Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/802/2025 du 02.10.2025 sur OMP/20265/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/18860/2025 ACPR/802/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 2 octobre 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 23 août 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 26 août 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 précédent, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et indemnité, à l'annulation de cette ordonnance, subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. À teneur du rapport d'arrestation du 23 août 2025, A______, ressortissant gambien, né le ______ 1996, a été interpellé la veille par une patrouille de police à la rue Bautte, à Genève, dans le cadre d'une opération visant à lutter contre le trafic de stupéfiants. À la vue de la police, l'intéressé et un autre individu se sont séparés avant que celle-ci ne puisse les contrôler. Le second individu est parti en courant, en direction de la place Lise-Girardin, où il a été perdu. Quant à A______, il a obtempéré aux injonctions des forces de l'ordre et a admis être en possession de drogue, remettant spontanément huit sachets de marijuana d'un poids total de vingt-cinq grammes, conditionnés pour la vente. Sa fouille a également révélé la présence, dans sa sacoche, d'un sachet mini-grip contenant cinquante-quatre pilules d'ecstasy, d'un poids total de vingt-deux grammes. Il était aussi en possession d'un téléphone portable – dont il a refusé de donner l'accès aux policiers pour effectuer les vérifications d'usage – et de la somme de CHF 230.30.
L'intéressé n'ayant pas de domicile connu, aucune perquisition n'a pu être menée.
Les vérifications effectuées, par la suite, ont révélé qu'il n'était pas au bénéfice des autorisations nécessaires et de moyens de subsistance légaux pour pénétrer et séjourner sur le territoire suisse.
a.b. A______ a refusé de s'exprimer lors de son audition par la police.
b. Devant le Ministère public, il a expliqué que les pilules d'ecstasy lui avaient été remises par un ami qui était parti en courant à la vue de la police et qui lui avait conseillé d'en faire de même. La marijuana était destinée à sa consommation personnelle. Confronté au fait que les sachets étaient conditionnés pour la vente, il a déclaré qu'il les avait lui-même emballés dans de l'aluminium et que c'était comme ça qu'il les consommait. Ensuite de sa dernière condamnation en juin 2024, il était parti en Italie, puis en Afrique, avant de revenir en Suisse en février 2025. Il faisait toutefois des allers-retours entre ce pays et la France, où il vivait avec son amie qui subvenait à ses besoins, lui-même n'ayant aucun revenu. Il était venu à Genève le 22 août 2025 pour y passer le week-end.
c. Par ordonnance pénale du 23 août 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable de délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. d LStup) et d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI), et l'a condamné à une peine privative de liberté de 40 jours, sous déduction d'un jour de détention avant jugement.
d. Le 26 août suivant, sous la plume de son conseil, il a formé opposition à cette ordonnance pénale.
e. Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, dans sa teneur au 23 août 2025, A______ a été condamné à trois reprises entre mars 2017 et juin 2024, notamment pour délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants (29 mars 2017 et 18 juin 2024), entrée et séjour illégaux (11 juillet 2023 et 18 juin 2024) et empêchement d'accomplir un acte officiel (11 juillet 2023).
f. S'agissant, pour le surplus, de sa situation personnelle, le précité est, à teneur du dossier, célibataire, sans domicile connu ni emploi ni revenu. Il n'a aucune attache avec la Suisse.
C. Dans son ordonnance querellée, fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, le Ministère public considère qu'il y a lieu d'établir le profil d'ADN de A______, celui-ci ayant déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, référence étant faite à sa condamnation du 18 juin 2024 pour délit contre la loi sur les stupéfiants (cf. let. B. e. supra). Aucun frais en lien avec l'établissement du profil d'ADN n'a été mis à la charge du prévenu dans le cadre de cette ordonnance.
D. a. À l'appui de son recours, A______ relève que la multiplication des ordonnances d'établissement de profils d'ADN laissait craindre une volonté "de ficher massivement les étrangers". Un tel établissement, pour des infractions passées/futures, n'était conforme au principe de la proportionnalité qu'en présence d'indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, d'une certaine gravité. À lire la Directive du Procureur général A.5, seule la forme aggravée d'un trafic de stupéfiants pouvait justifier l'établissement d'un profil d'ADN (4.2). Il ne discernait d'ailleurs pas quelle récidive concrète ou quelle commission passée serait mieux résolue par le profil d'ADN à établir. Enfin, il citait l'AARP (recte: ACPR) 642/2024, dans lequel la question de la proportionnalité en matière d'établissement d'un profil d'ADN s'était posée, et sollicitait le même traitement. La mesure ordonnée était donc arbitraire et disproportionnée, s'agissant d'un acte "inutile" et "coûteux".
Son conseil dépose un état de frais pour la procédure de recours, justifié par l'incapacité du recourant à rédiger seul un recours.
b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.3. À teneur des points 4.1 et 4.3 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur en charge de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN en cas d'infraction(s) passée(s) lorsque le prévenu a déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, soit notamment une infraction à l'"art. 19 LStup".
2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables.
En effet, il a été condamné à trois reprises, entre le 29 mars 2017 et le 18 juin 2024, notamment par deux fois pour des délits à la LStup, soit des infractions qui dépassaient le cadre de la simple consommation personnelle. Ces condamnations à la LStup, dont la dernière remonte à un peu plus d'une année et est, partant récente, vont de pair avec des reproches répétés de situation irrégulière en Suisse, étant précisé que, pendant la période pénale précitée, l'intéressé a été condamné à deux reprises (11 juillet 2023 et 18 juin 2024) pour des infractions à la législation sur les étrangers. À cela s'ajoutent, les circonstances de son arrestation, intervenue dans le cadre d'une surveillance policière visant à lutter contre le trafic de stupéfiants, alors qu'il était en compagnie d'un "ami" qui lui aurait remis des pilules d'ecstasy avant de s'enfuir à la vue de la police. Il était de plus en possession d'un téléphone portable [dont il s'est opposé à la vérification par la police] et de CHF 230.30, d'une provenance inconnue, alors qu'il a indiqué devant le Ministère public se trouver dans une situation précaire.
Ces éléments, ainsi que sa situation personnelle – absence de domicile connu et d'activité professionnelle avérée – laissent craindre un ancrage dans la délinquance liée aux stupéfiants et permettent de penser que l'intéressé pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leur commission.
Les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent également une certaine gravité eu égard à la santé publique. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées. Contrairement à ce qu'affirme le recourant, cette directive ne vise pas uniquement les infractions graves à la LStup, se référant au
contraire, à son point 4.3, à l'art. 19 de cette loi sans distinction d'alinéa. Le point 4.2 – cité par le recourant – n'a, quant à lui, pas vocation à s'appliquer in casu, l'ordonnance entreprise n'étant pas fondée sur l'art. 255 al. 1 CPP.
L'arrêt de la Chambre de céans cité par le recourant – qui annule une décision du Ministère public ordonnant l'établissement d'un profil d'ADN – ne lui est d'aucun secours et ne saurait donc être transposé ici. Dans ladite affaire, en particulier, le prévenu n'était soupçonné que d'infraction à la LEI – l'absorption par lui d’un parachute de stupéfiants n’ayant pas été retenue –. Tel n'est pas le cas ici, le recourant étant, comme on l'a vu, également soupçonné d'infraction à l'art. 19 LStup.
Partant, la mesure querellée n'apparaît pas inutile ou disproportionnée.
Que son coût soit éventuellement mis à la charge du recourant – ce qui n'est pas évident à ce stade, dès lors que cette question ne se posera qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé soit condamné – n'est donc pas pertinent.
En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.
3. Justifiée, l'ordonnance attaquée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
5. Corrélativement, aucun dépens ne lui est dû (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/18860/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |