Décisions | Chambre civile
ACJC/1269/2008 (3) du 17.10.2008 sur JTPI/4612/2008 ( OO ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/15787/2006 ACJC/1269/2008 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile Audience du vendredi 17 OCTOBRE 2008 |
Entre
K______SA, p.a. ______, rue ______ à Genève, appelante d'un jugement rendu par la 2ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 3 avril 2008, comparant par Me Philippe Girod, avocat, boulevard Georges-Favon 24, 1204 Genève, en l’étude duquel elle fait élection de domicile aux fins des présentes,
et
G______, domiciliée ______, France, intimée, comparant par Me Damien Blanc, avocat, rue Marignac 9, 1206 Genève, en l’étude duquel elle fait élection de domicile aux fins des présentes.
A. Par jugement du 3 avril 2008, notifié aux parties le lendemain, le Tribunal de première instance a débouté K______SA, de sa demande en paiement dirigée contre G______, avec suite de dépens, dont un montant de 15'000 fr. à titre de participation aux honoraires d'avocat.
Le Tribunal a considéré, en substance, que K______SA n'avait pas apporté la preuve de la qualité d'organe de fait, telle que définie par la jurisprudence rendue en application de l'article 754 al. 1 CO, de G______en relation avec la gestion de S______SA, de sorte que la défenderesse n'avait pas à répondre du préjudice subi par les créanciers en raison de la faillite de la société.
B. Par acte expédié le 5 mai 2008, K______SA a appelé de ce jugement, dont elle sollicite l'annulation, concluant à la condamnation de G______ au paiement de 500'000 fr., avec intérêt à 5% dès le 26 juin 2002, avec suite de dépens de première instance et d'appel.
Elle fait notamment valoir que G______ avait acquis "tout pouvoir et toute responsabilité de gestion de la société", notamment pour avoir acquis le fond de commerce, pour avoir procédé au changement des organes formels et pour avoir laissé volontairement S______SA péricliter.
G______, dans sa réponse à l'appel du 11 juillet 2008, a conclu à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de dépens.
L'argumentation juridique des parties sera examinée ci-après, dans la mesure utile.
C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier soumis à la Cour :
a. K______SA, inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 1994, a pour but l'exploitation d'un ou de plusieurs restaurants en ______, l'accomplissement de toutes opérations commerciales s'y rapportant et la participation dans toutes sociétés ayant une activité similaire. De ______ 1999 à ______ 2003, elle a eu pour administrateur C______, remplacé ensuite par H______.
b. S______SA, au capital social de 100'000 fr., dont la moitié a été libérée, a été fondée par acte notarié du ______ 2000 par G______, M______ et B______, à raison de 33% du capital chacun, R______, comptable de profession, nommé administrateur unique, détenant une action. La société avait pour but l'exploitation de cafés, restaurants, bars et dancings, notamment à l'enseigne "N______ L______". M______ en était le directeur, avec signature individuelle.
Il n'est pas contesté que G______ a en définitive versé 50'000 fr. du capital social, le solde, non libéré, restant dû par les trois autres actionnaires.
Contrairement aux allégués de K______SA, G______ n'a jamais acquis la totalité du capital action de S______SA, un projet dans ce sens, qui ne comporte ni date ni signature, ne s'étant pas concrétisé.
A______, RM______, a été inscrite au Registre du commerce en qualité d'organe de contrôle.
A l'occasion d'une assemblée générale extraordinaire du 25 avril 2001 de S______SA, présidée par R______, la secrétaire étant RM______, il a été pris acte de la démission de l'administrateur et de l'organe de contrôle et leur décharge a été votée (sic). G______ - pas plus que M______ ou B______ - n'a pas assisté à cette assemblée et on ignore si elle a eu connaissance de sa tenue ou reçu le procès-verbal.
Le même jour, R______ a présidé une autre assemblée générale extraordinaire, assisté cette fois de P______, secrétaire, au cours de laquelle il a été pris acte de la démission de l'administrateur et de l'organe de contrôle, moyennant décharge. Une nouvelle assemblée extraordinaire a été fixée au 14 mai 2001 en vue de la nomination d'un nouvel administrateur. Le procès-verbal fait mention d'une proposition de G______, représentée par R______, de reprise du fond de commerce "du L______" par M______ et B______, pour un montant de 250'000 fr. G______ n'a pas assisté à cette assemblée et on ignore si elle a eu connaissance de sa tenue ou reçu le procès-verbal.
Il ne ressort pas du dossier que cette dernière assemblée ait effectivement eu lieu.
R______ et A______, RM______ sont néanmoins restés inscrits au Registre du commerce en leur qualité d'administrateur et d'organe de contrôle, respectivement, jusqu'au 10 et au 16 octobre 2001.
E______ a remplacé R______ au poste d'administrateur et F______SA, soit pour elle P______, est devenue organe de contrôle, dès le 27 novembre 2001.
Ces nominations sont intervenues lors de l'assemblée générale ordinaire du 23 novembre 2001, présidée cette fois par G______. A cette occasion, il a été pris acte des démissions de R______ et de A______, RM______ de leurs fonctions respectives.
c. Le 14 septembre 2000, K______SA et S______SA, celle-ci étant alors en constitution, ont conclu une convention de gérance libre portant sur le fonds de commerce de l'établissement "LE L______", propriété de la première nommée, avec effet dès le 1er septembre 2000, moyennant versement d'une redevance mensuelle de 18'000 fr. du 1er septembre 2000 au 31 août 2001, 19'000 fr. du 1er septembre 2001 au 31 août 2002 et 20'000 fr. dès le 1er septembre 2002, ainsi que d'une garantie de 54'000 fr. Conclue pour une durée de trois ans, la convention était renouvelable tacitement d'année en année, sauf résiliation par l'une ou l'autre des parties trois mois avant l'échéance. M______, nommé directeur, était personnellement responsable des obligations de S______SA (art. 15) et cette dernière, respectivement une société désignée par elle, pouvait acquérir en tout temps le fonds de commerce pour le prix de 1'240'000 fr. (art. 17).
d. Le 22 décembre 2000, K______SA a en définitive vendu le fonds de commerce des établissements "LE L______" et le "J______" à S______ T______SA, dont le but social était la représentation, l'importation et l'exportation de produits alimentaires et de matières premières servant à leur production (sic), pour le prix de 800'000 fr. et avec effet au 31 décembre 2000.
S______ T______ SA était représentée par son administrateur unique, R______, inscrit au registre du commerce en cette qualité dès le ______ 2000, en remplacement de G______, par ailleurs propriétaire de la totalité du capital action. R______ a cosigné la convention, pour avoir versé 200'000 fr. du prix de vente à titre d'acompte.
Le solde, en 600'000 fr., a été payé par G______, étant précisé que celle-ci était une simple cliente du "L______". Selon procuration du 26 janvier 2001, G______ a donné à R______ "tout pouvoir pour agir et prendre toute décision, ainsi qu'à signer toute convention concernant le J______ et le LE N______ L______… même pour une vente éventuelle des fonds de commerce, ou l'établissement de nouveaux contrats de gérance, ou modification des anciens".
e. Par jugement du 5 mars 2002, le Tribunal de première instance a prononcé la faillite de S______SA.
K______SA a produit dans la faillite, liquidée selon la forme sommaire, pour un montant de 100'428 fr. 80, créance colloquée en troisième classe. Aucun dividende n'a été versé à cette catégorie de créanciers.
Un décompte du 1er mars 2002, adressé à M______, fait mention d'un solde au 30 juin 2001 en 41'459 fr. 50, dont on ignore ce qu'il recouvre, comporte des postes aussi divers que la location de studios, des factures des services industriels et des fournitures telles que des fleurs, des nappes ou des pâtisseries. Moins d'un dixième de ce montant concerne l'année 2002.
Le total des créances admises à l'état de collocation s'est élevé à 982'500 fr.
Par décision du 15 juillet 2003, l'administration de la faillite a cédé à K______SA les droits de la masse à l'encontre de M______ et de G______ du fait de leur responsabilité d'organes de droit ou de fait.
f. Après avoir fait notifier à G______, prise conjointement et solidairement avec M______, R______ et E______, un commandement de payer à concurrence de 500'000 fr., auquel il a été fait opposition, K______SA a assigné la première nommée en paiement de cette somme, par acte déposé en conciliation le 21 septembre 2006.
Selon l'acte introductif d'instance, M______ n'avait, dès la mise en gérance de "LE L______", plus respecté ses engagements pris au nom de S______SA (allégués n. 14 et 15). En 2001 et 2002, S______SA avait également connu "des problèmes organisationnels et de gestion, n'étant pourvue, durant une période, ni d'un administrateur, ni d'un organe de révision" (allégué n. 19). L'allégué n. 18 a la teneur suivante :
«Entendu en qualité de témoin dans une procédure connexe portant sur un contrat de prêt accordé à M______ dans le cadre de la vente des établissements, qui a abouti à une transaction entre les parties, R______ s'est déterminé comme suit sur les difficultés liées à la gérance de l'établissement : G______ ne m'a pas donné l'instruction de remettre à M______ le 25% du capital action de S______ T_____ SA. Je sais qu'à l'époque la gérance du L______ n'était plus payée. Les comptes n'étaient pas tenus et la société S______ T______SA allait mal. J'ai dû parler du problème des actions à G______. Elle a certainement dû me dire de ne rien faire.»
Dans la partie "En droit", K______SA argumente que G______, en sa qualité de fondatrice et d'actionnaire unique de S______SA, pour avoir versé seule "l'intégralité du capital social libéré" (sic), soit 50 000 fr.", et pour s'être occupée de toute la gestion tant de S______SA que de S______ T______SA, en donnant des instructions aux organes formels des sociétés, avait laissé S______SA se vider de sa substance. De plus, toujours selon K______SA, G______ a violé son devoir de tenir une comptabilité, ce qui constitue une faute grave.
g. Aucun des documents produits par les parties, spécialement K______SA, n'atteste d'une intervention, directe ou par voie d'instructions, de G______ dans le cadre de la gestion S______SA.
Lors de son audition par le premier juge, G______ a expliqué qu'elle avait fait une totale confiance à R______; quant à M______, qui assumait la direction de l'établissement "LE L______", avec B______, il l'avait toujours empêchée d'entrer en contact avec H______. Sur le plan financier, elle s'était bornée à avancer les fonds pour la création des sociétés et pour l'achat du fonds de commerce. Elle avait espéré pouvoir retirer les loyers encaissés par S______ T______SA. En définitive, elle n'avait jamais reçu le moindre versement. Elle avait posé des questions, mais n'avait jamais reçu de réponse. Elle ne comprenait pas la situation, car "L______" était plein tous les soirs. Elle s'y rendait régulièrement, tout en payant ses boissons et ses repas. Elle avait eu l'impression qu'elle était tenue à l'écart. Personne, à l'exception de M______ et B______, ne savait d'ailleurs qu'elle était propriétaire du fonds de commerce. Elle avait signé la procuration en faveur de R______ à la demande de ce dernier, qui l'avait rédigée.
Aucune question n'a été posée à G______ en rapport avec le rôle qu'elle avait assumé lors de l'assemblée générale ordinaire du 23 novembre 2001.
H______ n'a pas prétendu avoir eu à faire à G______ dans le cadre de la gestion de S______SA. G______ était simplement présente dans l'établissement "LE L______" le soir. Il s'était fait dire que G______ avait de l'argent, mais qu'elle n'était pas à même de distinguer ce qu'elle devait en faire. Quelqu'un du ______ [banque] devait décider si elle pouvait ou non procéder à certains investissements.
C______ a eu pour seuls interlocuteurs M______ et R______, ce dernier représentant G______. Il avait rencontré cette dernière pour la première fois, chez le notaire, lors de la signature de la convention de remise de commerce du 22 décembre 2000. Elle avait demandé la lecture intégrale de cette convention, dont elle s'était assurée du contenu, puis avait offert une coupe de champagne, contente de la transaction. Le prix de l'établissement avait été fixé en fonction du marché, du chiffre d'affaires et du loyer; il n'y avait pas eu de grandes discussions à ce sujet. G______ lui avait été présentée par M______ et B______ comme étant l'investisseur. Par la suite, il avait revu G______ dans l'établissement "LE L______", elle était contente de le voir et avait offert l'apéritif à toute la table.
R______ a affirmé avoir été "l'homme de paille" de G______ en relation avec S______SA et S______ T______SA. "J'étais administrateur délégué de société à la place de G______ qui avait des problèmes de santé et était assez dépressive." Elle lui avait demandé conseil et il lui avait dit que c'était son rêve de devenir propriétaire d'une boîte de nuit. Il lui avait déconseillé cet achat, mais elle avait menacé de se suicider si elle ne pouvait pas l'acquérir. En raison de sa position par rapport à cette acquisition, elle avait ensuite "fait les choses un peu derrière son dos". G______ ne connaissait pas M______ avant cette acquisition. Concernant le projet de convention, il ne pouvait être le fait de G______ laquelle n'aurait pas eu les capacités de rédiger un tel document. Il avait réalisé, en février ou mars 2001, que la gestion de l'établissement, assumée par M______ et B______, devait être totalement changée et qu'il fallait «sortir de cette affaire». G______ ne voulait pas entendre ses conseils. Il était sorti de la société en avril 2001 et avait été recherché en responsabilité du fait de l'administrateur ; il avait dû assumer certains paiements en raison de sa fonction. Il avait démissionné parce que personne ne voulait faire ce qu'il disait. G______ était venue tous les jours à son bureau pour se plaindre qu'elle ne pouvait pas faire ce qu'elle voulait dans la gestion de l'établissement et qu'elle ne se sentait pas propriétaire. Il lui avait expliqué qu'elle n'était pas seule et qu'elle ne pouvait pas agir à sa guise. "Elle aurait voulu être sur place tout le temps, accueillir les gens, offrir des verres, montrer qu'elle était la propriétaire, ce que les deux autres ne la laissaient pas faire".
Des explications de M______, il ressort en substance que G______ n'était pas très active, R______ s'occupant de tout, que la gestion courante était assumée par lui-même et B______, à l'exclusion de G______, laquelle venait de temps en temps en cliente avec des amis, et que personne n'avait regardé les comptes, ni en 2001, ni en 2002.
E______ avait, pour sa part, entendu dire dans l'établissement "qu'une Mme G______" avait injecté de l'argent dans l'affaire ; elle avait également entendu B______, "qui menait la barque", dire à G______, par téléphone, qu'elle n'avait pas à assister aux séances qui avaient lieu avec le personnel. G______ devait effectivement payer les consommations et n'apparaissait pas du tout comme la patronne. Elle avait même l'impression que, lorsque G______ venait le soir, le personnel cherchait à la faire partir. Elle n'avait échangé que des banalités avec G______.
1. Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, l'appel est recevable
(art. 296 et 300 LPC).
Le Tribunal a statué en premier ressort (art. 387 LPC), de sorte que la Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 291 LPC).
L'appelante agit en qualité de cessionnaire des droits de la masse en faillite de S______SA. Aucun débat ne s'étant élevé à propos de sa qualité pour agir, celle-ci doit être admise.
2. 2.1 Lorsque s'applique la maxime des débats, les parties doivent présenter tous leurs moyens d'attaque et de défense en une seule fois et à un moment donné de la procédure (Hohl, Procédure civile, tome I, n. 806 ss). A Genève, en procédure ordinaire, ce moment correspond au début de l'administration des preuves : en effet, l'assignation et les écritures autorisées en application des articles 122, 123 et 133 LPC sont réputées exposer de manière complète et exhaustive les données de fait du litige opposant les parties (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, n. 1 ad art. 125 LPC). Sauf fait nouveau proprement dit, les parties ne peuvent compléter leurs allégués de fait après l'administration des preuves (art. 133 LPC).
La partie qui allègue un fait, que ce soit pour en déduire son droit ou sa libération, doit le prouver, à moins que l’autre partie ne déclare l’admettre ou que la loi permette de le tenir pour avéré (art. 186 al. 1 LPC). Le juge, en statuant sur les conclusions des parties relatives aux mesures probatoires, retient les faits qu’il considère comme constants, soit à raison des déclarations de ces dernières soit en vertu d’une présomption légale. Les procédures probatoires portent seulement sur les faits contestés à moins que la loi ne prescrive au juge de constater lui-même la réalité des faits dont son jugement dépend (art. 192 LPC). La partie qui se prévaut d'un fait est tenue de l'articuler avec précision et celle à laquelle le fait est opposé de le reconnaître ou de le dénier catégoriquement. Le silence et toute réponse évasive peuvent être pris pour un aveu des faits allégués (art. 126 al. 2 et 3 LPC).
Les trois dispositions précitées contiennent des principes essentiels sur le droit à l’apport des preuves (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 1 ad art. 126 LPC). Elles concernent non seulement le fardeau de la preuve mais aussi celui de l'allégation. La partie qui allègue un fait doit se plier avant tout aux exigences de la précision (SJ 1974 p. 120; 1976 p. 100), lesquelles sont dictées non seulement par la nécessité de déterminer de manière sûre le contenu de l’allégué et l’objet de la preuve à rapporter, mais aussi par celle de permettre à l’adversaire l’apport de la preuve contraire. Certaines exigences de précision sont également imposées à la partie contre laquelle le fait est invoqué. Ainsi, chaque partie doit contester les faits allégués par l’autre partie, de manière suffisamment précise pour permettre à celle-ci de savoir quels allégués sont contestés en particulier et, partant, d’administrer la preuve dont le fardeau lui incombe (ATF 115 II 1 = JdT 1989 I 547, SJ 2006 I 61). Contrairement à une pratique trop répandue, une simple contestation globale est insuffisante (SJ 1983 p. 13; 1985 p. 4; ATF 105 II 146). Avant d’ordonner d’éventuelles mesures probatoires, le juge doit savoir quels faits sont admis et quels faits sont contestés (art. 192 al. 1 LPC; Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 2 et 3 ad art. 126 LPC).
L’article 126 al. 3 LPC institue une présomption légale de l’exactitude d’un fait, lorsque celui-ci a été allégué avec la précision exigée et qu’il n’a pas été dénié avec une précision suffisante. En prévoyant que le silence ou toute réponse évasive «peuvent» être pris pour un aveu, le législateur n’a offert au juge qu’une simple faculté (SJ 1962 p. 399). Toutefois, sauf les cas où l’établissement d’office des faits est la règle, le juge ne renoncera pas à l’application de l’article 126 al. 3 LPC sans motif suffisant, sans quoi le reproche d’arbitraire pourrait lui être adressé. Le juge ne doit pas alourdir les débats en ignorant simplement les carences d’une partie à l’égard d’exigences légales claires. Encore moins a-t-il l’obligation d’ouvrir des enquêtes, alors même que le défendeur se contente de conclure au déboutement du demandeur, sans s’exprimer sur les allégués de faits énoncés par celui-ci (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 4 ad art. 126 LPC).
2.2 En l'espèce, la Cour doit constater que, selon l'offre de preuve de l'appelante, alors demanderesse, celle-ci n'a pas affirmé que l'intimée, alors défenderesse, aurait assumé, d'une manière ou d'une autre, l'administration de S______SA ou la gestion effective de l'établissement "LE L______". Ce n'est que dans ses développements juridiques qu'elle a prétendu, de manière toute générale, que la défenderesse aurait violé son devoir de diligence et de fidélité envers la société et ses créanciers, l'obligation de tenir une comptabilité et les règles sur le maintien du capital social ainsi que d'avoir vidé la société S______SA de sa substance.
En appel, K______SA a repris, avec quelques variantes, son argumentation relative aux prétendus actes de gestion qu'elle impute à l'intimée à qui elle reproche, en outre, de s'être montrée trop passive face à M______ et B______ et d'avoir tardé à reprendre les "rennes" (sic) de la société, contribuant ainsi à l'accumulation d'importantes dettes, d'avoir tardé à convoquer (sic) l'assemblée générale ordinaire du 23 novembre 2001 et d'avoir neutralisé l'action de l'administrateur R______ en lui demandant de ne rien faire. Ainsi, selon l'appelante, l'intimée possédait "le pouvoir de prendre toute décision concernant les établissements, pouvoir dont elle n'a pas usé et qu'elle a délégué à R______ à ses risques et périls, avec, ultérieurement, des consignes de passivité".
Au vu de ce qui précède, il est pour le moins douteux que l'appelante se soit conformée aux principes qui viennent d'être rappelés relatifs au devoir d'allégation. Cette question peut toutefois rester indécise, pour les raisons qui vont suivre.
3. 3.1 De jurisprudence constante, la responsabilité des organes au sens de l'art. 754 CO ne se limite pas seulement aux membres du conseil d'administration mais aussi à toutes les personnes chargées de la gestion. Toutefois, la position d'organe de fait peut seulement être attribuée à une personne qui, sous sa propre responsabilité, prend des décisions relevant durablement de sa compétence, dépassant le cadre des affaires quotidiennes et exerçant une influence sur le résultat social; des actes isolés ou une simple activité d'assistance dans une position subordonnée ne suffit pas. Il est, en tout état, nécessaire mais non suffisant que la personne agissant effectivement comme organe ait eu la possibilité d'empêcher la survenance du dommage causé par l'atteinte au devoir pertinent (ATF 128 III 29 = SJ 2002, 347 ss; 351 ss; 132 III 523, consid. 4 et 5).
3.2 L'appelante ne peut être suivie lorsqu'elle prétend - en parfaite contradiction avec les pièces - que l'intimée serait devenue actionnaire unique de S______SA, à supposer que cela puisse suffire pour fonder sa responsabilité pour les dettes de la société faillie. Le fait que l'intimée a versé la moitié du capital social, alors que, selon l'acte de constitution, elle devenait actionnaire à raison de 33% du capital, ne lui conférait pas cette qualité. Les développements contraires de l'appelante sont donc infondés. Elle n'explique du reste pas en quoi l'une ou l'autre des hypothèses des art. 752 ou 753 CO relatifs à la responsabilité des actionnaires fondateurs serait réalisée.
3.3 Le résultat de l'administration des preuves est également clair en ce qui concerne l'administration et la gestion de S______SA. D'une part, la société était pourvue d'organes, soit d'un administrateur, d'un directeur et d'un réviseur. Certes, l'administrateur R______ semble avoir démissionné, tout comme le premier organe de contrôle, selon les deux procès-verbaux de l'assemblée générale extraordinaire du 25 avril 2001 et l'assemblée prévue pour le 14 mai 2001 n'a apparemment pas eu lieu. Cette démission n'a toutefois pas eu d'effet sur le plan externe, dès lors que les deux organes sont restés inscrits au Registre du commerce jusqu'en octobre 2001. Il n'est au demeurant pas établi que l'intimée était au courant de ces assemblées, organisées dans des circonstances qu'il faut qualifier pour le moins d'inhabituelles. La vacance effective sur le plan de l'organisation de la société se réduit donc à quelques semaines entre octobre et novembre 2001, soit jusqu'à l'assemblée générale ordinaire du 27 novembre 2001.
3.4 Par ailleurs, aux dires quasi unanimes des témoins entendus durant la procédure, l'intimée, non seulement ne participait pas à la gestion de la société, mais en était constamment écartée, à tort ou à raison, par les organes statutaires, leurs représentants ou employés. Le fait que R______, administrateur et comptable de profession, bénéficiait pour le surplus d'une procuration très large de la part de l'intimée, ne change rien aux devoirs qui étaient les siens, comprenant notamment la mise en place d'une organisation de la société adéquate, la fixation des principes de comptabilité et de contrôle financier, la nomination et la révocation des personnes chargées de la gestion et de la représentation ainsi que leur surveillance, la préparation du rapport de gestion et de l'assemblée générale (art. 716a CO).
Les déclarations de R______ doivent donc être appréciées avec une certaine circonspection, compte tenu précisément des responsabilités qui étaient les siennes en sa qualité d'administrateur, étant toutefois observé qu'il a expressément reconnu que l'intimée souhaitait intervenir dans la gestion de l'établissement, mais qu'il lui avait fait comprendre que cela n'était pas possible.
En ce qui concerne l'allégué n. 18, reproduit sous lit. C, f ci-dessus, son caractère probant de la thèse de l'appelante échappe à la Cour.
De même, il est difficile de suivre le raisonnement sinueux de l'appelante qui, en première instance, a reproché à l'intimée "d'avoir organisé à sa guise le rachat des établissements publics appartenant à K______SA et d'avoir vidé la société de sa substance", avant d'admettre, en appel, "que la gestion au quotidien des établissements était (certes) assurée par M______ et B______ qui semblaient en effet avoir abusé de l'attitude personnelle, paisible et passive de l'intimé"(sic), tout en reprochant à cette dernière de n'avoir rien entrepris durant une longue période (sic).
C'est ainsi à raison que le Tribunal a retenu qu'il n'était pas démontré que l'intimée avait assumé, à la place des organes statutaires, une quelconque activité de gestion et, qu'après avoir investi beaucoup d'argent aussi bien dans S______SA que dans S______ T______ SA, elle n'avait aucune obligation de faire un apport d'argent supplémentaire.
3.5 Aucun cas de responsabilité n'étant réalisé en la personne de l'intimée, il n'y a pas lieu d'examiner si le dommage que l'appelante fait valoir, pour elle-même et en qualité de cessionnaire de la masse en faillite, pourrait se trouver dans un rapport de cause à effet avec les actes ou omissions de G______.
L'appel, entièrement infondé, doit en conséquence être rejeté.
4. L'appelante qui succombe, sera condamnée aux dépens de la procédure.
5. Sous l'angle du droit fédéral, le présent litige porte sur une valeur litigieuse supérieure à 30'000 fr.
* * * * *
LA COUR :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté par K______SA contre le jugement JTPI/4612/2008 rendu le 3 avril 2008 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15787/2006-2.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Condamne K______SA aux dépens d'appel comprenant une indemnité de procédure de 5'000 fr. à titre de participation aux honoraires d'avocat de G______.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Monsieur François CHAIX, président; Madame Renate PFISTER-LIECHTI et Monsieur Jean RUFFIEUX, juges; Madame Nathalie DESCHAMPS, greffière.
Le président : François CHAIX |
| La greffière : Nathalie DESCHAMPS |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.