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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/706/2025

JTAPI/243/2025 du 06.03.2025 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/706/2025 LVD

JTAPI/243/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 6 mars 2025

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 24 février 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de onze jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située à l'adresse n° 1______ chemin C______, D______, et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

2.             Selon cette décision, durant la soirée du 22 février 2025, M. B______ était présumé avoir poussé Mme A______ contre un meuble, la faisant ensuite tomber sur un lit, puis l'avait frappée derrière la tête. Le 23 février 2025, M. B______ avait jeté une boîte de lunettes en direction de Mme A______, ce qui avait cassé le verre qu'elle tenait dans la main. Un débris de verre avait entaillé légèrement le côté droit de son visage et son pouce gauche. Elle avait précisé subir des violences physiques et psychologiques ainsi que des injures depuis des années et avait souhaité déposer plainte pour les faits susmentionnés. Elle avait également ajouté avoir été insultée de "pute" et de "pouffiasse" par son mari et avoir été menacée dans les termes suivants : "tu vas voir ce que je vais te faire si tu n'arrêtes pas de me parler".

3.             Ces différents éléments résultent des déclarations faites à la police par Mme A______ lors de son audition le 24 février 2025 à une heure du matin. À cette occasion, la précitée a indiqué qu'elle avait fait la connaissance de M. B______ en 2016 que cela faisait donc huit ans qu'ils étaient ensemble et ils s'étaient mariés en 2022. Elle avait une fille d'une précédente union, âgée de quatorze ans, ainsi qu'une fille issue de son union avec M. B______, âgée de huit ans. Elle avait demandé le divorce trois semaines auparavant, suite à une nuit qu'il avait passée avec une fille de joie aux E______. Elle avait directement pris contact avec une avocate.

Les faits dont elle avait été victime le 22 février 2025 s'était déroulés après qu'elle avait surpris son mari dans la chambre de sa fille aînée, alors que cela faisait deux ou trois jours qu'il cherchait son passeport, sans doute avec l'intention de quitter le domicile. Lorsqu'il avait vu son épouse, M. B______ était parti dans la salle de bains adjacente à leur chambre à coucher, où elle l'avait rejoint en lui demandant ce qu'il avait pris dans la chambre de sa fille. Il avait alors commencé à l'insulter, puis à la pousser. Au moment du coup qu'il lui avait donné sur la tête avec son poing, il continuait à l'insulter. Elle était alors retournée au salon en se taisant afin de mettre un terme au conflit. Elle s'était rendue compte seulement le lendemain matin des marques qu'elle avait à la jambe, suite à sa chute contre la commode. Ils avaient commencé à discuter des termes du divorce et elle s'était aperçue qu'il n'avait pas l'intention de verser une contribution pour elle, de sorte qu'elle lui avait dit qu'un divorce à l'amiable ne serait pas possible. En examinant ensuite ses comptes bancaires, il avait reproché à son épouse d'être trop dépensière et lui avait alors jeté une boîte à lunettes au visage. Comme elle était en train de boire de l'eau avec un verre, celui-ci s'était cassé dans sa main en lui faisant une petite plaie sur la joue et en la coupant au pouce. Il avait ensuite continué à crier et à faire son cinéma. Lorsqu'il était sorti pour fumer, elle avait appelé la police. Il y avait déjà eu de la violence dans leur couple auparavant. Lorsqu'il buvait, son mari devenait violent. Elle n'avait jamais voulu déposer plainte jusqu'alors, car elle culpabilisait et savait en outre que si elle partait, elle n'aurait plus rien. Elle s'était mentie à elle-même durant les huit dernières années en se persuadant que tout allait bien, alors que cela n'avait jamais été le cas. Sur question de la police, Mme A______ a indiqué que M. B______ n'avait jamais été violent avec les enfants. Il n'avait pas toujours été le père idéal, mais il ne les avait jamais touchées.

Entendu à son tour par la police le 24 février 2025, M. B______ a donné une version convergente avec celle de son épouse sur ce qui l'avait amené à se rendre dans la salle de bains le 22 février 2025. Là, son épouse l'avait rejoint en tapant sur la porte. Voyant qu'elle ne se calmait pas, il avait ouvert et elle avait foncé sur lui. Il l'avait attrapée par les épaules et l'avait repoussée. Elle avait tapé sa jambe sur la commode et c'était tout. Après cela, il était allé au salon. Il ne lui avait donné aucun coup. Le 23 février 2025, il avait constaté que son épouse avait fait plusieurs virements importants sur son compte personnel. Elle l'avait nargué et énervé en lui disant qu'elle avait pris son argent. Il avait donc lancé sa boîte de lunettes contre la table, où elle avait rebondi, puis atterri sur le verre que son époux avait dans les mains, le cassant et provocant une entaille au visage. Il contestait avoir proféré des insultes à l'encontre de son épouse. C'était au contraire elle qui l'insultait en le traitant de « connard » ou de « bon à rien », ou encore en lui disant qu'il allait finir comme son père. Cependant, il ne réagissait pas. Par contre, Mme A______ avait monté leur fille contre lui et celle-ci ne lui disait plus bonjour. Il contestait en outre l'avoir menacée. Son épouse lui avait en revanche dit qu'il ne resterait pas jusqu'au 30 avril et qu'il partirait tout de suite, ajoutant « tu ne me connais pas, à la fin, je gagne toujours ». Il y avait déjà eu des violences dans le passé. En 2018, c'était elle qui l'avait frappé.

Ont été jointes au rapport de renseignements établis par la police le 24 février 2025, plusieurs photographies en couleurs, dont l'une montrant du sang séché sur le visage de Mme A______, une coupure sanguinolente sur son pouce, ainsi qu'un hématome important sur sa cuisse.

4.             Par acte du 28 février 2025, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 3 mars 2025, Mme A______, sous la plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, en expliquant qu'au vu des années de violence qu'elle avait subies, elle craignait le retour de M. B______ au domicile conjugal dans le contexte de leur séparation, ce d'autant qu'il ne s'était pas rendu auprès des institutions habilitées pour convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique en vertu de l'art. 10 LVD.

5.             Lors de l'audience de ce jour, Mme A______ a indiqué que, comme elle l'avait expliqué à la police, elle avait fait la connaissance de M. B______ en 2016 lorsqu'elle avait commencé à travailler au sein de l'une de ses sociétés. Ils s'étaient installés ensemble en novembre 2017 et à partir de 2018 ça avait commencé à être l'horreur. Il avait commencé tout d'abord à faire preuve de violence verbale en l'insultant, en lui disant qu'elle n'était bonne à rien, puis étaient ensuite venus les coups après quelques mois. Soit M. B______ la tapait, soit il la poussait en la faisant tomber, étant précisé qu'il avait pratiqué des sports de combat. En juin 2019, il y avait eu une fois où il était allé chercher à la cuisine un long couteau qu'il lui avait montré en l'invitant à ce qu'ils aillent se coucher. Elle avait passé la nuit sur le canapé et son mari avait passé une partie de la nuit à faire des semi-apparitions derrière le meuble à chaussures pour l'effrayer. Elle avait fini la nuit dans la chambre de sa fille, recroquevillée sur un fauteuil. Dès le moment où elle l'avait connu, M. B______ avait une consommation d'alcool problématique et que lorsque les violences avaient commencé, il arrivait fréquemment qu'il rentre à la maison très alcoolisé. Il faisait en sorte qu'elle ne parvienne pas à dormir, venant lui parler pour tout ou rien ou déplaçant des meubles. A une reprise, il avait placé ses mains autour de son cou en serrant et en lui disant que cette nuit-là il fallait qu'elle meure. Elle était alors enceinte de trois mois et elle avait appelé sa fille aînée. Lorsqu'elle était arrivée, M. B______ s'était arrêté.

Elle pensait que globalement, M. B______ n'était pas stable. Il buvait lorsqu'il avait des soucis professionnels mais également lorsqu'il était heureux. Elle avait su par lui-même, et sa mère le lui avait confirmé, qu'il avait subi d'intenses violences de la part de son père durant son enfance et lorsqu'il était violent avec elle, elle avait l'impression que d'une certaine manière, il avait le sentiment qu'il était face à son père.

En 2022 elle avait perdu la mémoire, elle n'arrivait même plus à se souvenir de la naissance de sa fille aînée, et pas non plus de son enfance et des années qui avaient suivi. Elle avait eu recours à l'hypnose pour pouvoir retrouver la mémoire.

Sur question du tribunal de savoir s'il lui était arrivé de faire appel à des associations de protection des femmes, ce n'était pas le cas, mais elle avait fait appel à la police en 2018, après avoir reçu une gifle. Lorsque la police était arrivée, il était tout à fait calme et il l'avait fait passer pour une folle. Elle avait eu l'impression que tout le monde était contre elle et dès ce moment-là, elle avait considéré qu'elle ne pouvait plus que s'en remettre qu'à Dieu.

Le conseil de Mme A______ a produit en audience une série de messages envoyés par M. B______ depuis le prononcé de la mesure d'éloignement sur le téléphone de son épouse, notamment celui envoyé le dernier dimanche avant l'audience à 18h47, où il lui annonçait : « J'ai pris la décision de rentrer vendredi à 17h. Au plaisir de te revoir. »

 

Sur question de son conseil, Mme A______ a indiqué avoir parlé de tout cela à la police, mais que la policière qui l'avait interrogée n'en avait pas pris note, en lui disant que ce serait à discuter plus tard avec son avocate et au tribunal. Elle avait également parlé de l'histoire de la robe de mariée. Sur question du tribunal de savoir de quoi il s'agissait, elle a expliqué qu'ils étaient partis en février 2022 au Portugal afin d'aller y acheter sa robe de mariée, ce qui était un rêve pour elle. Ils avaient rencontré sa famille et le lendemain, alors qu'ils étaient dans une sorte de suite à l'hôtel, M. B______ s'était enfermé dans une partie de la suite où il y avait le minibar, il avait bu tous les alcools qui s'y trouvaient et avait cassé des choses tout en criant. Elle était terriblement honteuse vis-à-vis de sa famille et le lendemain, le 14 février, lorsqu'ils étaient revenus à Genève, il avait continué à boire et elle avait fini par appeler la police qui était venue avec une ambulance. Comme M. B______ avait retrouvé son calme, les intervenants étaient reparties et vingt minutes plus tard, complètement ivre, M. B______ avait pris la voiture mais avait été rapidement intercepté par la police à la Servette. Elle avait les preuves de tout cela, sous la forme de rapports de police.

M. B______ a contesté absolument tout ce que Mme A______ avait expliqué jusqu'ici. Il s'était aperçu lui-même dès leur installation ensemble que Mme A______ était une personne violente qui ne supportait pas la moindre contrariété et avec laquelle il était impossible de discuter. En 2018, elle l'avait agressé physiquement, il avait la poitrine couverte de ses griffures et lorsque la police était venue, elle avait remis en place son épouse en lui disant que c'était bien lui la victime. En réalité, alors qu'il était en instance de séparation lorsqu'ils s'étaient connus, elle avait rapidement commencé à lui mettre une intense pression pour qu'il divorce et pour qu'ils s'installent ensemble, lui disant qu'elle avait subi plusieurs années de violences auprès de l'homme avec qui elle avait conçu sa fille.

Il était vrai qu'il avait un problème d'alcool mais, pour elle, il avait arrêté de boire il y avait deux ans et demi de cela. Il était vrai également qu'il avait été victime de violences de la part de son père mais c'était précisément pour cela qu'il ne voulait pas reproduire cette violence.

C'était Mme A______, par son caractère impossible, qui avait fini par faire couler sa société, tellement elle parlait mal aux clients. Il lui versait un salaire de CHF 25'000.- à CHF 30'000.- chaque année pour quelques heures de travail hebdomadaire. Elle avait épargné cet argent en l'envoyant au Portugal, mais finalement ces questions d'argent n'étaient pas le problème.

Sur question du tribunal, il contestait absolument l'histoire du couteau, cela n'était jamais arrivé. Son épouse n'avait jamais dû dormir elle-même en dehors de la chambre conjugale, c'était au contraire lui qui l'avait fait une ou deux fois. Il est également tout à fait inventé qu'il lui aurait serré le cou pendant la nuit en parlant de mort, de même qu'il était faux qu'il lui était arrivé d'essayer de lui faire peur pendant la nuit ou de bouger des meubles au milieu de la nuit.

Il voulait en revanche mentionner que son épouse avait des manies et qu'elle adressait des sortes de prières en allumant des bougies toute la nuit sur le balcon, ce qui avait déjà à deux reprises provoqué un début de feu.

Il voulait aussi signaler qu'elle s'était rendue une fois à l'adresse de son ex-compagnon et que lorsque la compagne de ce dernier avait ouvert la porte, son épouse s'était jetée sur elle et elle était revenue à la maison en se vantant de l'avoir « massacrée ». Il précisait que l'avocate actuelle de Mme A______ pouvait confirmer cela puisqu'elle avait alors dû la défendre au pénal.

Sur question du tribunal, le conseil de Mme A______ a indiqué que c'était précisément le contraire qui était arrivé et que Mme A______ s'était fait agressée par cette personne et avait porté plainte pénale contre elle, même s'il y avait eu contre-plainte de l'autre côté, chacune des deux personnes exposant une version contraire. Il y avait eu finalement eu un arrangement.

M. B______ a expliqué au tribunal, qui l'a questionné au sujet des messages qu'il avait adressés à son épouse ces derniers jours, qu'il cherchait simplement à arranger les choses. Au sujet du message dans lequel il lui annonçait son retour le vendredi à 17h en lui disant « au plaisir de te revoir », il contestait l'appréciation du tribunal selon laquelle il pouvait s'agir d'une forme d'ironie menaçante. Il voulait simplement être poli et préserver ses possibilités d'avoir un contact avec sa fille.

Il ne pouvait pas imaginer ne pas pouvoir rentrer à la maison prochainement pour disposer au moins d’un peu de temps en vue de s’organiser pour la séparation que souhaitait son épouse. Sur question du tribunal, il avait l’espoir qu'ils pourraient poursuivre leur vie commune, car même si cela avait été très compliqué, il l'aimait encore. Le tribunal lui a fait remarquer que dans les messages qu'il avait adressés à son épouse ces derniers jours, il n’y en avait pas un seul dans lequel il exprimait son étonnement ou toute autre forme d’émotion à l’égard du fait que Mme A______ l’avait accusé à tort selon lui de lui avoir fait vivre plusieurs années de violences. Il ne voyait pas très bien de quoi parlait le tribunal puisqu'il n'avait jamais commis de violences à l’égard de son épouse.

Le conseil de Mme A______ a persisté dans sa demande de prolongation de la mesure d’éloignement pour une durée de trente jours.

M. B______ a plaidé et s'est opposé à la prolongation de la mesure d’éloignement, expliquant qu'il avait besoin de stabilité, qu'il n'avait plus les moyens de continuer à vivre à l'hôtel, qu'il avait besoin de voir sa fille pour avoir la motivation de continuer à travailler, regrettant en outre que tout arrangement amiable soit impossible de par la position prise par son épouse.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, M. B______ admet à demi-mot les violences commises à l'encontre de son épouse les 22 et 23 février 2025, puisqu'il ne nie pas que cette dernière ait heurté un meuble durant leur dispute, ni le fait d'avoir lancé une boîte à lunettes dans sa direction, ce qui a entraîné chez elle, par le bris du verre qu'elle tenait alors, des blessures au visage et au pouce, visibles sur les photographies prises par la police. Quant à la chute contre le meuble, elle a provoqué un large hématome sur la cuisse de Mme A______, également visible sur l'une des photographies prises par la police.

5.             M. B______ prétend que son épouse est tombée contre le meuble alors qu'il ne cherchait qu'à repousser l'attaque de cette dernière, qu'il n'a pas cherché à viser son épouse avec la boîte à lunettes, et que celle-ci aurait malencontreusement rebondi contre Mme A______ après avoir d'abord heurté une table.

6.             Le tribunal ne saurait le suivre : pour faire tomber son épouse contre un meuble de la chambre à coucher alors qu'il prétend qu'elle s'était précipitée sur lui dans la salle de bain, il a fallu au moins qu'il la repousse très énergiquement, faisant déjà preuve à ce moment d'une violence physique intentionnelle allant au-delà du simple fait de se défendre. Quant au jet de la boîte à lunettes, le tribunal n'accorde aucun crédit au fait qu'elle aurait d'abord rebondi contre une table, sans viser tout d'abord Mme A______. En effet, une telle coïncidence paraît très peu probable, étant relevé le climat de tension qui régnait alors au domicile des parties et le fait qu'un jet intentionnel en direction du visage de l'intéressée paraît dans ces conditions beaucoup plus probable.

7.             En réalité, les semi-aveux de M. B______, qui consistent à admettre uniquement l'existence objective des traces laissées sur le corps de son épouse, mais à tenter de les séparer de toute intention violente en les expliquant par des circonstances accidentelles, correspondent à son déni plus général de toute violence durant les huit années de la vie du couple.

8.             Hormis le fait qu'il n'a pas contesté avoir été lui-même victime de graves violences de la part de son père (ce qui entraîne très fréquemment un phénomène de répétition dans lequel la victime devient à son tour violente : cf. p. ex. ttps://shs.cairn.info/trauma-et-resilience--9782100576548-page-49?lang=fr), ni le fait d'avoir eu jusqu'à environ deux ans en arrière une consommation problématique d'alcool (comportement fréquemment corrélé à la violence domestique : cf. p. ex. google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiJzejQ6vWLAxWI0AIHHcIeEX0QFnoECAcQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.bag.admin.ch%2Fdam%2Fbag%2Ffr%2Fdokumente%2Fnpp%2Fthemenhefte%2Fthemenheft-alkohol-haeusliche-gewalt.pdf&usg=AOvVaw3kPuixvE9WIC2ac WFbXC6P&opi=89978449), M. B______ se contente de contester en bloc les explications circonstanciées données par son épouse sur ses souvenirs les plus saillants relatifs aux violences qu'elle a subies durant la vie du couple.

9.             Son attitude en audience, consistant, face aux graves accusations portées à son encontre, à revenir à plusieurs reprises sur des questions financières, sans faire autrement état desdites accusations, a un lien étroit avec le fait que, dans les messages qu'il a envoyés à son épouse nonobstant l'interdiction qui lui avait été signifiée, aucun d'entre eux ne fait la moindre allusion à la question de la violence. Comme le tribunal l'a exprimé à l'intéressé durant l'audience, il paraît extrêmement surprenant qu'une personne accusée d'avoir gravement porté atteinte à la sécurité et à l'intégrité physique et psychique de son partenaire de vie durant plusieurs années, n'y fasse aucune allusion dans des messages privés envoyés juste après ces accusations, n'exprime ni colère, ni chagrin, ni le moindre sentiment de trahison, et se contente d'évoquer des problématiques matérielles.

10.         Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, le tribunal est convaincu des violences dont Mme A______ a été victime durant plusieurs années de la part de M. B______. Compte tenu de l'absence totale de prise de conscience de ce dernier, qui ne s'est d'ailleurs pas rendu à l'entretien socio-thérapeutique auquel il était tenu, il paraît, en l'état, hors de question d'admettre un retour du précité au domicile conjugal sans que Mme A______ n'encoure à nouveau le risque de subir des violences de la part de son époux.

11.         Par conséquent, la demande de prolongation sera admise, la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de trente jours et elle prendra fin le 6 avril 2025 à 17h00.

12.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 3 mars 2025 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 24 février 2025 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 6 avril 2025 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

Genève, le

 

Le greffier