Décisions | Chambre civile
ACJC/465/2023 du 03.04.2023 ( IUS ) , ADMIS
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/6374/2023 ACJC/465/2023 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU LUNDI 3 AVRIL 2023 |
Entre
A______ SÀRL, sise ______, requérante suivant requête de mesures superprovisionnelles, comparant par Me Joël CHEVALLAZ, avocat, Mangeat Avocats Sàrl, passage des Lions 6, case postale, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,
et
B______ SA, sise ______, citée, comparant par Me Jacques ROULET, avocat, Roulet Avocats, rond-point de Plainpalais 2, 1205 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.
Attendu, EN FAIT, que A______ SARL (ci-après : A______ ou la requérante) est une société suisse inscrite au Registre du commerce de Genève dont le but est l'exploitation d'une entreprise de taxis et dont l'intégralité des parts était détenue par C______;
Qu'elle est titulaire de 13 autorisations d'usage accru du domaine public, correspondant à 13 plaques d'immatriculation pour taxis;
Qu'elle était liée à B______ SA (ci-après : B______), société suisse inscrite au Registre du commerce de Genève dont le but est l'exploitation ______ de taxi à Genève, pour quatre plaques d'immatriculation, à ses dires, (nos 1______, 2______, 3______, 4______);
Que selon la requérante, B______ occupe une position dominante dans le secteur de la diffusion des courses de taxi à Genève en détenant 87% des parts de marché;
Qu'un autre acteur, D______, exerce à Genève la même activité que B______, mais détient une petite part de marché;
Que B______ a résilié le contrat la liant à la requérante avec effet immédiat en date du 3 février 2023, prorogeant le contrat pour deux autorisations (plaques nos 2______ et 4______) jusqu'au 31 mars 2023;
Que par requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles déposée le 31 mars au greffe de la Cour, A______ a conclu sur mesures superprovisionnelles à ce que B______ soit condamnée à maintenir le contrat d'affiliation avec A______ portant sur les autorisations d'usage accru du domaine public relatives aux plaques nos 2______ et 4______ jusqu'à droit connu au fond, et subsidiairement, à ce que B______ soit condamnée à rétablir le contrat d'affiliation avec A______ concernant lesdites autorisations dès le 1er avril 2023 et jusqu'à droit connu sur le fond;
Qu'elle prend globalement les mêmes conclusions sur mesures provisionnelles, les étendant aux autorisations/plaques nos 1______ et 3______ et concluant, en outre, à la condamnation de B______ à conclure des contrats d'affiliation avec elle relativement à l'ensemble des autorisations dont elle est titulaire;
Qu'elle considère que la Cour est compétente pour prononcer les mesures requises, celles-ci pouvant par ailleurs l'être d'entrée de cause, les conditions à leur prononcé étant remplies;
Considérant, EN DROIT, que la requérante estime que la Cour est compétente pour prononcer les mesures sollicitées dans la mesure où elle les fonde sur le droit de la concurrence déloyale et la loi fédérale sur les cartels (LCart) (art. 5 al.1 lit.b et d. CPC);
Que se pose d'emblée la question, qui peut rester indécise à ce stade, de la compétence de la Cour pour connaître de la cause, les ruptures contractuelles étant par principe de la compétence de la juridiction ordinaire;
Que la question de la compétence sera déterminée précisément dans le cadre de l'examen des mesures provisionnelles sollicitées;
Que ce jour elle peut être admise prima facie;
Que selon l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable;
Qu'en cas d'urgence particulière, le juge peut ordonner ces mesures immédiatement sans entendre la partie adverse (art. 265 al. 1 CPC); il doit alors citer en même temps les parties à une audience qui doit avoir lieu à bref délai ou impartir à la partie adverse un délai pour se prononcer (art. 265 al. 2 CPC);
Que le prononcé de mesures provisionnelles suppose ainsi que soient établis, au niveau de la vraisemblance, l'existence d'une prétention au fond, l'existence ou le risque d'une atteinte, cette notion impliquant une certaine urgence, et le risque de survenance d'un préjudice difficilement réparable;
Que la mesure ordonnée doit respecter en outre le principe de proportionnalité en ce sens qu'elle doit être à la fois apte à atteindre le but visé, nécessaire, en ce sens que toute autre mesure se révèlerait inapte à sauvegarder les intérêts de la partie requérante, et proportionnée (Bohnet, CR-CPC, 2019, n. 17 ad art. 261);
Que selon l'art. 2 al. 1et 1 bis LCart, celle-ci s'applique aux entreprises ( ) qui sont puissantes sur le marché et offrent ou acquièrent des biens ou des services;
Que selon l'art. 4 LCart, on entend par entreprises dominant le marché une ou plusieurs entreprises qui sont à même, en matière d’offre ou de demande, de se comporter de manière essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché (concurrents, fournisseurs ou acheteurs) et, par entreprises ayant un pouvoir de marché relatif, celles dont d’autres entreprises sont dépendantes en matière d’offre ou de demande d’un bien ou d’un service, faute de possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d’autres entreprises (al. 2 et 2bis);
Qu'aux termes de l'art 7 LCart, les pratiques d’entreprises ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif sont réputées illicites lorsque celles-ci abusent de leur position et entravent ainsi l’accès d’autres entreprises à la concurrence ou son exercice, ou désavantagent les partenaires commerciaux (al. 1). Selon l'al. 2 de cette disposition, est en particulier réputé illicite le refus d’entretenir des relations commerciales (p. ex. refus de livrer ou d’acheter des marchandises) (lit. a);
Que l'art. 12 al.1 LCart stipule que la personne qu’une restriction illicite à la concurrence entrave dans l’accès à la concurrence ou l’exercice de celle-ci, peut notamment demander la suppression ou la cessation de l’entrave (lit. a);
Que constitue en particulier une entrave à la concurrence le refus de traiter des affaires ou l’adoption de mesures discriminatoires;
Que selon l'art. 13 LCart, afin d’assurer la suppression ou la cessation de l’entrave à la concurrence, le juge, à la requête du demandeur, peut notamment décider que celui qui est à l’origine de l’entrave à la concurrence doit conclure avec celui qui la subit des contrats conformes au marché et aux conditions usuelles de la branche (lit b.);
Qu'en l'espèce, quand bien même la requérante ne démontre être liée contractuellement avec la citée que pour l'autorisation d'usage accru du domaine public relative au taxi portant la plaque d'immatriculation no 1______, il doit être retenu qu'elle rend vraisemblable, à ce stade, son droit relatif aux autres numéros d'autorisation mentionnés dans sa requête par la production du courrier de la citée résiliant les contrats pour les quatre plaques nos 1______, 2______, 3______ et 4______;
Qu'elle rend à ce stade également vraisemblable prima facie ses droits découlant du droit des cartels et de la protection contre la concurrence déloyale, au vu de la part de marché alléguée détenue par la citée dans la distribution des courses de taxis à Genève, susceptible de rendre la requérante dépendante pour l'exercice de son activité;
Qu'elle rend également vraisemblable ce jour le risque de dommage difficilement réparable qu'elle peut subir du fait de la décision prise par la citée, lui interdisant de facto l'accès à une nombreuse clientèle, accès qu'elle ne peut retrouver par ailleurs au pied levé;
Que s'agissant de la condition de l'urgence, l'on doit considérer au vu de ce qui précède et du fait que la décision de la citée prenait effet au 31 mars 2023 à teneur de dossier, qu'elle est également réalisée, quand bien même on ignore la raison pour laquelle elle a attendu tout le mois de mars avant de déposer, le dernier jour de validité du contrat, la requête faisant l'objet de la procédure;
Que reste à examiner si les mesures requises sont proportionnées;
Que tel est le cas du fait que les mesures d'urgence requises ne visent que deux taxis, opérés par des chauffeurs indépendants, sur les plus de 1000 allégués affiliés à B______, et qu'elles permettent de sauvegarder provisoirement les droits invoqués, sans que d'autres types de mesure moins incisives puissent être envisagés;
Qu'il sera dès lors ordonné à B______ de maintenir/rétablir les effets du contrat d'affiliation avec la requérante relativement aux autorisations d'usage accru du domaine public correspondant aux numéros de plaques d'immatriculation des taxis 2______ et 4______, jusqu'à droit jugé sur les mesures provisionnelles requises;
Qu'un délai sera par ailleurs imparti à la citée pour se déterminer sur la requête de mesures provisionnelles;
Qu'il sera statué sur les frais en même temps que l'arrêt à rendre sur les mesures provisionnelles.
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La Chambre civile :
Statuant sur mesures superprovisionnelles :
Ordonne à B______ SA de maintenir/rétablir les effets du contrat d'affiliation avec A______ SARL relativement aux autorisations d'usage accru du domaine public correspondant aux numéros de plaques d'immatriculation des taxis 2______ et 4______, jusqu'à droit jugé sur les mesures provisionnelles requises.
Dit qu'il sera statué sur les frais avec la décision sur mesures provisionnelles.
Statuant préparatoirement :
Communique à la citée la requête de mesures provisionnelles.
Impartit à B______ SA un délai de dix jours, dès la notification de la présente décision, pour se déterminer sur cette requête.
Réserve la suite de la procédure.
Siégeant
Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Camille LESTEVEN, greffière.
Le président : Cédric-Laurent MICHEL |
| La greffière : Camille LESTEVEN |
En matière de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3).