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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1996/2025

JTAPI/626/2025 du 11.06.2025 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL);PROLONGATION
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1996/2025 LVD

JTAPI/626/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 juin 2025

 

dans la cause

 

Madame A______

 

contre

Monsieur B______, représenté par Me Razi ABDERRAHIM, avocat, avec élection de domicile

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 2 juin 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______ lui interdisant de s'approcher et de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______ et Monsieur C______, située ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de ceux-ci, ainsi que du domicile professionnel de A______ sis ______ [GE].

2.             Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. B______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'association VIRES, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 ; LVD - F 1 30), était motivée comme suit :

« Description des dernières violences :

Le 02.06.2025, avoir asséné un coup au visage de A______ et lui avoir arraché les cheveux.

Descriptions des violences précédentes :

Au mois de mai 2024, avoir assené une gifle à A______ ».

3.             M. B______ n’a pas fait opposition à cette mesure.

4.             Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 2 juin 2025 que, le jour en question, une patrouille de police était intervenue ______[GE], sur requête du CECAL, suite à une agression. A leur arrivée, ils avaient été mis en présence de A______, blessée au visage et gisant au sol dans le couloir du rez-de-chaussée de l'immeuble. Des cheveux lui appartenant avaient été retrouvés à proximité. Le mari de la victime avait désigné leur fils, M. B______, également sur place, comme étant l'auteur de l'agression. Il n’y avait pas de témoins de la scène mais des personnes étaient arrivées sur les lieux après avoir entendu les appels à l'aide de A______. Deux ambulances avaient été appelées, l’une pour la victime et l’autre afin d'établir l'état psychologique de l'agresseur ; celles-ci étaient finalement reparties sans les précités. A______ avait souhaité déposer une plainte contre son fils. Les intéressés avaient été entendus et des photographies de la blessure de la victime et des cheveux arrachés avaient été versées au dossier.

5.             Il ressort de l’audition des intéressés le 2 juin 2025 les éléments suivants :

A______ a, en substance, expliqué que le jour en question elle était sorte de chez elle à 13h20. Alors qu’elle pénétrait dans le couloir qui menait à la porte d'entrée de l'immeuble, elle avait été violemment agrippée par les cheveux ce qui l'avait fait tomber au sol. Ce faisant, sa tête avait heurté violemment la dalle en pierre et c'était à ce moment-là qu'elle s'était aperçue que son fils était l'agresseur. Elle s’était retrouvée à terre sur le dos, avec son fils sur elle. Puis, elle avait reçu un coup au visage principalement sur sa lèvre et son fils l'avait maintenue au sol à l'aide de sa main ouverte sur sa poitrine en lui disant : « Tu as peur hein, tu as peur ! ». Elle avait hurlé à plusieurs reprises « au secours ». Deux dames étaient finalement arrivées et avait hurlé sur son fils. Il s’était alors levé et était resté sur place, jusqu’à l’arrivée de la police, ainsi que le lui avait demandé ces dames. Sa fille, son amie et son mari étaient arrivés au même moment. Ce n’était pas la première fois que son fils était violent. En 2024, ils avaient eu une discussion assez tendue à leur domicile pour une question d’argent. Elle avait refusé de lui en donner et, bien que son mari se soit interposé entre eux, il avait réussi à lui saisir le bras et l’avait violemment giflée. Ensuite, son mari avait mis leur fils dehors tout en lui retirant les clefs de la maison. Depuis ce jour, elle avait coupé les ponts avec lui et la dernière fois qu’elle lui avait écrit c’était le 30 mai 2025, pour lui souhaiter bon anniversaire. Aucune plainte n'avait été déposée à l’époque, cependant la famille en avait informé le psychiatre traitant de son fils. Elle tenait à préciser que ce dernier était suivi par des psychiatres depuis l'âge de 14 ans pour suspicions de bipolarité. Son état psychologique s'était dégradé au fur et à mesure du temps. Il avait séjourné 2 à 3 semaines au centre médical de ______ en 2016 puis, en 2018, il avait été interné de force à Belle-idée d'où il s'était échappé. La famille ignorait s’il avait actuellement un traitement médical. Elle souhaitait que son fils soit éloigné du domicile. Elle avait très peur de lui et pensait que l’agression était préméditée. Il n’avait aucune raison d’être là. Elle était sûre qu’il l’attendait. Elle souhaitait un éloignement de plus de trente jours au vu de son état psychiatrique et de ses antécédents de violence envers elle. Son fils était totalement imprévisible et pouvait changer d’humeur rapidement. Il n’avait jamais été violent physiquement envers ses sœurs et son mari mais avait pu se montrer agressif verbalement envers ce dernier. Elle versait au dossier des échanges avec le médecin-psychiatre de son fils.

M. C______ a expliqué qu’en décembre 2024, son fils lui avait à nouveau demandé une avance sur héritage, en déclarant « sinon ça va mal se terminer ». Il lui avait remis de l’argent pour éviter qu’il s’en prenne physiquement à sa mère. Toute la famille avait peur de ses réactions.

M. B______ a indiqué habiter ______[GE]. Le jour en question, il attendait sa mère car il souhaitait lui parler. Il ne savait pas pourquoi il l’avait agressée. C’était flou. Il souhaitait lui parler et s’était senti en colère, c’était tout. Il ne pouvait pas confirmer les allégations de sa mère. C’était possible qu’il lui ait arraché une touffe de cheveux lors de l’agression. Concernant l’évènement de mai 2024, il reconnaissait avoir assené une gifle à sa mère, mais légère. Il contestait avoir dit à son père, en décembre 2024, de lui donner une avance sur héritage « sinon, ça va mal se passer ». Il avait demandé cette avance afin de couper les ponts. Il était suivi par un psychiatre depuis trois ans et prenait un traitement médical. Il n’avait rien à dire concernant la demande d’éloignement requise par sa mère.

6.             Par acte du 7 juin 2025, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 10 juin 2025, A______ a requis la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours, expliquant craindre une récidive de son fils dans le cadre d'une psychose probable mais non encore diagnostiquée. Après l'acte, ce dernier avait indiqué à sa sœur qu'il « devait » l'agresser. Elle rappelait le suivi psychiatrique de son fils et qu’il s’agissait du deuxième acte de violence sur sa personne, cette fois par ailleurs avec préméditation (guet-apens). Son fils n'avait aucune raison de s'approcher du domicile familial, où il ne vivait plus depuis plusieurs années et où il n'avait plus d'affaires personnelles. Son adresse était : ______[GE]. Elle avait peur pour sa sécurité et celle des autres membres de la famille, raison pour laquelle elle demandait la prolongation de la mesure d'éloignement au maximum possible.

7.             Lors de l’audience du 11 juin 2025 devant le tribunal, A______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour les motifs exposés dans son courrier du 7 juin 2025. Ils avaient une immense inquiétude sur l’état psychique de leur fils, ce d’autant plus s’il ne se souvenait pas de ce qu’il avait fait ni de pourquoi il l’avait fait.

M. C______, également présent lors de l’audience, a confirmé n’avoir effectivement pas déposé de demande de prolongation de la mesure d’éloignement en ce qu’elle le concernait. Il soutenait toutefois la demande faite par son épouse s’agissant de l’éloignement de leur fils du domicile familial.

M. B______ a indiqué être d’accord avec la prolongation de la mesure d’éloignement pour une durée de trente jours supplémentaires. Le 3 juin 2025, il avait vu deux de ses médecins afin de comprendre ce qu’il s’était passé la veille, d’en parler avec eux et d’éviter tout risque de récidive. Il avait pris contact avec l’association VIRES. Un rendez-vous avait été fixé au 27 juin 2025. Il n’avait pas tenté de contacter ses parents et/ou de s’approcher du domicile familial ainsi que du lieu de travail de A______ depuis le 2 juin 2025.

Mme A______ a confirmé que M. B______ n’avait pas tenté de les contacter et/ou de s’approcher d’eux, du domicile familial et de son lieu de travail depuis qu’il était éloigné.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 CP, qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, les faits dont A______ se plaint d'avoir été victime correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. M. B______ ne conteste pas les faits survenus le 2 juin 2025. Lors de son audition par la police, il a expliqué, en substance, s’être senti en colère et que les raisons pour lesquelles il avait agressé sa mère étaient floues. Quant à l’épisode de violence du mois de mai 2024, il ne le conteste pas mais le minimise, admettant une légère - et non pas violente - gifle. Lors de l’audience, il a indiqué être d’accord avec la prolongation de la mesure d’éloignement et avoir contacté ses médecins afin de comprendre ce qu’il s’était passé le 2 juin 2025.

Il doit pour le surplus être constaté que M. B______ ne vit plus au domicile de ses parents depuis plusieurs années. Les parties s’accordent à dire qu’elles ont coupé les ponts depuis mai 2024. Cela étant, l’agression du 2 juin 2025 est survenue dans le couloir de l’immeuble où vivent les époux A______ et C______. Le précité y attendait sa mère, sans avoir rendez-vous, pour lui « parler ».

Dans sa demande de prolongation, A______ explique craindre que son fils revienne au domicile, quand bien même il n’y habitait plus et n’y avait plus aucune affaire. Elle craignait en particulier une récidive dans le cadre d'une probable psychose de son fils, non encore diagnostiquée, ce dernier ayant notamment indiqué à sa sœur, après l’incident du 2 juin 2025, qu'il « devait » l'agresser. Il s’agissait du deuxième acte de violence sur sa personne et le dernier incident était prémédité (guet-apens). Elle avait peur pour sa sécurité et celle des autres membres de la famille. Elle a confirmé son inquiétude lors de l’audience.

Dans ces conditions, il apparait nécessaire de s’assurer que l’intéressé ne puisse pas s’approcher du domicile de ses parents, respectivement ne puisse pas contacter ou s’approcher de A______ dès le 12 juin prochain 17h. Le tribunal prolongera dès lors la mesure d'éloignement en cause jusqu'au 13 juillet 2025 à 17h00. Partant, pendant cette nouvelle période de 30 jours, il sera toujours interdit à M. B______ de s'approcher et de pénétrer à l'adresse privée de Mme et M. C______, située ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de A______, ainsi que du domicile professionnel de celle-ci sis ______ [GE].

5.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

6.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 7 juin 2025 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 2 juin 2025 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 13 juillet 2025 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants, en ce qu’elle interdit à Monsieur B______ de s'approcher et de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______ et Monsieur C______, située ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de Madame A______, ainsi que du domicile professionnel de celle-ci sis ______ [GE] ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière