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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/585/1995

ATA/50/1996 du 30.01.1996 ( CE ) , REJETE

Descripteurs : ; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ; FONCTIONNAIRE ; EMPLOYÉ PUBLIC ; SECRET PROFESSIONNEL ; MESURE DISCIPLINAIRE ; RÉSILIATION ; JUSTE MOTIF ; RÉVOCATION(EN GÉNÉRAL) ; RÉSILIATION IMMÉDIATE
Normes : RPAC.23
Relations : Publication : cf résumé in SJ 1997 p. 438; CD SILG. Cause : cf résumé in SJ 1997 p. 438; CD SILG
Résumé : L'on peut appliquer par analogie la jurisprudence relative au licenciement avec effet immédiat pour justes motifs de l'article 337 CO à la notion de "raisons graves" de l'article 23

 

 

 

 

 

 

 

 

du 30 janvier 1996

 

 

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur X______

représenté par Me Philippe Guntz, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT



EN FAIT

 

1. a. Monsieur X______, né le ______1950, domicilié, ______ 1218 Grand-Saconnex, a été engagé le 1er septembre 1985 au sein du personnel administratif de la police.

 

Lors de son engagement, le 9 septembre 1985, il a pris note, sur une formule spéciale, de la nécessité d'observer scrupuleusement le secret de fonction. Cette formule attirait son attention sur les conséquences d'une inobservation pouvant aboutir à la révocation, sans préjudice de poursuites pénales.

 

b. A partir du mois de janvier 1994, il a été affecté au service d'identification judiciaire (ci-après : SIJ) en qualité d'assistant technique. Auparavant, il avait travaillé pendant plusieurs années au centre de formation de la police, où il s'était occupé principalement d'audiovisuel. Dans cette activité, il avait fait l'objet d'une promotion le 1er mai 1991. Avant sa nomination, le 1er septembre 1988, de même que depuis lors, ses qualifications ont toujours été appréciées comme s'échelonnant de bonnes à très bonnes.

 

2. a. Le 15 septembre 1994, la douane-poste de l'aéroport de Genève-Cointrin a découvert un colis contenant 375 grammes de cocaïne, expédié depuis La Paz/Bolivie, à M. R______, domicilié à Genève, c/o sa mère, Mme C______. Une procédure pénale a été ouverte le 22 septembre 1994.

 

b. L'intéressé ayant déjà attiré l'attention de la sûreté pour des faits semblables, en juin 1989, et sa mère ayant été mise en cause en 1977 pour entrave à l'action pénale, en hébergeant un détenu en fuite impliqué dans un important trafic de stupéfiants, des contrôles téléphoniques du raccordement de la famille C______ ont été mis en place.

 

Cette surveillance a permis d'établir que le 12 octobre, M. R______ avait quitté Genève pour la Bolivie. A cette occasion, son passeport a été photographié à l'aéroport. Le 17 octobre, une conversation avait eu lieu donnant à penser à la sûreté qu'à la suite d'une "fuite", l'intéressé pourrait abruptement mettre fin à son activité délictueuse. Entre le 19 et le 20 octobre, deux appels ont retenu l'attention de la police.

 

Le premier concernait une conversation en espagnol entre M. C______, dit "S______", beau-père de l'intéressé et un interlocuteur à Cochabamba/Bolivie, lequel s'était enquis de savoir si le paquet contenant les "oeuvres artisanales" était arrivé.

 

Le second avait trait à une conversation entre M. R______, à l'hôtel Continental, à La Paz et ses parents. L'intéressé avait prié ses parents de ne plus l'appeler depuis la maison, au cas où les communications seraient écoutées.

 

c. Le lendemain, un mandat suisse et un mandat international tendant à l'extradition de l'intéressé ont été décernés par le juge d'instruction. Ces démarches n'ont pas abouti à ce jour.

 

3. a. Le 7 novembre 1994, M. X______ a été arrêté.

 

Interrogé par l'officier de police, puis par le juge d'instruction, il a reconnu qu'ayant été chargé de différents travaux photographiques le 13 octobre 1994, il avait été amené à développer le film utilisé à l'aéroport la veille.

 

L'une de ces photos concernait le passeport de M. R______. Sur l'ordre de travail figurait la mention "suspecté pour trafic de stupéfiants".

 

Par téléphone puis au travers d'une rencontre, M. X______ avait informé M. C______ de ce fait.

 

b. Chargé, le 17 octobre, de développer les photographies prises par la police du colis destiné à M. R______, il avait téléphoné le même jour à M. C______ pour l'informer de ce nouveau fait et lui signaler que son beau-fils faisait effectivement "des c...". Cette conversation a été entièrement enregistrée en raison des contrôles en cours.

 

c. Interrogée par la police et par le juge d'instruction, Mme C______ a reconnu que dès qu'elle avait su que son fils avait ainsi attiré l'attention de la brigade des stupéfiants, elle lui avait téléphoné à l'hôtel Continental à La Paz pour l'en informer et lui demander des comptes.

 

4. a. Inculpé d'entrave à l'action pénale au sens de l'article 305 CPS ainsi que de violation du secret de fonction au sens de l'article 320 CPS, M. X______ a déclaré avoir agi par pure amitié pour les époux C______, ceux-ci étant des amis de longue date avec lesquels il entretenait d'étroits contacts. Il n'avait jamais eu de véritables relations avec M. R______, ne l'ayant aperçu qu'à de rares occasions.

 

Il n'avait pas pensé aux conséquences de ses actes en informant la famille C______, ni imaginé que les propos tenus étaient de nature à entraver l'enquête pénale en cours. Il n'ignorait pas être soumis au secret de fonction.

 

b. M. X_____ a été maintenu en détention par le juge d'instruction durant cinq jours, puis remis en liberté. Pendant cette période, il a été confronté aux époux C______.

 

Son épouse a également été entendue par le juge d'instruction. De manière générale, son mari ne parlait pas de son travail en famille. Toutefois, dans cette affaire, "il était rentré complètement affolé de son travail en se demandant ce qu'il allait faire car c'étaient des amis et qu'ils risquaient d'avoir des ennuis". Son mari n'avait pas pensé à ce qu'il risquait lui-même. Cette affaire avait constitué un "cas de conscience" pour son mari qui avait "longuement hésité" puis ne s'était décidé à avertir ses amis que plus tard, dans la soirée.

 

5. a. Par arrêté du 23 novembre 1994, le Conseil d'Etat, se fondant sur les articles 25 et 26 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 15 octobre 1987 (LPAC - B/5/0,5) a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative et l'a confiée à un commissaire de police.

 

Il était reproché à M. X______ d'avoir eu un comportement contraire aux intérêts de l'Etat et aux devoirs de sa fonction. Si ces griefs se vérifiaient, ils constitueraient une faute grave de nature à justifier un licenciement.

 

b. Le Conseil d'Etat a également prononcé la suspension provisoire de M. X______ avec suppression de toute prestation à la charge de l'Etat. Il a déclaré sa décision exécutoire nonobstant recours.

 

6. Par acte remis le 5 décembre 1994 au greffe du Tribunal administratif, M. X_____ a recouru contre cette décision et a conclu à son annulation.

 

La suspension était injustifiée. Il devait être réintégré dans ses fonctions. Il avait d'excellents états de service. N'ayant agi que mû par l'amitié, après un grave conflit de conscience et ayant aussitôt reconnu les faits, il s'agissait d'une situation exceptionnelle excluant tout risque de récidive et ne constituant pas un motif de révocation.

 

La décision du Conseil d'Etat reposait sur la croyance erronée que les renseignements fournis avaient permis à M. R______ de quitter Genève à temps, échappant ainsi à son arrestation, alors que l'enquête pénale avait démontré qu'il n'avait pris connaissance des photos l'ayant ainsi troublé qu'après le départ de Suisse de M. R______.

 

Eu égard aux fréquents appels téléphoniques échangés de longue date entre les deux familles, ce que la police avait pu constater au moyen des contrôles téléphoniques avant les deux appels litigieux, on pouvait même se demander pour quelles raisons le développement des photos lui avait été confié.

 

Enfin, la mesure prononcée constituait une inégalité de traitement évidente par rapport au cas d'un inspecteur de police, lequel, en état d'ébriété, avait provoqué un accident mortel de la circulation et qui exerçait toujours ses fonctions.

 

7. Le Conseil d'Etat a conclu au rejet du recours.

 

Il a tenu à préciser que le lien de confiance étant définitivement rompu avec son agent, il n'existait aucune possibilité de l'affecter à un autre poste.

 

8. Par décision du 20 décembre 1994, le Tribunal administratif a refusé la restitution de l'effet suspensif.

 

9. a. Le 24 décembre 1994, l'enquête disciplinaire a été clôturée. Selon l'enquêteur, celle-ci avait permis d'établir que M. X______ avait bel et bien violé le secret de fonction en informant la famille de M. R______ que ce dernier était dans le collimateur de la police pour trafic de stupéfiants. Cette indication avait mis un terme aux investigations policières. Dès lors, le délit d'entrave à l'action pénale était réalisé. En effet, il s'était avéré que la police avait choisi de ne pas interpeller M. R______ lors de son départ du territoire suisse le 12 octobre, mais de le garder sous surveillance ainsi que ses contacts.

 

Selon l'enquêteur toujours, lorsqu'ils avaient demandé au SIJ de tirer les photographies du passeport de M. R______, le 13 octobre, et du colis, le 17 octobre, les inspecteurs de la brigade des stupéfiants ignoraient encore l'indiscrétion coupable commise par M. X______. Celle-ci n'avait été découverte qu'ultérieurement, en raison du contenu de l'enregistrement effectué le 17 octobre.

 

b. Il résulte de l'audition de M. X______ par l'enquêteur, le 9 décembre 1994, que de son propre aveu, c'était par hasard qu'il avait été amené à développer les photos concernant M. R______, les tâches n'étant pas distribuées de manière systématique au SIJ.

 

10. Le 23 décembre 1994, le chef de la police a proposé le licenciement de M. X______, compte tenu de la gravité des faits.

 

11. Dans le courant du mois de janvier 1995, le rapport d'enquête a été communiqué à M. X______ et celui-ci a pu consulter son dossier auprès de l'Office du personnel de l'Etat.

 

12. Le 8 février 1995, le Conseil d'Etat a informé M. X______ de son intention de procéder à son licenciement immédiat, les faits révélés par les enquêtes administrative et pénale étant incompatibles avec le maintien des rapports de service. La possibilité lui a été offerte d'être entendu par une délégation du Conseil d'Etat et de s'expliquer.

 

13. Le 7 mars 1995, le juge d'instruction a entendu un inspecteur de la brigade des stupéfiants au sujet du déroulement de l'enquête dirigée contre M. R______. Cet inspecteur a expliqué qu'avant la conversation fatidique du 17 octobre 1994, il était apparu au travers de plusieurs téléphones que M. X______ entretenait des liens de sympathie avec les époux C______. Néanmoins, aucun élément ne les ayant amenés à soupçonner que M. X______ puisse commettre une indiscrétion, les inspecteurs de la brigade des stupéfiants avaient ignoré ces conversations, qui ne se rapportaient pas à l'affaire en cours, et les avaient immédiatement effacées. Il arrivait, de temps à autre, à l'occasion de contrôles téléphoniques, que des collègues ou des agents de l'administration apparaissent être en rapport avec des personnes contrôlées. Tant qu'il n'y avait pas d'indiscrétion, ces conversations privées étaient ignorées. Au moment où les travaux de développement photographique avaient été confiés au SIJ, la brigade des stupéfiants n'avait encore aucune raison de se méfier de M. X______. Elle n'avait dès lors pas jugé nécessaire d'attirer l'attention sur ce fonctionnaire.

 

14. M. X______ a été entendu par une délégation du Conseil d'Etat le 16 mars 1995.

 

L'intéressé a fait valoir qu'au vu de ses états de service, jusqu'alors irréprochables, une révocation constituerait une sanction disproportionnée. Un déplacement au service technique du Cycle d'orientation, où une place allait se libérer, serait plus adéquat.

 

Son conseil ayant dénoncé le fait qu'aucune mesure de précaution n'avait été prise par la police pour tenir M. X______ à l'écart de l'enquête concernant M. R______, alors que la police avait eu connaissance du lien d'amitié le liant aux époux C______, la délégation du Conseil d'Etat a demandé des renseignements complémentaires au chef du département de justice et police et des transports.

 

15. Celui-ci a réfuté, le 24 mars 1995, l'argument selon lequel la police "aurait fait tomber" M. X______. La relation entre M. X______ et la famille C______ n'était apparue que lors des écoutes téléphoniques.

 

16. Le 27 mars 1995, le Procureur général a condamné M. X______ par ordonnance de condamnation à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis, délai d'épreuve de deux ans, pour violation des articles 305 et 320 CP. Cette ordonnance retient également la violation de l'obligation de garder le secret sur les affaires de service, imposée aux fonctionnaires par l'article 23 du règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale du 7 décembre 1987 (RGPA - B/5/1). M. X______ ne pouvait ignorer que l'information illicitement fournie serait acheminée à M. R______, de telle sorte que ce dernier, sur ses gardes, pourrait non seulement se soustraire à la poursuite engagée, mais encore faire échec aux recherches destinées à remonter la filière. L'entrave à l'action pénale, punissable dès que l'acte est propre à contrecarrer la poursuite, était donc indiscutablement réalisée. De telles infractions étaient particulièrement graves de la part d'un employé des services de police, même si la gravité de la faute était atténuée par les liens d'amitié liant l'intéressé aux époux C______.

 

17. Par arrêté du 12 avril 1995, le Conseil d'Etat a licencié M. X______ avec effet immédiat et rétroactif au 23 novembre 1994.

 

Cette décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

 

18. Le 28 avril 1995, le Tribunal administratif a rayé du rôle le recours dirigé par M. X______ contre la décision de suspension provisoire du 23 novembre 1994, la procédure étant devenue sans objet du fait du licenciement se substituant à la précédente décision.

 

19. M. X______ a recouru le 19 mai 1995 en concluant à l'annulation du licenciement.

 

Il a repris pour l'essentiel l'argumentation au fond contenue dans son précédent recours, dénonçant en particulier la sévérité injustifiée du Conseil d'Etat en comparaison de divers cas parmi lesquels celui d'un inspecteur ayant remis des documents confidentiels aux autorités algériennes et qui avait été suspendu, mais avec salaire. Par ailleurs, le recourant a également dénoncé le manque de précautions de la police, qui avait abouti à lui confier un travail sans tenir compte de l'émotion que pouvait susciter chez lui le fait d'apprendre que le fils de ses meilleurs amis était suspecté de trafic de drogue, alors même que ses liens d'amitié avec les époux C______ étaient connus avant le contrôle téléphonique fatidique du 17 octobre 1994. Le Conseil d'Etat n'avait ainsi pas accordé suffisamment d'importance aux circonstances très particulières du cas d'espèce.

 

20. Le Conseil d'Etat s'est opposé au recours.

 

Aucun reproche ne pouvait être adressé à la brigade des stupéfiants en rapport avec le fait que celle-ci ne s'était pas méfiée de M. X_____ dès le début des contrôles téléphoniques. Dès lors que ce dernier avait récidivé quatre jours après le premier contact avec les époux C______, il ne pouvait arguer d'un choc émotionnel l'ayant fait agir sur un coup de coeur. Quant au contexte des autres affaires citées par le recourant à titre de comparaison, il était tout différent.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 8 al. 1, ch. 8 de la loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits du 29 mai 1970 - LTA - E/3,5/1; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E/3,5/3).

 

2. Le Conseil d'Etat peut, pour des raisons graves, licencier un fonctionnaire. Sont considérées comme des raisons graves, les circonstances ayant pour conséquence l'impossibilité de poursuivre les rapports de service et notamment :

 

a. La perte de l'exercice des droits civils;

b. L'incapacité professionnelle dûment constatée;

c. L'inaptitude, dûment constatée, à observer les devoirs

généraux de la fonction.

 

Le délai de résiliation est de trois mois pour la fin d'un mois. Le licenciement peut toutefois intervenir avec effet immédiat s'il est fondé sur une raison particulièrement grave excluant la continuation des rapports de service (art. 23 LPAC).

 

3. Si le Tribunal administratif retient que le licenciement est abusif, il peut proposer au Conseil d'Etat la réintégration (art. 30 al. 2 LPAC). En cas de refus de celui-ci, le Tribunal fixe alors une indemnité dont le montant ne peut excéder trois mois de traitement brut de l'intéressé au moment du licenciement, à l'exclusion de tout autre élément de rémunération, dans l'hypothèse de l'article 17 alinéa 4 (licenciement avec effet immédiat d'un employé en période probatoire) et de vingt-quatre mois dans celle de l'article 23 (art. 30 al. 3 LPAC).

 

4. S'agissant de l'article 23 LPAC, le législateur considérait que : "les causes de licenciement sont conformes à la doctrine et à la jurisprudence du Tribunal fédéral et des Tribunaux du canton. Toute circonstance ne justifiera pas un licenciement, puisque seules des raisons graves, énumérées à titre exemplaire, pourront être invoquées" (Mémorial des séances du Grand Conseil du 15 octobre 1987, p. 5022).

 

On doit déduire de ce qui précède que l'on peut appliquer par analogie la jurisprudence relative au licenciement avec effet immédiat pour justes motifs de l'article 337 du Code des obligations à la notion de "raisons graves" de l'article 23 LPAC.

 

La notion de justes motifs n'est pas différente selon qu'il s'agit de la résiliation de rapports de service ou d'un contrat de travail (art. 337 CO). Constituent de justes motifs de résiliation toutes les circonstances qui, au regard des règles de la bonne foi, s'opposent au maintien des rapports de service, notamment l'incapacité constatée à observer les devoirs généraux de la fonction (A. GRISEL, Traité de droit administratif, 1984, p. 507). Il faut notamment entendre par là l'inadaptation aux tâches à accomplir dans le cadre de la fonction (ATF du 21 janvier 1988 en la cause K.).

 

La résiliation pour justes motifs ne constitue pas une sanction disciplinaire (ATF du 21 janvier 1988 en la cause K.). Elle est donc indépendante de toute faute du fonctionnaire.

 

Selon Philippe Bois, dans le cas des engagements pour une durée indéterminée, l'autorité peut invoquer de justes motifs pour y mettre fin. Il s'agit là de l'unique moyen pour l'employeur de se séparer d'un collaborateur. Le refus de reconnaître les justes motifs entraîne le maintien pour de très nombreuses années encore du fonctionnaire dans son emploi. L'Etat est tenu d'une part, d'agir dans l'intérêt public et d'autre part, de prendre en considération les intérêts privés de ses fonctionnaires. Il doit, dans sa politique du personnel, comparer les deux intérêts en cause. Ainsi, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a de justes motifs de licenciement, il convient de comparer l'intérêt public à se séparer d'un collaborateur avec l'intérêt de ce dernier à conserver son emploi. Il faut en outre tenir compte de la nécessité de l'existence d'un rapport de confiance entre l'autorité et ses collaborateurs. Tenu, vis-à-vis de l'ensemble de la population, d'assurer le respect du droit, l'Etat doit pouvoir s'en remettre sans hésiter aux fonctionnaires qu'il charge d'assumer ses tâches" (RJN 1983 p. 27).

5. En ce qui concerne le licenciement immédiat pour justes motifs, la doctrine a encore précisé que les circonstances doivent être telles qu'elles ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé qu'il poursuive l'exécution du contrat; ces circonstances doivent être appréciées selon les règles de la bonne foi visées à l'article 2 alinéa 2 du code civil suisse (E. SCHWEINGRUBER, Commentaire du contrat de travail selon le code fédéral des obligations, traduit de l'allemand par A. LAISSUE, Berne 1975, p. 193).

 

6. Selon l'article 26 alinéa 1 LPAC, dans l'attente du résultat d'une enquête administrative ou d'une information pénale, le Conseil d'Etat, respectivement la commission administrative concernée, peut, de son propre chef ou à la demande de l'intéressé, suspendre provisoirement un membre du personnel auquel il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction. A l'issue de l'enquête administrative, il est veillé à ce que l'intéressé ne subisse aucun préjudice réel autre que celui qui découle de la décision finale. Une décision de licenciement avec effet immédiat peut cependant agir rétroactivement au jour de l'ouverture de l'enquête administrative (art. 26 al. 4 LPAC).

 

En outre, il résulte de l'article 25 alinéa 2 LPAC qu'une enquête administrative doit être ordonnée lorsque le Conseil d'Etat envisage le licenciement d'un fonctionnaire au sens de l'article 23 LPAC.

 

7. Les devoirs du personnel de l'Etat sont énumérés aux articles 17 et suivants du règlement d'application de la LPAC du 7 décembre 1987 (RLPAC - B/5/1). C'est ainsi que les membres du personnel sont tenus au respect de l'intérêt de l'Etat et doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 17 RLPAC). Ils doivent entretenir des relations dignes et correctes avec leurs supérieurs, avec leurs collègues et leurs subordonnés; ils doivent permettre et faciliter la collaboration entre personnes (art. 18 let. a RLPAC). Ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 19 al. 1 RLPAC).

 

Il est admis par la doctrine que la relation entre l'Etat et ses fonctionnaires passe notamment par le pouvoir hiérarchique de l'Etat et son corollaire, le devoir d'obéissance de l'agent public (B. KNAPP, Précis de droit administratif, Bâle et Francfort, 1991, nos 3079 et 3090; P. MOOR, Droit administratif, Berne 1992, volume III, pp. 222 ss).

 

8. Le Tribunal administratif s'inspirera de la jurisprudence relative aux fonctionnaires fédéraux dès lors que ceux-ci sont soumis à des devoirs de services qui s'apparentent à ceux des fonctionnaires cantonaux. Ils sont ainsi tenus de remplir fidèlement et consciencieusement leurs obligations de service, de faire tout ce qui est conforme aux intérêts de la Confédération et de s'abstenir de tout ce qui leur porte préjudice (art. 22 du statut des fonctionnaires du 30 juin 1927). Ils peuvent être révoqués en cas de violation des devoirs de service (art. 30 et 31 du statut) ou licenciés pour justes motifs (art. 55 du statut).

 

Si l'on tente de résumer les cas dans lesquels une révocation disciplinaire s'impose, on dira qu'il doit s'agir de violations graves ou répétées des devoirs de service, commises intentionnellement ou par négligence ou imprudence par des agents publics, dans des conditions qui démontrent que l'agent n'est plus digne de rester en fonction ou n'est pas susceptible de se corriger. S'agissant de quelques exemples on citera l'abandon de poste, l'insoumission sans excuses, la condamnation pénale pour délit infamant ou délit contre l'Etat et, plus généralement, tout délit dénotant une attitude incompatible avec leurs fonctions publiques (B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd., n° 3169), enfin la violation effective des devoirs de fonction à des fins partisanes (B. KNAPP, La violation du devoir de fidélité cause de cessation de l'emploi des fonctionnaires fédéraux, 1984, I, pp. 503, 504).

 

9. En l'espèce, il ressort du dossier que M. X______ a indiscutablement enfreint le devoir de garder le secret sur les affaires de service qu'impose à tout fonctionnaire l'article 23 RPAC. Il a, par là-même, non seulement manqué à son obligation de s'abstenir de tout ce qui peut porter préjudice à l'Etat (art. 17 RPAC), mais s'est encore rendu coupable du délit réprimé par l'article 320 CP.

 

Ainsi que l'a démontré fort justement le Procureur général dans son ordonnance de condamnation, M. X_____ s'est également rendu coupable d'entrave à l'action pénale (art. 305 CP). Il est dès lors sans pertinence que les appels téléphoniques de M. X______ n'aient pas eu pour effet d'inciter M. R______ à quitter la Suisse. Il suffit qu'ils se soient révélés propres à compromettre la suite de l'enquête et le démantèlement d'une filière de trafiquants, résultat que, par ailleurs, ils ont effectivement provoqué. Le Tribunal administratif n'a ainsi aucune raison de s'écarter du jugement pénal.

 

10. En droit disciplinaire, la capacité de commettre une faute disciplinaire se comprend dans les mêmes termes qu'en droit pénal, à savoir que sera reconnu coupable celui qui, dans l'accomplissement de ses devoirs professionnels, a la possibilité de juger du caractère illicite de son acte et de se déterminer d'après cette appréciation (D. FAVRE, Les principes pénaux en droit disciplinaire, in Mélanges Patry 1988, p. 336).

Tel a bien été le cas en l'espèce, M. X______ ayant reconnu qu'il n'ignorait pas que son comportement violait ses obligations professionnelles de discrétion. A relever, par ailleurs, que son attention avait été spécialement attirée sur celles-ci lors de son engagement au sein du personnel administratif de la police.

 

M. X_____ s'est, au demeurant, montré parfaitement capable de distinguer entre ce que lui commandait son devoir et le tribut qu'il considérait dû à son amitié pour les époux C______, puisqu'il s'est ouvert à son épouse de ce cas de conscience et n'a pas agi de façon irréfléchie. Il a donc agi en toute conscience et volonté, sans que son attitude lui ait été dictée par la menace ou la contrainte, voire une relation étroite avec la personne qu'il a en définitive soustraite à la poursuite pénale (art. 305 al. 2 CP).

 

Sur le plan subjectif, on ne saurait en revanche méconnaître qu'il a agi par amitié, ce qui atténue la gravité de sa faute et qu'il n'a ainsi nullement agi par esprit de lucre ou pour favoriser un trafic de stupéfiants.

 

11. Cela étant, sa faute est particulièrement grave en tant que son comportement est fondamentalement contraire à la mission des services de police qu'il était chargé d'assister du point de vue technique, à savoir la lutte contre la criminalité. Or, il s'agit là d'un aspect de la sécurité publique dont la protection doit être assurée avec la plus complète détermination et les soins les plus diligents, ce qui suppose le respect le plus strict de l'obligation de discrétion. En conséquence, semblable défaillance d'un agent public participant à une telle mission revêtira un caractère de gravité nettement plus marqué que la même défaillance dont se rendrait coupable un agent public chargé de tâches moins essentielles. En outre, cette faute a été commise par un agent public expérimenté, dont la collaboration régulière avec le corps de police devait, bien plus qu'un agent fraîchement engagé, lui faire prendre conscience de la portée de ses actes.

 

Au vu du comportement de M. X______, sanctionné pénalement en tant qu'infraction contre les devoirs de fonction (art. 320 CP) et contre l'administration de la justice (art. 305 CP), le Conseil d'Etat a considéré à juste titre que l'indispensable rapport de confiance entre l'autorité et son collaborateur avait été rompu. La conséquence que cette autorité en a tirée quant à l'impossibilité de poursuivre des rapports de service n'est nullement abusive, nonobstant les très bons états de service antérieurs du recourant.

 

12. Il résulte de ce qui précède que le principe du licenciement avec effet immédiat prononcé à l'encontre de M. X______ doit être confirmé.

 

Dès lors que la procédure prévue par la LPAC a été régulièrement suivie, que le droit d'être entendu de l'intéressé a été dûment respecté et que la loi prévoit expressément que le licenciement peut rétroagir au jour de l'ouverture de l'enquête administrative (art. 26 al. 4 LPAC), la décision du Conseil d'Etat ne souffre d'aucun vice.

 

Par ailleurs, on ne saurait admettre, comme semble le soutenir le recourant, qu'il aurait été victime d'un piège destiné "à le faire tomber". Aucun indice dans le dossier ne permet de l'établir. Semblablement, il n'y a pas lieu de faire grief à la brigade des stupéfiants de ne pas être intervenue pour le tenir à l'écart de l'enquête dirigée contre M. R______, alors même qu'il avait été identifié comme l'interlocuteur des époux C______ avant l'écoute fatidique portant sur la conversation du 17 octobre 1994. En effet, un bon fonctionnement de l'administration suppose, lorsque rien ne permet de nourrir le soupçon contraire, que les fonctionnaires soient considérés comme capables de remplir leurs devoirs. Il était dès lors justifié que la brigade des stupéfiants n'attire pas l'attention sur les relations privées entre M. X______ et les époux C______, tant que celles-ci n'étaient entachées d'aucune indiscrétion et se déroulaient dès lors sur un plan totalement étranger à l'enquête en cours.

13. Reste à apprécier le respect des principes de proportionnalité et d'égalité de traitement.

 

a. Au vu de la profonde atteinte aux liens de confiance résultant des infractions commises par M. X______, le Conseil d'Etat pouvait sans aucun abus considérer qu'aucune autre sanction, moins incisive, ne pourrait être prononcée. Il se devait par ailleurs d'assurer par une certaine sévérité le bon fonctionnement de son administration dans l'une de ses missions les plus importantes, ce qui implique de marquer clairement son intention de ne pas tolérer tout acte jetant le discrédit sur la police en particulier et, en définitive, sur l'Etat.

 

Le licenciement prononcé ne viole dès lors pas le principe de proportionnalité.

 

b. Enfin, le recourant ne saurait tirer argument d'autres enquêtes disciplinaires ou pénales en cours, telle que celle dirigée contre un inspecteur ayant remis des documents à un Etat étranger, du fait précisément que leur issue n'est pas connue. Quant au cas de l'inspecteur de police ayant causé la mort de l'un de ses passagers en circulant en état d'ébriété au volant d'un véhicule de service, il n'est d'aucun secours au recourant, la révocation de l'inspecteur en cause ayant été confirmée par décision de la commission de recours des fonctionnaires de la police et de la prison du 6 juin 1995.

Le principe d'égalité de traitement n'a donc pas non plus été violé.

14. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

 

Vu l'issue du litige, mais compte tenu de la situation financière du recourant, un émolument réduit, de 500.- Frs, sera mis à sa charge.

 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 19 mai 1995 par Monsieur X______ contre la décision du Conseil d'Etat du 12 avril 1995;

 

 

au fond :

 

le rejette;

 

met un émolument de 500.- Frs à la charge du recourant;

 

communique le présent arrêt à Me Philippe Guntz, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : Mme Bonnefemme-Hurni, présidente,

MM. Tanquerel, Schucani, Grandjean, Mme Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : la présidente :

 

V. Montani E. Bonnefemme-Hurni

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le p.o. la greffière :

 

Mme M. Oranci