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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/562/2025

JTAPI/197/2025 du 20.02.2025 ( LVD ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/562/2025 LVD

JTAPI/197/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 février 2025

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Cyril AELLEN, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 12 février 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de douze jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher, de contacter ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse, Madame A______, sise ______[GE] et de contacter ou de s'approcher de l'enfant mineur C______, ni de se rendre au centre commercial de ______(GE).

 

Par le passé, B______ avait saisi la gorge de son épouse. Les dernières violences étaient des injures et des voies de faits. Par son comportement violent, B______ démontrait qu'il était nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement administratif afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.

2.             A______ a déposé plainte pénale à l'encontre de son époux le 12 février 2025. Depuis qu'elle avait débuté une activité au centre commercial de ______(GE) le 1er janvier 2024, son époux se rendait à son travail pour voir ce qu'elle faisait et la surveillait. A une reprise, au domicile conjugal, entre janvier et mars 2024, il l'avait traitée de "sale vache" et de "sale cochonne". Elle l'avait donc giflé en retour avant de se rendre au salon. C'est alors qu'il lui avait saisi la gorge, devant sa fille, C______. Il fouillait également son téléphone. A la fin juin 2024, il l'avait menacée de mort en lui disant :" Si je te vois avec quelqu'un, je te coupe la tête et l'autre aussi". Depuis novembre 2024, c'était dispute sur dispute. Lors d'une dispute entre le 11 et le 12 février 2025, son époux l'avait menacée en lui disant qu'elle allait payer tout ce qu'elle avait fait, l'avait traitée de "grosse pute" et lui avait craché dessus.

3.             Auditionné le 12 février 2025, B______ a déclaré que son épouse laissait son téléphone, qu'il connaissait le code et qu'elle regardait aussi dans son téléphone. Il ne l'avait jamais injuriée, frappée ni menacé de mort. C'est elle qui l'avait giflé il y avait longtemps. Son épouse mentait. Il ne se rendait pas au centre commercial pour la surveiller mais s'y trouvait souvent pour aller boire un café. Parfois, il prenait C______, qu'il considérait comme sa fille, et ils se rendaient au travail de son épouse. Ses relations avec C______ étaient très bonnes.

4.             Par acte du 19 février 2025, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, A______, sous la plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours.

Le contrôle imposé par son mari lui pesait. Elle s'était vue contrainte de suivre un mode de vie strict et dépourvu de la possibilité de voir ses connaissances. Lors d'épisodes de colère, il était commun que B______ l'insulte violemment et menace de la tuer. Il exerçait également son contrôle en fouillant son téléphone ou en la suivant en voiture lors de ses déplacements. Il lui signifiait également qu'elle riait trop avec les clients du café et qu'elle était trop ouverte avec ceux-ci. Elle était terrifiée par les agissements de son époux et par l'idée de devoir à nouveau l'affronter. Elle était suivie par un psychiatre qui lui avait prescrit un traitement médicamenteux, était victime de crises d'angoisse et avait une peur panique qu'il revienne à la maison. Elle souhaitait entamer une procédure judiciaire de séparation.

Elle a produit notamment un certificat médical du Dr. D______, psychiatre, daté du 18 février 2025 attestant d'une symptomatologie anxieuse très marquée, réactionnelle à la crainte pour sa petite fille ou elle-même, qu'à l'échéance de la mesure d'éloignement son époux puisse passer à l'acte correspondant aux menaces proférées.

5.             Vu l'urgence, le tribunal a informé A______ par courriel et A______ par téléphone le 19 février 2025, de l'audience qui se tiendrait le 20 février 2025.

6.             Lors de cette audience, A______ a sollicité la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours en ce qui la concernait mais pas pour sa fille C______. Elle a expliqué que son époux avait toujours été très gentil avec sa fille. Il n'avait jamais été violent à son égard. Elle confirmait les déclarations effectuées à la police ainsi que le contenu de la demande de prolongation rédigée par son avocat. Elle souhaitait se séparer d'avec son époux et comptait déposer une demande en mesure de protection de l'union conjugale auprès du tribunal civil. Si la mesure d'éloignement était levée ou non prolongée et que son époux revenait à la maison, ça serait invivable. Elle avait peur de lui, de son comportement violent, de ses menaces et de ses insultes. Ils n'avaient eu aucun contact depuis le prononcé de la mesure d'éloignement. Il ne s'est pas rendu au centre commercial de ______(GE). Elle n'avait jamais autorisé son époux à accéder à son téléphone portable.

Quant à lui, B______ a déclaré que lorsqu'il se rendait au centre commercial de ______(GE), ce n'était pas dans le but de faire du mal à son épouse qu'il ne surveillait pas. S'il y allait, c'était pour boire un café après avoir été chercher C______ et afin qu'elle puisse voir sa maman. Il n'avait jamais injurié son épouse. Par contre, lors d'une dispute, elle l'avait giflé. C______ était présente et elle avait alors commencé à pleurer. Il n'avait pas saisi la gorge de son épouse comme elle le prétendait. Il ne savait pas pour quelles raisons son épouse disait cela mais c'était faux. Il ne l'avait jamais menacée de mort ni ne lui avait dit que s'il la voyait avec quelqu'un d'autre, il lui couperait la tête. S'agissant du 12 février 2025, il lui avait demandé de l'aider financièrement car il payait tout. Il ne l'avait pas traitée de grosse pute ni ne lui avait craché dessus. Ils s'étaient simplement énervés. Il avait quitté le domicile et dormi dans la voiture par la suite. Son épouse lui avait menti sur plusieurs aspects. Par exemple, il lui avait proposé d'acheter deux téléphones portables simultanément. Elle avait refusé et s'en été acheté un par la suite. Lorsqu'il lui avait demandé pourquoi elle avait fait cela, elle lui en avait acheté un. Il était d'accord avec la demande de prolongation de la mesure d'éloignement. Son épouse lui manquait mais il espérait que la situation se calme. Il ne souhaitait pas se séparer.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, les faits dont Mme A______ se plaint d'avoir été victime correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. Vu son état psychique, attesté par certificat médical, il est indéniable que les intéressés connaissent des difficultés et que la situation est complexe et tendue entre eux. Leurs déclarations sont contradictoires mais le tribunal a pu se rendre compte, lors de l’audience de ce jour, que la situation n’était guère apaisée entre eux. Or, à ce stade, la question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de séparer les intéressés en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile est lui aussi l'auteur de violences, lesquelles peuvent également être psychologiques. Au surplus, M. B______ a consenti à ce que la mesure d'éloignement soit prolongée pour 30 jours.

6.             Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements, la situation visiblement conflictuelle et complexe dans laquelle les parties se trouvent, la tension palpable qui entache leurs rapports, la perspective qu'ils se retrouvent dès le 24 février 2025 sous le même toit apparaît inopportune, le risque de réitération de violences, notamment psychologiques, dans un tel contexte, ne pouvant être exclu.

7.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de 30 jours concernant A______ uniquement, cette dernière n'ayant pas demandé la prolongation pour sa fille C______.

8.             Enfin, il sera rappelé que d'entente entre les parties, l'oncle de B______ pourra, cas échéant, venir chercher dans l'appartement des effets personnels de ce dernier, après avoir convenu d'une date préalablement avec A______.

9.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

10.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 19 février 2025 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 12 février 2025 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet en ce qui la concerne uniquement ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement en ce qui concerne Madame A______, pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 26 mars 2025 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, au commissaire de police ainsi qu'au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

Genève, le

 

Le greffier