Décisions | Sommaires
ACJC/1365/2024 du 29.10.2024 sur JTPI/10081/2024 ( SFC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/15471/2024 ACJC/1365/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 29 OCTOBRE 2024 |
Entre
Madame A______, domiciliée ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 août 2024,
et
COMMISSION PARITAIRE B______, sise ______ [GE], intimée.
A. Par jugement JTPI/10081/2024 du 29 août 2024, reçu par A______ le
9 septembre 2024, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant sur requête de la COMMISSION PARITAIRE B______, a prononcé la faillite de A______ (ch. 1 du dispositif), mis les frais judiciaires - arrêtés à 150 fr. et compensés avec l'avance versée par la partie requérante - à la charge de A______ et condamné celle-ci à rembourser ce montant à la COMMISSION PARITAIRE B______ (ch. 2 et 3).
B. a. Le 13 septembre 2024, A______ a formé recours contre ce jugement, concluant à ce que la Cour de justice l'annule et rejette la requête de faillite.
Elle a établi - par pièce déposée avec son recours - avoir payé la dette faisant l'objet de la poursuite n° 1______, intérêts et frais compris, et a fait valoir qu'elle était solvable.
b. Par ordonnance du 13 septembre 2024, la Cour a informé A______ qu'elle avait jusqu'à l'échéance du délai de recours pour produire les pièces justifiant de sa solvabilité (revenus, charges, comptes de l'année courante et des deux années précédentes, contrats en cours, etc.), faute de quoi sa faillite serait confirmée.
c. Le 19 septembre 2024, A______ a produit plusieurs pièces, notamment les fiches de salaire du mois d'août 2024 pour elle-même et son époux, des extraits de compte, des factures, un devis et une liste de factures en souffrance.
d. Par décision du 19 septembre 2024, la Cour a accordé la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement entrepris ainsi que des effets juridiques de l'ouverture de la faillite.
e. Par ordonnance du même jour, la Cour a imparti à A______ un délai de dix jours pour se prononcer sur la liste des actes de défaut de biens et des poursuites en cours jointe à l'ordonnance.
f. A______ s'est déterminée à ce sujet le 30 septembre 2024.
Elle a également produit des pièces nouvelles.
g. La COMMISSION PARITAIRE B______ n'a pas répondu au recours dans le délai fixé à cet effet.
h. La cause a été gardée à juger le 15 octobre 2024, ce dont les parties ont été avisées le même jour.
C. Les faits suivants résultent de la procédure :
a. A______ est inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2017 comme titulaire de l'entreprise individuelle C______-A______, qui a le but social suivant : "démolition, rénovation, constructions de tous genres, nettoyage et transports".
b. Le 14 mars 2024, sur réquisition de la COMMISSION PARITAIRE B______, l'Office des poursuites a notifié à A______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur les sommes de 3'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 22 juin 2020, et 2'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 4 décembre 2020, réclamées à titre de peines conventionnelles selon la Convention collective de travail du second œuvre romand (CCT-SOR).
Ce commandement de payer est demeuré libre d'opposition.
c. Le 29 mai 2024, la COMMISSION PARITAIRE B______ a fait notifier à A______ une commination de faillite.
d. Par requête reçue au greffe du Tribunal le 1er juillet 2024, la COMMISSION PARITAIRE B______ a requis la mise en faillite de A______.
e. Aucune des parties n'a comparu à l'audience du Tribunal du 29 août 2024.
f. Il résulte encore du dossier les faits suivants :
f.a A teneur de son extrait du registre des poursuites au 16 septembre 2024, A______ fait l'objet - sans compter la poursuite n° 1______ - d'une vingtaine de poursuites en cours, introduites entre juin 2023 et août 2024, pour un montant total de plus de 70'000 fr. Trois de ces poursuites se trouvent au stade de la commination de faillite, pour des montants de 1'063 fr. 21, 2'622 fr. et 2'516 fr. 60. Trois autres de ces poursuites sont au stade de l'ouverture, pour un montant total de 21'098 fr., deux d'entre elles ayant été initiées par la Confédération suisse.
A ces poursuites s'ajoutent 83 actes de défaut de biens, pour un total non éteint de 301'057 fr. 66, délivrés au cours des vingt dernières années. Plusieurs actes de défaut de biens concernent des créanciers de droit public.
f.b A______ a déjà fait l'objet de quatre faillites, prononcées respectivement les 30 août 2018, 23 janvier 2020, 7 avril 2022 et 14 décembre 2023. Suite aux recours formés par la précitée, ces faillites ont été annulées par arrêts de la Cour des 20 septembre 2018, 5 février 2020, 13 avril 2022 et 21 décembre 2023.
1. 1.1 L'appel étant irrecevable dans les affaires relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 CPC), seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a CPC; art. 174 LP).
Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).
1.2 Formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable.
1.3 En vertu de l'art. 174 al. 1 et 2 LP, la décision du juge de la faillite peut être déférée dans les dix jours à l'autorité de recours, qui peut annuler l'ouverture de la faillite notamment lorsque le débiteur, en déposant le recours, rend vraisemblable sa solvabilité et établit par titre que depuis lors la dette, intérêts et frais compris, a été payée (al. 2 ch. 1). Selon la jurisprudence, un tel titre doit être produit avant l'expiration du délai de recours, toute pièce produite postérieurement à l'échéance du délai de recours étant irrecevable. Il n'est pas admissible de fixer un délai pour produire des pièces ultérieurement à l'échéance du délai de recours (arrêts du Tribunal fédéral 5A_83/2024 du 13 mars 2024, consid. 4.1; 5A_471/2023 du
12 octobre 2023 consid. 3.1.2 et les références citées).
En l'espèce, la recourante a produit plusieurs pièces en vue d'établir sa solvabilité et le paiement de la dette. Les pièces versées au dossier les 13 et 19 septembre 2024 l'ont été pendant le délai de recours et sont donc recevables. Les pièces produites le 30 septembre 2024, soit après l'expiration de ce délai, sont en revanche irrecevables; elles ne sont quoi qu'il en soit pas déterminantes pour l'issue du litige.
2. 2.1 En vertu de l'art. 174 al. 2 LP, l'autorité de recours peut annuler le jugement de faillite lorsque le débiteur rend vraisemblable sa solvabilité et qu'il établit par titre que l'une des conditions suivantes a été remplie, à savoir que la dette, intérêts et frais compris, a été payée (ch. 1), que la totalité du montant à rembourser a été déposée auprès de l'autorité de recours à l'intention du créancier (ch. 2) ou que le créancier a retiré sa réquisition de faillite (ch. 3). Ainsi, le débiteur ne doit pas seulement prouver le paiement de la dette à l'origine de la faillite, mais également rendre vraisemblable sa solvabilité. Ces deux conditions sont cumulatives (arrêts du Tribunal fédéral 5A_949/2023 du 7 février 2024, consid. 3.1.1; 5A_640/2011 du 4 janvier 2012 consid. 2 in fine; 5A_126/2010 du 10 juin 2010 consid. 6.2).
En principe, s'avère insolvable le débiteur qui, par exemple, laisse des comminations de faillite s'accumuler, fait systématiquement opposition et ne paie pas même des montants peu élevés. De simples difficultés passagères de paiements ne font en revanche pas apparaître insolvable le débiteur, à moins qu'il n'y ait aucun indice important permettant d'admettre une amélioration de sa situation financière et qu'il semble manquer de liquidités pour une période indéterminée. L'appréciation de la solvabilité repose sur une impression générale fondée sur les habitudes de paiement du failli (arrêts du Tribunal fédéral 5A_153/2017 du 21 mars 2017 consid. 3.1; 5A_118/2012 du 20 avril 2012 consid. 3.1; 5A_328/2011 du 11 août 2011 consid. 2, publié in SJ 2012 I p. 25).
Pour rendre vraisemblable qu'il est solvable, le débiteur doit notamment établir qu'aucune requête de faillite dans une poursuite ordinaire ou dans une poursuite pour effets de change n'est pendante contre lui et qu'aucune poursuite exécutoire n'est en cours (arrêts du Tribunal fédéral 5A_118/2012 du 20 avril 2012 consid. 3.1; 5A_640/2011 du 4 janvier 2012 consid. 3.1).
Un fait est rendu vraisemblable si le juge, en se basant sur des éléments objectifs, a l'impression que le fait invoqué s'est produit, sans pour autant devoir exclure la possibilité qu'il ait pu se dérouler autrement (ATF 132 III 715 consid. 3.1). Pour l'annulation du prononcé de faillite, cela signifie que la solvabilité du débiteur doit être plus probable que son insolvabilité. Dans ce domaine, il ne faut pas poser d'exigences trop sévères, en particulier lorsque la viabilité de l'entreprise endettée ne saurait être déniée d'emblée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_328/2011 précité, ibidem; Message du Conseil fédéral du 8 mai 1991 concernant la révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, FF 1991 III p. 130 s.).
2.2 En l'espèce, la recourante a payé la dette pour laquelle elle était poursuivie par l'intimée, de sorte que la première condition pour annuler le jugement de faillite est remplie. Reste à examiner si sa solvabilité a été rendue vraisemblable.
Il ressort de l'extrait du registre des poursuites figurant au dossier que la recourante fait l'objet de plusieurs poursuites exécutoires, dont trois se trouvent au stade de la commination de faillite. Certaines de ces poursuites portent sur de faibles montants et/ou émanent de créanciers de droit public. S'y ajoutent trois poursuites qui ont été récemment introduites pour un montant total de 21'098 fr. Rien n'indique que la recourante serait confrontée à de simples difficultés passagères de paiements. Il appert au contraire que ses difficultés sont récurrentes, comme en atteste le fait que 83 actes de défauts de biens - pour un total non éteint de plus de 300'000 fr. - ont été délivrés à son encontre au cours des vingt dernières années. Par ailleurs, la faillite de la recourante a déjà été prononcée à quatre reprises au cours des six dernières années (i.e. en août 2018, janvier 2020, avril 2022 et décembre 2023).
Devant la Cour, la recourante n'établit nullement qu'elle serait solvable. Outre qu'elle reconnaît ne pas avoir les fonds nécessaires pour régler ses dettes exigibles, elle n'explique pas quelles mesures concrètes lui permettraient d'assainir ses finances, ni comment elle pourrait honorer d'éventuels plans de remboursement. Les titres qu'elle a produits, en particulier les extraits de compte de son entreprise, ne font que confirmer les moyens restreints dont elle dispose.
Il ressort des éléments qui précèdent que la recourante manque de liquidités depuis plusieurs années, qu'elle accumule les dettes et que rien ne permet de retenir que cette situation serait susceptible d'évoluer favorablement à court terme.
La recourante ayant échoué à rendre sa solvabilité vraisemblable, une des conditions posées par l'art. 174 al. 2 LP fait donc défaut.
Le recours doit par conséquent être rejeté et la faillite confirmée.
Compte tenu de l'effet suspensif accordé, la faillite prendra effet à la date du prononcé du présent arrêt (arrêt du Tribunal fédéral 5A_92/2016 du 17 mars 2016 consid. 1.3.2.1).
3. Les frais judiciaires de recours - arrêtés à 220 fr. - seront mis à la charge de la recourante, qui succombe, et compensés avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève (art. 61 al. 1 OELP, art. 105 al. 1, 106 al. 1 et 111 al. 1 CPC).
L'intimée ayant renoncé à se déterminer devant la Cour, il n'y a pas lieu de lui allouer des dépens de recours (art. 95 al. 3 let. b CPC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 13 septembre 2024 par A______ contre le jugement JTPI/10081/2024 rendu le 29 août 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15471/2024-10 SFC.
Au fond :
Rejette ce recours.
Confirme le jugement querellé, la faillite de A______ prenant effet le 29 octobre 2024 à 12 heures.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires du recours à 220 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance de frais fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indifférente (art. 74 al. 2 let. d LTF).