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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/4142/2024

DCSO/181/2025 du 01.04.2025 ( PLAINT ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4142/2024-CS DCSO/181/25

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 13 MARS 2025

Plaintes 17 LP (A/4142/2024-CS) formées en date du 13 décembre 2024 par A______, avocat.

* * * * *

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______

Etude B______

______, ______.

- C______

Case postale ______

______, ______.

- ASSOCIATION D______

c/o C______
Case postale ______

______, ______.

- ASSOCIATION E______

c/o C______
Case postale ______

______, ______.

- Office cantonal des poursuites.


EN FAIT

A. a. FONDATION DE PREVOYANCE F______ (ci-après F______) est propriétaire de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève.

b. Elle a remis à bail à G______ et H______ une surface de bureau de 127 m2 au septième étage de cet immeuble, pour une durée déterminée de trois ans, du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2017, dans l'optique d'y exploiter une activité à l'enseigne "Cabinet et Fondation D______". Le bail pouvait être renouvelé une fois pour une durée d'un an, option dont ne disposaient que les locataires.

Les parties sont convenues d'une durée déterminée du bail et d'un renouvellement unique parce que la bailleresse projetait des travaux de surélévation de l'immeuble qui impliquaient la libération du septième étage. La date précise des travaux n'était toutefois pas encore déterminée en raison de la procédure d'autorisation de construire qui n'était pas achevée.

c. Trois contrats de bail portant sur trois places de stationnement en sous-sol de l'immeuble liaient les mêmes parties, d'une durée indéterminée, résiliables dans un délai de trois pour un terme trimestriel.

d. Par avenant du 6 novembre 2017, G______ est devenue seule locataire des quatre objets susmentionnés.

e. C______, compagnon de G______, occupait également les locaux. Il en allait de même de l'association E______ (également désignée E______ ou E______ - ci-après E______), animée par C______, et de l'ASSOCIATION D______ (ci-après D______), animée par G______ et C______.

Concrètement, C______ et G______, tous deux médecins, habitaient et exploitaient un cabinet médical dans les locaux.

f. Le 28 septembre 2018, G______ a ouvert action en constatation du fait que le bail était devenu de durée indéterminée.

Parallèlement, F______ a requis l'évacuation de la locataire.

Par jugement JTBL/1249/2019 du 18 décembre 2019, le Tribunal des baux et loyers a rejeté la requête d'évacuation, jugement confirmé par arrêt de la Cour de justice ACJC/12/2021 du 11 janvier 2021. G______ a retiré sa demande en constatation du fait que le bail était devenu de durée indéterminée.

g. L'autorisation de construire pour élever l'immeuble a été octroyée à F______ le 30 août 2020, suite au rejet du recours formé par la locataire par jugement JTAPI/516/2020 du 18 juin 2020 du Tribunal administratif de première instance, confirmé par arrêt ATA/30/2021 de la Cour de justice du 12 janvier 2021.

h. F______ a résilié les baux portant sur les locaux et les trois places de stationnement pour le 30 septembre 2021 au motif que les travaux de surélévation de l'immeuble allaient commencer.

i. G______ s'est opposée judiciairement aux résiliations, procédure qui a conduit à un jugement JTBL/448/2022 du 3 juin 2022 constatant leur validité et octroyant une unique prolongation des baux d'un an et trois mois, échéant le 31 décembre 2022. Ce jugement a été confirmé par arrêt ACJC/1071/2023 du 28 août 2023 de la Cour de justice. Cet arrêt a été entrepris devant le Tribunal fédéral, lequel a toutefois refusé l'effet suspensif au recours par ordonnance du 4 octobre 2023.

j. F______ a requis le 27 octobre 2023 l'évacuation de la locataire, laquelle a été prononcée par jugement JTBL/106/2024 du 25 janvier 2024.

G______ ayant recouru contre ce jugement, la Cour de justice a admis, par arrêt ACJC/298/2024 du 5 mars 2024, la requête en exécution anticipée du jugement formée par F______, décision confirmée par arrêt du Tribunal fédéral du 12 avril 2024.

k. F______ a également requis, le 6 février 2024, l'évacuation de C______, E______ et D______ des locaux et des places de stationnement, lesquelles ont été prononcées par jugements JTBL/422/2024, JTBL/421/2024 et JTBL/420/2024 le 18 avril 2024.

Ces jugements ont fait l'objet de recours déposés les 27 mai et 12 juin 202. Par arrêts ACJC/901/2024, ACJC/899/2024 et ACJC/900/2024 du 10 juillet 2024, la Cour de justice a refusé d'entrer en matière en raison de leur inconvenance et de leur prolixité.

l. Par jugement JTBL/1044/2024 du 17 octobre 2024, le Tribunal des baux et loyer, statuant en procédure de cas clair, a condamné G______ à verser à F______ la somme de 9'306 fr. 25 en capital, plus intérêts, à titre de réparations de frais d'évacuation et ordonné la mainlevée de l'opposition formée par la locataire au commandement de payer portant sur cette créance.

m. Dans le cadre de toutes ces procédures, F______ a été représentée par Me A______.

n. Parallèlement à ces procédures, dès janvier 2024, C______ et G______ ont déposé des plaintes pénales et plaintes auprès de la Commission du barreau, notamment contre Me A______ et contre le juge en charge de la plupart des procédures devant le Tribunal des baux et loyer. Il s'agit de textes confus, recourant à des termes particulièrement excessifs pour qualifier l'activité des personnes visées : prévarication, corruption, collusion entre juges, fraude et forfaiture, vices majeurs de procédure, chantage, intimidation, menaces, coercition, contrainte, complot en bande organisée, abus de pouvoir, népotisme, violations holistiques et multistratifiées des droits de G______, conspiration contre l'Etat de droit, trahison de la Constitution fédérale, coup d'état institutionnel judiciaire, etc. Ils mettent notamment en cause le fait que Me A______ occuperait, parallèlement à son activité d'avocat, la fonction de juge suppléant au Tribunal civil, dont relève le Tribunal des baux et loyers. Ces courriers de plainte ont été adressés en copie à de nombreuses personnes et autorités.

Le président de la Commission du barreau a classé la plainte contre Me A______ par décision du 25 mars 2024 au motif que celui-ci s'était limité à défendre les intérêts de sa cliente et qu'aucun manquement ne pouvait lui être reproché.

La procédure pénale est vraisemblablement toujours en cours.

o. Me A______ s'est vu notifier par l'Office cantonal des poursuites (ci-après l'Office) les actes poursuite suivants :

-      le 13 mars 2024, un commandement de payer, poursuite n° 2______, sur réquisition de C______, pour un montant de 28'000 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 11 février 2024, à titre de "conseils et protections des droits de Dr G______ [initiales], rédaction de plaintes, courriers, recours";

-      le 16 mai 2024, un commandement de payer, poursuite n° 3______, sur réquisition de l'ASSOCIATIOIN D______ (sic), représentée par C______, pour un montant de 25'200 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 6 février 2024, à titre de "défense des intérêts de D______, dommages punitifs pour les crimes et délits du débiteur";

-      le 16 mai 2024, un commandement de payer, poursuite n° 4______, sur réquisition de C______, pour un montant de 25'200 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 6 février 2024, à titre de "dommages punitifs et défense de mes intérêts contre les attaques du débiteur";

-      le 16 mai 2024, un commandement de payer, poursuite n° 5______, sur réquisition de E______, représentée par C______, pour un montant de 25'200 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 6 février 2024, à titre de "défense intérêts E______, dommages punitifs – Crimes et délits du débiteur";

-      le 3 décembre 2024, un commandement de payer, poursuite n° 6______, sur réquisition de C______, pour un montant total 142'070 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès diverses dates, à titre de "défense de ses intérêts liée à l'expulsion de son cabinet, fondée sur de fausses procédures, forfaitures entachées de vices majeurs de procédure, puis introduction de faux titres de créances, violant l'art. 251exp276 CP, passible de 5 ans de prison, aggravé par deux tentatives et escroquerie réalisée (art. 146 al. 1), passible de 5 ans de prison, escroquerie par métier (art. 146 al. 2), passible de 1-10 ans de prison, soit 100 h. x 450 fr.; rétention, séquestre appropriation frauduleuse de caution, inexploitation du cabinet durant 5 mois et tort moral".

Le débiteur a formé opposition aux commandements de payer.

p. Me A______ a déposé plainte pénale contre C______ pour les attaques dont il était l'objet. La procédure est en cours.

B. a. Par acte expédié le 13 décembre 2024 à la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites (ci-après la Chambre de surveillance), Me A______ a formé une plainte contre les cinq poursuites intentées par C______, E______ et D______, concluant à ce que leur nullité soit constatée en raison de leur caractère abusif.

b. Dans ses déterminations du 20 janvier 2025, l'Office s'en est rapporté à justice sur la plainte, mais a observé que le caractère abusif des poursuites visées était vraisemblable au vu des circonstances du cas d'espèce.

c. C______ et G______ ont déposé le 20 janvier 2025 des observations concluant en substance au maintien des poursuites attaquées et s'en prenant au plaignant ainsi qu'aux autorités judiciaires en termes similaires à ceux déjà utilisés dans leurs écritures antérieures, mentionnées ci-dessus.

d. Les parties ont été informées par avis de la Chambre de surveillance du 11 février 2025 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de l'article 17 al. 1 LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre les mesures de l'Office ne pouvant être contestées par la voie judiciaire. L'autorité de surveillance doit par ailleurs constater, indépendamment de toute plainte (ATF 136 III 572 consid. 4), la nullité des mesures de l'Office contraires à des dispositions édictées dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure (art. 22 al. 1 LP).

1.2 La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). Elle peut également être déposée en tout temps en cas de nullité de l'acte contesté (art. 22 al. 1 LP), de retard à statuer et de déni de justice (art. 17 al. 3 LP).


 

1.3 En l'occurrence, la plainte été déposée plus de dix jours après la notification des commandements de payer contestés. Le constat du caractère abusif d'une poursuite entraînant toutefois sa nullité (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1), les griefs invoqués par le plaignant peuvent l'être en tout temps.

La plainte, par ailleurs motivée à satisfaction, est par conséquent recevable.

2. 2.1 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1).

La nullité d'une poursuite pour abus de droit ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, lorsque par esprit de chicane il requiert une poursuite pour un montant manifestement trop élevé, lorsqu'il reconnaît, devant l'Office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur, ou encore lorsqu'il requiert la poursuite en contradiction avec des attentes suscitées chez l'autre partie, par exemple en introduisant une nouvelle poursuite alors que des pourparlers sont sur le point d'aboutir en vue du retrait d'une poursuite précédente portant sur la même créance (venire contra factum proprium). L'existence d'un abus ne peut donc être reconnue que sur la base d'éléments ou d'un ensemble d'indices démontrant de façon patente que l'institution du droit de l'exécution forcée est détournée de sa finalité (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1, JdT 2015 II 298; 130 II 270 consid. 3.2.2; 115 III 18 consid. 3b, JdT 1991 II 76; arrêts du Tribunal fédéral 5A_1020/2018 du 11 février 2019, 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3; décision de la Chambre de surveillance DCSO/321/10 du 8 juillet 2010 consid. 3.b).

2.2 En l'espèce, C______, agissant pour lui-même et pour deux entités dont il est l'animateur, s'en prend personnellement au plaignant qui est l'avocat d'une partie adverse dans un litige d'ampleur qui dure depuis plusieurs années.

L'intimé a ainsi entrepris contre le plaignant une campagne de dénigrement par le biais de courriers envoyés tous azimuts, rédigés en termes confus et excessifs, véhiculant des accusations extrêmement graves. Les dénonciations à des instances disciplinaire ou pénale ont toutefois été classées pour la première, au motif qu'aucun manquement n'avait été constaté, et la seconde, vraisemblablement toujours en cours, n'a pas conduit en l'état à un constat de culpabilité.

Parallèlement, l'intimé a fait notifier au plaignant ce dernier des commandements de payer des sommes importantes, pour des créances en réparation d'un prétendu préjudice fondées sur les diverses accusations qu'il lui adresse.

On ne voit pas, dans l'ensemble des démarches de l'intimé à l'encontre du plaignant, totalement inadéquates et disproportionnées, d'autre finalité que de lui nuire et de le tourmenter.

Les poursuites litigieuses participent de cette intention.

L'intimé n'ignore pas que l'existence de poursuites contre un avocat est susceptibles de lui être professionnellement préjudiciable, de sorte que ses poursuites à l'encontre du plaignant ne sont pas dénuées de contrainte, ce d'autant plus qu'elles sont nombreuses et portent sur des montants importants. De surcroît, ses griefs à l'encontre du poursuivi n'ont pas été validés par les autorités pénales ou disciplinaires – ces dernières ayant même constaté que le plaignant se limitait à défendre les intérêts de ses clients dans leurs litiges avec l'intimé – de sorte que les fondements de ses prétentions en réparation ne sont à l'évidence pas solides. Par ailleurs, les diverses poursuites entreprises, dans la mesure où l'on comprend leur cause et leur portée, se recoupent en grande partie, faisant double emploi et amplifiant d'autant leur effet nuisible. En définitive, il n'apparaît pas que l'objectif poursuivi par l'intimé soit réellement d'obtenir le paiement des montants en poursuite, mais plutôt de manifester par ce biais son animosité à l'encontre du plaignant.

En tant qu'elles participent d'une opération globale d'intimidation contre le plaignant, les poursuites entreprises doivent être qualifiées d'abusives et leur nullité sera constatée.

3. La procédure devant l'autorité de surveillance est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte du 13 décembre 2024 de A______ en vue de constater la nullité des poursuites n° 2______, n° 3______, n° 4______, n° 5______ et n° 6______, requises par C______, à titre personnel ou en qualité de représentant de l'ASSOCIATION D______ et de E______.

Au fond :

Constate la nullité desdites poursuites.

Siégeant :

Monsieur Jean REYMOND, président; Messieurs Alexandre BÖHLER et
Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Elise CAIRUS, greffière.

 

Le président :

Jean REYMOND

 

La greffière :

Elise CAIRUS

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.