Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/520/2025

JTAPI/191/2025 du 20.02.2025 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/520/2025 LVD

JTAPI/191/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 février 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Camille LA SPADA-ODIER, avocate, avec élection de domicile

contre

Madame B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Le 15 février 2025 à 21h58, la police est intervenue pour un conflit au sein du couple composé de Monsieur A______ et Madame B______.

2.             Selon le rapport de renseignements établi le 16 février 2025, Mme B______ a expliqué s’être disputée avec son mari, qui lui aurait saisi fortement le bras. Ils seraient tous les deux tombés au sol et son mari se serait retrouvé sur elle, l’empêchant de bouger. A______ a pour sa part expliqué s’être disputé avec son épouse et que la situation avait dégénéré. Ils se seraient retrouvés tous les deux au sol mais il n’aurait pas porté de coups à son épouse. Il présentait une blessure au niveau du menton.

Le couple avait deux enfants communs soit C______ et D______, des jumelles de neuf ans. Elles avaient été témoins de ladite dispute.

3.             La police a procédé à l’audition de A______ le 16 février 2025 à 1h00. Il a expliqué s’être marié en 2004 avec Mme B______ et avoir deux filles en commun avec elle. Il était père de trois enfants provenant d’une autre union. Leur relation de couple s’était passée bien jusqu’en 2019 lui semblait-il : à partir de cette année, il avait commencé à s’opposer à sa femme, notamment sur l’éducation des enfants et la manière de lui parler.

Sa femme était en effet violente autant physiquement, psychologiquement que verbalement envers leurs filles. À titre d’exemple, sa femme avait obligé leurs filles de trois ans à ravaler leur vomi. Elle avait vidé des bouteilles de whisky sur sa tête. Entre 2023 et 2024, elle lui avait notamment craché au visage à trois reprises et asséné des gifles. Elle lui avait également dit qu’elle avait l’intention d’aller voir ses employeurs afin de le discréditer auprès d’eux. En septembre ou octobre 2024, elle avait endommagé son scooter, notamment en s’acharnant dessus. Il était actuellement suivi par un psychiatre spécialiste dans le domaine des hommes en souffrance : selon son psychiatre, sa femme avait une emprise sur lui et c’était difficile de vivre avec cela.

Lorsqu’il n’était pas d’accord avec elle, elle devenait agressive. À chaque fois qu’ils avaient un projet en cours, financier ou autre, ils se disputaient, ne voyant pas les choses de la même manière. Il supportait l’ensemble de la charge financière du foyer.

Ils faisaient chambre à part et, le 15 février 2025 à 21h30, lorsque sa femme était rentrée de ______[FRANCE], elle était venue le voir en lui disant qu’elle voulait récupérer la chambre, cette dernière était plus grande que la sienne. Il avait refusé et sa femme avait alors pris son téléphone dans le but de le faire chanter. Il pensait même qu’il s’agissait de manipulation. Du coup, il avait pris son sac dans le but qu’elle puisse lui rendre son téléphone. Alors qu’ils étaient dans l’escalier de la maison, il avait tenté de prendre son téléphone qui se trouvait dans la poche arrière du pantalon de sa femme. Leur fille C______ était arrivée et avait pris le téléphone de sa mère. Elle leur avait demandé d’arrêter, ce qu’ils avaient fait. Il n’y avait rien eu de plus. Concernant sa blessure au menton, il ne savait pas comment il se l’était faite. Il se pouvait qu’elle se soit produite alors qu’il essayait de reprendre son téléphone. Il n’y avait pas eu de coups portés ni d’un côté ni de l’autre. Finalement, sa femme avait contacté la police.

En octobre 2024, il avait discuté avec ses deux filles et leur avait libéré la parole c’est-à-dire que, vu les tensions et les violences émises par leur mère, il leur avait proposé, dans le cas où elles en ressentiraient le besoin, d’en parler à l’école. Du coup, elles avaient eu un contact avec l’infirmière, laquelle, selon lui, était en contact avec le service de protection des mineurs (ci-après : SPMi). En janvier 2025, il avait transmis une lettre au SPMi dans laquelle il décrivait les violences que ses filles et lui subissaient. Il a remis une copie de cette lettre à la police. Au début du mois de février 2025, ses filles, à leur demande, avaient dormi avec lui. Pendant la nuit, il avait remarqué que sa femme était entrée dans la chambre et les avait filmés. À son avis, elle avait fait cela dans le but de le nuire dans le futur.

Il ne souhaitait pas déposer plainte pénale. Il s’occupait de leurs filles tous les soirs de 18h00 à 20h00.

Il reconnaissait que sa femme et lui s’étaient retrouvés au sol lors de la dispute et que, lorsqu’il avait essayé de prendre son téléphone portable, il était possible qu’il lui ait saisi le poignet.

4.             Mme B______ a également été entendue par la police le 16 février 2025, à 1h15. Elle a expliqué que son mari et elle faisaient depuis six mois chambre à part : elle dormait sur le canapé du rez-de-chaussée. Cela faisait longtemps qu’il y avait des hauts et des bas dans son couple. Son mari la dénigrait souvent et ne faisait preuve d’aucun soutien pour elle envers sa famille. Elle savait que les enfants de son mari avaient une forte emprise sur le comportement de ce dernier ; du coup, il passait son temps à la dénigrer auprès d’eux pour toutes sortes de raisons. Elle avait de nombreux exemples à citer. Il y avait des problèmes de communication entre eux, et elle subissait des pressions constantes de la part de son mari. Il n’avait plus de respect pour elle et elle se demandait s’il en avait déjà eu. Elle subissait la situation et c’était très difficile.

Le 15 février 2025 à 21h30, elle avait demandé à son mari de libérer le lit conjugal car elle estimait que c’était à son tour d’y dormir mais il avait refusé. De suite, elle avait pris la valise de son mari qui était ouverte devant son armoire afin qu’elle puisse accéder à celle-ci. Elle avait également débranché la télévision afin de l’installer dans une autre chambre, voulant lui faire comprendre qu’elle allait dormir dans la chambre conjugale ce soir. Son mari avait évidemment mal pris la manœuvre. Par la suite, elle avait pris son téléphone qui était posé sur la table de chevet. C’était là que les problèmes avaient commencé, son mari ayant couru après elle dans la maison afin de le récupérer. Selon elle, il avait peur qu’elle voie les messages qu’il échangeait avec sa fille avocate ou son fils policier. Son mari avait réussi à lui agripper le poignet alors qu’elle était dans les escaliers et ils étaient tombés. Il s’était retrouvé sur elle et continuait de chercher son téléphone qu’elle avait mis dans sa poche arrière de son pantalon. Elle ne savait plus exactement comment, mais le téléphone avait été récupéré par l’une de ses filles. Cette dernière avait redonné le téléphone à son mari et il s’était arrêté. Elle avait remarqué que son mari était blessé au menton mais elle ne savait pas comment il s’était fait cela : elle ne l’avait pas touché.

Elle avait une marque au poignet mais n’allait pas aller chez le médecin. Elle ne se souvenait pas s’il y avait eu des menaces ou des injures. Elle pensait que les filles avaient vu le conflit. Des faits similaires s’étaient déjà produits mais elle n’avait jamais fait appel à la police. Elle ne pensait pas déposer plainte pénale. Elle n’espérait pas être éloignée du domicile, n’ayant aucune famille à Genève contrairement à son mari. Elle souhaitait pouvoir préserver ses filles de la situation.

Cette situation l’affectait beaucoup. Ce jour, c’était l’anniversaire du décès de son papa et son mari lui avait dit que son père devait se retourner dans sa tombe. Son mari avait également pris les passeports des filles et avait catégoriquement refusé de les rendre.

Entre 2023 et 2024, elle se souvenait lui avoir craché dessus car il l’avait insultée devant les enfants, la traitant notamment de « moins que rien » et de « parasite ». Il avait également dit qu’elle était rigide et frigide. Elle ne se souvenait pas de toutes les insultes mais elle ne lui avait pas craché dessus sans raison. Elle avait effectivement démonté le rétroviseur de son scooter et l’avait poussé contre le grillage de la propriété. Le scooter n’avait pas été endommagé. Elle avait traité son mari de soûlard et il était fort probable qu’elle l’ait traité de « goy ».

Elle n’avait jamais forcé ses enfants à manger leur vomi.

Elle se considérait comme bafouée et dénigrée par son mari, lequel la rabaissait devant toute sa famille et la sienne, et leurs amis. Il aimait se faire passer pour la victime mais ce n’était qu’une illusion. Il s’agissait de son ressenti permanent mais elle était aussi une victime et il ne s’en rendait pas compte. Il l’attaquait devant tout le monde. Il était aussi très fort pour jouer le gentil et le généreux devant les autres et elle n’avait aucun moyen de rivaliser contre ça.

5.             Par décision du 16 février 2025 à 10h21, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement s’étalant du 16 février 2025 à 7h00 jusqu’au 26 février 2025 à 17h00 à l'encontre de A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme B______, située ______[GE] et de contacter ou de s'approcher d’elle et de ses filles mineures C______ et D______.

Selon cette décision, A______ avait saisi le poignet de sa femme en lui causant un hématome le 16 février 2025 au domicile conjugal.

6.             A______ a fait opposition à cette décision par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 17 février 2025. Il a produit un chargé de pièces.

Ses filles avaient fait des révélations de maltraitance et de violence subies de la part de leur mère, respectivement de violence conjugale dont elles avaient été témoins au sein du foyer à l’infirmière scolaire début novembre 2024, selon un courriel de ladite infirmière joint. Fin novembre 2024, il avait initié une procédure par-devant le SPMi. Il sollicitait l’audition de l’infirmière.

Il avait également adressé, le 27 janvier 2025, un courriel circonstancié au SPMi sur la situation et, depuis, le conflit au sein du domicile conjugal et l’acharnement psychologique de son épouse à son égard et à l’égard des enfants s’étaient accentués. Depuis sa confrontation avec l’infirmière scolaire, il semblait que Mme B______ manipule et instrumentalise les enfants pour se soustraire à toute intervention du SPMi et éviter que les enfants parlent de ce qu’elles subissent à la maison.

Lors des faits du 15 février 2025, Mme B______ avait certainement été blessée au poignet lorsqu’il avait été contraint de le lui saisir pour récupérer son téléphone qu’elle refusait de lui restituer. Il avait également été blessé au niveau du menton.

En raison de la violence qu’il subissait et des conséquences sur son état psychologique et émotionnel, il avait été contraint, il y avait plusieurs mois, de mettre en place un suivi auprès d’un psychologue spécialisé reconnu dans le domaine des violences conjugales.

Il contestait fermement être l’auteur de violences conjugales à l’encontre de son épouse et se trouvait depuis plusieurs années dans une relation d’emprise telle qu’il n’avait jamais osé dénoncer ce que tant lui que les enfants subissaient au quotidien, et ce dans un souci de préserver sa famille et de ne pas faire de vagues.

Or, la tournure que prenait aujourd’hui la situation était inacceptable car il se retrouvait éloigné du domicile de ses enfants et ainsi dans l’incapacité de les protéger des comportements toxiques, malveillants et violents de leur mère. La mesure d’éloignement s’avérait infondée et inadéquate.

De plus, il entretenait une relation très forte et parfaitement saine avec ses filles qui se retrouvaient aujourd’hui subitement coupées de contact avec leur figure d’attachement sécurisante et malheureusement prises en otage par les agissements de leur mère, ce qui était susceptible de porter atteinte à leur intérêt et à leur bon développement.

C______ avait tenté de le joindre dimanche matin, visiblement très affectée et perturbée par la situation. Lui-même avait eu un contact téléphonique avec elle le 16 février 2025 à 8h49, soit avant que l’interdiction d’entrer en contact avec ses filles ne lui soit notifiée.

Depuis le départ du domicile, C______ ne cessait de tenter d’entrer en contact avec lui, cette dernière semblant être dans l’incompréhension totale de la situation. Il apparaissait que l’interdiction de contact dont il faisait l’objet n’avait pas été correctement expliquée aux enfants. Compte tenu du contexte de la situation familiale et des violences dénoncées depuis de nombreuses années, il lui semblait peu compréhensible que les inspecteurs de police qui étaient intervenus à son domicile n’aient pas jugé utile d’entendre les enfants.

Il était ainsi urgent de protéger les enfants et, ainsi, en parallèle de la présente procédure, les autorités civiles compétentes seraient requises en ce sens.

7.             Le dossier établi par la police et transmis par courriel au tribunal contient notamment la photo des blessures de Mme B______ et de A______, ainsi qu’une copie d’une lettre non datée rédigée par A______ à l’attention du SPMi.

8.             A______ a déposé trois clés USB identiques au tribunal le 18 février 2025 à 11h25 contenant les récents enregistrements audio de ses enfants.

9.             Quelques minutes avant l’audience fixée au 19 février 2025 devant le tribunal, la représentante du commissaire de police a déposé son dossier original et une clé USB en un seul exemplaire.

10.         Chaque parties a reçu du tribunal une copie complète du dossier à l’exception de la clé USB déposée par la représentante du commissaire de police en un seul exemplaire.

11.         A l'audience du 19 février 2025 devant le tribunal, A______ a indiqué s'opposer à la mesure d'éloignement. Il a indiqué n’avoir pas déposé de clé USB lors de son audition à la police mais avoir transmis une vidéo par "Airdrop" concernant les dommages sur son scooter. Il avait pris contact avec VIRES et devait les rappeler ce jour car il n’avait pas pu prendre leur appel téléphonique hier soir. Il a indiqué qu'actuellement il habitait chez sa mère à ______ [GE]. Il trouvait la mesure totalement injuste car c’était lui qui était la victime. Il ne pensait pas qu'il avait été nécessaire qu’il soit éloigné de son épouse ni que son épouse soit éloignée de lui. Il tenait à indiquer qu’il n’était pas la personne violente dans le couple et l'évènement du 15 février 2025 lui avait fait prendre conscience qu'il n'était plus possible qu’il rentre au domicile conjugal. Il a contesté totalement dénigrer son épouse. Jusqu'à leur dernière rencontre avec cette psychologue il avait pensé qu’ils pouvaient trouver un « modus vivendi" » pour continuer à vivre ensemble mais suite à la dernière séance, il s’était rendu compte qu’ils se dirigeaient vers une séparation. Au terme de la mesure, il n'envisageait pas de retourner au domicile conjugal : il allait rester quelques semaines chez sa mère à ______ (GE) pour ensuite trouver un appartement lui permettant de recevoir ses filles. Son idée était d’établir une garde alternée en maintenant les filles dans leur maison de ______[GE] et en y logeant alternativement une semaine sur deux. Il s’opposait à cette mesure car elle légitimait la position de son épouse alors que c'était cette dernière qui avait totalement tort: c'était lui qui était la victime et non son épouse. Cette mesure avait été un choc pour lui.

Egalement entendue en qualité de partie, Mme B______ a indiqué qu’elle était d'accord avec la mesure pour un éloignement entre son époux et elle mais elle voulait comprendre pourquoi ses enfants avaient été éloignés de leur papa. Elle savait que ses filles avaient tenté de joindre leur papa mais que ce dernier n'avait pas répondu. Jusqu'à ce qu’elle lise les rapports que le tribunal lui avait transmis elle n'avait pas compris que ses filles ne pouvaient pas entrer en contact avec leur papa. Elle n’avait aucune crainte de violence physique de son époux sur leurs filles. Elle pensait que cette mesure était nécessaire et justifiée pour leur permettre de prendre maintenant leurs responsabilités et surtout de prendre conscience des conséquences pour le bien-être de leurs enfants. Elle vivait un dénigrement permanent de la part de son époux, et ce depuis 20 ans, notamment envers leurs amis. Elle estimait que son mari était instrumentalisé par ses enfants. Elle ne pouvait plus vivre dans cette situation. Elle a indiqué que la semaine dernière, ils étaient allés voir une psychologue conjugale à l'Association de l'école des parents; ils rencontraient un gros problème de communication et voulaient trouver une solution, en particulier pour leurs deux filles. Malgré l'intervention de cette psychologue rien n'avait changé. C’était son mari qui avait en premier appelé la police en octobre 2024 suite à l'évènement du scooter. Elle estimait qu'il ne prenait pas conscience de ses actes et qu'il se plaçait en victime. Elle a indiqué qu’elle avait quitté la chambre conjugale il y avait six mois et son mari avait envers elle un grand manque de considération. A chaque fois qu'il y avait une dispute verbale et qu’elle lui répondait il estimait être la victime. Elle faisait face à une violence non verbale de la part de son mari depuis leur mariage et comme elle l’avait déjà dit de manque de considération et de dénigrement.

La représentante du commissaire de police a indiqué ne pas connaître le contenu de la clé USB qu’elle avait déposée. A son avis, il s'agissait de la clé dont il était fait référence dans le rapport de renseignements, laquelle avait été créé par A______. Cette clé était en lien avec un évènement sur un scooter. Sur question de Mme B______, la représentante du commissaire de police a indiqué que la police avait estimé que la mesure d'éloignement devait également comprendre les enfants car ils avaient assisté à l'évènement du 15 février 2025. Elle a demandé la confirmation de la mesure d'éloignement prononcée le 16 février 2025 à l'encontre de A______ jusqu'au 26 février 2025 à 17h00 uniquement en ce qui concerne l'éloignement envers Mme B______.

Mme B______, A______ et la représentante du commissaire de police ont indiqué être d’accord pour que la mesure soit levée envers les deux enfants du couple. A______ et Mme B______ se sont mis d'accord pour que A______ prenne les deux filles ce jour, 19 février 2025, à 16h00 à E______ et les redépose au même endroit à 18h00. A______ s'occupera également des filles le vendredi 21 février prochain de 16h00 à 18h00 en les prenant à l'école et les ramenant à la maison. La représentante de la police a indiqué être d’accord avec cette organisation. Les époux ont précisé que leurs deux filles avaient toutes les deux une montre connectée permettant de les appeler tous les deux, elles pourraient ainsi les tenir informés. Ils ont informé le tribunal qu’ils étaient d'accord de discuter dès la fin de la mesure d'une organisation pour leurs filles permettant en particulier à A______ de les voir régulièrement alors qu'il ne serait plus au domicile conjugal.

Au terme de l’audience, le tribunal a indiqué aux parties qu’il ne consulterait pas la clé USB déposée ce jour par la représentante du commissaire de police.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             A titre liminaire, le tribunal prendra acte de l’accord de toutes les parties à ce que la mesure soit levée immédiatement envers les deux filles du couple et que A______ puisse avoir des contacts avec ses filles selon l’organisation établie lors de leur audition par le tribunal du 19 février 2025.

Concernant la situation des époux, même si leurs déclarations sont partiellement contradictoires, en particulier sur leur ressenti quant à leur quotidien et sur les raisons des difficultés qu’ils rencontrent actuellement - tous les deux s’estimant être victime de violence de la part de l’autre, particulièrement verbale et psychologique - il ressort clairement desdites déclarations que la situation entre eux est conflictuelle et tendue, et que la communication est quasiment rompue. Ils font chambre à part depuis près de six mois et se sont rendus à trois reprises chez une psychologue pour leurs problèmes de couple. Ils ont tous les deux confirmé qu’une séparation était nécessaire.

Il ressort du déroulement de l’événement du 15 février 2025 décrit par les deux époux que leur dispute à propos de l’utilisation de la chambre parental a entrainé une altercation physique lors de laquelle A______ a saisi le poignet de sa femme, lui causant un hématome, afin de récupérer son téléphone que sa femme avait pris et qu’il a été blessé au menton, sans qu’aucun des époux n’ait pu expliquer d’où venait cette blessure. Les photos produites corroborent ces faits, lesquels correspondent à la notion de violence domestique, au sens défini plus haut.

Face à une telle situation, la question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir : l'essentiel est de séparer les intéressés en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile familial est lui aussi l'auteur de violences.

Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements, de la situation visiblement conflictuelle et complexe dans laquelle les deux intéressés se trouvent, la mesure d’éloignement prononcée le 16 février 2025 en ce qui concerne les époux apparait comme adéquate et justifiée pour empêcher notamment un nouveau conflit et une montée de la violence, et la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même A______ a indiqué ne pas souhaiter retourner au domicile conjugal au terme de la mesure mais vouloir trouver un appartement lui permettant d’accueillir ses filles, et que les deux époux s’accordent pour dire qu’une séparation est nécessaire.

Par conséquent, étant rappelé, comme précisé plus haut, que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de la personne de leur auteur - sans conclure que la personne restée au domicile n’a pas également été l’auteur de violence, physique, verbale ou psychologique -, le tribunal confirmera, en l'espèce, la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de A______. Prise pour une durée de neuf jours, soit la durée la plus courte prévue par la loi, elle n'apparaît pas d'emblée disproportionnée. L'atteinte à la liberté personnelle de A______ résultant de la décision entreprise, qui apparaît utile, nécessaire et opportune, demeure acceptable, étant observé qu'aucune autre mesure moins incisive ne serait envisageable pour atteindre le but fixé par la LVD.

6.             Par conséquent, l'opposition sera partiellement admise en ce sens qu’elle sera levée en ce qui concerne les enfants C______ et D______ et confirmée pour le surplus tant dans son principe que dans sa durée en ce qui concerne les époux.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 17 février 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 16 février 2025 pour une durée s’étendant du 16 février 2025 à 7h00 jusqu’au 26 février 2025 à 17h00 ;

2.             l'admet partiellement au sens des considérants ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

4.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

Genève, le

 

La greffière