Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/427/2025 du 04.06.2025 sur OMP/6867/2025 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/4263/2025 ACPR/427/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 4 juin 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance de refus de retrait immédiat de preuves rendue le 19 mars 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 31 mars 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 mars 2025, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé de retirer de la procédure le procès-verbal de son audition à la police du 18 février 2025 et de caviarder les pièces du dossier y faisant référence.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision, au constat de l'inexploitabilité dudit procès-verbal et des déclarations faites par lui lors de son interpellation par la police ainsi que de tous les passages du dossier y faisant référence (qu'il énumère), à leur caviardage – mémoire de recours et arrêt à rendre compris –, au retrait des pièces originales du dossier, à leur conservation à part jusqu'à la clôture définitive de la procédure, et à leur destruction.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 18 février 2025 à 3h05, la police a été requise à la route 1______ no. ______ à C______ [GE], à la suite d'un conflit entre deux personnes devant l'immeuble sis à cette adresse.
Sur place, les policiers ont été mis en présence de D______ et de A______, ressortissant brésilien, qu'ils ont séparés, avant de s'entretenir oralement avec eux.
D______ a alors expliqué être en couple avec A______ depuis environ 8 mois. Son ex-concubin et père de ses trois enfants venait souvent à son domicile pour garder ceux-ci, ce qui avait été le cas le soir en question. Après son départ, A______, qui était également son voisin de palier, avait sonné à sa porte. Elle lui avait ouvert puis il avait forcé le passage pour entrer. Alors qu'ils étaient dans la salle de bain, il l'avait saisie par les épaules, avait mis sa main sous ses habits et effectué une pénétration digitale dans son vagin, sans son consentement, puis avait senti ses doigts afin de vérifier qu'elle n'avait pas eu de rapport sexuel précédemment. Il avait ensuite pris son téléphone en lui disant qu'il ne le lui rendrait que si elle acceptait d'avoir des rapports sexuels avec lui. Devant son refus, il avait jeté le téléphone par le balcon. À cette suite, l'ex-concubin de D______ avait été contacté et toutes les personnes concernées s'étaient rendues au bas de l'immeuble pour en découdre, une bagarre s'ensuivant entre A______ et le précité.
A______, ne parlant pas français, a expliqué dans sa langue – son beau-père procédant à la traduction –, qu'une bagarre avait éclaté entre lui-même et l'ex-compagnon de D______ pour des raisons de jalousie. Il a également indiqué être en Suisse depuis 2024. Il n'a pas mentionné d'autres faits.
A______ a été interpellé sur ces entrefaites.
b. À teneur des rapports d'interpellation et d'arrestation du même jour, les policiers ont fait appel au commissaire de service, qui a contacté le Procureur de permanence afin d'obtenir un constat de lésions traumatiques sur la personne de A______.
c. Selon le document intitulé "examen de la personne" annexé au rapport, le Procureur de permanence a ordonné oralement au Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML), le 18 février 2025 à 3h55, qu'il procède à l'examen physique de l'intéressé ainsi qu'à tous prélèvements utiles (sang, urine, cheveux, poils, traces de contact, sous-unguéaux, etc.) et analyses nécessaires (un examen similaire a été ordonné en ce qui concerne D______).
d. La médecin-légiste a examiné A______ dans une salle du poste de police de E______, le 18 février 2025 dès 6h50. L'examen clinique a principalement mis en évidence des lésions traumatiques de type dermabrasions et ecchymoses au niveau des doigts, poignet, main et bras droit ainsi qu'au niveau frontal. Des photographies des lésions ont également été prises. L'intéressé a toutefois refusé les prélèvements de sang et d'urine ainsi que les prélèvements sous-unguéaux en vue d'une éventuelle analyse ADN (cf. rapport du CURML du 27 mars 2025).
Des prélèvements sur les doigts du précité ont pu toutefois être effectués ensuite par la Brigade de police technique et scientifique (cf. rapport d'arrestation du 18 février 2025).
A______ a également indiqué à la médecin-légiste ne pas avoir "touché" D______ (cf. rapport d'arrestation du 18 février 2025).
e. L'ordonnance d'examen de la personne (constat de lésions traumatiques) de A______ du 18 février 2025, confirmant le mandat oral du Procureur de permanence, a été communiquée au CURML par courriel du même jour à 10h14.
Il y était mentionné que le précité était prévenu de viol (art. 190 al. 1 CP), tentative de viol aggravé (art. 190 al. 2 cum 22 CP), voies de fait (art. 126 CP) et dommages à la propriété (art. 144 CP) pour avoir notamment, selon les informations communiquées par la police, commis une pénétration digitale du vagin de D______ contre sa volonté ou en profitant d'un état de sidération.
f. Auditionnée par la police le 18 février 2025 à 10h20, D______ a déposé plainte pénale pour les faits précités.
g. A______ a été auditionné par la police (art. 306/309 CPP) comme prévenu, le 18 février 2025 à 12h07, avec l'aide d'une traductrice en portugais, pour avoir "introduit [s]on doigt dans le vagin" de D______, l'avoir menacée, avoir jeté son téléphone et être en séjour illégal en Suisse.
Informé de ses droits au début de l'audition et de la possibilité de faire appel à un avocat (art. 8A LPAv), il a accepté d'être entendu hors la présence d'un conseil.
En substance, il a admis s'être disputé plusieurs fois avec la plaignante, à qui il reprochait d'être très soumise au père de ses enfants. Depuis quelque temps, elle avait changé de comportement et cachait son téléphone. Le jour des faits, après que l'ex-compagnon de la plaignante fut parti, il était allé chez elle et avait constaté qu'elle avait des marques d'agression. Il lui avait demandé ce qu'il s'était passé mais elle n'avait pas voulu discuter, voulant qu'il parte. Il avait alors "perdu la tête" et jeté son téléphone (à elle) par la fenêtre. Il n'avait pas eu "de sexe" avec la plaignante ni de "doigts non plus". Il ignorait pourquoi elle disait cela.
Après avoir accepté que des prélèvements soient effectués sur ses mains, il a précisé que la plaignante, à qui il avait demandé si elle avait couché avec son ex-compagnon, s'était elle-même introduit un doigt dans le vagin pour qu'il puisse vérifier une éventuelle odeur, avant de lui prendre la main pour qu'il "regarde si c'est mouillé". Il était sûr que son doigt (à lui) n'était pas "entré".
h. Par ordonnance du 19 février 2025, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour viol (art. 190 CP), contrainte (art. 181 CP), voies de fait (art. 126 CP), injures (art. 177 CP) et entrée illégale et séjour illégal (art. 115 al. 1 let. a et b LEI) pour avoir la veille, vers 00h30, au domicile de D______ à C______, ordonné à celle-ci d'enlever la serviette de bain qui la couvrait et d'écarter les jambes avant d'enfoncer quatre doigts dans son vagin durant plusieurs secondes, refusé de quitter le logement de celle-ci, tenté de la maintenir par le bras et lui avoir tiré les cheveux, tenté de la contraindre à entretenir une relation sexuelle après avoir pris son téléphone, porté atteinte à son honneur en la traitant de "pute", "trainée" et "salope" ainsi que pour avoir pénétré sans droit sur le territoire suisse à une date indéterminée en 2023 et d'y avoir séjourné jusqu'à la date de son interpellation sans être au bénéfice des autorisations et documents d'identité nécessaires.
i. Par ordonnance du même jour, le Ministère public a ordonné une défense d'office en faveur du prévenu en la personne de Me B______, l'intéressé relevant du régime de la défense obligatoire et n'ayant pas désigné de défenseur privé.
j. À l'audience du même jour, à 11h30, le Ministère public a notifié les charges précitées au prévenu.
Ce dernier, assisté de son conseil, a répondu ceci à la question de savoir s'il confirmait ses déclarations à la police : "Pour le moment, je préfère ne pas les confirmer. Je n'étais pas assisté d'un avocat. (…) Avec l'aide de mon conseil, j'indique que je n'ai pas compris que j'avais la possibilité d'être assisté d'un avocat sans devoir le rémunérer. Sur question, je ne me rappelle pas que la police m'ait proposé de faire appel à un avocat. En tous les cas, je n'en ai pas le souvenir".
k. Le même jour, à 11h35, le Ministère public lui a notifié l'ordonnance d'examen de la personne (constat de lésions traumatiques) du 18 février 2025.
l. Par pli du 7 mars 2025, le prévenu, par la voix de son conseil, a sollicité du Ministère public le retranchement du procès-verbal de son interrogatoire du 18 février 2025. L'instruction pénale avait été ouverte au plus tard le 18 février 2025 à 3h55, au moment du constat de lésions traumatiques effectué sur sa personne ordonné par le Ministère public, soit bien avant que ne débute son audition par la police. Il aurait donc dû être assisté d'un avocat lors de celle-ci. Le procès-verbal de cette audition était inexploitable et devait être retiré du dossier, conservé à part puis détruit. Les passages du dossier y faisant référence, qu'il listait, devaient être caviardés. Par ailleurs, les rapports de police faisaient référence à des propos (qu'il énumérait) qu'il avait tenus oralement sans que ses droits ne lui fussent communiqués avant et, par conséquent, en violation de l'art. 158 al. 1 CPP. Les passages (qu'il énumérait) s'y référant devaient suivre le même sort. En définitive, toute référence aux propos qu'il aurait pu tenir avant qu'il ne soit assisté d'un avocat devaient être retranchés du dossier pénal.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que la défense obligatoire prévue par l'art. 130 CPP n'avait pas à être mise en œuvre lors de l'audition du prévenu à la police. Au demeurant, celui-ci, dûment informé de ses droits, avait renoncé à la présence d'un avocat.
D. a. Dans son recours, A______ allègue tout d'abord avoir été questionné oralement par la police au moment de son interpellation sans que ses droits découlant de l'art. 158 CPP ne lui fussent communiqués préalablement. Les passages y relatifs, qu'il listait, inexploitables, devaient être caviardés, y compris dans le mémoire de recours et l'arrêt à rendre, puis retirés du dossier dans leur version originale jusqu'à la clôture de la procédure, et enfin détruits. En ne traitant pas ce grief, pourtant dûment soulevé dans son courrier du 7 mars 2025, le Ministère public avait commis un déni de justice.
Ensuite, un mandat oral visant l'examen de sa personne ayant été décerné par le Procureur le 18 février 2025 à 3h55, l'instruction pénale avait été ouverte à ce moment, de sorte que la défense obligatoire aurait dû être mise en œuvre. Il aurait ainsi dû, lors de son audition par la police, à 12h07, être assisté d'un conseil. L'infraction grave de viol qui lui était reprochée était connue par la police, qui aurait dû faire appel à un avocat de la première heure. Il n'avait pas renoncé à une telle assistance. Du reste, aucun formulaire spécifique de renonciation n'était annexé au procès-verbal d'audition. Quoi qu'il en soit, cette prétendue renonciation n'avait aucune portée juridique, la défense obligatoire visant justement à imposer au prévenu l'assistance d'un défenseur, que ce soit avec son consentement ou contre son gré. Il avait déjà été réauditionné par le Ministère public le 19 février 2025, en présence de son conseil, de sorte que seule cette audition devait être prise en compte. Ainsi, le procès-verbal de son audition par la police était inexploitable et devait être retiré du dossier pénal, jusqu'à la clôture de la procédure, puis détruit, conformément aux art. 131 et 141 CPP. Les passages du dossier reprenant le contenu de cette audition, qu'il listait, devaient être caviardés, y compris dans le mémoire de recours et l'arrêt à rendre, puis retirés du dossier dans leur version originale jusqu'à la clôture de la procédure, et enfin détruits.
b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais, et se réfère à l'argumentation de l'ordonnance querellée.
c. Le recourant n'a pas répliqué.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure, a qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. a CPP), ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Dans un premier grief, le recourant se plaint d'une violation des art. 141 et 158 CPP en lien avec ses propos mentionnés dans le rapport d'arrestation, lesquels avaient été recueillis oralement par la police alors qu'il n'avait pas été préalablement informé de ses droits. Le Ministère public avait par ailleurs commis un déni de justice en ne se prononçant pas sur ce grief dans sa décision querellée.
2.1. Commet un tel déni, prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst. féd., le magistrat qui ne traite pas un grief relevant de sa compétence, motivé de façon suffisante et pertinent pour l'issue du litige (arrêt du Tribunal fédéral 1B_191/2022 du 21 septembre 2022 consid. 4.1).
Le droit d'être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 Cst féd. et 3 al. 2 let. c CPP, impose à l'autorité l'obligation de motiver sa décision afin, d’une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement et, d’autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d’exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 I 232 consid. 5.1). Pour satisfaire à cette exigence de motivation, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision (ATF 147 IV 249 consid. 2.4; 142 II 154 consid. 4.2; 139 IV 179 consid. 2.2). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_990/2023 du 3 avril 2024 consid. 2.1.1).
Une violation du droit d'être entendu, pour autant qu'elle ne soit pas particulièrement grave, peut être considérée comme réparée lorsque la partie concernée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours disposant d'un pouvoir d'examen complet quant aux faits et au droit. Par ailleurs, même si la violation du droit d'être entendu est grave, une réparation du vice procédural devant l'autorité de recours est également envisageable si le renvoi à l'autorité inférieure constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 = SJ 2011 I 347;
136 V 117 consid. 4.2.2.2; 133 I 201 consid. 2.2).
2.2. En l'espèce, si le Ministère public n'a certes pas répondu aux griefs du recourant en lien avec sa demande de retrait de ses déclarations orales à la police, l'intéressé a pu faire valoir ses arguments en toute connaissance de cause devant la Chambre de céans. L'éventuel défaut de motivation a ainsi été réparé devant la Chambre de céans, laquelle dispose d'un plein pouvoir de cognition tant en fait qu'en droit, de sorte qu'un renvoi de la cause au Ministère public pour ce motif constituerait une vaine formalité, de surcroît compte tenu des considérations qui suivent.
2.3.1. La procédure préliminaire se compose de la procédure d'investigation de la police et de l'instruction conduite par le ministère public (art. 299 al. 1 CPP).
Lors de ses investigations, la police établit les faits constitutifs de l’infraction; ce faisant, elle se fonde sur les dénonciations, les directives du ministère public ou ses propres constatations (art. 306 al. 1 CPP). La police doit notamment : a. mettre en sûreté et analyser les traces et les preuves ; b. identifier et interroger les lésés et les suspects ; c. appréhender et arrêter les suspects ou les rechercher si nécessaire (al. 2). Sous réserve de dispositions particulières, la police observe dans son activité les dispositions applicables à l’instruction, aux moyens de preuves et aux mesures de contrainte (al. 3).
L'art. 142 al. 2 CPP prévoit que la police peut entendre les prévenus et les personnes appelées à donner des renseignements.
Au début de l'audition, le comparant, dans une langue qu'il comprend, est avisé de façon complète de ses droits et obligations (art. 143 al. 1 let. c CPP).
Selon l'art. 158 al. 1 CPP, au début de la première audition, la police ou le ministère public informent le prévenu dans une langue qu’il comprend : a. qu’une procédure préliminaire est ouverte contre lui et pour quelles infractions ; b. qu’il peut refuser de déposer et de collaborer ; c. qu’il a le droit de faire appel à un défenseur ou de demander un défenseur d’office ; d. qu’il peut demander l’assistance d’un traducteur ou d’un interprète. Les auditions effectuées sans que ces informations aient été données ne sont pas exploitables (al. 2).
2.3.2. Les interrogatoires de la police doivent être compris dans un sens formel, conformément à l'art. 142 al. 2 CPP et ils englobent aussi les discussions informelles. La police (et non le ministère public ou les tribunaux) peut entamer des discussions informelles avec les personnes prévenues dans le but de clarifier les faits et de déterminer les infractions qui ont été commises (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2016, n. 14 ad art. 306 CPP, et les références citées).
La doctrine mentionne également le cas de déclarations spontanées, qui n'ont pas été provoquées par l'autorité, comme des plaintes pénales, des appels d'urgence ou des aveux ad hoc (cf. A. DONATSCH/ V. LIEBER/ S. SUMMERS/ W. WOHLERS [éds], Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, 3ème éd., Zurich 2020, n. 6 ad art. 142 ; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], Commentaire romand, Code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4a ad art. 142).
Toutefois, cette première prise de contact ne devrait pas déboucher sur une audition avant l'heure des personnes concernées. Ces dernières peuvent tout au plus être appelées à décliner leur identité et, succinctement, leurs liens avec les parties ou l'état de fait à élucider, de manière à ce que le ministère public soit en mesure de se prononcer sur la pertinence de l'audition et/ou leur statut lors de celle-ci (A. GUISAN, La violation du droit de participer [art. 147 CPP], PJA 2019 337 ss, p. 340).
De tels interrogatoires – aussi dits "de porte à porte" ("Klinkenputzen" cf. L. BÜRGE, Polizeiliche Ermittlung und Untersuchung, 2018, p. 196 nbp 1142) ou "auditions ad hoc" (cf. Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit., n. 4a ad art. 142) – doivent être interrompus aussitôt qu'il est établi que l'intéressé dispose d'éléments utiles à l'enquête, pour ne reprendre que lors d'une audition formelle, en présence des parties (B. A. TANNER, Das Teilnahmerecht der Privatklägerschaft nach Art. 147 StPO und seine Grenzen, Zurich 2018, p. 141 ; N. SCHMID/ D. JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3ème éd., Zurich 2017, n. 1233 nbp 81; D. BONIN / G. MÜNCH, note sur l'arrêt UH130204 de l'Obergericht Zurich, forumpoenale 4/2014 214 ss, p. 217).
On rappellera que la Chambre de céans a admis à plusieurs reprises le bien-fondé de discussions informelles entre la police et le prévenu, lorsque celle-ci est dépêchée sur les lieux d'une intervention (cf. ACPR/226/2022 du 4 avril 2022; ACPR/651/2023 du 17 août 2023; ACPR/1005/2023 du 29 décembre 2023; ACPR/116/2024 du 15 février 2024).
2.3.3. En l'espèce, la police a été requise par sa centrale d'alarme, le 18 février 2025, sur les lieux d'une altercation entre deux personnes. Mise en présence de D______ et du recourant, elle les a séparés avant de s'entretenir oralement avec eux pour évaluer la situation. À cette occasion, le recourant a expliqué qu'une bagarre avait éclaté entre lui et l'ex-compagnon de D______ pour des raisons de jalousie, ajoutant qu'il vivait en Suisse depuis octobre 2024.
Vu le contexte, force est de constater que cette manière de faire ne sortait pas du cadre de discussions informelles, autorisées au moment de l'interpellation d'un suspect, en vue notamment de clarifier les faits.
Il ne ressort pas du rapport d'interpellation du 18 février 2025 que les policiers se seraient livrés à une véritable audition, lors de laquelle le recourant aurait été invité à s'exprimer sur les faits et aurait répondu aux questions des policiers (cf. art. 143 al. 4 et 5 CPP).
La brève mention de l'échange informel dans le rapport montre que celui-ci n'a pas été au-delà des investigations policières autorisées et ne saurait ainsi être qualifié d'audition au sens des art. 142 ss CPP.
Par conséquent, l'art. 158 CPP ne trouvait pas application à ce stade.
Le grief d'inexploitabilité de l'échange informel mentionné dans le rapport précité et dans les pièces subséquentes qui y feraient référence doit ainsi être rejeté (art. 158 al. 2 CPP).
3. Le recourant reproche ensuite au Ministère public de n'avoir pas mis en œuvre sa défense obligatoire lors de son audition formelle par la police le 18 février 2025 à 12h07, une instruction pénale ayant été ouverte précédemment avec la délivrance du mandat oral visant l'examen de sa personne. Le procès-verbal de ses déclarations ainsi que les références y relatives figurant au dossier étaient dès lors selon lui inexploitables et devaient être écartés du dossier.
3.1. Selon l'art. 130 let. b CPP, le prévenu doit avoir un défenseur notamment lorsqu'il encourt une peine privative de liberté de plus d'un an, une mesure entraînant une privation de liberté ou une expulsion.
Le prévenu ne pourra pas renoncer à cette assistance, alors même qu'il n'en a pas fait la demande ou qu'il s'y est opposé (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit., n. 3 ad art. 130).
3.2. Dans les cas d'une défense obligatoire, la direction de la procédure pourvoit à ce que le prévenu soit assisté aussitôt d'un défenseur (art. 131 al. 1 CPP). Si les conditions d'une telle défense sont remplies lors de l'ouverture de la procédure préliminaire, la défense doit être mise en œuvre avant la première audition exécutée par le ministère public ou, en son nom, par la police (art. 131 al. 2 CPP).
Même si la question est controversée en doctrine, le Tribunal fédéral a confirmé, à plusieurs reprises, que le CPP ne prévoyait pas de droit à une "défense obligatoire de la première heure" lors du premier interrogatoire dans le cadre de l'investigation policière (c'est-à-dire avant l'ouverture de l'instruction pénale); la défense obligatoire ne commençait qu'après l'enquête préliminaire de la police (art. 131 al. 2 CPP), même si celle-ci visait une infraction pour laquelle un défenseur obligatoire devrait être en principe désigné (arrêts du Tribunal fédéral 1B_464/2022 du 10 novembre 2022, 1B 159/2022 du 13 avril 2022 consid. 4.5.3, 6B 322/2021 du 2 mars 2022 consid. 1.3 et les références citées).
3.3.1. Cela étant, c'est au plus tard au moment de l'ouverture de l'instruction que la défense obligatoire doit être mise en œuvre.
L'ouverture d'instruction n'a qu'un effet déclaratoire, l'instruction pénale étant considérée comme ouverte au sens de l'art. 309 al. 1 CPP dès que le ministère public commence à s'occuper de l'affaire. Il en résulte que l'instruction peut être ouverte formellement par une ordonnance au sens de l'art. 309 al. 3 CPP ou simplement matériellement, autrement dit implicitement, par l'activité effective du ministère public au sens de l'art. 309 al. 1 CPP (ATF 141 IV 20 consid. 1.1.4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_178/2017 du 25 octobre 2017 consid. 2.5; cf aussi Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit., n. 3a et 3b ad art. 309 ainsi que n. 7a ad art. 131).
3.3.2. À teneur de l'art. 309 al. 1 let. b CPP, le Ministère public ouvre une instruction lorsque, notamment, il ordonne des mesures de contrainte.
Par mesures de contrainte, on entend toutes celles prévues aux art. 196 à 298 ss CPP (cf. l’intitulé du titre 5 du CPP, où sont rangées ces dispositions), au nombre desquelles figure l'examen de la personne (art. 251 ss CPP).
L'ouverture d'une instruction s'impose ainsi dans tous les cas où le ministère public ordonne de telles mesures, même en urgence (cf. Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit., n. 15 ad art. 309).
3.4. Conformément à l'art. 131 al. 3 CPP, les preuves administrées avant qu'un défenseur d'office ait été désigné, alors même que la nécessité d'une défense aurait dû être reconnue, ne sont exploitables qu'à condition que le prévenu renonce à en répéter l'administration.
Ainsi, si le prévenu choisit d'exercer son droit de voir l'acte d'instruction administré une nouvelle fois en présence de son défenseur, seule cette seconde administration de preuves sera prise en compte et exploitable durant la suite de la procédure (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op.cit., n. 18 ad art. 131).
L'art. 131 al. 3 CPP n'impose pas le retranchement des auditions du prévenu alors qu'il n'était pas assisté d'un avocat ni, a fortiori, le caviardage des pièces ou passages qui pourraient s'y référer (ATF 141 IV 289 consid. 2.9 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_210/2020 du 3 juillet 2020 consid. 1.3). Il convient en revanche d'en faire abstraction, aux conditions de l'art. 141 CPP (cf. ATF 143 IV 457 consid. 1.6.2 p. 461 et arrêt du Tribunal fédéral 6B_321/2017 du 8 mars 2018 consid. 1.5.2 et 2; cf. aussi ACPR/710/2022 du 13 octobre 2022).
3.5. En l'occurrence, s'il est admis, compte tenu de la jurisprudence claire du Tribunal fédéral, reprise par la Chambre de céans (cf. notamment ACPR/914/2024 du 5 décembre 2024) qu'une défense obligatoire n'a pas à être mise en œuvre au stade du premier interrogatoire à la police, et cela même si les investigations concernent des faits pour lesquels une telle défense devrait en principe être ordonnée, force est de constater que le présent cas se présente différemment.
La police, après l'interpellation du recourant, le 18 février 2025 à 3h05, a contacté le Procureur de permanence pour qu'il ordonne notamment un examen de la personne (constat de lésions traumatiques) de l'intéressé, au sens de l'art. 251 CPP.
Le magistrat a ordonné oralement ledit examen à 3h55, lequel a été réalisé sur le recourant par la médecin-légiste du CURML vers 6h50.
En tant que cet acte d'instruction relève des mesures de contrainte au sens du titre 5 du CPP et de l'art. 309 al. 1 let. b CPP, l'instruction était matériellement ouverte dès ce moment.
Le Ministère public, qui était alors en mesure de reconnaître un cas de défense obligatoire, le recourant étant soupçonné notamment de viol, devait ainsi faire en sorte que l'intéressé soit pourvu d'un avocat lors de son audition par la police le 18 février 2025 à 12h07. Celle-ci ne pouvait en effet plus s'inscrire dans le cadre de l'enquête préliminaire mais devait être comprise comme une audition déléguée pour laquelle l'assistance d'un conseil était nécessaire (cf. art. 131 al. 2 in fine et 312 al. 1 et 2 CPP).
Il en résulte qu'à cette occasion, la police ne pouvait pas entendre le recourant hors la présence d'un conseil, même si l'intéressé y avait renoncé.
Le recourant, non informé de ses droits à cet égard – seuls ses droits en relation avec l'interrogatoire effectué dans le cadre de l'enquête préliminaire de police (art. 306 et 307 CPP) lui ayant été signifiés, soit notamment la possibilité de faire appel à un avocat de la première heure (art. 8A LPAv) – ne pouvait donc valablement renoncer à cette assistance, étant précisé que le bénéfice de l'avocat de la première heure ne vaut que pour les interrogatoires de police (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit., n. 11 ad art. 159).
L'audition du recourant par la police le 18 février 2025 a donc été effectuée en violation de ses droits, sa renonciation à la présence d'un avocat n'ayant pas d'effet guérisseur dans un cas de défense obligatoire.
Dans la mesure où le recourant a exprimé le souhait que l'administration de la preuve soit répétée – il a du reste été entendu par le Ministère public en présence de son défenseur d'office le 19 février 2025 et n'a, à cette occasion, pas confirmé ses déclarations à la police au motif qu'il n'était pas assisté d'un conseil –, le procès-verbal de son audition par la police du 18 février 2025 doit être considéré comme inexploitable. En revanche, il n'y a pas lieu de le retrancher immédiatement du dossier, pas plus que de caviarder les passages du dossier s'y référant, la jurisprudence ne l'exigeant pas.
4. Il résulte de ce qui précède que le recours doit être partiellement admis sur ce point, et la décision querellée annulée en conséquence.
5. L'admission partielle du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).
6. Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP), la procédure n'étant pas terminée.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet partiellement le recours.
Annule la décision querellée en tant qu'elle concerne le procès-verbal d'audition de A______ du 18 février 2025 par la police.
Constate que ledit procès-verbal est inexploitable.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).