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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/718/2024

JTAPI/658/2025 du 16.06.2025 ( ICCIFD ) , IRRECEVABLE

ATTAQUE

Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;IMPÔT
Normes : LPA.60.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/718/2024 ICCIFD

JTAPI/658/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 16 juin 2025

 

dans la cause

 

A______ Sàrl, représentée par Me Baudouin DUNAND, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne la taxation 2021 de la société genevoise A______ Sàrl (ci-après : la holding ou la contribuable ou encore la recourante).

Cette société, inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) en octobre 2020, dispose d’un capital de CHF 20'000.-, qui se compose de 200 parts d’une valeur nominale de CHF 100.-, entièrement en mains de Monsieur B______, unique associé gérant qui bénéficie de la signature individuelle.

2.             C______ SA (ci-après : la SA) a été enregistrée au RC de Genève en 1999. Son capital de CHF 100'000.- se décompose en 100 actions d’une valeur nominale de CHF 1'000.-. Monsieur D______ en a détenu l’entier du capital-actions.

3.             Par contrat du 4 janvier 2017, M. D______ a vendu à M. E______ le capital-actions de la SA pour le prix de CHF 2.6 millions (art. 1 et 2).

La remise des titres interviendrait par livraisons successives. Au 1er janvier 2017, le vendeur s’engageait à remettre le 30 % du capital-actions contre paiement de CHF 780'000.-. Le 1er janvier 2021, le vendeur devait transmettre le 70 % du capital contre versement d’un montant de CHF 1.82 million (art. 3).

L’art. 9 du contrat prévoyait que jusqu’au 31 décembre 2020 ou jusqu’à la remise des dernières actions vendues, M. E______ accordait au vendeur un droit de préemption personnel sur les titres, au cas où il décidait de les vendre.

4.             Le 28 septembre 2020, M. E______ et M. D______ ont signé un document intitulé « Avenant à la convention de cession d’actions ».

Il prévoyait que M. D______ acceptait le transfert des actions déjà détenues par M. E______, en faveur d’une holding à constituer par ce dernier à cette fin (art. 1).

L’art. 2 prévoyait que M. D______ donnait son accord au transfert de 70 % des actions vendues en faveur de ladite holding, moyennant paiement du prix convenu de CHF 1.82 million.

5.             Par lettre des 20 mai et 4 juillet 2022, l’AFC-GE a adressé à la holding une demande de renseignements portant sur l’acquisition des titres de la SA.

6.             Le 13 juillet 2022, la contribuable a répondu en remettant à l’AFC-GE le contrat du 4 janvier 2017, l’avenant du 28 septembre 2020 et un rapport d’expertise du 31 mai 2016. Elle a par ailleurs indiqué que MM. D______ et E______ n’étaient pas des proches.

7.             Par bordereaux datés du 18 août 2022, l’AFC-GE a imposé la holding pour l’année 2021 sur la base d’un bénéfice et d’un capital imposables de CHF 84'884.- de CHF 780'000.-. L’ICC s’élevait à CHF 46.65, dont CHF 40.- de frais et l’IFD était nul.

8.             Par bordereaux datés du 7 juin 2023, l’AFC-GE a taxé M. E______ et son épouse pour l’année 2020.

Ce faisant, elle a évalué leur participation dans la holding à CHF 2.62 millions. Par ailleurs, en application de la théorie dite de la transposition, elle a rajouté CHF 2.5 millions à leur revenu. Cette somme correspondait à la différence entre la valeur vénale des titres de la SA (CHF 2.6 millions) et leur valeur nominale (CHF 100'000.-), laquelle n’avait pas été comptabilisée dans les fonds propres de la holding.

9.             Par décisions du 20 octobre 2023, l’AFC-GE a admis partiellement la réclamation de M. et Mme E______ à l’encontre de leurs taxations 2020 en ce sens qu’elle a ramené la valeur de la holding de CHF 2.62 millions à CHF 12'996.-. Par ailleurs, elle a réduit de CHF 2.5 millions à CHF 750'000.- la reprise constituant le revenu mobilier. Celle-ci correspondait à la différence entre la valeur vénale des titres de la SA (CHF 780'000.-) et leur valeur nominale (CHF 30'000.-).

Cette décision a été confirmée par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), le 24 juin 2024 (JTAPI/623/2024), puis par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), le 18 mars 2025 (ATA/279/2025). Un recours est actuellement pendant devant le Tribunal fédéral.

10.         Le 30 novembre 2023, la holding a déposé auprès de l’AFC-GE une demande de révision de ses taxations s’étendant de sa création jusqu’à l’année 2022.

Le revenu attribué à titre de transposition chez M. E______ provenait du fait que le montant de CHF 750'000.- n’avait pas été comptabilisé dans ses fonds propres. Afin de démontrer que le prénommé n’avait pas réalisé un cas de transposition, elle présentait des projets de comptes 2021 et 2022, dont les capitaux propres faisaient tous deux état d’une réserve de CHF 750'000.-.

11.         Par décisions du 29 janvier 2024, l’AFC-GE a déclaré irrecevable la demande de révision portant sur la taxation 2021 de la holding, pour le motif que celle-ci ne faisait valoir aucun fait nouveau. Par ailleurs, elle aurait pu faire valoir ses moyens par la voie de la procédure ordinaire. Subsidiairement, dès lors que la taxation 2021 était entrée en force, une modification de ses états financiers était exclue. Enfin, la recourante ne disposait pas d’un intérêt actuel à demander une augmentation de ses impôts.

12.         Par acte du 27 février 2024, la contribuable, sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le tribunal en concluant à l’annulation des décisions du 29 janvier précédent et au renvoi de la cause à l’AFC-GE afin qu’elle rende de nouvelles taxations 2021 sur la base de ses projets de comptes modifiés.

Elle a sollicité l’audition de M. E______, ainsi que de plusieurs témoins.

L’ajout de CHF 750'000.- au revenu de M. E______ à titre de transposition constituait un fait nouveau, qui résultait de la manière dont les comptes de la holding avaient été établis. À ce moment-là, le précité et la recourante en ignoraient les conséquences fiscales. L’on ne pouvait leur reprocher d’avoir ignoré les règles sur la transposition, car il s’agissait d’une figure juridique complète et peu connue. L’AFC-GE soutenait qu’une révision des comptes ne pouvait plus intervenir, sans toutefois se fonder sur aucune base légale. Par ailleurs, en imposant M. E______ avant la holding, l’AFC-GE les avaient mis devant le fait accompli, l’empêchant de procéder à une modification de ses états financiers avant l’entrée en force des deux décisions de taxation.

C’était à tort que l’autorité intimée soutenait que la demande de révision ne procurerait pas d’avantage à la recourante. Elle subirait certes une charge fiscale très légèrement accrue au niveau de l’impôt sur le capital, de quelque CHF 3'000.- par an compte tenu d’un taux effectif de 0.4 % sur CHF 750'000.-. Cependant, cette charge supplémentaire était bien inférieure au revenu (fictif) imputé à M. E______. Enfin, si la demande de révision était admise, le montant de CHF 750'000.- serait de toute manière imposable comme dividende auprès du précité au moment où celui-ci le percevrait, si bien que l’AFC-GE ne subirait aucun préjudice.

13.         Dans sa réponse du 24 mai 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La taxation de M. E______ comprenant l’ajout d’un revenu de CHF 750'000.- à titre de transposition ne constituait pas un fait nouveau survenu antérieurement. Un jugement rendu par le tribunal le 12 octobre 2015 (JTAPI/1193/2015) était transposable au cas d’espèce.

Par ailleurs, le motif invoqué devait procurer un avantage au contribuable, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, puisque la holding reconnaissait que si sa demande était admise, sa charge fiscale augmenterait. En outre, le manque de connaissances fiscales de son associé ne permettait pas de conclure à l’existence d’un motif de révision et ne les protégeait pas des conséquences fiscales.

Il n’était nullement établi que les comptes remis en annexes à la déclaration fiscale de la holding violeraient des règles impératives du droit commercial. Partant, une correction se révélait exclue. La production de nouveaux comptes poursuivait uniquement pour but de permettre à M. E______ d’éviter les conséquences de la transposition, ce que la jurisprudence avait exclu.

14.         Par réplique du 17 juin 2024, la contribuable a maintenu son recours.

Sa requête de révision ne se fondait pas uniquement sur la taxation accrue de M. E______, mais également sur l’établissement d’états financiers corrigés. En outre, contrairement à ce que soutenait l’autorité intimée, le JTAPI/1193/2015 du 12 octobre 2015 n’était pas transposable en l’espèce. Notamment, il visait le cas d’un salaire excessif requalifié en prestation appréciable en argent, soit un revenu effectivement perçu par le contribuable en cause. Par ailleurs, dans l’affaire susmentionnée, l’intéressé avait adopté un comportement frauduleux.

S’agissant de l’absence d’avantage procuré par la révision, l’AFC-GE omettait de se prononcer sur la diminution simultanée de la charge d’impôt pesant sur M. E______. L’AFC-GE ne se prononçait pas non plus sur le grief portant sur le fait qu’elle avait taxé M. E______ avant la holding. C’était à tort que la modification des états financiers ne serait plus possible dès le dépôt de la déclaration d’impôt, ainsi que l’avait retenu le Tribunal fédéral (arrêt 2P.140/2004 du 9 décembre 2004 consid. 5.4.1 in RF 60/2005 p. 429).

15.         Dans sa duplique du 29 juillet 2024, l’AFC-GE a persisté dans les termes et les conclusions de sa réponse.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Le recours a été déclaré en temps utile, dans les formes prescrites et devant la juridiction compétente au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD. Sous cet angle, il doit être déclaré recevable.

3.             À teneur de l’art. 60 al. 1 let. b de la loi genevoise sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), applicable par renvoi de l’art. 2 al. 2 LPFisc, toute personne qui est touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié.

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2). Si l’intérêt actuel n’existe pas lors du dépôt du recours, celui-ci est déclaré irrecevable. S’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement rayé du rôle (ATF 139 I 206 consid. 1.1).

4.             Un intérêt digne de protection est donné lorsqu’une taxation plus basse est demandée. Exceptionnellement, un intérêt juridique doit être admis même en cas de demande d'augmentation de la taxation, lorsque cela permet de payer moins d'impôts au cours d'une période ultérieure ou d'éviter, par exemple, une procédure de rappel d'impôt ou de soustraction d'impôt. Il existe également un intérêt digne de protection à solliciter une augmentation des éléments imposables en cas de contestation d’une taxation d’office trop basse en cas de double imposition actuelle ou virtuelle ou en cas de concours avec une imposition spéciale. En revanche, l’intérêt général à une imposition conforme à la loi ne suffit pas. En pratique, il n’y a pas d’intérêt à agir lorsque le revenu imposable ou le bénéfice net imposable est fixé à CHF 0.- (ATF 150 II 409 consid. 2.3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_446/2023 du 26 juillet 2023 consid. 2.2.2 ; 2C_1055/2020 du 3 mars 2021 consid. 1.2.2.3 ; arrêt du Tribunal administratif du canton de Zurich SB.2020.00082 du 22 octobre 2020 consid. 2.1).

5.             En l’espèce, à l’appui de sa requête de révision, la recourante produit des projets de comptes 2021 et 2022. Les capitaux propres des bilans de ces années font tous deux état d’une réserve de CHF 750'000.-, qui ne figurait pas dans les comptes transmis initialement à l’AFC-GE. Selon la holding, ces nouveaux comptes sont aptes à démontrer que M. E______ n’a pas réalisé un cas de transposition, de sorte que l’ajout d’un montant de CHF 750'000.- à son revenu se révèle injustifié. Elle dispose dès lors d’un intérêt digne de protection à recourir devant le tribunal.

La contribuable ne peut être suivie. Premièrement, l’intéressée ne dispose pas d’un intérêt digne de protection à contester sa taxation fédérale 2021, dès lors que l’IFD ne frappe pas le capital des personnes morales (art. 1 LIFD a contrario) et parce qu’aucun montant d’IFD ne lui est réclamé. Deuxièmement, s’agissant de l’ICC, la société admet que sa conclusion aboutit à un accroissement du montant de ses impôts dus. En effet, elle sollicite une augmentation de ses fonds propres et, partant, de son capital imposable. Elle ne dispose pas non plus d’un intérêt actuel à contester sa taxation cantonale 2021.Il est sans incidence que la charge fiscale supplémentaire induite par l’augmentation des réserves de la recourante serait bien inférieure à l’impôt sur le revenu imputé à M. E______. En effet, la holding et son actionnaire sont deux sujets fiscaux distincts.

6.             Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable.

7.             En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 27 février 2024 par A______ Sàrl contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 29 janvier 2024 ;

2.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

3.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Kristina DE LUCIA, présidente Laurence DEMATRAZ et Giedre LIDEIKYTE HUBER, juges assesseures.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Kristina DE LUCIA

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière