Décisions | Chambre civile
ACJC/613/2024 du 06.05.2024 sur JTPI/3198/2023 ( OO ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/6978/2022 ACJC/613/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU LUNDI 6 MAI 2024 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 22ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 13 mars 2023, représenté par Me Nicolas GUIRAMAND, avocat, Beker Guiramand & Associés, GUIRAMAND Tax & Legal SA, rue de Hesse 7, 1204 Genève,
et
B______ SA, sise ______ [VS], intimée, représentée par Me Paul-Edgar LEVY, avocat, PE Legal Sàrl, rue des Marronniers 5, 1207 Genève.
A. Par jugement JTPI/3198/2023 du 13 mars 2023, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a condamné A______ à payer 95'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 15 mars 2022 à B______ SA (chiffre 1 du dispositif), mis les frais judiciaires, arrêtés à 10'200 fr., à la charge de A______ en le condamnant à payer ce montant à sa partie adverse à titre de restitution des avances fournies (ch. 2), ainsi que 9'000 fr. à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).
B. a. Par acte du 1er mai 2023, A______ forme appel contre ce jugement, concluant à son annulation et à ce que B______ SA soit déboutée de toutes ses conclusions prises à son encontre.
b. Dans sa réponse, B______ SA conclut au rejet de l'appel.
c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives. A______ a produit une pièce complémentaire comportant des échanges de messages Whatsapp figurant toutefois déjà au dossier.
d. Par avis de la Cour du 24 novembre 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.
a. B______ SA est principalement active dans le commerce et le courtage de montres de luxe de seconde main, qu’elle achète notamment auprès de particuliers en vue de les revendre.
C______ en est l'administrateur unique.
b. Jusqu'en 2022, B______ SA avait plusieurs fois acheté ou vendu des montres de luxe de seconde main à A______, vendeur ou acquéreur occasionnel de telles montres, activité lucrative accessoire qu’il exerce à titre privé.
c. La valeur des montres de luxe de seconde main est notamment estimée et affichée, à l’intention des commerçants et amateurs du secteur, sur un site Internet spécialisé et faisant référence, soit D______.
Tant B______ SA que A______ se référaient à ce site pour négocier le prix de leurs transactions.
d. Par contrat signé à distance le 16 décembre 2021, A______ et B______ SA sont convenus de la vente par le premier à la seconde d’une montre d’occasion E______/1______ [marque, modèle], ref. 2______/2016 pour le prix de 95'000 fr.
Le contrat stipulait qu'un acompte de 15'000 fr. sur le prix de vente avait été payé par virement bancaire le même jour par B______ SA. Le solde du prix de vente, en 80'000 fr., devait être payé en espèces lors de la remise de la montre dans la semaine du [jeudi] 6 janvier 2022.
La semaine convenue était celle du retour de vacances tant pour A______ que pour C______, le premier prévoyant de rentrer à Genève le 6 janvier et le second le 4.
e. La remise de la montre n'a pas pu avoir lieu à la période initialement convenue, aucune des parties n'étant de retour à Genève, contrairement à ce qu’elles avaient prévu.
A______ n’est rentré à Genève que le dimanche 9 janvier 2022, pour repartir à l’étranger le jour même et ne revenir que le mercredi 12 janvier. Pour sa part, C______ n’est rentré à Genève que le lundi 10 janvier 2022, puis a été atteint par le Covid-19.
f. A______ et B______ SA ont alors reporté une première fois leur rendez-vous pour la remise de la montre au mercredi 19 janvier 2022 entre 13h00 et 14h00. Dans cette attente, A______ a demandé, le 14 janvier 2022, le versement d’un acompte supplémentaire ("a little advance") de 5'000 fr., expliquant qu'il en avait vraiment besoin car il pensait clôturer l'affaire plus rapidement ; l’acompte demandé a été réglé le même jour. A______ a par ailleurs demandé à ce que le contrat de vente lui soit envoyé pour qu'il le signe.
Le rendez-vous du 19 janvier 2022 a cependant été reporté par A______ en raison du fait que sa secrétaire, qui devait réceptionner la montre, puis lui-même, avaient à leur tour contracté le Covid-19.
g. Après plusieurs échanges de messages, A______ et B______ SA sont convenus de fixer la date pour la remise de la montre contre paiement du prix au lundi 7 février 2022 à 14h00.
h. Entre décembre 2021 et février 2022, la valeur vénale d’estimation d’une E______/1______ 2016 de seconde main a pratiquement doublé, passant de quelque 100'000 fr. à 190'000 fr., selon les estimations figurant sur D______.
i. A______ ne s’est pas présenté au rendez-vous du 7 février 2022.
Il a signifié, le jour même, à B______ SA que le prix de la montre sur le marché s’élevant désormais entre 180'000 fr. et 240'000 fr., il n’était plus d’accord de la vendre pour 95'000 fr., mais en exigeait désormais 150'000 fr.
j. S'en sont suivis des pourparlers entre les parties jusqu’à début mars 2022, sans succès.
k. Le 8 mars 2022, B______ SA, soit pour elle son conseil, a mis A______ en demeure de lui remettre la montre contre paiement en espèces du solde du prix convenu, soit 75'000 fr., d’ici le mercredi 16 mars 2022, en lui précisant que :
"Passé le mercredi 16 mars 2022, [B______ SA] se réserve le droit d’activer l’une des options offertes par le droit suisse en cas d’inexécution, notamment de renoncer à l’exécution de la vente et exiger le versement de dommages-intérêts compensatoires. Par vos agissements, vous privez en effet ma mandante du bénéfice net que lui aurait procuré la revente de la montre objet du contrat du 16 décembre 2021. A ce sujet, je vous invite à consulter l’arrêt du Tribunal fédéral 120 II 296 ".
l. Le 10 mars 2022, A______ a signifié à B______ SA, soit pour elle à C______, qu’il ne s’exécuterait pas, en ces termes:
" Il n’y a plus de contrat qui m’oblige à compter du 9 janvier. Simplement des mots. Il n’y a pas non plus de contrat qui t’oblige à m’acheter la pièce pour 140'000 fr. ou 150'000 fr. comme je le demande. Donc continuer par l’intermédiaire d’avocats est une perte de temps ( ). Tu ne m’as pas seulement perdu en tant qu’acheteur et vendeur, mais tu m’as également mis en colère. Il est toujours temps de finir cela amicalement. On se rencontre, je te donne les 20'000 fr. d’acompte et on se serre la main. A partir de demain – soit le 11 mars 2022 – cela ne sera plus possible. Penses-y."
m. Les 11 et 15 mars 2022, B______ SA, soit pour elle son avocat, se référant à son courrier de mise en demeure du 8 mars 2022 et prenant acte du refus de A______ de livrer la montre, lui a signifié qu'elle se "départait" du contrat de vente du 16 décembre 2021, qu’elle exigerait des dommages-intérêts compensatoires dont le montant lui serait communiqué ultérieurement et que les acomptes payés de 20'000 fr. devaient lui être reversés.
n. Par courrier du 16 mars 2022, A______, agissant par la voix de son conseil, a accusé réception des courriers des 8 et 11 mars 2022 et contesté la mise en demeure faite par B______ SA, la résiliation du contrat ainsi que la demande de dédommagement, qu'il considérait comme étant nulles.
o. Après une nouvelle sommation, A______ a assuré à B______ SA qu’il lui virerait la somme de 20'000 fr. Aucun paiement n’est toutefois intervenu.
p. La valeur vénale estimée d’une E______/1______ 2016 de seconde main, soit son prix de vente moyen sur le marché des montres de luxe d’occasion tel que coté par D______, a évolué comme suit entre janvier et mars 2022:
194'930 fr. au 24 janvier; 204'960 fr. au 31 janvier ; 205'340 fr. au 7 février ; 205'025 fr. au 14 février ; 201'200 fr. au 21 février ; 201'375 fr. au 28 février ; 191'255 fr. au 7 mars et 192'215 fr. au 14 mars 2022.
Estimée le 10 juin 2022 par un expert privé commis à cette fin par B______ SA, la valeur vénale de la montre litigieuse s’élevait à environ 175'000 fr. au 15 janvier, 201'000 fr. au 15 février et 197'000 fr. au 15 mars 2022.
D. a. Par demande du 13 juin 2022, non conciliée, B______ SA a réclamé le paiement par A______ de dommages-intérêts totalisant 120'686 fr. 55, avec intérêts à 5% dès le 15 mars 2022. Cette somme se composait comme suit:
- 95'000 fr. en indemnisation du manque à gagner correspondant au bénéfice qu’elle aurait pu réaliser en achetant la montre pour le prix convenu de 95'000 fr. et en la revendant pour un prix de 190'000 fr. ;
- 20'000 fr. en indemnisation des acomptes dont elle s'était acquittée et qui ne lui avaient pas été restitués ;
- 5'686 fr. 55 en indemnisation de frais d’avocat avant procès, correspondant à une note d’honoraires du même montant établie par son conseil le 28 mars 2022, pour une activité qui n'est pas décrite.
b. En cours de procédure, A______ a payé à B______ SA, intérêts en sus, les 20'000 fr. correspondant aux acomptes perçus.
c. Dans sa réponse, il a conclu au déboutement de B______ SA du solde de ses prétentions en paiement.
d. Par réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.
e. Lors de l’audience de plaidoiries finales du 8 février 2023, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions, à l'exception de la prétention en indemnisation des acomptes de B______ SA que celle-ci a retirée compte tenu du paiement correspondant.
E. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré qu'en ne livrant pas la montre à la dernière date convenue, le 7 février 2022, ni à l'échéance d'un délai de grâce supplémentaire accordé par B______ SA, celle-ci était en droit de renoncer à l'exécution du contrat et d'opter pour l'une des voies offertes par l'art. 107 al. 2 CO relatif à la demeure du débiteur. En exigeant clairement dès le début des dommages et intérêts correspondant à son gain manqué sur la revente de la montre, elle avait ainsi opté pour la voie tendant à réclamer des dommages-intérêts positifs pour cause d'inexécution, couvrant notamment le manque à gagner. Ayant acquis la montre au prix de 95'000 fr., qu'elle aurait pu revendre à 190'000 fr., selon les estimations, elle était fondée à réclamer le paiement de 95'000 fr. à titre de dommage.
1. 1.1 La voie de l'appel est ouverte contre les décisions finales de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), dans les causes patrimoniales dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), ce qui est le cas en l'espèce.
L'acte d'appel a été interjeté dans le délai utile (art. 145 let. a et 311 CPC), auprès de l'autorité compétente.
1.2 A teneur de l'art. 311 al. 1 CPC, l'appel doit être « écrit et motivé ».
1.2.1 La motivation de l'appel doit indiquer en quoi la décision de première instance est tenue pour erronée. La partie appelante ne peut pas simplement renvoyer à ses moyens de défense soumis aux juges du premier degré, ni limiter son exposé à des critiques globales et superficielles de la décision attaquée. Elle doit plutôt développer une argumentation suffisamment explicite et intelligible, en désignant précisément les passages qu'elle attaque dans la décision dont est appel, et les moyens de preuve auxquels elle se réfère (arrêt du Tribunal fédéral 4A_274/2020 du 1er septembre 2020 consid. 4).
1.2.2 Contrairement à ce que soutient l'intimée, l'appel satisfait aux conditions de motivation. Bien que l'appelant reprenne certains moyens déjà présentés devant le Tribunal, l'on comprend de manière suffisamment compréhensible ce qu'il reproche au premier juge et les modifications qu'il souhaite apporter à la décision entreprise. Dans un chapitre liminaire ("GRIEFS"), il expose, en effet, les différents points qui sont contestés, à savoir la validité du contrat, l'intention des parties et la nature de l'action initiée par sa partie adverse, puis développe, de manière suffisamment intelligible, les motifs pour lesquels il désapprouve les solutions consacrées par le premier juge. L'intimée a d'ailleurs saisi la portée de l'appel puisqu'elle s'est déterminée en conséquence dans sa réponse.
L'appel est ainsi recevable.
1.3 La maxime des débats et le principe de disposition sont applicables (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).
1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).
2. Invoquant une constatation inexacte des faits, l'appelant soutient que la période initialement convenue durant la semaine du 6 janvier 2022 pour la remise de la montre contre paiement du prix constituait un élément essentiel du contrat de vente et qu'en l'absence d'exécution à cette période, le contrat avait pris fin. Les parties avaient entamé des négociations en vue de conclure un nouveau contrat, lequel n'avait toutefois pas abouti. Il n'existait dès lors aucun contrat liant les parties, de sorte qu'une action en indemnisation pour inexécution n'était pas fondée.
Au demeurant, l'intimée avait manifesté son intention de se "départir" du contrat ce qui excluait des dommages-intérêts positifs couvrant le gain manqué.
2.1 Lorsque le créancier ne peut obtenir l’exécution de l’obligation, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu’il ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable (art. 97 al. 1 CO ; cf. art. 107 al. 2 in fine 1ère hypothèse CO). Ainsi en va-t-il du vendeur qui n’exécute pas son obligation de livraison de la chose, lequel est ainsi tenu de répondre du dommage causé de ce chef à l’acheteur (art. 191 al. 1 CO).
2.1.1 A teneur de l'art. 102 al. 2 CO, lorsque le jour de l'exécution a été déterminé d'un commun accord, le débiteur est mis en demeure par la seule expiration de ce jour (demeure simple). Lorsque le terme est atteint et la créance est devenue exigible, le terme peut toutefois être renvoyé ou suspendu par un accord, par la loi ou par un jugement (Hohl, in Commentaire romand CO I, 3ème éd., 2021, n. 8 ad art. 75 CO).
Lorsque, dans un contrat bilatéral, l'une des parties est en demeure (simple), l'autre peut lui fixer un délai convenable pour s'exécuter (art. 107 al. 1 CO; délai de grâce supplémentaire). La fixation d'un délai de grâce convenable supplémentaire n'est pas nécessaire notamment lorsqu'il ressort de l'attitude du débiteur que cette mesure serait sans effet (art. 108 ch. 1 CO) ou lorsque aux termes du contrat l'exécution doit avoir lieu exactement à un terme fixe (fatal) ou dans un délai déterminé (art. 108 ch. 3 CO).
Dans le domaine des ventes mobilières commerciales, l'art. 190 al. 1 CO prévoit deux présomptions spéciales. D'une part, le terme convenu pour la livraison est présumé être un terme fatal (art. 108 ch. 3 CO) et, d'autre part, à l’expiration du terme convenu, l’acheteur est présumé renoncer à la livraison et demander des dommages et intérêts pour cause d'inexécution (Venturi/Zen-Zuffinen, in Commentaire romand CO I, 3ème éd., 2021, n. 1-2 ad art. 190 CO).
2.1.2 En cas de demeure (qualifiée) du débiteur, soit après l'expiration du délai de grâce ou si les cas de figure prévus à l’art. 108 CO sont réalisés, le créancier qui en fait la déclaration immédiate peut alors renoncer à l’exécution et notamment opter pour l’une des voies suivantes (art. 107 al. 2 CO) :
- soit réclamer des dommage-intérêts pour cause d'inexécution (art. 107 al. 2 in fine 1ère hypothèse CO ; maintien du contrat mais renonciation à son exécution ; ci-après : voie n° 1), c’est-à-dire des dommages-intérêts positifs en indemnisation de son intérêt à l’exécution de l’obligation, destinés à le replacer dans la situation qui serait la sienne si le contrat avait été correctement exécuté, couvrant notamment le gain manqué sur la revente ou l’utilisation de la prestation contractuelle non exécutée (ATF 136 III 273 consid. 2.4; arrêt du Tribunal fédéral 4D_64/2020 du 27 janvier 2021 consid. 5.2 et les références citées) ;
- soit se départir du contrat (art. 107 al. 2 in fine 2ème hypothèse CO; résolution du contrat avec effet ex tunc ; ci-après : voie n° 2), auquel cas il peut refuser la prestation promise, répéter ce qu'il a déjà payé et demander la réparation du dommage résultant de la caducité du contrat (art. 109 CO), c’est-à-dire des dommages-intérêts négatifs destinés à le replacer dans la situation qui serait la sienne s’il n’avait pas conclu le contrat, lesquels ne couvrent pas le gain manqué (ATF 136 III 273 consid. 2.4 et les références citées).
Le choix par le créancier de l’une des deux voies précitées de l’art. 107 al. 2 in fine CO, est un acte formateur unilatéral et inconditionnel s’exerçant par une déclaration de volonté sujette à réception. L’option choisie est, en principe, irrévocable (ATF 123 III 16 consid. 4b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_691/2014 consid. 3).
Comme le souligne la doctrine, la distinction entre les deux voies ouvertes au créancier par l’art. 107 al. 2 in fine CO – renonciation à l’exécution du contrat et réclamation de dommages intérêts positifs ou résolution du contrat et réclamation de dommages intérêts négatifs – est source de fréquentes confusions pour les non-juristes, voire même pour certains avocats et tribunaux (Thévenoz, in Commentaire romand CO I, 3ème éd., 2021, n. 2 et 22 ad art. 107 CO).
Lorsque la déclaration du créancier est, comme souvent le cas, ambiguë, elle doit être interprétée conformément au principe de la confiance, soit en particulier conformément aux intentions et intérêts du créancier qui soient reconnaissables au débiteur (ATF 126 III 230 consid. 7cc; 123 III 16 consid. 4b).
En cas de doute, la renonciation à l’exécution du contrat (souvent mal exprimée comme renonciation au contrat) et la demande simultanée de dommages-intérêts doivent être comprises comme signifiant la volonté d’opter pour la voie n° 1; ainsi, le créancier qui, tout en déclarant se départir du contrat (voie n° 2), réclame l’indemnisation d’un manque à gagner, doit être compris comme optant pour la voie n° 1 (ATF 123 II 16 consid. 4b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_232/2014 du 30 mars 2015 consid. 14.3.2; Thévenoz, op. cit., n. 22 ad art. 107 CO et les références citées).
Le choix du créancier peut être déclaré au débiteur avant l’expiration du délai de grâce, et notamment en même temps que sa fixation (ATF 116 II 436 consid. 3; ATF 103 II 102 consid. 1b). Cette déclaration de volonté ne pose aucune exigence de forme (Thévenoz, op. cit., n. 16 ad art. 107 CO).
2.1.3 Aux termes de l'art. 18 al. 1 CO, pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, notamment si un contrat a été conclu, quels en sont les cocontractants et quel en est le contenu, le juge doit interpréter les manifestations de volonté des parties (ATF 144 III 93 c. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_379/2018 du 3 avril 2019 consid. 3.1).
Selon les règles d'interprétation des contrats déduites de l'art. 18 CO, le juge doit d'abord rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 c. 5.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_125/2023 du 21 décembre 2023 consid. 3.1).
Ce n'est que si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties qu'il doit recourir à l'interprétation selon le principe de la confiance (normative ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre (ATF 144 III 93 c. 5.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_125/2023 du 21 décembre 2023 consid. 3.1).
2.2 En l'espèce, l'appelant conteste la validité du contrat de vente du 16 décembre 2021 et, subsidiairement, la nature de l'action entreprise par l'intimée à titre d'inexécution de celui-ci.
2.2.1 Dans un premier moyen, l'appelant soutient qu'en n'honorant pas le premier rendez-vous fixé durant la semaine du 6 janvier 2022, dont la date constituait un élément essentiel du contrat, c'est l'intimée qui se trouvait en demeure d'exécution du prix de vente, de sorte qu'il était en droit tant de se départir du contrat que de ne pas livrer la montre, conformément à l'art. 82 CO.
Cette argumentation ne convainc pas.
Bien que le contrat de vente stipule que la remise de la montre devait intervenir au cours de la semaine du 6 janvier 2022, aucun élément ne permet de retenir que cette période de livraison était un élément crucial, constitutif d'un élément essentiel du contrat, comme le prétend l'appelant. Au contraire, le fait que les parties aient convenu que la livraison intervienne au cours de la semaine du 6 janvier 2022 tend à démontrer qu'elles ne s'attendaient pas à arrêter un terme fixe, encore moins fatal en cas de non-respect. La semaine du 6 janvier 2022 correspondait simplement au retour de vacances des parties, sans qu'aucune importance particulière n’ait été invoquée dans les discussions préalables entre les parties. La mention relative à la date de livraison apparaît d'ailleurs dans le contrat sous la dernière rubrique intitulée "Notes".
Par ailleurs, les parties sont convenues, d'un commun accord, de reporter la date de livraison à plusieurs reprises en raison de leurs indisponibilités respectives. Lors de leurs échanges, les parties se sont limitées à proposer d'autres dates, sans aborder aucun autre aspect de leur relation contractuelle ni même, dans un premier temps, la hausse de la valeur de la montre. La teneur de leurs messages ne laisse ainsi apparaître aucun signe susceptible de retenir que le contrat aurait été résilié ou une quelconque volonté des parties en ce sens, ni même que l'absence de livraison à la période initiale aurait eu une quelconque incidence sur la teneur du contrat du 16 décembre 2021.
A cela s'ajoute le fait que l'appelant a demandé à l'intimée, le 14 janvier 2022, soit après l'expiration de la période initialement convenue, de lui envoyer le contrat de vente du 16 décembre 2021 pour qu'il le signe ainsi qu'un acompte supplémentaire de 5'000 fr. ("a little advance") sur le prix de vente de 95'000 fr., lequel a été versé le jour même. Ces circonstances démontrent sans équivoque que les parties n'entendaient pas résilier le contrat, l'appelant ayant lui-même requis une exécution partielle de celui-ci par le versement d'une avance.
Dès lors, le terme fixé par le contrat de vente ne constituait pas un terme fixe fatal, entraînant la résiliation du contrat à son expiration, puisque les parties ont poursuivi son exécution. La présomption de l'art. 190 al. 1 CO est ici dès lors renversée.
Ce n'est que le 7 février 2022, correspondant au jour prévu pour l'exécution du contrat, que l'appelant a évoqué, pour la première fois, la hausse de la valeur de la montre et que les parties ont entamé des discussions à ce sujet. Toutefois, on ne saurait déduire des échanges intervenus dans ce cadre une volonté des parties de résilier le contrat du 16 décembre 2021 et de négocier un nouveau contrat en lieu et place. Si les parties ont certes discuté d'un éventuelle adaptation du prix du vente, rien n'indique qu'elles entendaient mettre un terme au contrat qui les liait, le seul refus de l'appelant de s'exécuter n'étant pas suffisant.
Par conséquent, c'est à bon droit que le Tribunal a retenu que le contrat de vente du 16 décembre 2021 était valable et qu'en refusant de s'exécuter l'appelant est tombé en demeure.
2.2 Dans un second moyen, l'appelant reproche au Tribunal d'avoir retenu que l'intimée avait opté pour l'action tendant au maintien du contrat avec réclamation de dommages-intérêts positifs pour cause d'inexécution, couvrant notamment le gain manqué (voie n° 1 de l'art. 107 al. 2 CO).
Dans son courrier du 8 mars 2022, l'intimée a fixé un délai de grâce à l'appelant en indiquant clairement qu'à défaut d'exécution, elle renoncerait à l'exécution de la vente et exigerait des dommages et intérêts en indemnisation du bénéfice que lui aurait procuré la revente de la montre. Les termes employés quant à sa volonté d'être indemnisée du manque à gagner sur la revente de la montre sont clairs et ne laissent aucune place à une quelconque autre interprétation.
L'appelant soutient que le courrier du 8 mars 2022 ne peut constituer une déclaration de volonté sujette à réception en raison d'un vice de notification. Or, l'appelant conteste pour la première fois devant la Cour ne pas avoir reçu le courrier du 8 mars 2022, de sorte que son grief repose sur un fait nouveau irrecevable. Quoi qu'il en soit, il s'avère infondé dans la mesure où ledit courrier a été envoyé à l'adresse qu'il a lui-même indiquée sur le contrat de vente, qu'il a reçu d'autres courriers envoyés à cette adresse, dont celui du 11 mars 2022 et, enfin, que son conseil a accusé réception du courrier en question en contestant, à l'échéance du délai imparti, tant la mise en demeure faite par l'intimée que sa demande de dédommagement du manque à gagner. L'appelant a dès lors eu connaissance de l'option choisie par l'intimée, couvrant son gain manqué, étant ici rappelé que la déclaration de volonté du créancier peut être adressée au débiteur avant l'expiration du délai de grâce.
C'est en vain que l'appelant se prévaut des courriers des 11 et 15 mars 2022, aux termes desquels l'intimée a indiqué qu'elle se "départait du contrat", pour soutenir que ce faisant elle avait opté pour l'option n° 2 de l'art. 107 al. 2 CO, correspondant à l'indemnisation des dommages-intérêts négatifs ne couvrant pas le manque à gagner. Bien que l'intimée, par la voix de son avocat, ait erronément indiqué qu'elle se "départait du contrat", elle a également persisté à réclamer des dommage-intérêts compensatoires tendant à l'indemnisation de son gain manqué, référence faite à son courrier du 8 mars 2022. A cet égard, la doctrine et la jurisprudence admettent qu'en cas de déclaration ambiguë, ce qui arrive fréquemment même chez les professionnels tels que les avocats ou les tribunaux, la renonciation à l’exécution du contrat (souvent mal exprimée comme renonciation au contrat) et la demande simultanée de dommages-intérêts, comme cela a été exprimé en l'espèce, doivent être comprises comme signifiant la volonté d’opter pour la voie n° 1. De plus, dans le domaine de la vente commerciale, l'acheteur est présumé opter pour la voie n°1 sans nécessité pour lui d'en faire la déclaration au vendeur (art. 190 al. 1 CO).
Par surabondance, les déclarations de l'intimée des 11 et 15 mars 2022, interprétées selon le principe de la confiance, ne pouvaient qu'être comprises comme exprimant sa volonté d'agir selon la voie n° 1. En effet, dans son message précédent du 10 mars 2022, l'appelant a proposé à l'intimée de liquider leur relation contractuelle, pour solde de tout compte, par la restitution des prestations fournies, soit les acomptes versés, ce qui correspondait à la voie n° 2. Or, l'intimée a catégoriquement refusé cette proposition, en réclamant en outre des intérêts compensatoires. Sa position démontrait clairement qu'elle ne se satisfaisait pas des dommages-intérêts négatifs offerts par la voie n° 2 et réclamait des dommages intérêts positifs, possibilité exclusivement offerte par la voie n° 1, ce qu'elle avait d'ailleurs déjà exprimé en mentionnant le gain manqué dans son courrier du 8 mars 2022 auquel elle faisait référence. Ses intentions étaient ainsi clairement reconnaissables par l'appelant.
Par conséquent, le grief de l'appelant est rejeté, l'intimée étant fondée à agir en paiement de dommages et intérêts positifs pour cause d'inexécution du contrat de vente du 16 décembre 2021.
2.3 Pour le surplus, l'appelant n'élève aucun grief quant au calcul ou au montant du dommage couvrant le manque à gagner qu’il a été condamné à payer. Il n'y a dès lors pas lieu d'y revenir.
Le jugement sera donc confirmé dans son intégralité.
3. Les frais judiciaires d'appel seront mis à la charge de l'appelant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront arrêtés à 4'500 fr. (art. 17 et 35 RTFMC) et entièrement compensés avec l'avance de même montant fournie par ce dernier, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
L'appelant sera, en outre, condamné aux dépens d'appel de l'intimée, fixés à 4'000 fr., débours et TVA compris (art. 84, 85 et 90 RTFMC).
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La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 1er mai 2023 par A______ contre le jugement JTPI/3198/2023 rendu le 13 mars 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/6978/2022.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais d'appel :
Arrête les frais judicaires d'appel à 4'500 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance fournie par ce dernier, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.
Condamne A______ à verser à B______ SA la somme de 4'000 fr., TVA et débours compris, à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.