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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/4248/2023

DCSO/333/2024 du 11.07.2024 ( PLAINT ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4248/2023-CS DCSO/333/24

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 11 JUILLET 2024

 

Plainte 17 LP (A/4248/2023-CS) formée en date du 21 décembre 2023 par A______ SA, représenté par Me Alexandre CAMOLETTI, avocat.

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______ SA

c/o Me CAMOLETTI Alexandre

AMORUSO & CAMOLETTI

Rue Jean-Gabriel Eynard 6

1205 Genève.

- B______ SARL, EN LIQUIDATION

c/o Me C______

______

______.

 


EN FAIT

A. a. La faillite de B______ SA a été prononcée par le Tribunal de première instance le ______ 1996.

b. La première assemblée des créanciers s'est tenue le 16 novembre 2016. Elle a décidé de confier la liquidation de la faillite à une administration spéciale, de désigner Me C______ pour assurer cette fonction et de renoncer à constituer une commission de surveillance.

c. L'état de collocation a été déposé le 5 octobre 2017.

La créance produite par A______ SA à raison de 9'418'179 fr. 88 a dans un premier temps été colloquée partiellement à hauteur 2'185'000 fr., puis en totalité à la suite d'un accord trouvé dans le cadre de la procédure en contestation de l'état de collocation intentée par A______ SA.

Une autre créance importante a été produite par D______ SARL, intégralement colloquée à hauteur de 1'179'130 fr. 10.

d. Par lettre circulaire du 27 juin 2019, l'administrateur spécial a présenté aux créanciers l'offre de reprise de gré à gré de tous les lots de propriété par étages détenus par la masse en faillite émanant des créanciers gagistes. Il leur était proposé d'admettre l'intégralité de la production de A______ SA. Les honoraires de liquidation étaient de 165'000 fr. et le dividende prévisible pour les créanciers de 3ème classe de 5,8%.

Les créanciers ont donné leur accord et n'ont pas formulé d'offres supérieures ni requis de cessions.

e. Le 12 septembre 2019, l'administrateur spécial a signé l'acte de vente des lots de propriété par étages détenus par la masse en faillite avec une entité qui a été créée par les créanciers gagistes en vue de terminer le chantier.

f. Postérieurement à la réalisation de ces actifs, l'administrateur spécial a eu des contacts avec l'administration fiscale en lien avec une éventuelle taxation de l'opération de vente.

Il a en outre procédé à l'encaissement de deux garanties fournies par la société faillie au Service de l'environnement en lien à l'abattage d'arbres, suite à leur libération. Il a, dans ce cadre, eu des contacts avec la banque émettrice de ces garanties.

Par courrier du 23 décembre 2019, l'administrateur spécial a confirmé à A______ SA avoir pu résoudre le problème fiscal.

Il a, en date du 30 janvier 2020, indiqué à cette dernière qu'il prendrait contact avec la banque pour résoudre les questions relatives à ces garanties et s'attèlerait à la finalisation de l'état de collocation définitif.

g. Par la suite, A______ SA a à diverses reprises tenté de prendre contact avec l'administrateur spécial en vue d'obtenir des informations sur l'avancement de la liquidation.

h. Elle a, à l'instar d'un autre créancier, relancé l'administrateur spécial à de nombreuses reprises durant l'année 2020.

i. Par courrier adressé à l'administrateur spécial le 2 mars 2021, A______ SA, tout en soulignant la pro-activité, la disponibilité et l'efficacité dont l'administrateur spécial avait fait preuve jusqu'à la vente des lots de copropriété par la masse en faillite à la société formée par les créanciers gagistes, s'est étonné de son long silence et de l'absence de progrès depuis plus d'un an en mentionnant ne pas oser devoir envisager de diligenter une plainte.

j. A la suite d'une nouvelle relance le 13 avril 2021, l'administrateur spécial a, le même jour, répondu à A______ SA qu'il déposerait son rapport final d'ici la fin du mois de mai 2021.

k. Le 24 mai 2021, l'administrateur spécial a relancé la banque émettrice des deux garanties bancaires afin d'en encaisser la contre-valeur.

l. Les 22 juin et 22 octobre 2021, A______ SA s'est à nouveau adressé à l'administrateur spécial pour s'étonner que l'état de collocation n'était toujours pas déposé et qu'elle entendait désormais déposer une plainte pour retard injustifié.

m. Plusieurs autres créanciers ont également interpellé l'administrateur spécial, sans obtenir de réponse.

n. Le 9 novembre 2022, A______ SA a consulté le dossier auprès de l'administrateur spécial.

B. a. Par acte adressé à la Chambre de surveillance le 21 décembre 2023, A______ SA a formé une plainte au sens de l'art. 17 al. 3 LP pour retard injustifié contre l'administrateur spéciale de la faillite de B______ SARL. Elle demande à la Chambre de surveillance de constater que l'administrateur spécial C______ tardait sans justification à liquider la masse en faillite de B______ SARL, à distribuer les deniers et à établir son rapport final au juge de la faillite, d'ordonner à l'administrateur spécial de dresser et déposer sans désemparer sous dix jours l'état de collocation définitif et, dès l'entrée en force de ce dernier, déposer sous cinq jours le tableau de distribution des deniers et, dès l'entrée en force de ce dernier, de distribuer les deniers sous cinq jours et, ceci fait, de déposer son rapport final au juge de la faillite dans les dix jours de la distribution des deniers, de condamner l'administrateur spécial à une astreinte de 1'000 fr. par jour de retard dans l'exécution de ces actions payable à la masse en faillite, de réduire ses honoraires à un montant ne dépassant pas 165'000 fr. TTC et de faire interdiction à l'administrateur spécial d'intervenir à l'avenir comme organe de faillite ou d'accepter un mandat d'administrateur spécial d'une faillite.

b. Dans ses observations datées du 12 février 2024, l'administrateur spécial de la faillite a conclu à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'il avait entamé les dernières opérations de liquidation, de ce qu'il s'engage à agir chaque fois dans les trente jours suivant l'acte lui permettant d'accomplir le prochain et de ce qu'à compter de début janvier 2024, ses tâches seraient facturées à un tarif horaire réduit selon sa requête en taxation, et, pour le surplus, à ce que les conclusions de A______ SA soient déclarées irrecevables, subsidiairement rejetées.

Il a admis qu'il y avait un retard dans la finalisation de ce dossier, relevant toutefois la complexité de ce dernier au regard de la finalisation des travaux à gérer en vue de permettre la vente des lots par les entrepreneurs, des transactions passées en lien avec les créances de la plaignante, des négociations à mener avec les artisans entrepreneurs et avec la créancière gagiste en vue de la reprise des immeubles par les entrepreneurs, du traitement des hypothèques légales sur les immeubles, l'établissement des états des charges, les négociations avec les autorités pénales en lien avec le séquestre pénal frappant les biens de E______, menaçant de compromettre l'opération de reprise envisagée. L'administrateur spécial s'est engagé à faire au plus vite. Il conteste en revanche la qualité de la plaignante pour prendre des conclusions au sujet de ses honoraires, estimant qu'il lui sera loisible de contester le tableau de distribution. Il s'oppose également au prononcé d'une astreinte journalière, qu'il estime irrecevable.

c. Le 23 février 2024, A______ SA a répliqué, persistant dans les conclusions de sa plainte.

d. A la suite de quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office, ou d'autres organes de l'exécution forcée, qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une mesure ou une omission d'un organe de la poursuite (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3).

La plainte doit en principe être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). Elle peut toutefois être déposée en tout temps lorsque la partie plaignante invoque un retard injustifié ou un déni de justice de la part de l'office (art. 17 al. 3 LP).

1.2 La plainte, qui respecte les exigences de forme prévues par la loi, émane en l'espèce d'un créancier, dont les intérêts sont touchés par le comportement qu'il reproche à l'Administration spéciale. Ce comportement constituant à son sens un déni de justice, la plainte pouvait par ailleurs être déposée en tout temps.

Elle est donc recevable.

2. 2.1.1 Il y a retard non justifié, au sens de l'art. 17 al. 3 LP, lorsqu'un organe de l'exécution forcée n'accomplit pas un acte qui lui incombe – d'office ou à la suite d'une requête régulière – dans le délai prévu par la loi ou dans un délai raisonnable compte tenu de l'ensemble des circonstances (BSK SchKG I - Cometta/Möckli (2021), n° 31-32 ad art. 17 LP; KUKO SchKG - Dieth/Wohl (2014), n° 32 ad art. 17 LP; CR LP – Erard (2005), n° 55 ad art. 17 LP).

2.1.2 L'administration dresse l'état de collocation dans les 60 jours qui suivent l'expiration du délai pour les productions (art. 247 al. 1 LP). Lorsque l'état de collocation est définitif et que l'administration est en possession du produit de la réalisation de tous les biens, elle dresse le tableau de distribution des deniers et établie le compte final (art. 261 LP). A l'expiration du délai de dépôt du tableau de distribution et du compte final pendant dix jours, l'administration procède à la distribution des deniers (art. 263 et 264 al. 1 LP). En procédant à la distribution, l'administration remet à chaque créancier qui n'a pas été payé intégralement, un acte de défaut de biens pour le montant impayé (art. 265 al. 1 LP). Après la distribution, l'administration présente un rapport final au juge qui a déclaré la faillite (art. 268 al. 1 LP), afin que la clôture soit prononcée puis publiée (art. 268 al. 2 et 4 LP).

2.2 En l'espèce, la plaignante ne remet pas en cause l'activité menée par l'administrateur spécial jusqu'à la réalisation des actifs immobiliers de la faillie le 12 septembre 2019. Elle lui reproche en revanche d'avoir depuis lors omis de déposer l'état de collocation définitif, de dresser le tableau de distribution, de distribuer les deniers et délivrer les actes de défauts de biens pour les soldes impayés et de rendre son rapport final de clôture au juge ayant prononcé la faillite.

L'administrateur spécial admet lui-même avoir tardé dans la finalisation de la liquidation de cette faillite. Les circonstances qu'il fait valoir en lien avec la complexité du dossier, les négociations menées en vue de permettre la reprise des actifs immobiliers par les créanciers gagistes en vue de permettre l'achèvement du chantier, les difficultés liées aux hypothèques légales grevant les biens immobiliers et le séquestre pénal frappant les biens de E______ témoignent certes des difficultés auxquelles il a dû faire face pour parvenir à la vente des lots de copropriété aux créanciers gagistes dans l'intérêt de tous les créanciers; elles ne justifient en revanche pas le retard pris pour déposer l'état de collocation définitif, de dresser le tableau de distribution, de distribuer les deniers et délivrer les actes de défauts de biens pour les soldes impayés et de rendre son rapport final de clôture au juge ayant prononcé la faillite.

La plainte doit donc être admise en ce sens qu'il sera constaté que l'administrateur spécial a tardé de manière non justifiée à liquider la masse en faillite de B______ SARL, EN LIQUIDATION, à distribuer les deniers et à établir son rapport final au juge de la faillite.

Il se justifie en conséquence d'ordonner à l'administrateur spécial de dresser et déposer l'état de collocation définitif de la faillite de B______ SARL, EN LIQUIDATION dans un délai de trente jours dès notification de la présente décision, puis, dans un délai de dix jours dès l'entrée en force dudit état de collocation définitif, de déposer le tableau de distribution des deniers, puis, dans un délai de dix jours dès l'entrée en force dudit tableau de distribution des deniers, de distribuer les deniers, puis, ceci fait, de déposer son rapport final au juge de la faillite dans les trente jours suivant la distribution des deniers. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir ces injonctions d'une condamnation au versement d'une astreinte à verser en faveur de la masse en faillite en cas de retard.

3. Pour le surplus, la taxation intermédiaire des honoraires de l'administrateur spécial et les décisions en matière disciplinaire relèvent de la compétence de la Chambre de céans dans son activité de surveillance (art. 13 et 16 LP; art. 47 OELP; 97 OAOF; art. 6 et 7 al. 2 et 3 LaLP), de sorte que les conclusions de la plaignante portant sur la rémunération de l'administrateur spécial ou l'interdiction d'intervenir comme organe de faillite à l'avenir d'échappent à la présente procédure de plainte et seront traitées séparément.

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucun dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte pour déni de justice formée le 21 décembre 2023 par A______ SA dans la faillite de B______ SARL, EN LIQUIDATION.

Au fond :

Constate que l'administrateur spécial C______ a tardé de manière non justifiée à liquider la masse en faillite de B______ SARL EN LIQUIDATION, à distribuer les deniers et à établir son rapport final au juge de la faillite.

Ordonne à l'administrateur spécial C______ de dresser et déposer l'état de collocation définitif de la faillite de B______ SARL, EN LIQUIDATION dans un délai de trente jours dès notification de la présente décision, de déposer le tableau de distribution des deniers dans un délai de dix jours dès l'entrée en force de l'état de collocation définitif, de distribuer les deniers dans un délai de dix jours dès l'entrée en force du tableau de distribution des deniers, puis de déposer son rapport final au juge de la faillite dans les trente jours dès la distribution des deniers.

Déboute A______ SA de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Messieurs Luca MINOTTI et Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Elise CAIRUS, greffière.

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.