019 "qui constitu[ait] désormais l'action des demandeurs".

Ils ont précisé que la valeur litigieuse était d'environ 2 millions de francs.

Le numéro de procédure C/28079/2019 a été apposé par le greffe, sur une trace de correcteur "typex" de façon manuscrite, en première page de l'exemplaire original de la demande.

C______, après avoir requis et obtenu du Tribunal la limitation de la procédure à la question du respect du délai de péremption de l'action, a conclu au rejet des conclusions préalables et à celui des conclusions principales de A______ et B______, respectivement à l'irrecevabilité de celles-ci, sous suite de frais et dépens.

Elle a produit un avis de droit, et soutenu en substance que la demande introduite le 21 avril 2021 ne respectait pas le délai de péremption d'une année, prévu par l'art. 494 al. 3 CC, qui avait couru depuis le mois de juin 2019.

A______ et B______ se sont déterminés sur la question du respect du délai. Ils ont conclu principalement au déboutement de C______ de ses conclusions, exceptions et objections, à la constatation que la litispendance existait depuis le 10 décembre 2019, à ce que soit ordonnée la poursuite de la procédure, à ce qu'il soit imparti un délai à C______ pour sa réponse au fond, à ce qu'il soit ordonné la Justice de paix de produire l'inventaire de la succession de feu D______ dressé par le notaire H______, à ce que soit redéfinie la valeur litigieuse de la procédure sur la base de l'inventaire précité, et subsidiairement à la constatation que la demande de retrait qu'ils avaient formulées le 23 mars 2021 soit "déclarée non contraignante", à l'annulation de la "décision de classement" de l'organe de conciliation du 24 mars 2021, à la poursuite de la procédure de conciliation, sous suite de frais et dépens.

Ils ont notamment allégué que les parties auraient convenu qu'ils pourraient déposer une action directement au Tribunal.

Ils ont offert en preuve de certains de leurs allégués l'audition des parties, ainsi que des déclarations de témoins, à savoir leur avocat et une greffière du Tribunal.

C______ s'est encore déterminée. Elle a persisté dans ses conclusions, et conclu au rejet de celles formulées par A______ et B______ dans leur écriture consacrée au respect du délai. Elle a notamment contesté avoir accepté davantage que renoncer à la procédure de conciliation, affirmant que ni la question de la saisine subséquente du Tribunal et ses modalités, ni le maintien du lien d'instance n'avaient fait l'objet d'un accord.

A l'audience du Tribunal du 13 juin 2022, les parties ont renoncé aux premières plaidoiries.

Par ordonnance du 20 septembre 2022, le Tribunal a rejeté les réquisitions de preuve, clos les débats sur la question du respect du délai de péremption de l'introduction de l'action au fond, et réservé la suite de la procédure. Il a retenu, par appréciation anticipée des preuves, que les auditions requises n'étaient pas susceptibles d'apporter des éléments complémentaires pour trancher la question litigieuse, au regard des écritures et des pièces produites.

A l'audience du Tribunal du 28 novembre 2022, les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions respectives.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Le jugement attaqué constitue une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). La voie de l'appel est ouverte, dès lors que la valeur litigieuse au dernier état des conclusions de première instance est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Interjeté dans le délai prescrit par la loi (art. 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

2. La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d’examen (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l’appréciation des preuves effectuées par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l’art. 310 let. b CPC). Elle applique en outre la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

3. Les parties ont produit des pièces nouvelles devant la Cour.

3.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance, bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

Ces conditions sont cumulatives (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2021 du 16 décembre 2022 consid. 4.2.1). S'agissant des vrais nova ("echte Novem"), la condition de nouveauté posée par la lettre b est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate doit être examinée. En ce qui concerne les pseudo nova ("unechte Noven"), à savoir les faits et moyens de preuve qui étaient déjà survenus à la fin de l'audience des débats principaux de première instance, il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d'appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1).

Si les moyens de preuve nouvellement offerts se rapportent à des faits survenus avant la clôture de la procédure probatoire de première instance, il ne suffit pas, pour considérer que la condition de l'art. 317 al. 1 CPC est remplie, que la partie intéressée les ait obtenus ensuite, ni qu'elle affirme, sans le démontrer, qu'elle n'y a pas eu accès auparavant, ou qu'elle ne pouvait pas se rendre compte de la nécessité de les produire antérieurement (arrêt du Tribunal fédéral 5A_86/2016 du 5 septembre 2016 consid. 2.2).

La recevabilité de nova dont la survenance dépend de la volonté des parties s'apprécie selon qu'ils auraient pu ou non être présentés auparavant en faisant preuve de la diligence requise (ATF 146 III 416 consid. 5.3).

3.2 En l'occurrence, les appelants ont déposé des pièces nouvelles, postérieures à la date du jugement attaqué, en lien avec la valeur litigieuse, dont ils soutiennent qu'elle a été estimée et fixée de façon trop élevée, et l'intimée des pièces pour répondre à ladite thèse.

L'intimée soutient l'irrecevabilité des pièces des appelants, au motif que leur contenu ne serait pas nouveau. Elle discute ainsi la valeur attribuée aux immeubles (partiellement de nature agricole, faisant partie de la succession), dont la valeur de rendement aurait été arrêtée en 2021 par décision de la Commission foncière, avant d'être reprise dans l'inventaire successoral en tant que valeur fiscale différant de la valeur vénale; selon elle, ladite décision ainsi que des projets d'inventaire étaient connus des appelants depuis février respectivement mai 2021.

Ce faisant, elle s'en prend au caractère nouveau des faits invoqués, et non aux pièces elles-mêmes qui sont indiscutablement postérieures au jugement du Tribunal. Avec les appelants, qui rappellent, à juste titre qu'ils avaient requis en première instance l'apport de l'inventaire sans que le Tribunal ne se penche sur leur conclusion, il sera admis que seul l'inventaire officiel détermine la valeur de la succession. Dès lors, les pièces nouvelles et les faits nouveaux liés à la valeur litigieuse, qui avait été évaluée provisoirement (cf art. 85 al. 1 CPC), seront admises.

4. Les appelants ont formulé des reproches à l'endroit des faits tels que retenus par le premier juge.

Il en a été tenu compte, dans la mesure utile et pour autant qu'ils étaient pertinents, dans l'état de fait dressé ci-dessus.

5. Les appelants font grief au Tribunal d'avoir retenu qu'ils avaient intenté action non à la date du dépôt de la requête de conciliation du 10 décembre 2019 mais à celle du dépôt de la demande du 23 avril 2021, partant d'avoir retenu la péremption de l'action fondée sur l'art. 494 al. 3 CC.

5.1 Aux termes de l'art. 494 CC, le disposant peut s'obliger, dans un pacte successoral, à laisser sa succession ou un legs à l'autre partie contractante ou à un tiers (al. 1); il continue à disposer librement de ses biens (al. 2); toutefois, peuvent être attaquées les dispositions pour cause de mort et les donations inconciliables avec les engagements résultant du pacte successoral (al. 3).

Le pacte successoral a un caractère contraignant pour celui qui s'est engagé au moyen de cet instrument et les engagements ainsi pris ne peuvent en principe pas être révoqués unilatéralement par le de cujus, sous réserve des clauses unilatérales contenues dans ledit pacte. Bien que le disposant ne puisse en principe pas révoquer unilatéralement les dispositions résultant du pacte, il demeure toutefois, de son vivant, entièrement libre de disposer de tous ses biens, c'est-à-dire de les vendre (à n'importe quel prix), de les grever, de les consommer, de les dilapider, d'en faire donation ou d'en disposer à cause de mort, à moins que le contraire ne résulte - expressément ou implicitement - du pacte successoral (ATF 140 III 193 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5C.71/2001 du 28 septembre 2001 consid. 3a). La validité des donations ultérieures constitue ainsi la règle, et la possibilité de les attaquer en vertu de l'art. 494 al. 3 CC l'exception (arrêt du Tribunal fédéral 5C.71/2001 précité consid. 3a). Selon cette norme, seules les dispositions ou donations inconciliables avec le pacte successoral sont attaquables, au moyen d'une action analogue à l'action en réduction (ATF
101 II 305 consid. 3b). Les dispositions figurant dans un testament postérieur au pacte successoral sont considérées comme incompatibles avec les attributions prévues dans celui-ci et ainsi attaquables, lorsque l'institution d'héritier postérieure empiète sur la part attribuée dans le pacte (arrêt du Tribunal fédéral 5A_121/2019 du 25 novembre 2020 consid. 5.2.3 et les références doctrinales citées).

Aux termes de l'art. 533 al. 1 CC, l'action en réduction se prescrit par un an à compter du jour où les héritiers connaissent la lésion de leur réserve et, dans tous les cas, par dix ans, qui courent, à l'égard des dispositions testamentaires, dès l'ouverture de l'acte et, à l'égard d'autres dispositions, dès que la succession est ouverte. Le délai d'un an est en réalité un délai de péremption (ATF 138 III 354 consid. 5.2; 98 II 176 consid. 10). Il doit donc être préservé par l'introduction de la requête de conciliation (art. 64 al. 2 en lien avec l'art. 62 al. 1 CPC; MINNIG, in OFK-ZGB, 3ème éd., 2016, n° 1 ad art. 533 CC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_432/2019 du 14 novembre 2019 consid. 1.2.2).

5.2 L'instance est introduite par le dépôt de la requête de conciliation, de la demande ou de la requête en justice (art. 62 al. 1 CPC).

L'art 63 al. 1 CPC prévoit que si l'acte introductif d'instance retiré ou déclaré irrecevable pour cause d'incompétence est réintroduit dans le mois qui suit le retrait ou la déclaration d'irrecevabilité devant le tribunal ou l'autorité de conciliation compétente, l'instance est réputée introduite à la date du premier dépôt de l'acte.

Il s'agit d'une règle de litispendance rétroactive, qui a pour effet que le délai de prescription ou de péremption du droit matériel est interrompu, respectivement sauvegardé à la date du dépôt de la demande initiale (arrêt du Tribunal fédéral 4A_671/2016 du 15 juin 2017 consid. 2.3).

En ce qui concerne le délai de péremption du droit matériel, la fin de la litispendance entraîne indirectement la perte du droit si le délai de péremption du droit matériel a expiré dans l'intervalle; ce sera souvent le cas lorsque le délai de péremption prévu par le droit matériel est de courte durée (ATF 140 III 561 consid. 2.2.2.4)

5.3 L'art. 199 al. 1 CPC permet aux parties de renoncer d'un commun accord à la procédure de conciliation dans les litiges patrimoniaux d'une valeur litigieuse de 100'000 fr. au moins. Si le demandeur initie une procédure de conciliation, les parties sont citées à l'audience de conciliation et ont l'obligation d'y comparaître en personne (art. 204 al. 1 CPC); l'idée est de faciliter la conciliation en amenant les personnes qui peuvent disposer de l'objet du litige à discuter personnellement entre elles (ATF 140 III 70 consid. 4.3). Il n'y a toutefois aucune obligation d'entrer en négociation avec la partie adverse : tant le demandeur que le défendeur peuvent d'emblée et péremptoirement rejeter tout compromis. Les dispositions sur la conciliation n'imposent aucune obligation de collaborer activement à la conciliation et ne prévoient à fortiori aucune sanction spécifique pour réprimer le refus de discuter, pas plus qu'elles ne sanctionnent comme telle la violation du devoir de comparaître en personne (arrêt du Tribunal fédéral 4A_500/2016 du 9 décembre 2016 consid. 3.1).

5.4 Lorsque l'intérêt digne de protection disparaît en cours de procédure, la cause doit être rayée du rôle en application de l'art. 242 CPC et non déclarée irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_226/2016 du 20 octobre 2016 consid. 5).

5.5 En l'espèce, le Tribunal a été saisi d'une requête de conciliation le 10 décembre 2019. Pour diverses raisons, l'audience de conciliation initialement fixée n'a pas pu se tenir jusqu'à ce qu'il soit demandé aux parties si elles sollicitaient d'être convoquées à nouveau. Il est constant que celles-ci ont unanimement fait connaître leur renonciation à la phase procédurale de conciliation. Leurs positions sur ce qu'il adviendrait de la procédure étaient en revanche divergentes, les appelants demandant la délivrance d'une autorisation de procéder, l'intimée s'y opposant, en substance, au motif d'une saisine directe et ultérieure du Tribunal.

Quoi qu'il en soit d'un contact téléphonique du greffe avec le conseil des appelants, il apparaît que la décision rendue par l'autorité de conciliation, en tant qu'elle a notamment constaté que la procédure était devenue sans objet et a rayé la cause du rôle, ne correspondait pas à ce que les appelants avaient exprimé et requis dans leur acte du 23 mars 2021. Aucune des parties n'avait en effet fait valoir que le litige n'aurait plus eu d'objet. Au contraire, il était annoncé de part et d'autre qu'il y aurait une demande déposée au Tribunal; comme le relèvent les appelants, leur souhait était de mettre fin à la procédure de conciliation pour poursuivre immédiatement l'action engagée par leur requête.

Ainsi, la circonstance que les deux parties ont, au cours de la procédure de conciliation, renoncé d'un commun accord à cette phase procédurale, ce qu'il leur était loisible de faire en application de l'art. 199 CPC, n'emporte pas qu'elles se seraient entendues sur le sort ultérieur de leur litige.

Par conséquent, les réitérées références des appelants à leur accord de procédure susmentionné sont vaines car dépourvues de portée sur la question d'espèce, à savoir le sort ultérieur de la procédure introduite le 10 décembre 2019. A cet égard, c'est la décision du juge conciliateur qui représente l'élément décisif.

En dépit de ce que cette décision ne correspondait pas à leurs conclusions, les appelants, sans s'expliquer sur ce point, ne l'ont pas remise en cause par la voie de l'appel, de sorte que ce jugement est devenu définitif.

Le supposé vice du consentement dont les précités se prévalent en lien avec leur courrier du 23 mars 2021 (évoquant un retrait de la requête et un "jugement de retrait") n'est pas non plus pertinent, puisque, même s'il était admis par hypothèse, il n'expliquerait pas l'absence d'appel dirigé contre la décision du juge conciliateur.

Ce jugement, dont le dispositif est clair et sans équivoque a eu pour conséquence la fin du lien d'instance que constitue l'action de rayer la cause du rôle du Tribunal.

Ne saurait être retenue la qualification de "décision de classement", inconnue de la procédure civile, réservée par les appelants, dans leurs conclusions subsidiaires de première instance et d'appel, au jugement précité du magistrat conciliateur. La tentative des appelants d'interpréter ce jugement comme valant "substitut d'autorisation de procéder" n'est pas davantage convaincante, faute de trouver appui dans la loi.

A supposer donc que le greffe ait véritablement communiqué oralement une orientation de procédure, que l'avocat des appelants aurait suivie sans discernement (en particulier sans s'interroger sur l'effet particulièrement délicat d'une déclaration de retrait de requête sur l'objet du litige, compte tenu du délai prévu par l'art. 493 CC), celle-ci ne justifierait en rien l'absence de réaction des appelants à réception du jugement susmentionné. Ceux-ci, dûment représentés, doivent se laisser opposer leur inaction.

Certes, l'option du Tribunal consistant à faire renaître un numéro de procédure correspondant à une cause rayée du rôle (fût-ce après l'hésitation manifestée par le repentir figurant en page de garde de l'original de l'acte déposé le 21 avril 2021) pour l'attribuer à nouveau est surprenante. Il ne saurait cependant être déduit de cette mesure technique d'identification des causes un effet procédural de nature à annihiler les effets d'un jugement valablement entré en force.

Dès lors, il est exclu de retenir que l'acte déposé le 21 avril 2021, au sujet duquel l'intimée n'a pas exprimé qu'elle n'aurait pas consenti à une saisine directe du Tribunal sans conciliation préalable, serait la continuation de la requête de conciliation soumise à l'autorité de conciliation le 10 septembre 2019.

Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire d'examiner les développements consacrés par les appelants au principe de la bonne foi, à l'abus de droit et au formalisme excessif; peu importent en effet, au regard de l'inaction des appelants face à la décision du juge conciliateur de déclarer la cause sans objet et de la rayer du rôle, la position que l'intimée aurait exprimée avant cette décision, respectivement les orientations éventuelles communiquées par le greffe du Tribunal, également en amont du jugement précité. Il n'y a, pour les mêmes motifs, pas lieu d'entrer en matière sur les réquisitions de preuve liées aux auditions d'une greffière et du conseil des appelants.

Le raisonnement des appelants, fondé sur l'art. 63 CPC, se heurte également à la décision définitive rendue par le juge conciliateur, qui a eu pour effet un dessaisissement (cause rayée du rôle) et non une irrecevabilité pour cause d'absence de compétence.

Il en va de même des théories visant à combler une éventuelle lacune de la loi sur ce qu'il conviendrait de faire en cas de renonciation commune des parties à poursuivre une procédure de conciliation déjà initiée. Celles-ci ne pourraient être examinées que pour autant qu'une décision du juge conciliateur, qu'elle soit fondée ou non dans ses motifs et son résultat, ne soit pas entrée en force contrairement à la situation d'espèce.

Enfin, la référence opérée par les appelants à l'obiter dictum exprimé par le Tribunal fédéral dans l'arrêt publié aux ATF 149 III 12 consid. 3.3.2 ne porte pas. L'éventualité évoquée par cet arrêt, à savoir une extension de l'application de l'art. 63 CPC à des décisions de non entrée en matière pour défaut d'autres conditions de procédure que celles visées dans cette disposition, paraît en effet en tout état difficilement concevable, lorsque c'est l'absence d'intérêt à agir qui est la cause de la décision de rayer la cause du rôle. Or, comme déjà relevé, la procédure initiée par la requête du 10 décembre 2019 a pris fin pour ce motif, selon le jugement définitif du 24 mars 2021.

En définitive, comme l'a retenu le Tribunal, la litispendance acquise au dépôt de la requête de conciliation du 10 décembre 2019 a pris fin rétroactivement de par le jugement définitif du 24 mars 2021, sans qu'aucun dépôt ultérieur au sens de l'art. 63 CPC n'entre en ligne de compte. Dès lors, le délai de péremption de l'action de l'art. 494 al. 3 CC, qui avait commencé à courir en juin 2019, était échu au moment de la saisine du Tribunal le 21 avril 2021.

L'appel dirigé contre le chiffre 1 du dispositif du jugement entrepris, qui a débouté les appelants des fins de leurs conclusions dans la mesure de la recevabilité de celles-ci, est ainsi infondé.

6. Les appelants font encore valoir que la valeur litigieuse s'est révélée moindre que celle qu'ils avaient articulée initialement, en s'inspirant de la valeur litigieuse retenue par la Cour dans son arrêt, au demeurant non définitif, rendu dans la cause C/1______/2010.

Il résulte en effet de l'inventaire de la succession produit en appel une valeur de celle-ci inférieure à l'estimation initiale. Quoi que l'intimée trouve à redire s'agissant des fondements de cet inventaire, il s'agit de la pièce pertinente en la matière. Par conséquent, les montants qui y figurent seront pris en compte. C'est ainsi une valeur litigieuse de 383'160 fr. qui sera retenue.

Les frais judiciaires de première instance seront arrêtés à 20'000 fr. (art. 13, 17 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève. Ils seront supportés par les appelants, qui succombent (art. 106 al. 1 CPC). Le solde de l'avance opérée leur sera restitué.

Les dépens dus par les appelants à l'intimée seront également revus, et fixés à 22'000 fr., compte tenu de la réduction de la valeur litigieuse (art. 84, 85 RFTMC).

7. En conclusion, les chiffres 2 et 3 du dispositif du jugement attaqué seront annulés, et il sera statué à nouveau dans le sens de ce qui précède.

Le jugement attaqué sera confirmé pour le surplus.

8. Les appelants n'obtenant gain de cause que sur la question des frais, et succombant dans toutes leurs conclusions principales et leurs autres conclusions subsidiaires, ils supporteront solidairement la totalité des frais d'appel.

Ceux-ci seront arrêtés à 15'000 fr. (art. 13, 17, 25 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève, et dont le solde sera restitué aux appelants.

Ils verseront solidairement à l'intimée 15'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 84, 85, 90 RFTMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ et B______ contre le jugement JTPI/6726/2023 rendu le 12 juin 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/28079/2019.

Au fond :

Annule les chiffres 2 et 3 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau sur ces points :

Arrête les frais judiciaires de première instance à 20'000 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______ et B______, solidairement entre eux.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ et B______ 40'000 fr.

Condamne solidairement A______ et B______ à verser à C______ 22'000 fr. à titre de dépens de première instance.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 15'000 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______ et B______, solidairement entre eux.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ et B______ 6'600 fr.


 

Condamne solidairement A______ et B______ à verser à C______ 15'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Déboute les parties de toute autre conclusion.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.