Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/856/2025 du 16.10.2025 sur OMP/21517/2025 ( MP ) , REJETE
| république et | canton de Genève | |
| POUVOIR JUDICIAIRE P/20152/2025 ACPR/856/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 16 octobre 2025 | ||
Entre
A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LALHOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,
recourant,
contre l’ordonnance d’établissement d’un profil d’ADN rendue le 6 septembre 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 16 septembre 2025, A______ recourt contre l’ordonnance du 6 septembre 2025, notifiée le même jour, par laquelle le Ministère public a ordonné l’établissement de son profil d’ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l’annulation de cette ordonnance, subsidiairement au renvoi de la cause au Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 5 septembre 2025, A______, né le ______ 1994, ressortissant guinéen, a été interpellé à la rue de Neuchâtel no. ______, dans le quartier des Pâquis, à Genève. La police l’avait observé précédemment alors qu’il vendait une demi-boulette de cocaïne à une toxicomane pour la somme de CHF 30.-.
Il était en possession d’une carte d’identité portugaise au nom de B______, né le ______ 1994, d’un téléphone portable et de la somme de CHF 38.20.
b. Entendu le jour même par la police, il a contesté avoir vendu de la drogue. L’argent lui avait été remis par son père. La carte d’identité portugaise mentionnait sa "vraie identité", étant souligné qu’il avait été "enregistré" sous le nom de A______ lors de sa première venue en Suisse, en 2012. Il était parti au Portugal en 2020, avant de revenir en Suisse environ deux semaines auparavant pour chercher du travail.
c. Devant le Ministère public, il a persisté dans ses précédentes déclarations.
d. Par ordonnance pénale du 6 septembre 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable de délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup), faux dans les certificats (art. 252 CP), entrée et séjour illégaux (art. 115 al. 1 let. a et b LEI), et l'a condamné à une peine privative de liberté de 100 jours, sous déduction d'un jour de détention avant jugement, avec sursis durant trois ans.
e. Le 12 septembre suivant, sous la plume de son conseil, le prévenu a formé opposition à cette ordonnance pénale.
f. S'agissant de sa situation personnelle, A______ dit être célibataire, sans enfant ni revenu, et n’avoir aucune attache avec la Suisse.
g. Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, dans sa teneur au 6 septembre 2025, A______ a été condamné à treize reprises entre juin 2013 et septembre 2019,
essentiellement pour séjour illégal [21 juin, 8 août, 20 novembre, 6, 18 et 29 décembre 2013 ; 18 janvier et 16 mai 2024 ; 6 et 14 novembre 2018 ; 27 août et 12 septembre 2019], délit contre la loi sur les stupéfiants [21 juin, 8 août et 18 décembre 2013 ; 27 août et 12 septembre 2019] et consommation de stupéfiants [21 juin, 8 août et 6 décembre 2013 ; 27 août 2019]. Il a en outre été condamné le 6 avril 2016 à une peine privative de liberté de quinze mois, pour brigandage (art. 140 ch. 1 al. 1 CP).
C. Dans l’ordonnance querellée, fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, le Ministère public considère qu'il y a lieu d'établir le profil d'ADN de A______, celui-ci ayant déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, soit à l'art. 19 al. 1 LStup. Aucun frais en lien avec l'établissement du profil d'ADN n'a été mis à la charge du prévenu dans le cadre de cette ordonnance.
D. a. À l'appui de son recours, A______ déplore que le Ministère public ait une nouvelle fois ordonné l'établissement de son profil d'ADN, en se référant à une Directive du Procureur général, quand bien même celui-ci avait déjà été ordonné en 2019. Si les profils d'ADN étaient certes soumis à effacement après un certain délai, il ne se justifiait guère, sous l'angle du principe de la proportionnalité, d'ordonner derechef à son égard une telle mesure, dont les frais devraient être mis à sa charge, voire à celle du contribuable genevois. Son profil d'ADN pourrait de toute façon être conservé pendant dix ans au minimum après l'entrée en force du jugement (art. 16 de la loi sur les profils d’ADN), étant précisé qu'un nouveau délai de dix ans pouvait être prononcé par l'autorité de jugement après l'expiration du délai d'effacement (art. 17 de la loi sur les profils d’ADN). Il ne se justifiait ainsi aucunement d'ordonner un nouvel établissement de son profil d'ADN, ce d'autant que celui-ci ne changeait pas "au cours de la vie d'un être humain". Une telle mesure était "arbitraire", "inutile" et portait atteinte à sa liberté personnelle et à son droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données le concernant (art. 8 CEDH et 13 al. 2 Cst.). L'ordonnance pénale du 6 septembre 2025 omettait en outre de préciser le délai d'effacement du profil d'ADN, en violation de l'art. 353 al. 1 let. fbis CPP, rendant ainsi lettre morte l'art. 17 de la loi sur les profils d’ADN.
b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
3.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
3.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
3.3. L'établissement d'un profil d'ADN, lorsqu'il ne sert pas à élucider une infraction pour laquelle une instruction pénale est en cours, est conforme au principe de la proportionnalité uniquement s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
3.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
En effet, il a été condamné à cinq reprises (les 21 juin, 8 août et 18 décembre 2013; les 27 août et 12 septembre 2019), pour des délits contre la loi sur les stupéfiants (LStup), soit des agissements qui dépassent le stade de la simple consommation personnelle, pour laquelle il a été en outre condamné à plusieurs reprises (les 21 juin, 8 août et 6 décembre 2013, ainsi que le 27 août 2019).
Ces condamnations à la LStup vont de pair avec des reproches répétés de situation irrégulière en Suisse, étant précisé que, pendant la période allant de juin 2013 à septembre 2019, il a été condamné à douze reprises pour des infractions à la législation sur les étrangers. Il a par ailleurs été condamné en avril 2016 pour brigandage, à une peine privative de liberté de quinze mois.
Ces éléments laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants et permettent de penser que l'intéressé pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leur commission, étant précisé que le recourant a, dans la présente procédure, été interpellé dans le quartier des Pâquis, lieu réputé pour le trafic de stupéfiants à Genève.
En outre, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3), qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel permet l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.
Le recourant soutient qu'ordonner un nouvel établissement de son profil d'ADN alors qu'un tel profil, immuable, avait déjà été établi plusieurs fois par le passé, serait arbitraire.
La Chambre de céans est toutefois d'avis [cf. notamment, ACPR/400/2025 du 23 mai 2025 consid. 2.3] que dans la mesure où les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai [cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363], il existe un intérêt public prépondérant – quand bien même l'établissement du profil d'ADN aurait déjà été ordonné à une ou plusieurs reprises et son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années –, à soumettre derechef le prévenu à cette mesure, pour autant que les conditions légales soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Ce sont d'ailleurs les soupçons de la commission de nouvelles infractions – en l'occurrence des délits à la LStup – qui ont conduit le Ministère public à ordonner à nouveau l'établissement du profil d'ADN du recourant, afin d'en prolonger d'autant la date d'effacement dans les fichiers de la police. Dans la mesure où on se trouve dans une situation dans laquelle l'art. 255 al. 1bis CPP permet d'ordonner un tel établissement, la mesure est légale, et, partant, nullement arbitraire.
Le recourant invoque encore le droit à être protégé contre l'emploi abusif des données qui le concernent (art. 8 CEDH et art. 13 al. 2 Cst. féd.). Or, on ne voit pas en quoi le nouvel établissement de son profil d'ADN pourrait constituer un tel emploi abusif, puisqu'il a été ordonné sur la base – légale – de l'art. 255 al. 1bis CPP, dont les conditions sont remplies, comme cela a été retenu ci-dessus.
Ainsi, le fait, pour le Ministère public, d'avoir, dans de telles circonstances, ordonné une nouvelle fois l'établissement du profil d'ADN du recourant, afin d'en prolonger le délai de conservation, n'apparait nullement disproportionné, quand bien-même l'échéance dudit délai n'interviendra que dans dix ou vingt ans.
Le recourant invoque encore que les frais de ce nouvel établissement de son profil d'ADN seraient mis à sa charge, voire à celle du contribuable genevois. Il n'a toutefois pas été condamné à en supporter le coût, de tels frais n'ayant pas été mis à sa charge dans l'ordonnance pénale prononcée le même jour. Que ce coût soit éventuellement mis à sa charge ultérieurement – ce qui n'est pas évident à ce stade, dès lors que cette question ne se posera qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé soit condamné définitivement – n'est donc pas pertinent. Pour le surplus, le recourant ne saurait se soustraire à la mesure au prétexte que les frais pourraient incomber au contribuable genevois.
S'agissant du grief à teneur duquel l'ordonnance pénale du 6 septembre 2025 violerait l'art. 353 al. 1 let. fbis CPP, il est exorbitant au présent recours, qui porte uniquement sur l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN du même jour, l'ordonnance pénale devant être contestée par la voie de l'opposition.
Il s'ensuit que l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
6. Corrélativement, aucun dépens ne lui est dû (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
| La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
| P/20152/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
|
|
COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
| Débours (art. 2) | | |
| - frais postaux | CHF | 10.00 |
| Émoluments généraux (art. 4) | | |
| - délivrance de copies (let. a) | CHF | |
| - délivrance de copies (let. b) | CHF | |
| - état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
| Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
| - décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
| Total | CHF | 600.00 |