Aller au contenu principal

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/22306/2022

ACJC/395/2024 du 20.03.2024 ( IUO ) , REJETE

Normes : LDA.19.al1.letc; LDA.20.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22306/2022 ACJC/395/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 20 MARS 2024

 

Entre

PROLITTERIS, COOPERATIVE SUISSE POUR LES DROITS D'AUTEUR DE LITTERATURE ET D'ART, sise Universitätstrasse 100, 8006 Zürich, demanderesse, représentée par Me Stephan KRONBICHLER, avocat, KT-LEGAL SA, boulevard des Philosophes 17, case postale 507, 1211 Genève 4,

et

A______ SA, sise ______ [GE], défenderesse, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. a. PROLITTERIS, COOPERATIVE SUISSE POUR LES DROITS D’AUTEUR DE LITTERATURE ET D’ART (ci-après: PROLITTERIS), coopérative de droit privé, a pour but la gestion des droits d'auteurs, éditeurs et autres détenteurs de droits portant sur des œuvres littéraires, plastiques ou photographiques.

Elle est autorisée par l'Institut fédéral de la Propriété intellectuelle (ci-après: IPI) à exercer, pour les auteurs, les droits à rémunération pour les usages d'œuvres protégées par le droit d'auteur dans le cadre d'une utilisation privée.

b. A______ SA, avec siège à B______ (Genève), est active dans « toutes transactions et activités immobilières, notamment promotion immobilière, acquisition, mise en valeur, construction, location, administration, gérance et vente de biens, droits et autres valeurs mobilières et immobilières ».

C______ en est l’unique administrateur.

B. a. PROLITTERIS a établi, conformément à l'art. 46 de la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins, deux "tarifs communs" qui visent le recouvrement des redevances dues pour la réalisation de copies d'œuvres divulguées, protégées par le droit d'auteur, sur tout support, au moyen de photocopieurs ou d'appareils similaires et ce à partir d'un modèle imprimé sur papier ou numérique (TC 8) et la reproduction numérique et la diffusion d'ouvrages et de prestations protégées sous forme numérique dans les réseaux numériques internes des entreprises, au moyen d'ordinateurs ou d'appareils similaires (TC 9).

Etablis sous forme de tarifs séparés, le TC 8 s’applique ainsi aux copies papiers (photocopies) et le TC 9 aux copies numériques (réseaux numériques).

Ces tarifs ont été approuvés par la Commission arbitrale fédérale pour la gestion de droits d'auteurs et de droits voisins.

b. Les tarifs communs TC 8 et TC 9 prévoient une redevance forfaitaire annuelle obligatoire, due notamment par les entreprises prestataires de services, qui se calcule sur la base d’informations fournies par l’entreprise, soit notamment le nombre de collaborateurs qu’elle emploie et la branche dans laquelle elle exerce (art. 8 TC 8 et art. 8 TC 9).

C. a. PROLITTERIS allègue avoir procédé à la facturation de la redevance due par A______ SA conformément aux tarifs TC 8 et TC 9, sur la base des informations que la société lui avait fait parvenir au moyen du formulaire d’enquête qui lui avait été adressé.

PROLITTERIS a ainsi adressé à A______ les factures suivantes :

- le 14 décembre 2021, une facture correspondant à la redevance pour photocopies (Tarif Commun 8) pour l’année 2021, en 26 fr. 15 (soit 25 fr. 50 de redevance et
0 fr. 65 de TVA),

- le 14 décembre 2021, une facture correspondant à la redevance pour réseaux numériques internes (Tarif Commun 9) pour l’année 2021, en 21 fr. 55 (soit 21 fr. de redevance et 0 fr. 55 de TVA),

- le 4 février 2022, une facture correspondant à la redevance pour photocopies (Tarif Commun 8) pour l’année 2022, en 26 fr. 15 (soit 25 fr. 50 de redevance et 0,65 fr. de TVA),

- le 4 février 2022, une facture correspondant à la redevance pour réseaux numériques internes (Tarif Commun 9) pour l’année 2022, en 21 fr. 55 (soit 21 fr. de redevance et 0 fr. 55 de TVA).

Lesdites factures indiquent que A______ SA appartient à la catégorie « autres prestataires de services » ; il a été tenu compte d’un nombre d’employés compris entre 1 et 9.

b. Le 10 août 2022, A______ SA n'ayant pas payé ces factures, une lettre de mise en demeure de payer le montant de 95 fr. 40 au plus tard le 20 août 2022 lui a été adressée.

c. Aucune suite n’a été donnée à cette mise en demeure.

D. a. Par demande envoyée par courrier électronique sécurisé le 9 novembre 2022 au greffe de la Cour de justice, PROLITTERIS, représentée par son conseil, a conclu au paiement par A______ SA, des montants de 47 fr. 70 avec intérêt à 5% dès le 22 août 2022 (pour l’année 2021) et 47 fr. 70 avec intérêt à 5% dès le
22 août 2022 (pour l’année 2022), avec suite de frais et dépens.

A l'appui de sa demande, elle a produit les autorisations délivrées par l'IPI à exercer les droits de rémunération, l'extrait du Registre du commerce de la partie défenderesse, les trois factures adressées à cette dernière, les "Tarifs Communs" TC 8 et TC 9 et la lettre de mise en demeure du 10 août 2022.

b. Dans sa réponse du 12 décembre 2022, comportant trois pages, A______ SA a contesté devoir la somme réclamée et s’est opposée « par principe et au nom de beaucoup d’autres entrepreneurs, à cette manière malhonnête d’agir ». Son administrateur a allégué que A______ SA était domiciliée à son adresse privée ; elle n’avait aucun collaborateur, ne possédait ni photocopieur, ni réseau informatique, ce qu’il avait expliqué téléphoniquement à PROLITTERIS après avoir reçu le formulaire de renseignements, qu’il avait rempli et renvoyé. A______ SA a relevé que ledit formulaire ne permet pas de préciser que l’entreprise ne possède pas de photocopieur et pas de réseau informatique. A______ SA a conclu à l’octroi d’une indemnité de 250 fr. pour « le temps perdu », montant qu’elle s’est engagée à utiliser pour acheter des livres, afin de soutenir des auteurs locaux.

c. PROLITTERIS a répliqué le 3 février 2023, persistant dans ses conclusions. Elle a confirmé que A______ SA lui avait renvoyé, le 27 octobre 2021, le questionnaire en vue du calcul de la redevance, dans lequel elle indiquait n’avoir aucun employé. A réception de ce questionnaire, une collaboratrice de PROLITTERIS avait demandé des précisions à A______ SA concernant son activité, afin de clarifier le nombre d’employés, tout en précisant à l’intéressée que le propriétaire de la société comptait comme tel. A______ SA n’avait pas donné suite à ce courriel et avait fait l’objet d’une relance le 8 décembre 2021, avec délai au 20 décembre 2021, avec la précision qu’à défaut de réponse il serait procédé à une estimation sur la base des Tarifs Communs 8 et 9. Le même jour, C______ avait répondu de manière virulente à la collaboratrice de PROLITTERIS, indiquant qu’il était le seul dirigeant de A______ SA, laquelle ne possédait pas de photocopieuse. Par courriel du 10 décembre 2021, l’employée de PROLITTERIS avait expliqué à A______ SA les fondements juridiques des redevances dues pour les droits d’auteur, puis, sur la base des renseignements fournis, avait envoyé à la société les deux premières factures mentionnées sous lettre C.a ci-dessus. Dans un courriel adressé à l’employée de PROLITTERIS le 26 décembre 2021, A______ SA avait déclaré refuser de s’acquitter des factures reçues, répétant que la société n’avait aucun employé ; dans un autre courriel du 10 janvier 2022, A______ SA avait prétendu ne disposer d’aucun photocopieur et d’aucun ordinateur. Le 12 janvier 2022, PROLITTERIS avait rendu A______ SA attentive à son obligation de fournir des renseignements au sens de la loi sur le droit d’auteur. A cette occasion, PROLITTERIS avait requis de A______ SA qu’elle remplisse et lui retourne le formulaire « pas de copieur » et « pas de réseau numérique » si cela correspondait à la situation de la société, un délai au 21 janvier 2022 lui étant imparti pour ce faire. Ledit formulaire n’avait toutefois pas été envoyé à PROLITTERIS, A______ SA ayant déclaré refuser de le remplir le 2 février 2022, tout en qualifiant les démarches de PROLITTERIS « d’absurde arnaque administrative ».

d. Le juge délégué de la Cour de justice a tenu une audience le 13 décembre 2023, laquelle a débuté à 14h45 et s’est terminée à 15h10.

PROLITTERIS a persisté dans les termes de sa demande et a réclamé des dépens à hauteur de 1'500 fr.

A______ SA, représentée par C______, a expliqué détenir trois studios loués, administrés par une régie. La société n’avait ainsi pas de réelle activité ; elle n’utilisait ni photocopieur ni ordinateur et n’avait pas d’employés, ce qu’il avait expliqué à plusieurs reprises à PROLITTERIS.

Les parties n’ont sollicité aucun acte d’instruction et ont plaidé, persistant dans leurs conclusions.

La cause a été gardée à juger à l’issue de l’audience.

EN DROIT

1.             1.1 La Cour de justice est, en tant qu’instance cantonale unique, compétente à raison de la matière pour statuer sur les litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, en vertu des art. 120 al. 1 let. a LOJ et 5 al. 1 let. a CPC, et à raison du lieu, en vertu de l'art. 10 al. 1 let. b CPC.

1.2    La demanderesse dispose de la qualité pour agir et de la légitimation active (art. 20 al. 4 et 40 al. 1 let. b LDA et autorisation de la Confédération).

1.3         La demande respecte les exigences de forme prévues aux art. 130 ss et 221 CPC, de sorte qu’elle est recevable.

1.4 La procédure ordinaire s'applique aux litiges pour lesquels est compétente une instance unique, au sens des art. 5 et 8 CPC (art. 243 al. 3 CPC).

2. La demanderesse réclame, en sa qualité de société de gestion, le paiement d'un montant total de 95 fr. 40 plus intérêts en se fondant sur les tarifs communs en matière de reprographie (TC 8) et de réseaux numériques (TC 9).

2.1.1 En application des art. 19 al. 1 let. c et 20 al. 2 LDA, toute entreprise qui exploite un photocopieur ou un réseau informatique interne est soumise à l'obligation de payer la rémunération du droit d'auteur, le nombre de copies effectivement réalisées à partir d'œuvres protégées n'entrant pas en considération (ATF 125 III 141, consid. 4 et arrêt du Tribunal fédéral 4A_203/2015 du
30 juin 2015 consid. 3.4.2).

Les sociétés de gestion établissent des tarifs en vue du recouvrement des rémunérations (art. 46 al. 1 LDA), lesquels sont négociés avec les associations représentatives des utilisateurs (art. 46 al. 2 LDA) et approuvés par la Commission arbitrale fédérale pour la gestion de droits d’auteur et de droits voisins s’ils sont équitables dans leur structure et dans chacune de leurs clauses (art. 59 al. 1 LDA).

L'art. 59 al. 3 LDA prévoit expressément que les tarifs lient le juge lorsqu'ils sont entrés en vigueur (cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 4A_549/2017 du
21 février 2018 consid. 2.3.1).

2.1.2 Selon les dispositions des tarifs communs, dans le domaine « autres prestataires de services », la redevance s’élève à 25 fr. 50 pour la reproduction papier et à 21 fr. pour la reproduction numérique, lorsque le nombre d’employés de l’utilisateur se situe entre 1 et 9 (art. 6.4.27 TC 8 et art. 6.4.27 TC 9).

Les utilisateurs sont tenus de fournir à PROLITTERIS, sur requête de cette dernière et dans la mesure où l’on peut raisonnablement l’exiger d’eux, tous les renseignements nécessaires pour déterminer le champ et les modalités d’applications des tarifs communs (8.4 TC 8 et art. 8.4 TC 9 ; art. 51 LDA).

En cas de non-transmission des informations requises malgré un rappel écrit et une prolongation de délai, PROLITTERIS est autorisée à faire une estimation desdites informations et à facturer la rémunération sur cette base. Cette estimation est réputée acceptée si l’entreprise concernée ne s’y oppose pas dans les trente jours suivant sa notification (art. 8.3 TC 8 et art. 8.3 TC 9).

Toute modification ou objection qui n’est pas signalée dans les trente jours suivant la réception de l’estimation pourra uniquement être prise en compte pour la facturation des années suivantes (ar. 8.3 TC 8 et art. 8.3 TC 9).

Les art. 8.5 TC 8 et 8.5 TC 9 prévoient en particulier que les utilisateurs qui ne disposent pas de photocopieur, télécopieur, imprimante, appareil multifonctions ou appareil analogue ou de réseau numérique sont tenus de remplir l’attestation prévue à cet effet, intitulée « pas de photocopieur », respectivement « pas de réseau numérique » et de l’adresser à PROLITTERIS.

2.2 En l'espèce, il ressort des déclarations concordantes des parties que la défenderesse a rempli et renvoyé le questionnaire à la demanderesse, tout en considérant ne devoir aucune redevance notamment en raison du fait qu’elle n’avait pas d’employés (ce qui s’est avéré inexact, dans la mesure où l’administrateur compte comme tel) et qu’elle ne possédait ni photocopieur, ni ordinateur.

Sur ce point, la défenderesse n’a certes pas rempli les formulaires ad hoc prévus aux art. 8.5 TC 8 et 8.5 TC 9 permettant d’attester de la non-utilisation desdits appareils. En revanche, il résulte à nouveau des déclarations concordantes des parties que l’administrateur de la défenderesse a contacté téléphoniquement et par courriel une employée de la demanderesse, avec laquelle plusieurs échanges ont eu lieu avant l’envoi des premières factures litigieuses. Or, dans le cadre de ces échanges, la défenderesse a indiqué ne posséder ni photocopieur, ni ordinateur, de sorte que la demanderesse était en possession des mêmes informations que si la défenderesse avait rempli et retourné les formulaires
ad hoc. Exiger malgré tout, dans de telles circonstances, l’envoi de ceux-ci, relève d’un formalisme excessif, ce d’autant plus que la demanderesse n’a pas expliqué pour quels motifs, en dépit des informations obtenues de la défenderesse, les formulaires étaient indispensables.

Il y a lieu de considérer que si la défenderesse avait retourné les formulaires exigés par la demanderesse, celle-ci aurait renoncé à lui réclamer des redevances. Il doit en aller ainsi même en l’absence desdits formulaires, la demanderesse ayant, quoiqu’il en soit, obtenu de la défenderesse toutes les informations nécessaires.

Au vu de ce qui précède, la demanderesse sera déboutée de ses conclusions en paiement.

3.                      Les frais judiciaires seront arrêtés à 300 fr., compte tenu de la valeur litigieuse (art. 17 RTFMC). Au vu de l’issue du litige, ils seront mis à la charge de la demanderesse, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et entièrement compensés avec l’avance de frais de même montant fournie par celle-ci, qui reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

4.                       La défenderesse, qui a agi en personne, a réclamé le versement d’une indemnité de 250 fr.

4.1 Les dépens comprennent, lorsqu’une partie n’a pas de représentant professionnel, une indemnité équitable pour les démarches effectuées, dans les cas où cela se justifie (art. 95 al. 3 let. c CPC).

Cela ne sera le cas que si les démarches liées au procès ont pris une certaine ampleur, dépassant les procédés administratifs courants que tout un chacun doit accomplir sans en être indemnisé. Il faudra prendre en compte les circonstances et la situation personnelle de l’intéressé. Le Message montre qu’était notamment envisagée la situation d’un indépendant souffrant d’un manque à gagner lié aux heures consacrées au procès (Message CPC, 6905) (Tappy, CR CPC, 2ème éd.
n. 34 ad art. 95).

4.2 En l’espèce, il ne se justifie pas d’octroyer une indemnité à la défenderesse. La procédure n’a en effet pas eu une ampleur telle qu’elle justifierait l’octroi d’une telle indemnité. La réponse de la défenderesse comporte trois pages utiles et une seule audience a été convoquée, laquelle a duré vingt-cinq minutes.
Le représentant de la défenderesse n’a par ailleurs pas justifié l’indemnité demandée par un quelconque manque à gagner, mais en raison du « temps perdu », lequel ne saurait être indemnisé.

5. Le présent arrêt sera communiqué, pour information, à l'IPI (art. 66a LDA).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable la demande en paiement formée par PROLITTERIS, COOPERATIVE SUISSE POUR LES DROITS D'AUTEUR DE LITTERATURE ET D'ART dans la cause C/22306/2022.

Au fond :

Déboute PROLITTERIS, COOPERATIVE SUISSE POUR LES DROITS D'AUTEUR DE LITTERATURE ET D'ART de ses conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 300 fr., les met à la charge de PROLITTERIS, COOPERATIVE SUISSE POUR LES DROITS D'AUTEUR DE LITTERATURE ET D'ART et dit qu’ils sont entièrement compensés avec l’avance de frais versée, acquise à l’Etat de Genève.

Dit qu’il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité équitable en faveur de A______ SA.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Barbara NEVEUX greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.