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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24962/2024

ACPR/440/2025 du 10.06.2025 sur OMP/11430/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PROFIL D'ADN
Normes : CPP.255.al1BIS

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24962/2024 ACPR/440/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 10 juin 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocate,

recourant,

 

contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 12 mai 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 16 mai 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 mai 2025, par laquelle le Ministère public a ordonné que soit établi son profil d'ADN.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. A______, né le ______ 1987, originaire du Nigéria, est prévenu depuis le 29 octobre 2024 pour avoir:

·           le 3 octobre 2024, vers 21h50, lors d'une altercation devant C______, donné un coup de couteau à D______ au niveau de l'avant-bras gauche et de lui valoir de la sorte causé une plaie de 3 cm, plainte pénale ayant été déposée en raison de ces faits;

·           entre le 16 août et le 28 octobre 2024, persisté à séjourner en Suisse, sans être au bénéfice des autorisations nécessaires et de documents d'identité valables;

·           durant cette même période, régulièrement consommé de la marijuana.

a.b. A______ a contesté, tant devant la police que le Ministère public, toute implication dans l'altercation en question. S'agissant de son séjour illégal, il n'avait pas quitté la Suisse depuis sa dernière audience car il attendait "la grande audience".

a.c. Il a été remis en liberté le 29 octobre 2024, à l'issue de l'audience devant le Ministère public.

a.d. Lors d'une audience de confrontation le 11 novembre 2024, il a déclaré que D______ s'était poignardé lui-même devant d'autres personnes et l'accusait pour qu'il aille en prison.

b.a. La police a interpellé A______ le 6 février 2025 alors qu'elle l'avait vu sortir de l'établissement E______ sis no. ______, rue 1______ et prendre brièvement contact avec un homme, identifié par la suite comme étant F______, avant de se diriger à l'arrière du bâtiment. Il y avait récupéré quelque chose dans une canette en aluminium, dissimulée entre les grillages d'escaliers, avant de rejoindre F______ et de lui remettre 0.23 gr de cocaïne en échange de CHF 40.-, selon les dires de ce toxicomane.

b.b. Il a été mis en prévention le 7 février 2025 et a fait l'objet d'une ordonnance de condamnation du Ministère public le même jour pour infractions aux art. 19 al. 1 let.c et d LStup et 115 al. 1 LEI pour, à Genève:

·           s'être adonné à un trafic de stupéfiants portant à tout le moins sur un parachute de cocaïne (0.23 gramme) vendu à F______, le 6 février 2025, pour la somme de CHF 40.-, ainsi que sur deux boulettes de cocaïne (1.57 gr) et quatre pilules d'ecstasy qu'il avait dissimulées dans une canette en aluminium;

·           avoir, du 29 octobre 2024 jusqu'au 6 février 2025, séjourné en Suisse, à Genève, sans les autorisations, moyens de subsistance légaux et documents d'identité nécessaires à son séjour.

b.c. Devant la police, il a contesté s'adonner à un trafic de stupéfiants. Il n'était pas celui qui avait récupéré de la drogue dans une cachette juste avant la transaction avec F______ et ignorait tout de la drogue découverte dans la canette précitée. Les CHF 164.40 retrouvés en sa possession provenaient de son travail "au black" en France. Il ne savait plus depuis quand il se trouvait sur le territoire suisse. Il y était arrivé en train, depuis la France.

b.d. Devant le Ministère public le 7 février 2025, il a ajouté être venu à Genève pour payer une amende, dont il acquittait une partie chaque 30 du mois. Il contestait tout trafic de stupéfiants. Il n'était pas l'Africain que la police avait observé à la rue de la Coulouvrenière avec un consommateur. Il avait été arrêté après avoir été s'acheter un paquet de cigarettes.

b.e. Il a formé opposition à cette ordonnance pénale le 7 février 2025.

b.f. Lors d'une audience de confrontation le 9 mai 2025:

b.f.a. Un gendarme a confirmé avoir observé la transaction de drogue du 6 février 2025 en cause. A______ était l'homme qui avait eu un bref contact avec F______ avant de faire le tour du bâtiment. Son collègue avait vu le prévenu prendre quelque chose dans une cachette et lui-même l'échange drogue contre argent survenu ensuite. Son collègue et lui n'avaient à aucun moment perdu le contact visuel avec le prévenu.

b.f.b. F______ a indiqué qu'il se souvenait bien de cette transaction, puisqu'il avait été interpellé à sa suite. C'était la première fois qu'il voyait ce vendeur. Il avait vu son visage mais ne s'en souvenait pas. Il ne reconnaissait pas le prévenu.

c. Le 21 février 2025, A______ a été interpellé à la hauteur du no. ______, rue du Grand-Bureau. Il a refusé de s'exprimer devant la police. Devant le Ministère public, il a reconnu avoir violé une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève notifiée le 7 février 2025 et valable durant 12 mois et avoir persisté à séjourner illégalement en Suisse. Il vivait à G______ [France].

d.a. Le 10 mai 2025, A______ a été observé par la police dans le secteur de la Coulouvrenière en train de vendre des stupéfiants à H______. La transaction a été photographiée. Il a été interpellé peu après. Le consommateur a remis à la police la drogue qu'il venait d'acquérir (1 gr) en échange de CHF 50.-. A______ était pour sa part en possession de CHF 97.-, dont un billet de CHF 50.-.

d.b. Devant la police, il a refusé de répondre à la question de savoir s'il reconnaissait les faits, alors que la photographie de la transaction lui était présentée. Il était venu à Genève, en provenance de G______ [France], pour se balader.

d.c. Devant le Ministère public le 11 mai 2025, il a déclaré qu'il avait fait une erreur en venant marcher à Genève. Il n'avait rien vendu [au toxicomane]. C'était un ami. En fait c'était une connaissance qui lui avait demandé s'il avait de la cocaïne. Il était allé en chercher une boulette auprès de "gens qu'il connaissait" qu'il avait remise au toxicomane en contrepartie de CHF 50.-. Il avait reçu CHF 20.- pour cette transaction. Il s'excusait et ne recommencerait plus.

e. Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, A______ a été condamné :

·           Le 27 février 2024, par le Tribunal de police, à une peine pécuniaire de 50 jours-amende, avec sursis de trois ans, pour entrée et séjour illégaux;

·           Le 15 août 2024, par le Kreisgericht Toggenburg, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, avec sursis de deux ans, pour entrée et séjour illégaux.

S'agissant pour le surplus de sa situation personnelle, il a indiqué être un "businessman" dans le domaine du vêtement, être célibataire et père de deux enfants vivant au Nigéria.

C. Dans son ordonnance, le Ministère public considère qu'il convient d'établir le profil d'ADN du prévenu, celui-ci ayant déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, dès lors qu'il avait déjà été condamné pour un délit à l'art. 19 al. 1 LStup (art. 255 al. 1bis CPP).

D. a. Dans son recours, A______ expose que l'établissement de son profil d'ADN avait déjà été ordonné, "notamment" le 11 juin 2024 dans le cadre de la procédure P/2______/2024. De manière surprenante, la Chambre de céans avait rejeté plusieurs recours dans des causes similaires en violation des art. 255 à 259 CPP, 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH, au motif que les profils d'ADN étaient soumis à effacement après un certain délai. Or l'effacement de son profil d'ADN interviendrait 10 ans au minimum après l'entrée en force du jugement, soit "jusqu'au 11 juin 2034", délai pouvant être prolongé de 10 ans, selon l'art. 17 de la loi sur les profils d'ADN. Il n'était donc nullement nécessaire (principe de proportionnalité) et arbitraire d'établir son profil d'ADN pour le conserver jusqu'au 11 juin 2044, plutôt qu'au 12 mai 2045. Il avait un droit à être protégé contre l'emploi abusif de ses données (art. 8 CEDH). De plus, des frais inutiles en relation avec ces actes seraient mis à sa charge ainsi qu'à celle du contribuable genevois. Tant le Ministère public que la Chambre de céans perdaient de vue qu'un profil d'ADN n'était sujet à aucune modification au cours de la vie d'un être humain.

Il conclut encore à des dépens chiffrés, eu égard à l'intervention de son conseil, justifiée selon lui par son incapacité à rédiger seul un recours.

b. À réception du recours sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.

2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).

L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). 

2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).

2.3. L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2;
145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).  

2.4. En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.

À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables, ce qu'il ne remet au demeurant pas en cause.

Certes, son casier judiciaire ne comporte pas de condamnation pour infraction à l'art. 19 al. 1 LStup, mais uniquement pour des entrée et séjour illégaux (les 27 février et 15 août 2024). Toutefois, dans la présente procédure, il est mis en cause à deux reprises, soit les 6 février et 10 mai 2025, pour vente de drogue, notamment de la cocaïne. Que l'intéressé réfute pour partie ces accusations n'est pas suffisant pour annihiler tout soupçon à son égard en l'état.

Ensuite, ces mises en cause, auxquelles s'ajoute sa situation personnelle – absence de domicile fixe et d'activité professionnelle avérée –, laissent craindre qu'il pourrait désormais être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, qui pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN à des traces prélevées sur les lieux de leurs commissions.

Enfin, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.

Partant, la mesure querellée n'apparaît pas inutile ou disproportionnée.

À titre superfétatoire, le recourant ne saurait tirer argument du fait que son profil d'ADN a d'ores et déjà été établi, "notamment" le 11 juin 2024. Dès lors que les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai (cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363), il existe un intérêt public prépondérant, quand bien même l'établissement de son profil d'ADN aurait déjà été ordonné à une ou plusieurs reprises et son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années, à soumettre derechef le prévenu à cette mesure, pour autant que les conditions légales soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Le fait pour le Ministère public d'avoir, dans de telles circonstances, ordonné une nouvelle fois l'établissement du profil d'ADN du recourant – prolongeant ainsi de près d'un an le délai de conservation – n'apparait ainsi nullement disproportionné.

Que son coût soit éventuellement mis à la charge du recourant – ce qui n'est pas évident à ce stade, dès lors que cette question ne se posera qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé soit condamné – n'est donc pas pertinent.

En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.

3.             Justifiée, l'ordonnance attaquée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

5.             Corrélativement, aucun dépens ne lui est dû.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24962/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

415.00

Total

CHF

500.00