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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9847/2025

ACPR/438/2025 du 10.06.2025 sur OMP/10780/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PROFIL D'ADN
Normes : CPP.255.al1bis

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9847/2025 ACPR/438/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 10 juin 2025

 

Entre

A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LALHOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 5 mai 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 15 mai 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 5 précédent, notifiée le même jour, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, né le ______ 1999, alias A______, né le ______ 2001, d'origine guinéenne, a été interpellé par la police le 15 mars 2025 à 17h45 à la hauteur du n°9 de la rue 1______, à Genève, alors qu'il détenait 11 boulettes de cocaïne d'un poids total brut de 7.2 grammes, CHF 123.85 ainsi que EUR 50.51 et alors qu'il faisait l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève valable durant 12 mois à compter de sa notification le 22 mars 2024.

b. Le prévenu a refusé de déposer devant la police le 15 mars 2025.

c. Le Ministère public a, par ordonnance du 16 mars 2025, ordonné l'établissement de son profil d'ADN, dans la mesure où il avait déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, soit un délit contre la LStup selon l'extrait de son casier judiciaire (art. 255 al. 1 bis CP).

Le prévenu n'a pas recouru contre cette ordonnance.

d. A______ a été condamné en raison de ces faits par ordonnance pénale du 16 mars 2015, pour infractions aux art. 19 al. 1 let. d LStup et 119 al. 1 LEI, à une peine privative de liberté de 120 jours, sous déduction d'un jour de détention avant jugement, assortie du sursis, délai d'épreuve de 3 ans. Le sursis accordé le 24 juillet 2024 par le Ministère public a été prolongé d'une année.

e. A______ a formé opposition à cette ordonnance pénale le 25 mars 2025.

f. Le 26 avril 2025, la police a observé, à la hauteur du n°5 de la rue 1______, une transaction entre A______ et un toxicomane, identifié dans la foulée comme étant B______. Ce dernier a déclaré avoir acquis une boulette de cocaïne en échange de EUR 40.- auprès d'un Africain. A______ a été interpellé en possession de CHF 427.40 et EUR 155.10.

g. Devant la police le 26 avril 2025, A______ a reconnu cette transaction. Il ne vendait pas de drogue et avait "juste vendu cette demi-boulette pour dépanner cet homme". Cette drogue était pour lui et il l'avait acquise le matin même auprès d'un "homme blanc". Il consommait de la cocaïne depuis deux ou trois ans. Un ami lui avait confié EUR 150.- pour qu'il les remît à une amie. Le reste [des espèces] provenait du chômage italien.

h. Entendu par le Ministère public le 27 avril 2025, A______, prévenu notamment en raison de cette transaction et pour avoir pénétré sur le territoire suisse dans l'unique but de s'adonner à la vente de stupéfiants, a à nouveau admis ladite transaction, mais indiqué être venu à Genève pour "s'amuser avec des potes". Il contestait avoir vendu de la drogue le 16 mars 2025.

i. A______ a été interpellé par la police le 4 mai 2025, à la rue 1______, "lieu hautement fréquenté par des dealers". Il s'est légitimé avec une carte d'identité italienne.

j. Il a refusé de s'exprimer devant la police.

k. Devant le Ministère public le 5 mai 2025, il a déclaré que c'était la police qui lui avait donné connaissance de la nouvelle interdiction de pénétrer à Genève [notifiée le 27 avril 2025 et valable pour une durée de 24 mois]. Il ne se souvenait pas qu'un telle décision lui avait été notifiée.

l. Entendu une nouvelle fois par le Ministère public le 14 mai 2025, en lien avec les faits des 15 mars, 26 avril et 4 mai 2025, A______ a persisté dans ses premières déclarations. Le 15 mars 2025, on lui avait fait une "offre intéressante", soit onze boulettes de cocaïne pour CHF 400.-, drogue qu'il destinait à sa propre consommation. Il avait été interpellé en possession de cette substance alors qu'il rentrait chez lui. Il se "préva[lai]t d'un délit de faciès de la part de la police". Il pensait que l'interdiction de pénétrer "c'était déjà fini". Il avait confondu les dates. Il prenait note qu'il faisait l'objet d'une [nouvelle] interdiction de pénétrer dans le canton de Genève valable jusqu'au 27 avril 2027.

m. Le 15 mai 2025, le Ministère public a saisi le Tribunal de police d'un acte d'accusation.

n. À teneur de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné le 24 juillet 2024, par le Ministère public, à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à CHF 20.- l'unité, peine assortie du sursis, pour délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup).

o. S'agissant pour le surplus de sa situation personnelle, il a déclaré être célibataire, sans enfant et sans emploi. Il percevait, en Italie, "une somme d'argent en une ou deux fois" à titre d'indemnités de chômage, dont le montant s'élevait à EUR 2'000.-, qu'il avait perçue sauf erreur en février 2025. Il vivait actuellement à C______ [France], mais "normalement […] en Italie". En dernier lieu, il a indiqué dormir dans la rue.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que A______ avait déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, dès lors qu'il avait été condamné pour des infractions à l'art. 19 LStup.

D. a. À l'appui de son recours, A______ expose que l'établissement de son profil d'ADN avait déjà été ordonné le 16 mars 2025. De manière surprenante, la Chambre de céans avait rejeté plusieurs recours dans des causes similaires en violation des art. 255 à 259 CPP, 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH, au motif que les profils d'ADN étaient soumis à effacement après un certain délai. Or l'effacement de son profil d'ADN interviendrait 10 ans au minimum après l'entrée en force du jugement, soit "jusqu'au 16 mars 2035", délai pouvant être prolongé de 10 ans, selon l'art. 17 de la loi sur les profils d'ADN. Il n'était donc nullement nécessaire (principe de proportionnalité) et arbitraire d'établir à nouveau son profil d'ADN pour le conserver jusqu'au 5 mai 2045, plutôt qu'au 16 mars 2045. Il avait un droit à être protégé contre l'emploi abusif de ses données (art. 8 CEDH). De plus, des frais inutiles en relation avec ces actes seraient mis à sa charge ainsi qu'à celle du contribuable genevois. Un profil d'ADN n'était sujet à aucune modification au cours de la vie d'un être humain.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.

3.1.       L'établissement d'un profil d'ADN est de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données privées (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH).

Cette mesure doit, en conséquence, se fonder sur une base légale, être justifiée par un intérêt public et être proportionnée au but visé (ATF 147 I 372 consid. 2.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_631/2022 du 14 février 2023 consid. 2).

3.2.       Selon l'art. 255 al. 1bis CPP, le prélèvement et l'établissement d'un profil d'ADN peuvent être ordonnés sur le prévenu si des indices concrets laissent présumer qu'il pourrait avoir commis d'autres crimes ou délits que celui ou ceux pour lesquels l'instruction est en cours. Une telle mesure peut être ordonnée par le ministère public durant l'instruction (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2).

3.3.       L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions. Celles-ci doivent revêtir une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2). L'on prendra en considération, dans la pesée des intérêts à réaliser, les éventuels antécédents de l'intéressé (ATF 145 IV 263 consid. 3.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).

3.4.       L'art. 255 CPP ne permet pas le prélèvement routinier d'échantillons d'ADN et leur analyse, ce que concrétise l'art. 197 al. 1 CPP. Selon cette disposition, des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). Les antécédents doivent également être pris en compte. Cependant, l'absence d'antécédents n'exclut pas en soi l'établissement d'un profil d'ADN (ATF 147 I 372 précité consid. 2.1; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_230/2022 précité consid. 2.2).

3.5.       En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors que le recourant a déjà été soupçonné pour des faits similaires.

À cet égard, il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le recourant, de tels actes punissables, ce qu'il ne remet pas en cause dans son recours.

Le 24 juillet 2024, il a en effet été condamné pour des infractions à la LStup. Dans la présente procédure, il a, en outre, été interpellé le 15 mars 2025 alors qu'il détenait 11 boulettes de cocaïne d'un poids total brut de 7.2 grammes et le 26 avril 2025 alors qu'il "dépannait" un toxicomane d'une demi-boulette de cocaïne en échange de EUR 40.-, drogue qu'il destinait à la base à sa propre consommation, selon ses déclarations.

De telles circonstances, auxquelles s'ajoutent sa situation personnelle précaire, puisqu'il concède désormais dormir dans la rue et ne documente nullement la réception de EUR 2'000.- du chômage italien ni a fortiori la régularité d'un tel revenu, permettent de penser que l'intéressé pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup encore inconnues des autorités, lesquelles pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN avec des traces prélevées sur les lieux de leurs commissions. Ceci est d'autant plus vrai que le recourant a, dans la présente procédure, été interpellé à trois reprises dans un lieu connu à Genève pour le trafic de stupéfiants.

De plus, les infractions à la LStup susceptibles d'être élucidées revêtent une certaine gravité. Il s'agit d'ailleurs d'un des cas expressément listés par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.3) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1bis CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour les infractions passées.

Le recourant reproche au Ministère public d'avoir ordonné arbitrairement un second prélèvement de son profil d'ADN à moins de deux mois d'intervalle (les 16 mars puis 5 mai 2025). Comme déjà jugé par la Chambre de céans (ACPR/195/2025; ACPR/261/2025), cet argument tombe à faux. Dès lors que les profils d'ADN sont effectivement soumis à effacement après un certain délai, même prolongeable, il subsiste un intérêt, pour autant que les conditions soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas ici, à soumettre derechef le prévenu à cette mesure, laquelle n'est partant ni arbitraire ni disproportionnée.

Compte tenu du caractère proportionné de la mesure, le fait que son coût soit éventuellement mis à la charge du recourant – ce qui n'est pas évident à ce stade, dès lors que cette question ne se posera éventuellement qu'à l'issue de la procédure et à la condition que l'intéressé soit condamné – n'est pas pertinent.

Partant, la mesure, qui repose sur une base légale et est dictée par un intérêt public, est justifiée.

4.             Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

 

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9847/2025

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

Total

CHF

600.00