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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1610/2024

JTAPI/594/2025 du 02.06.2025 ( ICCIFD ) , REJETE

ATTAQUE

En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1610/2024 ICCIFD

JTAPI/594/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 2 juin 2025

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______ et B______, représentés par LAMBELET & Associés, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Dans leur déclaration fiscale 2021, Monsieur et Madame B______ et A______ (ci-après : les contribuables ou les recourants) ont notamment demandé la déduction d'intérêts sur l'ICC des périodes 2013 à 2019 ainsi que l'IFD des périodes 2013 à 2016.

2.             Les intérêts relatifs à l'ICC et l'IFD 2013 ont été admis en déduction par l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) et ne sont pas litigieux.

3.             Les bordereaux ICC et l'IFD 2014 à 2019 ont été émis par l'AFC-GE en janvier et février 2021 avec, en annexe à ceux-ci, des décomptes comprenant des intérêts moratoires (IFD) ainsi que des intérêts moratoires sur acomptes et intérêts compensatoires négatifs (ICC).

4.             Des réclamations ont été déposées uniquement contre les bordereaux ICC contestant le montant de la fortune imposable. Ils ont tous fait l'objet de décisions sur réclamation datées du 2 novembre 2023, qui sont entrées en force, aucun recours n'ayant été déposé.

5.             Dans ses bordereaux ICC et IFD 2021 datés du 21 avril 2024, l'AFC-GE a admis la déduction d'intérêts sur l'IFD 2014 à 2019, mais refusé cette déduction pour l'ICC des mêmes périodes. Les avis de taxation mentionnent que "les intérêts de dettes fiscales sont à faire valoir en déduction l'année de leur échéance, soit l'année 2023".

6.             Contre ces bordereaux, une réclamation a été déposée par un courrier recommandé du 29 février 2024 demandant la déduction des intérêts sur l'intégralité des dettes fiscales, considérant que celles-ci sont échues à la notification des décomptes intervenue en 2021.

7.             Par une décision du 2 avril 2024, mentionnant comme "date de notification" le 15 avril 2024, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation et maintenu ses taxations au motif que les décomptes finaux relatifs à l'ICC 2014 à 2019 n'ont été établis qu'en 2023.

8.             Par un pli porté du 10 mai 2024, les contribuables ont formé un recours contre cette décision qu'ils indiquent avoir reçue le 11 avril 2024. Ils concluent à ce que les intérêts compensatoires négatifs et intérêts moratoires sur acomptes figurant sur les décomptes ICC 2014 à 2019 émis en janvier et février 2021 soient déduits dans la détermination de leur revenu imposable ainsi qu'à l'allocation d'un émolument à titre de dépens.

Après avoir rappelé le déroulement des faits, les recourants se réfèrent à l'arrêt du Tribunal fédéral du 3 mars 2022 (2C_434/2021) et considèrent que les intérêts litigieux sont échus en 2021. Ils relèvent en particulier que, si les bordereaux eux-mêmes ont fait l'objet de réclamations, tel n'est pas le cas des décomptes finaux ICC, contre lesquels une contestation séparée peut être effectuée, ceux-ci valant décision (art. 17 al. 3 LPGIP). Les intérêts résultant des décomptes finaux n'ont pas été contestés, de sorte que ces derniers sont entrés en force en 2021 déjà, si bien que les intérêts calculés sont déductibles dans cette période. Pour les recourants, la décision sur réclamation est arbitraire, dans la mesure où elle part du principe que les décomptes finaux ont fait l'objet d'une réclamation, parce que les bordereaux eux-mêmes étaient contestés alors qu'il y a deux voies de droit distinctes. Cette décision contrevient également au principe de périodicité.

9.             Dans sa réponse du 15 juillet 2024, l'AFC-GE conclut au rejet du recours. Elle considère que l'effet suspensif des réclamations porte, non seulement sur le montant de l'impôt, mais aussi sur les intérêts, si bien que ces derniers ne sont devenus exigibles qu'à l'entrée en force des taxations. Au reste, ceux-ci doivent être recalculés au moment de l'émission de bordereaux rectificatifs (art. 15 LPGIP). Se référant au même arrêt du Tribunal fédéral du 3 mars 2022, l'AFC-GE estime que les intérêts litigieux ne sont pas échus en 2021 mais en 2023 seulement, de sorte qu'ils ne sont pas déductibles pendant la période en cause en l'espèce.

10.         Par une réplique du 6 août 2024, les recourants contestent l'interprétation faite par l'AFC-GE de l'arrêt du Tribunal fédéral du 3 mars 2022. Ils considèrent au contraire que celui-ci valide le principe selon lequel les intérêts sont déductibles lorsqu'un décompte final accompagne la notification de bordereaux. Par ailleurs, ils considèrent que, conformément à l'art. 18 LPGIP, ce décompte final est échu à la date de sa notification et qu'une réclamation formée contre la taxation elle-même sans inclure les relevés de compte ne repousse par l'échéance des intérêts.

11.         Par une duplique du 28 août 2024, l'AFC-GE conteste la position des recourants et maintient que, sans une taxation entrée en force, les intérêts ne sont pas échus et dus.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Le présent litige a trait exclusivement à la déduction d'intérêts sur les soldes dus par les recourants pour l'ICC 2014 à 2019, étant précisé que les intérêts calculés sur l'IFD des mêmes périodes ont été admis en déduction par l'AFC-GE, les bordereaux concernés n'ayant pas fait l'objet de réclamation et étant entrés en force en 2021.

4.             Conformément à l'art. 33 al. 1 let. a LIFD, sont déduits du revenu les intérêts passifs privés à concurrence du rendement imposable de la fortune augmenté d'un montant de CHF 50'000.-. Basé sur l'art. 9 al. 2 let. a LHID, l'art. 34 let. a LIPP a une teneur presque identique, le texte cantonal précisant que sont déductibles les intérêts des dettes "échus pendant la période déterminante". Le Tribunal fédéral a déjà statué que "cette différence rédactionnelle n'emporte pas de traitement légal différent puisque l'ajout de l'adjectif échus correspond au véritable contenu des art. 33 al. 1 let. a LIFD et 9 al. 2 let. a LHID (ATF 2C_434/2021 du 03.03.2022 consid. 6.2).

5.             Les parties font de cet arrêt une interprétation opposée s'agissant de la déduction des intérêts litigieux en l'espèce.

6.             Après avoir rappelé que, de manière générale, les dettes d'impôts sont susceptibles de générer des intérêts déductibles au sens des dispositions légales précitées, le Tribunal fédéral s'est rallié à l'opinion de la doctrine majoritaire et statué que, pour être déductibles "les intérêts passifs doivent être exigibles dans la période de calcul indépendamment du fait qu'ils sont effectivement payés ou non" (consid. 3.3).

7.             Il convient dès lors de déterminer quelle est l'échéance des intérêts selon le droit cantonal, étant précisé qu'il s'agit de droit autonome, puisque la LHID ne contient pas de disposition qui règlemente cet aspect de la perception de l'impôt cantonal et communal (ATF précité consid. 5).

8.             Dans l'arrêt qui avait été porté devant le Tribunal fédéral (ATA/440/2021 du 20.04.2021 consid.10), la chambre administrative de la Cour de justice s'était, pour fixer cette échéance, référée en premier lieu à l'art. 18 LPGIP et fixé celle-ci à la date de notification du décompte final, qui inclut un calcul des intérêts (art. 17 al. 3 LPGIP et 15 al. 2 RPGIP). Le Tribunal fédéral a considéré que cette interprétation du droit cantonal n'est pas arbitraire (ATF précité du 03.03.2022 consid. 5.3).

9.             Ces deux arrêts relèvent que les taxations des périodes antérieures pour lesquelles la déduction des intérêts était litigieuse avaient fait l'objet d'un premier décompte final au moment de la notification des bordereaux puis d'un autre décompte final lors de la notification des bordereaux rectificatifs. Constatant que ces deux décomptes étaient postérieurs à la période fiscale en cause, la Cour et le Tribunal fédéral ont constaté qu'il n'y avait pas d'intérêts échus pendant celle-ci pouvant être admis en déduction (arrêt cantonal consid. 10 et ATF consid. 5.2). Aucun de ces arrêts ne tranche clairement la question de savoir si, lorsque les bordereaux ont fait l'objet d'une réclamation, les intérêts peuvent être considérés comme échus au moment de l'établissement du décompte final accompagnant les premiers bordereaux ou les bordereaux rectificatifs, question qui est précisément litigieuse en l'espèce.

10.         Se basant en particulier sur les mentions figurant sur les décomptes finaux selon lesquelles ceux-ci peuvent faire l'objet d'une réclamation dans les 30 jours suivant leur notification, les recourants estiment que, à défaut de contestation, ils doivent être considérés comme échus. De son côté, l'AFC-GE conteste cette interprétation, estimant que la réclamation déposée contre les bordereaux a repoussé automatiquement l'échéance des intérêts.

11.         Le tribunal relève en premier lieu que les mentions figurant sur les décomptes finaux établis pour l'ICC se réfèrent manifestement à l'art. 17 al. 3 LPGIP, selon lequel ces décomptes valent décision dans la mesure où ils portent sur l'escompte accordé, les intérêts rémunératoires et moratoires sur les acomptes, les intérêts compensatoires positifs et négatifs et les frais. Cette disposition permet aux contribuables de contester uniquement ces éléments par la voie de la réclamation puis d'un recours, même si le montant des impôts eux-mêmes n'est pas contesté et que les bordereaux ne font pas l'objet d'une réclamation (par exemple : ATA/145/2022 du 08.02.2022).

12.         L'existence d'une procédure distincte limitée à la seule contestation du décompte final ne permet toutefois pas, contrairement à ce que soutiennent les recourants, de retenir que celui-ci serait échu si une réclamation est déposée contre les bordereaux eux-mêmes et que cette dernière ne porte pas expressément également sur le décompte final. En effet, la réclamation a automatiquement un effet suspensif sur le montant contesté (art. 40 LPFisc) et il est difficile de concevoir que les intérêts soient échus alors que la dette elle-même ne l'est pas. Bien plus, et conformément à l'art. 15 LPGIP, un nouveau décompte recalculant notamment les intérêts doit être établi lorsque l'impôt contesté est confirmé ou modifié suite à une réclamation ou à un recours. Tel a été précisément le cas en l'espèce, puisque l'ICC dû par les recourants pour les périodes 2014 à 2019 a été modifié par les décisions sur réclamation du 2 novembre 2023.

13.         C'est donc avec raison que l'AFC-GE estime qu'une réclamation déposée contre les bordereaux implique automatiquement la contestation des décomptes finaux, puisque le montant des intérêts ne pourra être définitivement déterminé qu'avec l'entrée en force des bordereaux. Si le contraire devait être retenu, cela aboutirait à la conséquence que les intérêts figurant dans un décompte final resteraient exigibles faute de contestation expresse contre ceux-ci, même si le montant des impôts est substantiellement réduit consécutivement à une réclamation, ce qui aboutirait à un résultat manifestement inadmissible.

14.         Il faut en conclusion retenir que l'échéance des intérêts sur les bordereaux notifiés en 2021 aux contribuables a été repoussée en 2023, c'est-à-dire lors de l'entrée en force des décisions sur réclamation. Aucun intérêt n'est dès lors déductible dans la période fiscale 2021, si bien que le recours sera rejeté.

15.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 10 mai 2024 par Monsieur et Madame B______ et A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 2 avril 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Antoine BERTHOUD, président suppléant, Jean-Marc WASEM et Jean-Marie HAINAUT, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Antoine BERTHOUD

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière