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Décisions | Chambre civile

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C/22474/2022

ACJC/607/2024 du 14.05.2024 sur OTPI/762/2023 ( SDF ) , MODIFIE

En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22474/2022 ACJC/607/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 14 MAI 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par la 5ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 4 décembre 2023, représentée par Me Monica KOHLER, avocate, rue Marignac 9, case postale 324,
1211 Genève 12,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Eve DOLON, avocate, rue Charles-Bonnet 2, 1206 Genève.

 

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/762/2023 du 4 décembre 2023, reçue par les parties le 6 décembre 2023, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a donné acte à B______ et A______ de ce que la jouissance exclusive du logement sis à C______ [GE] était attribuée à la précitée (chiffre 1 du dispositif), condamné B______ à verser à celle-ci, par mois et d'avance, à titre de contribution à son entretien, la somme de 7'100 fr. dès le 17 mai 2023, sous déduction des sommes déjà versées à ce titre (ch. 2), réservé le sort des frais à la décision finale (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte déposé le 18 décembre 2023 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé appel contre cette ordonnance, sollicitant son annulation. Cela fait, elle a conclu à la condamnation de B______ à lui verser, par mois et d'avance, à titre de contribution à son entretien, 10'000 fr. du 17 mai au 31 décembre 2023, 15'000 fr. du 1er janvier au 31 décembre 2024 et 17'000 fr. "pour la suite de la procédure si celle-ci devait perdurer", sous suite de frais judiciaires et dépens de première et seconde instances.

b. Dans sa réponse, B______ a conclu au rejet de cet appel, sous suite de dépens.

Il a produit une pièce nouvelle, non datée, soit son bilan et son compte d'exploitation pour l'exercice 2022.

c. Dans leurs réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

d. Par avis du greffe de la Cour du 1er mars 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. B______, né le ______ 1960, et A______, née le ______ 1963, se sont mariés le ______ 1993 à D______ (Espagne).

Ils sont les parents de deux enfants, aujourd'hui majeurs, E______, né en 1994, et F______, née en 1998.

b. Durant la vie commune, les parties ont emménagé dans une maison sise à G______ (France), dont elles sont copropriétaires.

c. Les parties ont mis un terme à leur vie commune entre 2019 et début 2020. B______ a continué à s'acquitter des charges courantes de la famille.

Il a pris à bail un appartement [au quartier de] H______ de Genève et A______ s'est installée, avec F______, dans un appartement à C______.

d. Par acte du 11 novembre 2022, A______ a formé une requête unilatérale en divorce, à teneur de laquelle elle a notamment estimé son entretien à 7'325 fr. par mois.

e. Lors de l'audience du Tribunal du 1er février 2023, B______ a acquiescé au principe du divorce.

Le Tribunal a imparti un délai à A______ pour compléter sa demande.

f. Dans sa demande complétée du 17 mai 2013, A______ a pris des conclusions sur mesures provisionnelles, sollicitant notamment le versement d'une contribution d'entretien de 21'000 fr. par mois dès le 17 mai 2022, sous déduction des sommes déjà versées à ce titre. Elle a également pris des conclusions au fond, sollicitant préalablement la production des bilans et comptes de pertes et profits 2018 à 2023 de B______.

Elle a allégué que ses charges mensuelles s'élevaient à environ 10'500 fr., comprenant son loyer (2'200 fr.), le loyer du garage (170 fr.), ses primes d'assurance ménage (37 fr. 05), maladie (578 fr. 10), ses frais médicaux non remboursés (258 fr. 35), de télécommunication (181 fr.), SIG (79 fr. 20), SERAFE (28 fr.), de transport (555 fr. 10, soit 140 fr. 25 d'assurance, 53 fr. 20 d'impôt, 350 fr. pour l'essence et l'entretien, ainsi que 11 fr. 65 de cotisations I______ [association]), de déplacement en Espagne (estimés à 500 fr.), ses frais pour les chiens (105 fr. 41) et sa charge fiscale (estimée à 4'500 fr., compte tenu de la pension requise). Elle devait également s'acquitter des charges de son appartement sis à D______ (Espagne), qui s'élevaient à 289.53 EUR par mois (frais de copropriété, assurance ménage, eau et électricité, ainsi qu'impôts).

Elle a, en outre, admis avoir transféré la somme de 100'000 fr. du compte commun des parties sur son propre compte le 27 octobre 2022.

g. Par courrier du 23 juin 2023 adressé au Tribunal, B______ a notamment allégué s'être toujours acquitté de l'entier des frais de A______ et approvisionner le compte de celle-ci, afin qu'elle puisse subvenir à ses besoins. Cette dernière pouvait, en outre, utiliser les 100'000 fr. retirés du compte commun pour toutes dépenses imprévues.

h. Le 11 septembre 2023, B______ a déposé au greffe du Tribunal un chargé de pièces.

Il a notamment produit un extrait internet de l'Office fédéral de la santé publique concernant la nouvelle réglementation de la psychothérapie pratiquée par des psychologues, entrée en vigueur le 1er juillet 2022, à teneur de laquelle la psychothérapie déléguée à des "non-médecins" n'était plus possible dès le 1er janvier 2023.

i. Lors de l'audience de 13 septembre 2023, ledit chargé de pièces a été remis à A______.

B______ a, à nouveau, déclaré s'acquitter directement des charges de la précitée et lui mettre à disposition les deux comptes bancaires communs qu'il alimentait, ce qui représentait un total de 5'472 fr. par mois. Il était d'accord de continuer à procéder de la sorte ou de verser un montant équivalent directement à A______, celle-ci devant s'acquitter de ses charges. Ses propres charges, incluant celles de la famille et des biens immobiliers des parties, dépassaient ses revenus, de sorte qu'il ne bénéficiait d'aucun disponible. En effet, ses revenus avaient diminué depuis le 1er janvier 2023.

A______ a déclaré que B______ ne lui avait pas versé plus de 2'000 fr. par mois depuis la séparation et que, depuis janvier 2023, il ne lui versait plus rien.

j. Lors de l'audience du 8 novembre 2023, B______ a déclaré que ses documents comptables 2022 n'avaient pas encore été établis.

Les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions, sur quoi le Tribunal a gardé la cause à juger sur mesures provisionnelles.

D. La situation personnelle et financière des parties est la suivante :

a. B______ est psychiatre et psychothérapeute.

En 2010, il a créé [le centre de consultation psychiatrique] J______ à Genève, qu'il dirige et dans le cadre duquel il exerce son activité en raison individuelle.

Jusqu'au 31 décembre 2022, il employait dans cet établissement des psychologues, afin de leur déléguer des thérapies.

Selon son compte d'exploitation 2018, établi par une fiduciaire, le résultat de l'exercice s'était soldé par un bénéfice de 606'414 fr. 40, soit un montant mensualisé et arrondi de 50'500 fr. [1'239'368 fr. de recettes (526'672 fr. 42 d'honoraires propres + 705'045 fr. 75 d'honoraires des psychologues délégués + 7'580 fr. pour les cours qu'il dispensait) - 632'954 fr. de charges (dont 497'676 fr. 10 de charges salariales et sociales pour ses employés)].

Selon son compte d'exploitation 2021, établi par une fiduciaire, le résultat de l'exercice s'était soldé par un bénéfice de 536'692 fr., soit un montant mensualisé et arrondi de 44'700 fr. [1'392'382 fr. de recettes (590'044 fr. 49 d'honoraires propres + 791'452 fr. 55 d'honoraires des psychologues délégués + 10'615 fr. 65 pour les cours qu'il dispensait) - 855'690 fr. de charges (dont 601'358 fr. 15 de charges salariales et sociales pour ses employés)].

Depuis le 1er janvier 2023, en raison d'une modification législative, B______ a allégué ne plus avoir le droit de déléguer des thérapies à des psychologues et donc de facturer les prestations fournies par ses salariées. Il avait ainsi licencié ces derniers, dont certains continuaient à exercer leur activité professionnelle à titre indépendant au sein de son établissement et sous-louaient des bureaux dans celui-ci.

En 2023, selon les relevés mensuels de la Caisse des médecins, B______ a perçu pour son activité propre 25'729 fr. 95 en janvier, 36'505 fr. 85 en février, 48'357 fr. en mars, 33'435 fr. 50 en avril, 73'104 fr. 66 en mai, 42'475 fr. 10 en juin, 28'556 fr. 85 en juillet et 47'029 fr. 65 en août, soit un total de 335'194 fr. 56.

Il a, en outre, perçu en mars et mai 2023, 3'615 fr. 10 respectivement 3'563 fr. 10, pour les cours qu'il a dispensés.

En 2023, il s'est acquitté des sommes de 16'786 fr. 40 et 3'467 fr. 90 à titre d'acomptes de cotisations sociales, soit un total mensualisé de 1'688 fr. Ses cotisations professionnelles se sont élevées à 2'915 fr. par an, soit 243 fr. par mois. Sa taxe professionnelle communale s'est montée à 6'900 fr. par an, soit 575 fr. par mois. Sa prime d'assurance perte de gain en cas de maladie s'est élevée à 6'641 fr. pour six mois, soit 1'107 fr. par mois, et celle d'assurance-accident à 3'933 fr. 40 pour six mois, soit 656 fr. par mois.

En 2023, il s'est également acquitté de 4'378 fr. par mois à titre de loyer pour les locaux de son établissement, et de 16'203 fr. à titre d'acomptes d'impôts, soit 13'202 fr. 50 mensualisés sur douze mois.

Le Tribunal a retenu que ses charges mensuelles s'élevaient à 5'074 fr., comprenant son entretien de base selon les normes OP (1'200 fr.), son loyer (2'670 fr.), ses primes d'assurance-maladie (712 fr.), ses frais médicaux non remboursés (261 fr.) et de transport (231 fr., correspondant aux primes d'assurance de deux voitures et d'un scooter).

b. A______ a une formation de psychologue.

Durant le mariage, elle s'est essentiellement consacrée à son foyer et sa famille.

Depuis une leucémie, diagnostiquée en 2011, elle a allégué être incapable de travailler. B______ n'a pas contesté cette incapacité, mais a soutenu que celle-ci était imputable aux dépressions et troubles bipolaires, dont souffrait la précitée depuis le début du mariage.

A______ n'a jamais entrepris de démarches auprès de l'assurance invalidité.

Sa prime d'assurance véhicule s'élève à 153 fr. par mois.

Le Tribunal a arrêté ses charges mensuelles à 4'833 fr., comprenant son entretien de base selon les normes OP (1'200 fr., incluant les frais SIG et SERAFE), son loyer (2'200 fr.), ses primes d'assurance-maladie (578 fr.) et ménage (37 fr.), ses frais médicaux non remboursés (17 fr.), de télécommunication (181 fr.), de transport (70 fr., dès lors qu'elle n'avait pas justifié de la nécessité à utiliser un véhicule privé), les frais concernant ses chiens (100 fr.) et sa charge fiscale (estimée à 450 fr.). Le Tribunal n'a pas comptabilisé ses frais de déplacement en Espagne, ni ceux concernant son appartement dans ce pays, dès lors qu'ils ressortaient des loisirs.

c. Les parties sont copropriétaires de l'ancien domicile conjugal sis à G______ (France), dont le remboursement de l'hypothèque s'élève à 6'165 fr. par mois.

Ils sont également copropriétaires d'un appartement à K______ (Espagne) et d'un appartement à L______ (VS), dont le remboursement des hypothèques se monte à 1'182 fr. 25 par mois, respectivement 615 fr. 90 par mois.

B______ s'acquitte de ces montants.

d. B______ s'acquitte également des frais mensuels fixes des enfants, qui poursuivent leurs études, soit 534 fr. 90 pour F______ et 1'153 fr. 90 pour E______, montants non contestés.

E. Dans la décision entreprise, s'agissant de la contribution due à l'entretien de A______ - seul point litigieux en appel -, le Tribunal a retenu qu'aucun revenu hypothétique ne serait imputé, sur mesures provisionnelles, à la précitée. Il lui appartenait toutefois d'entreprendre les démarches nécessaires auprès de l'assurance invalidité.

En 2023, B______ avait perçu un revenu mensuel de 34'150 fr. et ses charges s'élevaient à 5'074 fr. par mois, auxquelles s'ajoutaient les charges des biens immobiliers des parties - ces dépenses étant des dettes communes -, soit 8'267 fr., ainsi que les frais des enfants, soit 1'688 fr. Sa charge fiscale était estimée à 9'750 fr. par mois, montant qui tenait compte d'une diminution de quelques 25% de ses revenus actuels. Il disposait ainsi d'un solde mensuel de 9'371 fr. (34'150 fr. - 5'074 fr. - 8'267 fr. - 1'688 fr. - 9'750 fr.).

Après paiement des charges de A______, l'excédent mensuel à partager entre les parties s'élevait à 4'538 fr. (9'371 fr. - 4'833 fr.), soit 2'269 fr. chacune. Le montant de la contribution d'entretien due à la précitée se montait ainsi à 7'100 fr. (montant arrondi de 4'833 fr. + 2'269 fr.).


 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles, dans les causes patrimoniales dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. b et al. 2 CPC).

En l'espèce, le litige porte sur la contribution due à l'entretien de l'épouse, dont la valeur capitalisée est supérieure à 10'000 fr. (art. 92 al. 1 CPC). La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai utile de dix jours (art. 142 al. 3, 271 let. a et 314 al. 1 CPC) et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4).

Dans le cadre d'une procédure de divorce (art. 274 ss CPC), le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires en vertu de l'art. 276 al. 1 CPC; les dispositions régissant la protection de l'union conjugale sont dès lors applicables par analogie. Ces mesures sont ordonnées à la suite d'une procédure sommaire (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_661/2011 du 10 février 2012 consid. 2.3). La cognition du juge est donc limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit. Les moyens de preuve sont, en outre, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (ATF
127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5.1).

La cause est soumise à la maxime de disposition (art. 58 al. 1 CPC) et à la maxime inquisitoire atténuée (art. 55 al. 2 et 272 CPC).

2. L'intimé a produit une pièce nouvelle devant la Cour.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

S'agissant des vrais nova, la condition de nouveauté posée par la lettre b est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate doit être examinée. En ce qui concerne les pseudo nova, il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d'appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1).

2.2 En l'occurrence, la pièce nouvelle produite par l'intimé, qui concerne son revenu 2022, n'est pas datée. La question de sa recevabilité n'a toutefois pas besoin d'être résolue, cette pièce n'étant pas pertinente pour l'issue du litige (cf. consid. 4.2.2 infra).

3. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir procédé à une constatation inexacte et incomplète des faits. L'état de fait présenté ci-dessus a donc été rectifié et complété dans la mesure utile pour la résolution du litige, sur la base des actes et des pièces de la procédure.

4. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir mal évalué la situation financière des parties, en particulier le revenu de l'intimé et ses propres charges.

4.1.1 Le principe et le montant de la contribution d'entretien due selon l'art. 176 al. 1 ch. 1 CC - applicable par analogie aux mesures provisionnelles (art. 276 al. 1 CPC) - se déterminent en fonction des facultés économiques et des besoins respectifs des époux. Même lorsqu'on ne peut plus sérieusement compter sur une reprise de la vie commune, l'art. 163 CC demeure la cause de l'obligation d'entretien réciproque des époux (ATF 145 III 169 consid. 3.6; 140 III 337 consid. 4.2.1; 138 III 97 consid. 2.2). Le train de vie mené durant la vie commune constitue le point de départ pour déterminer l'entretien convenable de chacun des époux, auquel ceux-ci ont droit en présence de moyens financiers suffisants. Quand il n'est pas possible de conserver ce standard, les conjoints ont droit à un train de vie semblable (ATF 147 III 293 consid. 4.4; 140 III 337 consid. 4.2.1;
137 III 102 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_255/2022 du 6 juillet 2023 consid. 3.1).

4.1.2 Dans trois arrêts publiés (ATF 147 III 265, in SJ 2021 I 316; 147 III 293; 147 III 301), le Tribunal fédéral a posé, pour toute la Suisse, une méthode de calcul uniforme des contributions d'entretien du droit de la famille - soit la méthode du minimum vital avec répartition de l'excédent (dite en deux étapes). Selon cette méthode, on examine les ressources et besoins des personnes intéressées, puis les ressources sont réparties entre les membres de la famille concernés de manière à couvrir, dans un certain ordre, le minimum vital du droit des poursuites ou, si les ressources sont suffisantes, le minimum vital élargi du droit de la famille, puis l'excédent éventuel (ATF 147 III 265 consid. 7).

Le juge jouit d'un large pouvoir d'appréciation et applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC; ATF 140 III 337 consid. 4.2.2; 134 III 577 consid. 4;
128 III 411 consid. 3.2.2).

Les besoins sont calculés en prenant pour point de départ les lignes directrices pour le calcul du minimum vital du droit des poursuites selon l'art. 93 LP, en y dérogeant s'agissant du loyer (participation de l'enfant au logement du parent gardien). Lorsque les moyens financiers le permettent, l'entretien convenable doit être étendu au minimum vital du droit de la famille. Pour les parents, les postes suivants entrent généralement dans l'entretien convenable (minimum vital du droit de la famille) : les impôts, les forfaits de télécommunication, les assurances, les frais de formation continue indispensable, les frais de logement correspondant à la situation (plutôt que fondés sur le minimum d'existence), les frais d'exercice du droit de visite, un montant adapté pour l'amortissement des dettes, et, en cas de circonstances favorables, les primes d'assurance-maladie complémentaires, ainsi que les dépenses de prévoyance privée des travailleurs indépendants. L'éventuel excédent est ensuite réparti en fonction de la situation concrète, en tenant compte de toutes les circonstances (ATF 147 III 265 précité consid. 7.1). Les postes de dépenses tels que les voyages ou les loisirs doivent être financés au moyen de cet excédent (ATF 147 III 265 consid. 7.2).

En principe, seules sont prises en compte les dettes régulièrement amorties que les époux ont contractées - déjà durant la vie commune - pour leur train de vie commun ou celles dont ils sont solidairement responsables. Les dettes personnelles envers des personnes tierces ne concernant qu'un seul des époux, y compris celles envers l'autorité fiscale (arrêt du Tribunal fédéral 5A_780/2015 du 10 mai 2016 consid. 2.7), passent après le devoir d'entretien du droit de la famille et n'entrent pas dans le calcul du minimum vital (arrêt du Tribunal fédéral 5A_621/2021 du 20 avril 2022 consid. 4.3).

Lorsque le minimum vital de droit de la famille est pris en compte, les frais de véhicule peuvent s'ajouter aux charges des parties même s'ils ne sont pas strictement indispensables (arrêts du Tribunal fédéral 5A_6/2023 du 10 août 2023 consid. 7 et 5A_703/2011 du 7 mars 2012 consid. 4.2).

4.1.3 En cas de situation particulièrement favorable, il convient de recourir à la méthode fondée sur les dépenses indispensables au maintien du train de vie durant la vie commune, laquelle demeure applicable dans des cas exceptionnels (ATF 147 III 293 consid. 4.1 et 4.5).

Cette méthode implique un calcul concret. Il incombe au créancier de la contribution d'entretien de démontrer les dépenses nécessaires à son train de vie (ATF 140 III 485 consid. 3.3; 137 III 102 consid. 4.2.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_4/2019 du 13 août 2019 consid. 3.2 et 5A_172/2018 du 23 août 2018 consid. 4.2).

4.1.4 Le revenu d'un indépendant est constitué par son bénéfice net, à savoir la différence entre les produits et les charges. En cas de revenus fluctuants, pour obtenir un résultat fiable, il convient de tenir compte, en général, du bénéfice net moyen réalisé durant plusieurs années (dans la règle, les trois dernières). Plus les fluctuations de revenus sont importantes et les données fournies par l'intéressé incertaines, plus la période de comparaison doit être longue (ATF 143 III 617 consid. 5.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_20/2020 du 28 août 2020 consid. 3.3 et 5A_676/2019 du 12 mars 2020 consid. 3.2).

4.2.1 En l'espèce, l'appelante reproche au premier juge de ne pas avoir pris en compte l'organisation des parties durant la vie commune, ainsi que son droit au maintien de son train de vie antérieur au regard de la situation financière aisée des parties.

Cela étant, elle ne conteste pas la méthode du minimum vital avec répartition de l'excédent appliquée, à juste titre, par le premier juge. Elle-même procède à des calculs en utilisant cette méthode. Il se justifie donc d'établir les charges des parties au regard du minimum vital du droit de la famille, conformément au principe rappelé supra, et non selon la méthode fondée sur le maintien du train de vie.

4.2.2 Concernant le revenu de l'intimé, le premier juge s'est fondé sur celui perçu durant les huit premiers mois de l'année 2023 et les charges y afférentes, ce qui n'est pas critiquable.

En effet, conformément à une modification législative, l'intimé n'a plus été autorisé à déléguer des psychothérapies aux psychologues qu'il employait. Il a ainsi dû modifier l'organisation de son activité en licenciant ces derniers et ce, dès le 1er janvier 2023. Contrairement à ce que soutient l'appelante, il ressort des explications fournies par l'Office fédéral de la santé que cette interdiction est entrée en vigueur à la date précitée.

Ainsi, dès le 1er janvier 2023, il est vraisemblable que l'intimé a subi une diminution de ses revenus, dès lors qu'il ne perçoit plus les honoraires facturés par ses anciens employés. En 2018 et 2021, ces revenus représentaient pour ce dernier un solde d'environ 207'000 fr., respectivement 190'000 fr., après déductions des charges salariales et sociales (705'045 fr. 75 de revenus facturés par ses employés - 497'676 fr. 10 de charges salariales et sociales; 791'452 fr. 55 - 601'358 fr. 15). Il s'agissait ainsi d'une composante importante de ses revenus, qu'il ne perçoit dorénavant plus.

Compte tenu de cette modification, indépendante de la volonté de l'intimé, il ne se justifiait pas d'effectuer une moyenne de ses revenus perçus sur les précédentes années, celles-ci n'étant pas comparables à ses revenus actuels.

Le premier juge était donc fondé à estimer le revenu de l'intimé sur les pièces produites pour l'année 2023. A cet égard, contrairement à ce que soutient l'appelante, lesdites pièces sont probantes et suffisantes. En effet, l'intimé a produit les relevés mensuels établis par la Caisse des médecins, mentionnant ses honoraires encaissés, ainsi que les différentes pièces concernant ses charges, soit ses cotisations, sa taxe professionnelle et son loyer. Sur ce point, l'intimé a admis sous-louer une partie des locaux à certains anciens employés, qui exercent en indépendant depuis le 1er janvier 2023. Il n'a toutefois pas allégué le montant perçu à cet égard. Il a établi s'acquitter, en 2023, de la somme de 4'378 fr. par mois à titre de loyer des locaux. Ce montant sera dès lors retenu, sur mesures provisionnelles et sous l'angle de la vraisemblance, étant relevé que la pension due à l'appelante, telle que fixée ci-dessous, lui permet aisément de subvenir à ses besoins élargis.

Par ailleurs, l'appelante ne peut pas reprocher au premier juge de ne pas avoir ordonné la production des pièces requises par elle dans sa demande du 17 mai 2023. En effet, ses conclusions en production de pièces ont été formulées à titre préalable dans le cadre de la procédure au fond. En outre, sur mesures provisionnelles, le premier juge statue sur les pièces immédiatement disponibles, compte tenu de la célérité de la procédure.

Ainsi, de janvier à août 2023, l'intimé a perçu un revenu mensuel total de 42'796 fr., comprenant ses honoraires facturés pour les patients et les cours dispensés (335'194 fr. 56 + 3'615 fr. 10 + 3'563 fr. 10 / 8 mois). En 2023, il s'est acquitté d'un total mensuel de charges de 8'647 fr. (1'688 fr. de cotisations sociales + 1'107 fr. et 656 fr. d'assurances perte de gain et accident + 243 fr. de cotisations professionnelles + 575 fr. de taxe professionnelle + 4'378 fr. de loyer).

Son revenu mensuel s'élève ainsi à 34'150 fr. (42'796 fr. - 8'647 fr.), comme retenu par le premier juge, soit une diminution approximative de l'ordre de 25% de ses revenus perçus en 2018 et 2021.

S'agissant des charges de l'intimé, l'appelante reproche au premier juge d'avoir comptabilisé les frais afférents à l'ancien domicile conjugal, alors que celui-ci pourrait être loué. Elle ne conteste toutefois pas que l'intimé s'acquitte d'un montant de 6'165 fr. par mois pour rembourser l'hypothèque de ce bien, détenu en copropriété par les parties. Elle ne conteste pas non plus qu'une telle hypothèque représente une dette, dont les parties sont solidairement responsables, qui peut être comptabilisée dans le minimum du droit de la famille. Par ailleurs, sur mesures provisionnelles, il ne se justifie pas d'imputer à l'intimé un revenu hypothétique afférent à une éventuelle location de ce bien, les revenus de ce dernier étant suffisants pour couvrir les besoins élargis des parties.

Compte tenu d'une diminution de revenus de l'ordre de 25%, le premier juge a, à juste titre, diminué d'autant la charge fiscale de l'intimé, soit les acomptes versés en 2023. Le montant de 9'750 fr. arrêté à ce titre sera donc confirmé.

Les autres charges mensuelles du précité, telles qu'arrêtées par le premier juge, ne sont pas contestées de manière motivée, de sorte qu'elles seront confirmées par la Cour.

Ses charges s'élèvent ainsi à 22'787 fr. par mois, comprenant son entretien de base selon les normes OP (1'200 fr.), son loyer (2'670 fr.), ses primes d'assurance-maladie (712 fr.), ses frais médicaux non remboursés (261 fr.), de transport (231 fr.), le remboursement des hypothèques des biens immobiliers détenus en copropriété par les parties (7'963 fr. = 6'165 fr. + 616 fr. + 1'182 fr.) et sa charge fiscale (9'750 fr.).

L'intimé bénéficie donc d'un solde disponible mensuel de 11'300 fr. (montant arrondi de 34'150 fr. de revenus - 22'787 fr. de charges).

4.2.3 Sur mesures provisionnelles, aucun revenu hypothétique, correspondant à des prestations de l'assurance invalidité, n'a, à juste titre, été imputé à l'appelante.

Concernant ses charges, la précitée fait, à raison, valoir que des frais de véhicule peuvent être comptabilisés dans son budget, indépendamment de la nécessité d'une voiture à l'exercice d'une profession, les charges des parties étant établies selon le minimum vital élargi du droit de la famille. Par ailleurs, des frais correspondant aux assurances de plusieurs véhicules ont été comptabilisés dans le budget de l'intimé. Ainsi, pour des motifs d'équité, il se justifie de retenir les frais d'assurance véhicule de l'appelante, établis à hauteur de 153 fr. par mois.

En revanche, le premier juge a, à juste titre, refusé de comptabiliser les frais afférents à son bien immobilier en Espagne (charge de copropriété, assurance ménage, électricité, eau et impôts), ce poste ne faisant pas partie du minimum vital du droit de la famille. Il en va de même de ses frais de déplacement pour se rendre en Espagne - dont le montant allégué de 500 fr. par mois n'est aucunement rendu vraisemblable -, qui doivent être financés au moyen de l'excédent.

Ses autres charges mensuelles, telles qu'arrêtées le premier juge, ne font l'objet d'aucun grief motivé et seront donc confirmées.

Ses charges s'élèvent ainsi à 4'916 fr. par mois, comprenant son entretien de base selon les normes OP (1'200 fr.), son loyer (2'200 fr.), ses primes d'assurance-maladie (578 fr.) et ménage (37 fr.), ses frais médicaux non remboursés (17 fr.), de télécommunication (181 fr.), de véhicule (153 fr.), les frais concernant ses chiens (100 fr.) et sa charge fiscale (450 fr.).

L'appelante subit donc un déficit mensuel de l'ordre de 4'920 fr. (montant arrondi).

4.2.4 Compte tenu des situations financières des parties, l'intimé doit subvenir aux besoins de l'appelante. Après couverture de leurs charges respectives, il reste encore un excédent de 6'380 fr. par mois (11'300 fr. de solde disponible de l'intimé - 4'920 fr. de charges de l'appelante).

Il n'est pas contesté que l'intimé s'acquitte des frais fixes des enfants majeurs des parties à hauteur d'environ 1'700 fr. par mois. L'appelante soutient toutefois que la prise en charge de ces frais serait limitée à juin 2024, sans rendre vraisemblable son allégation. Ces frais ne seront donc, en l'état, pas limités dans le temps. Ce montant sera, par conséquent, déduit de l'excédent à partager entre les parties. Celui-ci se monte ainsi à 4'680 fr. par mois (6'380 fr. - 1'700 fr.), soit 2'340 fr. pour chacune d'elles.

La contribution d'entretien due à l'appelante sera ainsi arrêtée, sur mesures provisionnelles, à la somme arrondie de 7'250 fr. par mois, qui correspond approximativement à l'estimation de son entretien mentionnée dans sa requête du 11 novembre 2022.

Le dies a quo du versement de cette contribution d'entretien, fixé au 17 mai 2023, n'est pas remis en cause et sera donc confirmé.

Il n'est pas contesté que l'intimé s'est acquitté des charges de l'appelante depuis la séparation des parties et lui a versé en plus des montants. Ces dernières n'ont rien allégué concernant la période postérieure au 17 mai 2023. Elles n'ont pas non plus remis en cause, le dispositif de l'ordonnance entreprise, à teneur duquel la contribution d'entretien est due sous déductions des sommes déjà versées à ce titre, de sorte que cette formulation sera reprise par la Cour.

Partant, le chiffre 2 du dispositif de l'ordonnance attaquée sera annulé et il sera, à nouveau, statué sur ce point dans le sens qui précède.

5. 5.1 Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Le Tribunal a réservé le sort des frais de première instance à la décision finale. Cette décision étant conforme à la loi (art. 104 al. 1 et 3 CPC) et n'étant pas dûment critiquée par les parties, il n'y a pas lieu de la revoir.

Le chiffre 3 du dispositif de l'ordonnance querellée sera donc confirmé.

5.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 2'000 fr. (art. 33 et 37 RTFMC) et entièrement compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par l'appelante, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Compte tenu de l'issue, ainsi que de la nature familiale du litige, ils seront répartis à parts égales entre les parties (art. 106 al. 2 et 107 al. 1 let. c CPC). L'intimé sera donc condamné à verser la somme de 1'000 fr. à l'appelante à titre de remboursement des frais judiciaires d'appel.

Pour les mêmes motifs, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 106 al. 2 et 107 al. 1 let c. CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 18 décembre 2023 par A______ contre l'ordonnance OTPI/762/2023 rendue le 4 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22474/2022.

Au fond :

Annule le chiffre 2 du dispositif de cette ordonnance et statuant à nouveau sur ce point :

Condamne B______ à verser à A______, par mois et d'avance, dès le 17 mai 2023, 7'250 fr. à titre de contribution à son entretien, sous déduction des sommes déjà versées à ce titre.

Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr., les met à la charge des parties pour moitié chacune et les compense entièrement avec l'avance de frais de même montant versée par A______, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser 1'000 fr. à A______ à titre de remboursement des frais judiciaires d'appel.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Sandra CARRIER, greffière.

La présidente :

Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE

 

La greffière :

Sandra CARRIER


 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.