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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/18283/2004

ACJC/982/2007 (1) du 03.09.2007 sur JTBL/1590/2006 ( OBL ) , JUGE

Normes : CO.259d
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18283/2004 ACJC/982/2007

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre d’appel en matière de baux et loyers

AUDIENCE DU LUNDI 3 SEPTEMBRE 2007

 

Entre

Monsieur et Madame A______ et B______, domiciliés ______ [GE], appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 22 novembre 2006, comparant par l’ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile,

d'une part

et

C______ SA, p.a D______, agence immobilière, ______ [GE], comparant par Me Jean-Marc SIEGRIST, avocat, quai des Bergues 23, 1201 Genève, en l’Etude duquel elle fait élection de domicile,

d'autre part

 


EN FAIT

A.           Par jugement du 22 novembre 2006, communiqué aux parties par pli du greffier du même jour, le Tribunal des baux et loyers a réduit de 20% du 1er mai au 31 août 2005 le loyer de l’appartement de quatre pièces sis au cinquième étage de l’immeuble sis no. ______, rue 1______ à Genève, remis à bail aux époux A______/B______. Il a condamné C______ SA à leur rembourser le trop-perçu de loyer et a débouté les parties de toutes autres conclusions.

Le Tribunal a estimé que le chantier de démolition et construction d’un immeuble situé à proximité de l’appartement des locataires n’avait pas occasionné des nuisances excessives justifiant une réduction du loyer. Quand bien même le chantier avait été d’une intensité importante, son envergure devait être considérée comme usuelle en ville. Les horaires du chantier avaient été respectés de sorte que le repos nocturne des locataires n’avait pas été perturbé et des mesures avaient été prises pour limiter l’utilisation de machines spécialement bruyantes ainsi que la poussière inhérente à de tels travaux. En revanche, le Tribunal a considéré que la mise en service par les CFF d’une installation de vérification de l’état des essieux, disposée sur une voie à proximité immédiate de l’immeuble depuis le printemps 2005, avait causé une nuisance d’un genre particulier, perceptible de nuit, qui devait être qualifiée de défaut. Compte tenu du caractère nocturne, régulier et intense du bruit, il se justifiait d’arrêter la réduction due à 20% du loyer depuis le 1er mai 2005 jusqu’au départ des locataires, soit le 31 août 2005.

B. Dans leur acte d'appel, déposé au greffe de la Cour le 21 décembre 2006, A______ et B______ concluent à l’annulation du jugement entrepris et à ce que la Cour, statuant à nouveau, réduise le loyer de 35% du 1er juillet 2003 au 31 décembre 2004, et de 20% du 1er janvier au 31 août 2005 en raison des nuisances du chantier, puis cumulativement de 15% du 3 novembre 2003 au 31 décembre 2004 suivi de 20% du 1er janvier 2005 au 31 août 2005, en raison des nuisances provoquées par les trains, le trop-perçu devant être restitué par la bailleresse.

L’intimée a conclu à la confirmation du jugement entrepris.

C. Les faits suivants résultent de la procédure :

a. Les parties sont liées par un bail portant sur un appartement de 4 pièces no 51 au 5e étage de l’immeuble situé no. ______, rue 1______. Le bail a été conclu avec effet au 1er mars 2000 puis s’est renouvelé tacitement d’année en année. Le loyer annuel a été fixé à 14'880 fr., charges non comprises. Il a été réduit à 13'764 fr., charges non comprises, dès le 1er mars 2004, selon procès-verbal de conciliation du 14 août 2003.

Le bâtiment se situe à proximité de la gare de Cornavin.

b. Un chantier portant sur la démolition et la reconstruction d’un immeuble a débuté dans le courant de l’été 2003, à l’angle des rues 2______ et 1______.

Par courrier du 3 novembre 2003 adressé à la régie, les appelants se sont plaints du bruit des « trax », camions, grues et vibreurs de béton du chantier situés en face de l’immeuble, lequel rendait le séjour dans l’appartement impossible. Les fenêtres et volets avaient dû rester fermés pendant l’été. La poussière et « la pourriture » des bâtiments démolis causaient des crises d’asthme à B______. En outre, ils étaient dérangés dès 6h du matin par le bruit provenant d’un ventilateur situé sur le toit de l’immeuble. Enfin, le trafic nocturne des trains sur la voie située à proximité de l’immeuble avait augmenté, de telle sorte qu’il n’était plus possible de dormir avec les fenêtres ouvertes. La température dans l’appartement avait ainsi dépassé les 30 degrés durant l’été. Une réduction d’au moins 30% du loyer était donc réclamée avec effet au 1er juillet 2003.

c. Un courrier signé par plusieurs locataires de l’immeuble a également été transmis à la régie le 4 novembre 2003. Ceux-ci ont évoqué les désagréments dus au chantier, en particulier le bruit causé par les machines, situé en face de leur immeuble, et cela, dès 6h le matin, ainsi que les nuisances provoquées par les trains et l’atelier des CFF tout proches. Ils ont donc demandé qu’une baisse du loyer leur soit accordée.

d. Les appelants se sont adressés à la direction des CFF le 6 novembre 2003 pour se plaindre du bruit causé la nuit par la circulation des trains à proximité de leur immeuble.

e. Le 7 novembre 2003, la régie répondait qu’une baisse de loyer ne pouvait être accordée, la bailleresse n’étant pas le maître d’œuvre du chantier litigieux.

f. Le 10 décembre 2003, les CFF ont indiqué aux locataires que le déplacement des trains de la gare vers le centre d’entretien situé près de l’immeuble était nécessaire, tant pour le garage des trains que pour l’entretien des rames. Les trains empruntaient les voies principales de circulation et devaient par conséquent circuler entre les arrivées et départs des trains. Une circulation sans aucun arrêt sur le tronçon en cause n’était dès lors pas possible, la signalisation devant être respectée. Cependant, le garage des deux trains les plus bruyants allait être modifié dès le 14 décembre 2003, afin de limiter au maximum le bruit provenant de la zone du centre d’entretien.

g. Par pli du 22 janvier 2004, l’entreprise E______, en charge de la réalisation du chantier incriminé, répondait à la régie qu’elle refusait de verser une indemnité pour couvrir les demandes des locataires dans la mesure où le chantier en cours, réalisé en milieu urbain, était un chantier ordinaire, ne provoquant pas de nuisances spéciales. Tout était mis en œuvre pour limiter au maximum la durée des travaux.

h. Le 13 février 2004, les locataires, par le biais de l’ASLOCA, ont invité la régie à revoir sa position, les nuisances dénoncées justifiant une réduction de loyer de 30%.

i. La régie a cependant réitéré son refus par courrier du 19 février 2004 et s’est étonnée que les locataires invoquent des nuisances provenant de la voie ferrée puisque l’environnement de l’immeuble leur était connu lors de la signature du bail.

j. Le 26 avril 2004, les CFF précisaient à nouveau que le mouvement des trains était important pour une gare telle que celle de Genève. Les nuisances évoquées provenaient certainement des rames du TGV, lesquelles étaient raccordées à la prise de préchauffage environ 30 minutes avant le départ, soit à 5h40 du matin pour le premier TGV en partance pour Paris. Toutefois, ce train circulait avec cet horaire depuis plusieurs années déjà. Les rames « TER » à moteur diesel, en circulation depuis quelques mois, causaient un bruit moins important, lequel ne pouvait être diminué.

k. Par courrier du 1er février 2005, la bailleresse réservait tous ses droits à l’encontre de l’entreprise E______ dans l’hypothèse où elle serait condamnée à réduire le loyer de ses locataires en raison des nuisances causées par les travaux de construction en cours.

l. Par pli de conseil du 18 mai 2005, la bailleresse a adressé la même réserve aux CFF, s’agissant des nuisances causées par l’exploitation des rames.

m. Le 14 juin 2005, la régie a accepté la résiliation du bail des époux A______/B______ avec effet au 31 août 2005.

n. Les locataires ont saisi la Commission de conciliation par requête du 9 août 2004, déclarée non conciliée le 7 avril 2005 et introduite devant le Tribunal le 15 avril 2005. Ils ont conclu à une réduction de 35% du 1er juillet 2003 au 31 décembre 2004 puis de 25% du 1er janvier 2004 (recte : 1er janvier 2005) jusqu’à la fin des nuisances occasionnées par les travaux. Ils ont conclu en outre à une réduction de 15% dès le 3 novembre 2003 jusqu’à la fin des nuisances provoquées par les trains, voire de manière définitive si ces nuisances ne pouvaient pas être supprimées.

o. Par mémoire du 21 juin 2005, la bailleresse a conclu au déboutement des locataires.

p. Les parties ont été entendues par le Tribunal lors d’une audience de comparution personnelle le 9 novembre 2005. A______ a confirmé qu’il avait subi d’importantes nuisances durant la première période du chantier, soit depuis l’été 2003 jusqu’à la fin de l’année 2003, consacrée aux travaux de démolition très bruyants avec usage de grosses machines qui avaient provoqué des vibrations. Concernant le bruit causé par le trafic ferroviaire, il a expliqué qu’aucun train ne passait sur la voie à proximité de l’immeuble jusqu’en automne 2002. En été 2003, les trains ont commencé à circuler régulièrement, à la cadence d’un toutes les trente minutes. Le trafic avait diminué en 2004 puis une installation avait été construite sur les voies à la fin de l’année 2004, laquelle provoquait un bruit épouvantable au passage des trains. Il a indiqué que son épouse et lui exploitaient une entreprise d’informatique à leur domicile. Son épouse, asthmatique, avait été davantage gênée que lui la journée par le chantier, notamment par la poussière, dès lors que pour sa part, il se déplaçait fréquemment chez des clients. Son épouse et lui avaient finalement décidé de déménager, vu les nuisances.

q. Le Tribunal a ordonné l’ouverture d’enquêtes, 10 témoins ont été entendus.

Six locataires de l’immeuble ont notamment été cités devant le Tribunal.

Il en résulte que le trafic sur la voie de passage entre l’immeuble et le bâtiment d’entretien des CFF a augmenté durant les dernières années. Les autres voies sont situées au-delà du bâtiment précité de sorte que le trafic sur ces voies n’est pas gênant. Quatre témoins ont indiqué qu’ils n’étaient pas spécialement gênés par ce trafic. Les locataires qui ont une chambre à coucher qui ne donne pas sur les voies ont affirmé qu’ils n’étaient pas perturbés la nuit par le bruit des trains. Sur les deux témoins qui bénéficient d’une autre configuration, l’un a indiqué qu’il était fréquemment perturbé dans son sommeil et l’autre non. Trois témoins ont fait état du bruit provoqué par la nouvelle installation de contrôle des essieux située sur les voies, et cela depuis la fin de l’année 2004 voire au printemps de l’année 2005. Ce bruit a été décrit comme un « tac, tac » perceptible à chaque passage d’essieu et qui dure environ une à deux minutes. Selon le représentant des CFF, le système incriminé, dénommé ARGUS, installé environ en mai-juin 2005, permet de vérifier l’état des essieux et provoque un claquement à chaque passage. Ce système ne pouvait être posé que sur cette voie car il n’y avait pas assez de place de l’autre côté du centre d’entretien, soit du côté des voies de trafic en direction de Lausanne. Ledit centre existait depuis 1999-2000. Les opérations d’entretien ont lieu 24 heures sur 24.

Concernant le chantier de l’immeuble voisin, un représentant de la direction des travaux a précisé que les ouvriers commençaient à travailler vers 7h30 jusqu’à 17h avec une pause à midi. Le chantier avait duré deux ans. Il s’était achevé en octobre 2005. Dans une première phase, un bâtiment existant avait été détruit. Il n’a pas pu indiquer les machines utilisées sur place mais des pelles de chantier avaient été employées durant les travaux d’excavation. Des mesures avaient été prises pour réduire la poussière. En particulier, un balayage et un arrosage avaient été effectués pour nettoyer la route proche. Les photographies versées à la procédure illustraient le gros œuvre. La direction du chantier n’avait enregistré aucune plainte du voisinage. L’architecte responsable a expliqué que la période la plus bruyante avait été celle de la démolition des bâtiments existants. Par la suite, le chantier avait évolué sans particularité. Le concierge s’est chargé de nettoyer l’immeuble un peu plus souvent les jours de vent, lequel amenait la poussière du côté de l’immeuble situé no. ______, rue 1______. Quant aux six habitants de l’immeuble, deux ont affirmé ne pas avoir été gênés par les travaux, étant précisé qu’ils étaient absents durant les heures du chantier. Deux autres ont confirmé qu’il y avait eu du bruit mais qu’il fallait l’accepter dans le cadre d’un chantier, même si le bruit était gênant. Enfin, les deux derniers ont évoqué des nuisances surtout durant la démolition et le gros œuvre. En particulier selon le témoin F______, « le bruit était le pire durant la période de destruction des anciens bâtiments ». Les fenêtres devaient être fermées pour échapper au bruit et à la poussière.

r. Les locataires ont modifié quelque peu leurs conclusions au terme des enquêtes, réclamant désormais une réduction de loyer de 35% du 1er juillet 2003 au 31 décembre 2004 puis de 20% du 1er janvier au 31 août 2005 en raison des nuisances du chantier, ainsi qu’une réduction de 15% du 3 novembre 2003 au 31 décembre 2004, puis de 20% du 1er janvier au 31 août 2005 en raison des nuisances provoquées par les trains. La bailleresse a persisté dans ses conclusions.

D. L'argumentation juridique des parties sera examinée ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             L'appel est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 443, 30 al. 1 lit. c et 444 LPC).

2.             Compte tenu de la nature du litige, le Tribunal des baux et loyers a statué en premier ressort (art. 56 P LOJ). La Chambre d’appel revoit dès lors la cause librement; sous réserve de l’immutabilité du litige, elle peut connaître de nouvelles conclusions, de nouveaux allégués et de nouvelles preuves (BERTOSSA/GAILLARD/GUYET/SCHMIDT, Commentaire de la loi de procédure civile, ad art. 291 LPC, no 15 et ad art. 445 LPC, no 2).

3.             3.1 Selon l’art. 259d CO, si la chose louée est affectée d’un défaut qui entrave ou restreint l’usage pour lequel elle a été louée, le locataire peut exiger du bailleur une réduction proportionnelle du loyer à partir du moment où le bailleur a eu connaissance du défaut jusqu’à l’élimination de ce dernier.

Parmi les défauts qui surviennent pendant la durée du bail, la loi distingue, d’une part, les menus défauts, à la charge du locataire (art. 259 CO) et, d’autre part, les défauts de moyenne importance et les défauts graves, qui ouvrent au locataire les droits prévus à l’art. 259a CO, en particulier, la remise en état de la chose, la réduction de loyer et les dommages-intérêts.

La notion de défaut est identique quel que soit le ou les moyens mis en œuvre par le locataire (arrêt du Tribunal fédéral 4C.97/2003, consid. 3.2). Faute de définition légale, elle doit être rapprochée de l’état approprié à l’usage pour lequel la chose a été louée, au sens de l’art. 256 al. 1 CO. Elle suppose la comparaison entre l’état réel de la chose et l’état convenu (arrêt précité, consid. 3.1; SJ 1997 p. 661 et ss, consid. 3a). Il y a ainsi défaut lorsque la chose ne présente pas une qualité que le bailleur avait promise (HIGI, Commentaire zurichois, n. 27 et 29, ad art. 258 CO) ou sur laquelle le locataire pouvait légitimement compter en se référant à l’état approprié à l’usage convenu (TERCIER, Les contrats spéciaux, 3e éd., n. 1869, p. 271-272).

Le défaut de la chose louée est une notion relative. Son existence dépendra des circonstances du cas particulier. Il convient de prendre en compte notamment la destination de l’objet loué, l’âge et le type de la construction et le montant du loyer (WESSNER, Le bail à loyer et les nuisances causées par des tiers en droit privé, 12e Séminaire sur le droit du bail, 2002, pp. 23-24; LACHAT, Le bail à loyer, p.143; HIGI, op. cit., n. 28 ad art. 258 CO).

3.2 Lorsque l’amoindrissement de la chose louée a sa source dans le voisinage, notamment dans des immissions provenant de celui-ci, le Tribunal doit déterminer dans quelle mesure le preneur peut, raisonnablement et d’un point de vue objectif, s’attendre à user de la chose louée, respectivement à ne pas subir de nuisances. Seules les immissions excédant cette mesure constituent un défaut de la chose louée qui justifie une diminution de loyer au sens de l’art. 259d CO. Les principes posés dans le cadre des art. 679 et 684 CC, relatifs au droit du voisinage, sont applicables par analogie. Une réduction de loyer exige ainsi que les nuisances excèdent, par leur nature, leur intensité et leur durée, ce qui peut être admis normalement dans l’utilisation d’un bien-fonds conformément aux règles générales du droit de voisinage et cela même si les travaux entrepris sont parfaitement conformes à la loi (arrêt du Tribunal fédéral du 16 août 2005, 5C.117/2005, Cahiers du bail 3/06, p. 69 et ss.; arrêt du Tribunal fédéral du 24 septembre 1985, C.144/1985, SJ 1986 p. 197-198). Il faut ainsi que les désagréments excèdent les limites de la tolérance. Le moment auquel le bruit est perçu est également important. Ainsi, des nuisances sonores propres à perturber le sommeil sont excessives dans n’importe quel logement d’habitation, indépendamment du montant du loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4C. 368/2004 consid. 4; 4C. 65/2002 consid. 3c).

Le fait de vivre en milieu urbain est un critère pertinent dans le cadre de la détermination de l’usage convenu des locaux. Cependant, savoir en quoi consiste l’usage convenu lorsque les locataires habitent en ville, se détermine en fonction des conditions de la vie citadine, qui peuvent varier. Ce qui importe est de savoir ce que le locataire pouvait raisonnablement attendre d’après les circonstances du cas d’espèce (arrêt du Tribunal fédéral du 2 décembre 2004, 4C.377/2004, consid. 2.3).

En louant un objet, le locataire peut et doit compter avec la possibilité de certaines entraves mineures inhérentes à l’usage de la chose et ne justifiant pas une réduction du loyer. Tel peut être le cas, en milieu urbain, de l’ouverture d’un chantier dans la mesure où celui-ci n’entraîne pas de nuisances spéciales (CdB 2/03, pp. 54 et ss).

3.3 Conformément à l’art. 259d CO, la réduction du loyer est proportionnelle au défaut. En principe, il convient de procéder selon la méthode dite relative ou proportionnelle, telle qu’elle est pratiquée dans le contrat de vente : la valeur objective de la chose avec défaut est rapportée à sa valeur objective sans défaut, le loyer étant ensuite réduit dans la même proportion. Cependant le calcul proportionnel n’est pas toujours aisé, notamment lorsque le défaut est de moyenne importance. Il est alors admis qu’une appréciation en équité, par référence à l’expérience générale de la vie, au bon sens et à la casuistique, n’est pas contraire au droit fédéral (SJ 1997 p. 661 et ss, spéc. 666). En particulier, une évaluation en équité de la diminution de jouissance de la chose louée se justifie lorsque les preuves de l’intensité des nuisances et de l’entrave à l’usage ne peuvent être fournies au jour le jour (arrêt du Tribunal fédéral du 24 octobre 2005, 4C. 219/2005, consid. 2.4).

Ainsi, la Cour a déjà eu l’occasion de juger qu’il se justifiait de réduire de 10% le loyer en cas de rénovation des façades, de création d’un ascenseur, et d’aménagement des combles (bruit, poussière, échafaudages : ACJ no 972 du 4.10.99 R. c/ SI G). De manière plus générale, la jurisprudence admet, selon l’intensité des travaux pour une transformation lourde d’un immeuble voisin, une réduction de loyer de 10 à 15% (ACJ no 1257 du 10.12.2001; ACJ du 12.11.1984,; ACJ du 1.06.1987; ATF du 24.09.1985 = SJ 1986 p. 195). Une réduction de 40% de loyer a été exceptionnellement accordée à un centre d’enseignement de langue et de traduction dans le cas de réfection des parties communes d’un immeuble avec utilisation d’une tronçonneuse et de marteaux-piqueurs (SJ 1986 p. 195). Plus récemment, le Tribunal fédéral a estimé qu’une réduction de 37% sur 27 mois était bien fondée pour compenser les nuisances engendrées par deux chantiers voisins. Le bruit et les secousses massives avaient réduit fortement l’usage d’un cabinet d’ophtalmologie (arrêt du Tribunal fédéral du 2.12.2004 4C.377/2004). La Cour a réduit de 60% le loyer de bureaux exploités par une agence de placement dont l’utilisation s’était révélée pratiquement impossible pendant un an durant la phase du gros-oeuvre suite à l’installation d’un chantier de démolition et de reconstruction d’un bâtiment au centre-ville. Les nuisances étaient telles qu’il était difficile de tenir une conversation téléphonique (ACJ no 533 du 9 mai 2005). En revanche, une réduction de loyer de 10% a été retenue en faveur de locataires d’un logement ayant subi des nuisances sonores et de la poussière lors de la construction de deux immeubles locatifs en face de leur appartement à G______ [GE]. La réduction avait été fixée pour toute la durée du gros-œuvre (ACJ no 106 du 6 février 2006). Enfin, une réduction de 15% a été jugée adéquate dans un cas similaire sous réserve de la situation du logement, à l’écart des principaux axes routiers dans un environnement calme, et de l’intensité des nuisances, plus élevées et constantes au point que certains habitants avaient indiqué qu’il était difficile d’avoir une conversation avec les fenêtres ouvertes.

3.4 Il appartient au locataire qui entend se prévaloir des art. 258 et ss CO d’apporter la preuve de l’existence des défauts et de la diminution de l’usage de l’objet loué.

3.5 La réduction de loyer ne suppose pas que le défaut soit imputable au bailleur. Celui-ci doit réduire le loyer même lorsqu’il n’est pas responsable de la survenance du défaut (LACHAT, op. cit., p. 164).

3.6 La responsabilité du bailleur n’est pas engagée pour les défauts que le preneur connaissait lors de la conclusion du contrat ou qu’il aurait dû connaître en déployant l’attention commandée par les circonstances existant à l’époque de la conclusion initiale du contrat (SJ 1986 p. 195).

3.7 En l’espèce, les locataires réclament en premier lieu une réduction de loyer en raison du bruit et de la poussière provoqués par le chantier voisin. Les nuisances alléguées résultent de la construction d’un immeuble d’habitations de plusieurs étages à proximité immédiate de l’immeuble abritant le logement des appelants. Le chantier a débuté à la fin du mois de juin 2003 aux dires de la bailleresse. Les habitants de l’immeuble ont également indiqué que les nuisances avaient débuté durant l’été 2003. Il s’est achevé en octobre 2005, selon la direction du chantier. Toutefois, les appelants ont quitté leur logement le 31 août 2005. L’horaire du chantier a été conforme à l’usage. Les diverses étapes du chantier et les machines utilisées n’ont pas été clairement précisées lors des enquêtes. Cependant, le directeur du chantier a reconnu que la phase de la démolition avait été (la plus) bruyante avec l’utilisation de pelles de chantier. L’appelant et le témoin F______ ont également insisté sur le bruit intense régnant à cette période. Les photographies produites illustrent également un chantier d’une ampleur certaine avec une large surface excavée à côté de l’immeuble des appelants. Selon le cours ordinaire des choses, la poussière générée par de tels travaux a dû être importante.

Le planning du chantier résulte d’une pièce produite par la bailleresse dont la teneur n’a pas été contestée. La Cour retiendra dès lors que la phase de démolition-terrassement s’est achevée fin janvier 2004. La procédure ne révèle en effet pas l’existence de problèmes ou de complications particulières relatives à l’avancement des travaux.

Au vu des témoignages et des pièces produites, force est de constater que cette phase a provoqué des nuisances qui excèdent les limites de la tolérance, même en milieu urbain. Ces travaux ont nécessité à l’évidence l’emploi de machines bruyantes. Vu le chantier en cause, d’une certaine envergure, il est permis de considérer que le bruit et la poussière durant cette phase ont été gênants, dans une mesure dépassant ce qui est supportable sans indemnité. Certes, certains habitants, entendus devant le Tribunal, ont affirmé n’avoir pas été spécialement gênés mais ils étaient absents de leur domicile pendant l’horaire du chantier ou ont relevé que le bruit devait être accepté ce qui ne signifie pas qu’il faille le considérer comme acceptable d’un point de vue objectif.

En revanche, les locataires n’ont pas établi l’existence de nuisances excessives pour les autres phases du chantier.

3.8 S’agissant du taux de réduction, un pourcentage de 10% apparaît adapté vu la casuistique sus-évoquée. L’appartement des appelants est situé dans un quartier bruyant, à proximité des voies de chemins de fer et leur loyer est relativement modéré. Ils n’ont pas souffert de nuisances en dehors de l’horaire du chantier, soit entre 7h30 et 17h, lequel a été respecté. Contrairement à ce que soutiennent les appelants, on ne saurait appliquer au cas d’espèce le même pourcentage de réduction que celui (40-60%) retenu pour des locataires exploitant une agence de placement située a proximité d’un chantier rendant les bureaux quasi inutilisables la journée pendant plusieurs mois. Les appelants ont du reste admis en appel que les locaux étaient destinés à l’habitation et non pas à une exploitation commerciale. Par ailleurs, comme le Tribunal l’a relevé à juste titre, des mesures ont été prises pour limiter la propagation de la poussière. Aucun des témoins entendus n’a décrit des nuisances ou des circonstances extraordinaires comparables à celles fixées dans des cas ayant justifié un taux de réduction plus élevé.

En l’occurrence, une réduction du loyer de 10% sera retenue.

3.9 S’agissant de la prise d’effet de la réduction de loyer, la loi prévoit que le locataire a l’obligation de signaler au bailleur les défauts auxquels il n’est pas tenu de remédier lui-même (art. 257g al. 1 CO). En vertu de l’art. 259d CO, le locataire a droit à une réduction du loyer à partir du moment où le bailleur a eu connaissance du défaut. Si le locataire signale tardivement un défaut dont le bailleur n’avait pas connaissance, la réception par le bailleur de l’avis des défauts constitue le dies a quo de la réduction de loyer (art. 259d CO). La connaissance du défaut est imputable au bailleur, qu’il l’ait appris personnellement ou par un auxiliaire ou un tiers (LACHAT, op. cit., p.170). La doctrine spécialisée tient pour suffisant que le bailleur ait constaté l’existence du défaut de visu ou qu’il soit informé par le concierge ou un technicien de la gérance (RIZZOLIO, Les travaux de rénovation et de modification de la chose louée entrepris par le bailleur, thèse Lausanne 1998, p. 308, note 31). Il est donc envisageable que le bailleur ait connaissance du défaut avant d’avoir reçu une réclamation d’un locataire à ce sujet. Dans ce cas, la déclaration du locataire par laquelle il exige une réduction du loyer déploie des effets rétroactifs au moment où le bailleur a eu connaissance du défaut (SJ 2004 I p. 568). Dans le cadre d’un chantier ordinaire en cours dans le voisinage, le bailleur peut légitimement partir de l’idée que les locataires ne subissent aucune nuisance particulière aussi longtemps que lui ou son représentant n’ont reçu aucune plainte (ACJ no 115 du 6.02.2006).

En l’espèce, l’intimée a été informée des nuisances liées au chantier par une lettre des locataires du 3 novembre 2003, reçue le lendemain par sa régie mandataire. Le chantier litigieux n’a pas été engagé par la bailleresse et celui-ci n’a pas suscité de plaintes avant cette date, ni auprès du concierge ni auprès de la direction des travaux, laquelle aurait par hypothèse pu contacter la bailleresse à ce sujet. Le fait que le concierge a procédé à un nettoyage plus intensif et que, vivant sur place, il était au courant du chantier, n’est pas suffisant. Entendu devant le Tribunal, il a du reste affirmé qu’il n’avait pas été dérangé et que la situation n’était pas épouvantable. La date de prise d’effet de la réduction du loyer sera ainsi arrêtée au 4 novembre 2003 et sa date d’échéance, au 31 janvier 2004.

4. En revanche, la Cour partage l’avis du Tribunal selon lequel aucun défaut ne résulte du bruit provoqué par le trafic des trains, même si celui-ci s’est développé au fil des mois. Il ne s’agit en effet pas d’une circonstance inconnue et imprévisible des locataires lorsqu’ils ont pris à bail leur logement, lequel est situé dans l’environnement immédiat de la gare de Cornavin. Qui plus est, le centre d’entretien des CFF existait déjà à l’époque.

5. Enfin, le Tribunal a jugé que le bruit causé par l’installation en mai 2005 du système ANGUS, perceptible de nuit, était constitutif d’un défaut, justifiant une réduction de 20%. La bailleresse n’a pas remis en question ce point du dispositif. Les locataires ne contestent pas le taux mais uniquement la prise d’effet de la réduction, laquelle devrait être arrêtée dès le 1er janvier 2005. Cependant, les enquêtes ont établi que ce système avait été installé vers le mois de mai 2005, de telle sorte que le Tribunal a à bon droit retenu la date du 1er mai 2005.

6. En définitive, l’appel est partiellement fondé et le jugement ne doit être réformé qu’en ce qui concerne la période du 4 novembre 2003 au 31 janvier 2004. Par mesure de simplification, le jugement sera entièrement annulé et la Cour statuera par un nouveau dispositif complet.

7. Dans la mesure où chacune des parties succombe sur une part de ses conclusions, chacune supportera un émolument (art. 447 al. 2 LPC). L’émolument mis à la charge des appelants sera toutefois légèrement plus élevé, ceux-ci n’obtenant gain de cause que sur une petite partie de leurs conclusions.

8. Au vu des conclusions devant la Cour, la valeur litigieuse semble a priori s’élever à moins de 15'000 fr., compte tenu des réductions demandées en appel par les locataires sur une durée déterminée, sous déduction de la réduction retenue par le Tribunal (soit 1’736 fr. + 7’471 fr. + 3’670 fr. 40 réclamés par les appelants moins 917 fr. 60 retenus par le Tribunal).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

A la forme :

Reçoit l'appel interjeté par A______ et B______ contre le jugement JTBL/1590/2006 rendu par le Tribunal des baux et loyers le 22 novembre 2006 dans la cause C/18283/2004–2–D.

Au fond :

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Réduit de 10% du 4 novembre 2003 au 31 janvier 2004 et de 20% du 1er mai au 31 août 2005 le loyer de l’appartement de quatre pièces sis au cinquième étage de l’immeuble sis no. ______, rue 1______ à Genève.

Condamne C______ SA à rembourser à A______ et B______ le trop-perçu de loyer.

Condamne A______ et B______ à verser à l'Etat de Genève un émolument d'appel de 300 fr.

Condamne C______ SA à verser à l’Etat de Genève un émolument d'appel de 100 fr.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur François CHAIX, président; Mesdames Marguerite JACOT-DES-COMBES et Florence KRAUSKOPF, juges; Mesdames Nathalie THURLER et Sabina MASCOTTO, juges assesseurs; Madame Muriel REHFUSS, greffier.

 

Le président :

François CHAIX

 

Le greffier :

Muriel REHFUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.