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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/19770/2023

ACJC/1588/2025 du 04.11.2025 sur JTPH/53/2025 ( OO ) , MODIFIE

Rectification d'erreur matérielle : 16.12.2025 : Dispositif, 202, remplacé par 2023.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19770/2023 ACJC/1588/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 4 NOVEMBRE 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 20 février 2025 (JTPH/53/2025), représentée par Me Charlotte BACHMANN, avocate, DGE Avocats, rue Bartholoni 6, case postale, 1211 Genève 4,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [VD], intimé, représenté par Me Raphaël ROUX, avocat, Interdroit avocat-e-s Sàrl, rue de Lausanne 63, 1202 Genève.


EN FAIT

A.           Par jugement du 20 février 2025, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des prud'hommes a condamné A______ SA à verser à B______ 75'942 fr. 50 bruts (ch. 3) ainsi que 1 fr. net, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er avril 2023 (ch. 5), invité la partie qui en avait la charge à verser les déductions sociales légales et usuelles (ch. 4), et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 11). Il a arrêté les frais judiciaires à 1'390 fr., compensés avec l'avance opérée, et les a mis à la charge de A______ SA à raison de 834 fr. et à celle de B______ à raison de 565 fr., A______ SA étant condamnée à rembourser le précité de 834 fr. (ch. 6 à 9), a dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 10), et a débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 11).

Il a notamment considéré que les rapports contractuels étaient soumis à la CCT, que l'employeur avait failli à ses obligations en matière de protection des données ce qui fondait une prétention de "1 fr. symbolique au titre de violation de la LPD", que l'employé avait droit à 9'016 fr. 25 représentant le salaire d'un solde de 5,25 semaines de vacances, ainsi qu'à une indemnité basée sur un plan social à raison de 66'926 fr. 25.

B.            Par acte du 20 mars 2025, A______ SA a formé appel contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation des chiffres 3 en ce qu’il excédait le montant brut de
2'718 fr. 10 (subsidiairement le montant brut de 25'026 fr. 85), 4, 6 à 9 et 11 du dispositif de celui-ci, sous suite de frais judiciaires, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

B______ a conclu à la confirmation des chiffres 3 et 4 du dispositif de ce jugement. Il a formé un appel joint, concluant à l'annulation des chiffres 5, 7 et 9 du dispositif de cette décision, cela fait à ce que A______ soit condamnée à lui verser 29'746 fr. nets avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er avril 2023, et répartisse les frais de la procédure à raison de 80% à la charge de A______ SA et de 20% à sa propre charge, sous suite de frais judiciaires.

A______ SA a conclu à l'irrecevabilité de l'appel joint, respectivement au rejet de celui-ci, avec suite de frais judiciaires. Elle a persisté dans ses propres conclusions.

B______ a renoncé à répliquer sur appel joint et à dupliquer sur appel principal, persistant dans ses propres conclusions.

Par avis du 2 septembre 2025, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :

a. A______ SA (C______ SA jusqu'en janvier 2006) est une société anonyme inscrite au Registre du commerce de Genève, qui a pour but d'étudier construire, exploiter, entretenir et développer en Ville de Genève et cas échéant dans d'autres communes genevoises une antenne collective de télévision et radio ainsi que le réseau de distribution qui en dépend.

Elle ne dispose pas en son sein de personne de confiance. Il n’en existe pas non plus à l’externe.

b. Le 23 août 2007, B______, né le ______ 1966, s'est engagé au service de A______ SA en qualité de conseiller à la clientèle à compter du 16 août 2007.

Son dernier salaire annuel était de 89'235 fr. 05 bruts.

c. A______ SA admet avoir été satisfaite, durant les rapports de travail, des prestations de travail de B______, lequel était apprécié de ses collègues et de ses supérieurs.

d. A______ SA affirme avoir connu une importante décroissance économique dès 2020, perdant de nombreux clients. Elle avait dès lors dû prendre la décision de licencier des collaborateurs, dont des conseillers à la clientèle. En juin 2022, elle avait décidé de supprimer le poste occupé par B______.

Selon le directeur de A______ SA, entendu par le Tribunal, depuis 2020, les clients diminuaient de trimestre en trimestre (témoin D______).

En 2020, il y avait moins de clients intéressés, certains partaient, et il y avait une décroissance économique. A______ SA s’était séparé de nombreux collaborateurs dans tous les services (témoin E______, licencié par A______ SA pour raisons économiques le même jour que B______).

Vu le nombre de licenciements, il était supposé que A______ SA avait rencontré des difficultés financières (témoin F______, au service de A______ SA de 2005 au 31 décembre 2019).

e. Du 20 au 27 juin 2022, B______ a été en vacances.

f. Le 27 juin 2022, A______ SA a convoqué B______ à un entretien, au cours duquel son licenciement lui a été annoncé avec effet au
30 septembre 2022, avec libération immédiate de l'obligation de travailler durant le délai de congé.

Elle lui a soumis une "convention d'accord", prévoyant notamment un programme d'outplacement ou le versement d'un mois de salaire supplémentaire.

B______ allègue ne pas avoir eu le temps de la lire intégralement avant d’apposer sa signature, ni avoir pu recourir à une personne de confiance (inexistante dans l’entreprise). Il allègue qu’il lui a été demandé de quitter immédiatement les locaux de l’entreprise, et qu’il lui a été interdit de prendre congé de ses collègues, de sorte que ceux-ci auraient eu l’impression qu’il avait commis une faute grave, et qu’il en avait conçu un choc.

A______ SA conteste ces allégués. Selon elle, il a été rappelé à B______ qu’il disposait d’un délai de trente jours pour signer la convention.

Au Tribunal, B______ a déclaré que lorsqu’il avait été convoqué, il s’attendait à être remercié pour ses quinze ans de service, qui seraient atteints un mois plus tard, et pas du tout à être congédié.

Un collaborateur de A______ SA, licencié le même jour que B______ a déclaré au Tribunal qu’il ignorait si le précité avait pu dire au revoir à ses collègues ; il avait pris ses affaires et était parti (témoin E______).

La chargée de ressources humaines, a déclaré au Tribunal qu’elle dépendait d’un employeur tiers dont A______ SA bénéficiait des services dans le cadre d’un contrat de mandat. Elle-même ignorait ce qu’était une personne de confiance. L’entretien de licenciement avait duré environ une heure, et il avait été dit à B______ qu’il disposait d’un délai de réflexion avant de signer la convention soumise, ce à quoi il avait renoncé en signant à la fin de l’entretien. (témoin G______).

A la suite d'une protestation du précité, qui avait relevé qu'il avait droit à une indemnité supplémentaire pour ancienneté, une nouvelle convention a été signée par les parties le 29 juin 2022.

Il n’est pas contesté que le licenciement a été signifié pour des raisons économiques.

g. B______ a été totalement incapable de travailler du 27 juin 2022 au 15 janvier 2023, pour cause de maladie, de sorte que les rapports de travail ont pris fin le
31 mars 2023. A cette date, le solde de vacances du précité était de 5,25 semaines. Le salaire dû a été versé jusqu’à l’échéance précitée.

B______ allègue que la cause de son incapacité de travail est le comportement de son employeur.

h. Par lettre du 7 juillet 2022, B______ a communiqué à A______ SA que la convention d’accord qu’il avait signée devait être considérée comme caduque, du fait qu’il avait été pris de court lorsque celle-ci lui avait été présentée.

Par courriel de son syndicat du 10 novembre 2022, il a notamment fait savoir à A______ SA qu’il considérait que celle-ci avait "tenté de se débarrasser de [lui] quand elle a[vait] estimé que ses dénonciations [diverses situations relatives à du mobbing, du harcèlement et d’autres formes de pressions] devenaient embarrassantes, en lui faisant signer un pseudo accord à l’amiable de fin des rapports de travail daté du 27.06.2022". Il était ajouté : "Nous contestons dès lors la validité du licenciement car il est considéré comme nul en fonction du certificat maladie […]". B______ s’est encore déclaré à disposition de son employeur dès que son état de santé le lui permettrait.

Par courriel du 6 janvier 2023, A______ SA a contesté le contenu du courrier électronique du 10 novembre 2022, et fait valoir ce qui suit : "Le départ de
M. B______ répond à des seules considérations de nature économique, les perspectives de la société étant celles d’une décroissance".

Par courrier de son avocat du 29 mars 2023, B______ a formé opposition à son congé et a offert ses services à A______ SA.

i. Le 26 septembre 2023, B______ a saisi l'Autorité de conciliation du Tribunal des prud'hommes d'une requête dirigée contre A______ SA en paiement de 76'662 fr. 05.

Au bénéfice d'une autorisation de procéder délivrée le 14 novembre 2023, il a, le 25 février 2024, déposé au Tribunal des prud'hommes une demande par laquelle il a conclu à ce que A______ SA soit condamnée à lui verser 37'181 fr. 25
(cinq mois de salaire) à titre d'indemnité pour licenciement abusif, 14'872 fr. 50 à titre d'indemnité pour tort moral, 9'967 fr. 90 à titre de jours de vacances non pris, 6'518 fr. 30 à titre de "montant prévu par la convention", et 3'680 fr. 95 à titre de remboursement de frais médicaux, sous suite d'intérêts moratoires, ainsi qu'à lui remettre un certificat de travail, sous menace de l'art. 292 CP.

Dans la partie en droit de sa demande, B______, représenté par avocat, n’a pas donné de fondement juridique autre que les "art. 336ss CO" à sa prétention en licenciement abusif.

A______ SA a conclu à l'irrecevabilité de la demande (dans le corps de son acte s'en remettant toutefois à justice sur ce point), subsidiairement au déboutement de B______ des fins de ses conclusions. Dans son écriture de réponse, elle a notamment fait figurer l’allégué suivant : "En réalité, ces certificats médicaux [attestant l’incapacité de travail à 100% de B______ du 27 juin 2022 au 15 janvier 2023] sont des certificats médicaux de complaisance".

A l'audience du Tribunal du 4 septembre 2024, B______ a renoncé à son chef de conclusion relatif au "montant prévu par la convention", et a amplifié d'autant sa prétention en indemnité pour licenciement abusif. Il a soumis des allégués nouveaux relatifs à son incapacité de travail, et à l'existence d'un licenciement collectif survenu au sein de A______ SA, dans le cadre duquel aucune mesure pour en limiter les effets n'aurait été prise (pas de négociation avec les partenaires sociaux ni d'annonce aux autorités compétentes). Il s'est prévalu de ce que la procédure de licenciement collectif prévu par la CCT n'avait pas été respectée par A______ SA, ce qui constituait un motif supplémentaire au caractère abusif de son licenciement. Il a offert en preuve de son allégué sur l’existence d’un licenciement collectif l’audition des parties, celle de cinq témoins qu’il a désignés et une liste de personnes licenciées entre le 1er janvier 2020 et le
31 mars 2023 à produire.

A______ SA a persisté dans ses conclusions en déboutement de B______. Elle a notamment contesté qu'il y ait eu un licenciement collectif, alléguant que, pour éviter cette issue, elle avait initié, en janvier 2023, des discussions avec sa commission du personnel et [syndicat] H______, lesquelles avaient abouti à un plan social (n. 56). Elle a produit ledit plan social, signé le
4 avril 2023 par [syndicat] H______, la Commission du personnel et elle-même. Elle a retiré son allégué relatif au caractère de complaisance des certificats d’incapacité de travail produits.

Le plan social susmentionné, à teneur de son art. 2, est applicable à toute personne au bénéfice d’un contrat de travail en vigueur, ayant accompli son temps d’essai et licencié pour raisons économiques et/ou dans le cadre d’une restructuration.
L’art. 9, intititulé "validité", stipule ce qui suit : "Le présent plan social entre en vigueur le 21.03.2023, et s’applique à tous les licenciements prononcés par A______. Le plan social peut être résilié par chacune des parties pour la fin d’une année civile, moyennant un préavis de dix mois, la première fois au 31.12.2025".

Par acte du 8 novembre 2024, B______ a renoncé à sa conclusion en remise d'un certificat de travail. Il a pris une nouvelle conclusion en paiement de 66'926 fr. 25 (correspondant à douze mois de salaire, dont à déduire 3 mois de prolongation du délai de congé pour cause de maladies) avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 31 mars 2023, motif pris du plan social précité, dont il venait d’apprendre l’existence, qui prévoyait 12 mois de salaire pour un travailleur de plus de 50 ans au bénéfice d’une ancienneté supérieure à 15 ans.

A l’audience du Tribunal du 13 novembre 2024, A______ SA a conclu à l’irrecevabilité, respectivement au rejet, des nouvelles conclusions de B______. Ce dernier a déclaré ne pas avoir retrouvé d’emploi. Il avait été profondément blessé de voir la validité de ses certificats médicaux d’incapacité de travail mis en doute durant la procédure. A______ SA a présenté au précité ses excuses à ce sujet.

A l’audience du Tribunal du 27 novembre 2024, les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions respectives. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Interjeté contre une décision finale (art. 308 al. 1 let. A CPC), auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. A LOJ), dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), dans le délai utile de trente jours et selon la forme écrite prescrite par la loi (art. 142 al. 1 et 3 CPC,
art. 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable (à l’exclusion, faute de motivation, de la conclusion relative au chiffre 4 du dispositif de celui-ci, quelle qu’en soit la portée).

Formé dans la réponse à l'appel, laquelle a été déposée dans le délai de trente jours fixé à cette fin et dans le respect de la forme écrite (art. 312 al. 2 et
313 al. 1 CPC), l'appel joint est également recevable. S’il est vrai qu’il ne comporte pas de critique directe de la motivation du jugement, comme le relève l’appelante, l’appel joint évoque néanmoins une supposée lacune de cette motivation ; il sera donc retenu que la recevabilité de l’acte ne s’en trouve pas affectée.

2.             L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. A CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. B CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit. En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. B CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4;
138 III 374 consid. 4.3.1).

Hormis les cas de vices manifestes, la Cour doit se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).

3.             Il n’est pas disputé que les rapports de travail ont été soumis à la CCT conclue entre C______ SA et [syndicat] H______. Celle-ci comporte notamment une disposition ainsi rédigée : "En cas de différends avec C______ SA, les collaborateurs et collaboratrices peuvent faire appel à une personne de confiance, qui sera nommée par les deux parties".

4.             L’appelante reproche au Tribunal d’avoir appliqué le plan social à l’intimé. Elle se prévaut de la période de validité du plan social, en observant que le licenciement qu’elle a signifié à l’intimé n’est pas intervenu durant cette période, mais antérieurement.

L’intimé soutient que l’art. 9 du plan social devrait se comprendre comme "le présent plan social entre en vigueur le 21.03.2023 et s’applique à tous les licenciements qui ont été prononcés par A______".

4.1 Rangé parmi les mesures destinées à protéger les travailleurs dans le cadre d'un licenciement collectif (art. 335d ss CO), le plan social est défini à
l'art. 335h al. 1 CO, entré en vigueur le 1er janvier 2014, comme une convention par laquelle l'employeur et les travailleurs fixent les moyens d'éviter les licenciements, d'en limiter le nombre ou d'en atténuer les conséquences. Volontairement brève et générale (Message du 8 septembre 2010 relatif à une modification de la LP, FF 2010 5912), cette description correspond à la notion dégagée précédemment par la jurisprudence, laquelle reste applicable pour déterminer les formes possibles, la teneur et les limites d'un plan social (arrêt du Tribunal fédéral 4A_101/2020 du 14 avril 2021, consid. 4.1).

Si un plan social doit être traité comme une convention collective, les dispositions normatives qu'il contient doivent être interprétées comme une loi
(ATF 133 III 213 consid. 5.2 et les références). Quand il s'agit d'appliquer les dispositions normatives d'une convention collective, il ne faut pas surestimer l'importance de la distinction à opérer entre l'interprétation d'après les principes valant pour les contrats ou les lois. Les dispositions normatives d'une convention collective trouvant leur fondement dans un contrat, la volonté des parties à la convention collective constitue un des éléments d'interprétation. Afin de protéger la confiance de parties individuelles qui n'ont pas pris part à l'élaboration de la norme, il faut toujours se demander, lorsque l'on interprète ces dispositions normatives, si la volonté contractuelle déterminée selon les principes régissant l'interprétation des contrats résiste devant une interprétation objective fondée sur le texte de la norme et la raison d'être de celle-ci (ATF 133 III 213 consid. 5.2).

4.2 En l’occurrence, le contrat de travail de l’intimé s’est achevé au 31 mars 2023, à la suite de l’expiration du délai de congé de trois mois, suspendu par l’incapacité de travail subie.

L’appelante a conclu et signé un plan social avec sa commission du personnel et un syndicat en date du 4 avril 2023, soit postérieurement à la fin des relations de travail avec l’intimé.

D’emblée, il convient de souligner que l’instrument juridique qu’est le plan social est, comme le rappelle le Message du Conseil fédéral cité par le Tribunal fédéral dans son arrêt 4A_101/2020, destiné à éviter ou limiter des congés, ou à en limiter les conséquences. Il a donc vocation par essence à régler une situation future.

Pour des raisons qui n’ont pas été alléguées, le plan social souscrit par l’appelante est entré en vigueur préalablement à sa signature, au 21 mars 2023, soit à une date à laquelle les rapports de travail entre les parties n’étaient pas parvenus à échéance.

Ce plan social était destiné à s’appliquer, dès le 21 mars 2023, "à tous les licenciements prononcés par A______", selon l’art. 9 intitulé "validité" du plan.

Comme le relève pertinemment l’appelante, l’art. 2 du plan social, intitulé "champ d’application", est consacré aux aspects personnels ; les aspects temporels relèvent de l’art. 9. Le texte respectif de ces deux dispositions est clair et univoque, de sorte qu’il n’y a pas à les interpréter ou les reformuler.

Abstraitement, et du pur point de vue du champ d’application personnel, il est exact, ainsi que l’a considéré le Tribunal, que l’intimé aurait été éligible au plan social, en ce sens qu’il a été licencié pour des raisons économiques et/ou dans le cadre d’une restructuration, alors qu’il était au bénéfice d’un contrat de travail en vigueur, après le temps d’essai.

Exprimé ainsi, le critère décisif pour l’application temporelle du plan social s’impose de lui-même : c’est la décision de licenciement de l’employeur, pour des raisons économiques et/ou dans le cadre d’une restructuration, qui ouvre le droit aux prestations prévues dans le plan social.

Or, il est établi que le congé de l’intimé a été valablement prononcé plusieurs mois avant la date d’entrée en vigueur du plan social, fixée au 21 mars 2023, de sorte que ce congé ne peut y être soumis. Peu importe à cet égard que les rapports de travail entre les parties n’aient pas encore trouvé leur échéance, à la date de l’entrée en vigueur du plan social, puisque l’élément pertinent – la manifestation de volonté de l’employeur de mettre un terme au contrat de travail – était bien antérieur à cette date.

La lecture de l’art. 9 proposée par l’intimé ne convainc pas; circonscrire, comme le voudrait celui-ci, le champ d’application temporel du plan social à des licenciements déjà notifiés (avant le 21 mars 2023) mais dont l’échéance du délai de congé n’aurait pas encore été atteinte serait en contradiction avec la vocation de cet acte juridique, destiné à régler de futurs congés. Elle se heurterait également à la période visée à l’art. 9, à savoir des congés "prononcés", et ce durant la période de validité du plan social, soit du 21 mars 2023 au 31 décembre 2025.

Pour le surplus, l’intimé n’a pas contesté l’allégué de l’appelante selon lequel cette dernière n’a envisagé le plan social qu’en janvier 2023, ni n’a prétendu que son propre congé aurait été prononcé au mois de juin 2022 en vue de le soustraire à une procédure de licenciement collectif, respectivement à un plan social déjà ébauché.

En définitive, au vu de ce qui précède, l’intimé n’était pas fondé à se prévaloir du plan social signé le 4 avril 2023, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges.

5.             L’appelante fait grief au Tribunal d’avoir accordé à l’intimé une indemnité correspondant au solde de vacances de 5,25 semaines de vacances, sans examiner la question de la prise en nature des jours de vacances, au vu de la libération de l’obligation de travailler dont il avait bénéficié.

5.1 Lorsqu'il résilie le contrat et libère simultanément le travailleur de son obligation de travailler, l’employeur peut exiger que les vacances auxquelles le travailleur a encore droit soient prises pendant le délai de congé; l'employeur doit cependant, en vertu de l'art. 329 al. 3 CO, tenir compte du temps dont le travailleur a besoin pour la recherche d'un autre emploi. Il est donc nécessaire que le rapport entre la durée du délai de congé et la durée des vacances résiduelles, celle-ci inférieure à celle-là, soit suffisamment important; à défaut, les vacances doivent être remplacées par une prestation en argent (ATF 128 III 271 consid. 4
p. 279). Les vacances résiduelles doivent être prises en nature lorsque leur durée n'excède pas, approximativement, le quart ou le tiers du délai de congé; s'il y a lieu, elles doivent être prises partiellement en nature et pour le surplus remplacées par une prestation en argent (arrêt du Tribunal fédéral 4A_319/2019 du
17 mars 2020, consid. 8).

5.2 En l’espèce, il est constant que l’intimé a été libéré de l’obligation de travailler dès le jour de son congé, le 27 juin 2022. Les rapports de travail se sont achevés le 31 mars 2023, après que l’intimé avait recouvré sa capacité de travailler le
15 janvier 2023.

Selon ce que développe l’appelante devant la Cour, l’intimé aurait pu prendre une partie de son solde de vacances (18,33 jours, représentant le tiers de ce solde dû) entre le 15 janvier et le 31 mars 2023.

Il n’apparaît pas que l’appelante, qui ne le prétend d’ailleurs pas, aurait exigé de l’intimé qu’il prenne une partie des vacances auxquelles il avait droit durant le délai de congé. L’appelante n’a pas soumis aux premiers juges d’allégués relatifs aux jours de vacances que l’intimé aurait, selon elle, pu prendre durant les derniers mois de son délai de congé. Sa critique du Tribunal, lequel n’a logiquement pas examiné les allégués inexistants, est ainsi vaine.

Dans ces circonstances, faute d’allégués valablement introduits en première instance, la Cour n’entrera pas en matière sur ce point.

6.             Compte tenu de ce qui précède, le chiffre 3 du dispositif du jugement sera annulé. Il sera statué à nouveau dans le sens que l’appelante sera condamnée à verser à B______ 9'016 fr. 25 bruts, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er avril 2023, et que dernier sera débouté de ses prétentions en paiement de 66'926 fr. 25 avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 31 mars 2023, liées au plan social.

7.             Dans son appel joint, l’intimé s’en prend au déboutement de ses prétentions en indemnité pour licenciement abusif.

7.1 Selon l'art. 328 al. 1 CO, l'employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur. En particulier, l'employeur ne doit pas stigmatiser, de manière inutilement vexatoire et au-delà du cercle des intéressés, le comportement d'un travailleur (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2; 130 III 699
consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_335/2023 du 20 octobre 2023
consid. 4.1.2).

Même lorsque la résiliation est légitime, celui qui exerce son droit de mettre fin au contrat doit agir avec des égards; le congé doit ainsi être considéré comme abusif au sens de l'art. 336 CO si l'employeur porte une grave atteinte aux droits de la personnalité du travailleur dans le contexte d'une résiliation; un comportement simplement inconvenant ne suffirait cependant pas (ATF 136 III 513 consid. 2.3; 132 III 115 consid. 2.2 et 2.3; 131 III 535 consid. 4.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_51/2024 du 10 décembre 2024, consid.5.3.1).

Un licenciement n'est pas per se abusif dès le moment où il frappe un employé âgé et bénéficiant d'une grande ancienneté (arrêts 4A_117/2023 du 15 mai 2023 consid. 3.4.2, 4A_44/2021 du 2 juin 2021 consid. 4.3.2; Müller, Le licenciement abusif ne peut s'apprécier qu'au cas par cas, spéc. ch. V, traduction française du commentaire ad arrêt 4A_186/2022, in iusNet DT-AS, novembre 2022). Encore récemment, le Tribunal fédéral a rappelé que le droit des obligations ne fait pas obligation à l'employeur d'entendre ou d'avertir l'employé avant de lui notifier son licenciement (arrêt précité 4A_117/2023 consid. 3.4.2). Il n'existe donc pas un droit formel à être entendu avant le licenciement, dont la simple violation imprimerait au licenciement ordinaire un caractère abusif (De Dardel, Vers un droit d'être entendu avant le licenciement en droit privé? in PJA 2023 p. 423 ss, spéc. ch. 6 avant let. B). Le droit privé n'impose pas non plus un devoir général de soumettre un congé au principe de proportionnalité, à savoir de prendre la mesure la plus modérée possible et de ne procéder à une mise à pied qu'en dernier recours (arrêts précités 4A_117/2023 consid. 3.4.2, 4A_44/2021 consid. 4.3.2 et les références).

Cela étant, l'employeur doit faire preuve d'égards particuliers vis-à-vis d'employés proches de l'âge de la retraite, et lui ayant dédié une grande partie de leur carrière (arrêt 4A_384/2014 du 12 novembre 2014 consid. 4 et 5, cité relativement récemment encore dans l'arrêt précité 4A_117/2023 consid. 3.4.2). L'étendue de ces égards s'examine de cas en cas; une règle générale ne peut guère être posée. Les circonstances de l'espèce sont déterminantes, ce qui est systématiquement relevé dans les arrêts les plus récents (voir par ex. arrêts précités 4A_117/2023 consid. 3.4.2 in fine, 4A_44/2021 consid. 4.3.2 in fine).

7.2 En l’espèce, il n’est pas contesté que le motif du licenciement de l’intimé était de nature économique.

Dans sa demande, l’intimé n’a pas explicité lesquels des faits allégués en lien avec son congé seraient constitutifs d’un abus. Dans ses déterminations subséquentes, il a fait référence à une violation des art. 3 CCT et 336 al. 2 let. c CO.

Le Tribunal, dans le raisonnement qu’il a consacré à la prétention de l’intimé en indemnité pour licenciement abusif, a retenu que la convention d’accord signée par les parties était nulle, et que le motif de licenciement économique (admis par l’employé) était réel, de sorte qu’il n’y avait pas d’abus.

En appel, l’intimé soutient nouvellement le caractère abusif du congé qui lui a été notifié en raison de son ancienneté au service de l’appelante. Il fait valoir que cette dernière aurait manqué d’égards à son endroit, en négligeant qu’il était âgé de 56 ans, au bénéfice de près de quinze ans d’ancienneté, en le convoquant sans information préalable à son retour de vacances, en tenant une séance au "caractère expéditif" à laquelle n’était pas présente de personne de confiance, en ne le laissant pas prendre congé de ses collègues. Il en avait conçu un choc, puis été incapable de travailler.

Il se prévaut également de la similitude entre son propre cas et celui ayant fait l’objet de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A _617/2023, jurisprudence (dont il ne s’était pas prévalu devant le Tribunal) qui aurait été ignorée par les premiers juges.

Il est exact que ces derniers n’ont pas examiné la prétention qui leur était soumise sous cet aspect ; à teneur du dossier, et en l’absence de toute référence au contenu des plaidoiries orales de l’intimé, il semble délicat de le leur reprocher. En effet, l’intimé, pourtant assisté d’un avocat, n’a pas fait porter les débats sur ce point. On cherche en vain dans ses écritures de première instance ou dans ses déclarations au Tribunal quelque ébauche de thèse qui s’en approcherait ; certes des faits pertinents à cet égard ont été allégués (âge, ancienneté, circonstances de l’entretien d’embauche) sans toutefois qu’ils soient mis en exergue en lien avec la prétention.

En tout état, dans le cas d’espèce, il est exact que l’employé n’a, à teneur du dossier, pas démérité, qu’il disposait d’une certaine ancienneté (mais pas non plus exceptionnelle), qu’il n’était pas jeune (mais pas non plus proche de l’âge de la retraite), que rien (sinon des difficultés économiques de son employeur) ne laissait entrevoir un congé, et qu’il a été convoqué immédiatement à son retour de vacances. S’il est établi qu’aucune personne de confiance n’existait dans l’entreprise de sorte que l’intimé n’a pu y avoir recours, et qu’une convention d’accord (considérée comme nulle par le Tribunal) lui a été soumise, cela ne paraît pas être le fruit d’une volonté délibérée de l’appelante, mais plutôt d’une organisation déliquescente de celle-ci, due aux incontestées difficultés financières. L’intimé n’est pas parvenu à démontrer que son entretien de licenciement aurait été exagérément bref (le contraire résultant du témoignage G______, qui a évoqué une durée d’une heure), ni qu’il n’aurait pas pu saluer ses collègues (le témoin E______ ayant déclaré ignorer ce point). Au demeurant, un départ plus ou moins rapide de l’entreprise après l’entretien de licenciement apparaît dans l’ordre des choses, lorsqu’une libération de l’obligation de travailler a été prononcée. Certes, l’intimé a ensuite subi une longue incapacité de travail, dont les médecins ont constaté, dans les certificats médicaux produits, que le précité la mettait en lien "avec le travail". S’il n’y a pas lieu de remettre en cause cette constatation, elle n’est pas suffisante pour établir la thèse soutenue. Enfin, l’intimé vise le fait que l’employeur, en procédure, a qualifié ses certificats médicaux de complaisance (allégué retiré, avec excuses), disposait d’un service de ressources humaines insuffisant, et a commis une violation de l’art. 328b CO et de la LPD. Ce dernier élément, objet du chiffre 5 du dispositif du jugement (qui sera confirmé), a été jugé de façon définitive par le Tribunal, de sorte qu’il n’y a pas lieu de le prendre à nouveau en considération à ce stade. Quant au premier, il relève d’une inélégance regrettable, atténuée toutefois par le retrait de l’affirmation et des excuses présentées. Enfin, le deuxième, à supposer qu’il ait été établi, n’apparaît pas avoir eu d’influence sur la situation de l’intimé; celui-ci ne tente d’ailleurs pas de l’expliciter plus avant.

En définitive, au vu de tous les éléments qui précèdent, le congé signifié à l’intimé ne présente pas de caractère d’abus. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point (qui entre dans le déboutement général prononcé par les premiers juges sous chiffre 11 du dispositif du jugement).

8.             La quotité des frais judiciaires de première instance (1'390 fr.) n’a pas été remise en cause; elle est conforme à l’art. 69 RTFMC, de sorte qu’elle ne sera pas revue.

A l’issue de la procédure, l’intimé a obtenu gain de cause sur le principe de deux de ses cinq prétentions (vacances et indemnité pour violation de l’art. 328 CO et de la LPD), et sur une très faible part de la quotité réclamée. L’appelante obtient gain de cause sur une large partie de son appel, tandis que l’appel joint de l’intimé n’était pas soumis à émolument. 

Au vu de ce qui précède, il se justifie, compte tenu également de la disparité économique entre les parties, de répartir les frais judiciaires de première instance et d’appel (600 fr.), soit 1'990 fr. au total, à raison de la moitié (995 fr.) à charge de chacune des parties (art. 106 al. 2, 107 al. 1 let. f CPC), compensés avec les avances respectives effectuées. L’intimé ayant avancé 1'390 fr. et l’appelante 600 fr., le montant de 395 fr. sera restitué à l’intimé, tandis que l’appelante sera condamnée à verser 395 fr. à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). La part à charge de l'intimé sera provisoirement supportée par l'Etat de Genève, puisque le précité plaide au bénéfice de l'assistance judiciaire.

Il n’est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

 

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :

A la forme :

Déclare recevable l’appel formé par A______ SA contre les chiffres 3, 6, 7, 8, 9 et 11 du dispositif du jugement rendu 20 février 2025 par le Tribunal des prud’hommes dans la cause C/19770/2023, et irrecevable pour le surplus.

Déclare recevable l’appel joint formé par B______ contre les chiffres 5, 7 et 9 du dispositif dudit jugement.

Au fond :

Annule le chiffre 3 du dispositif de ce jugement. Statuant à nouveau sur ce point :

Condamne A______ SA à verser à B______ 9'016 fr. 25 bruts, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er avril 202.

Déboute B______ des fins de ses conclusions en paiement de 66'926 fr. 25 avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 31 mars 2023.

Annule les chiffres 6 à 9 du dispositif du jugement.

Confirme les chiffres 5 et 11 du dispositif du jugement.

Déboute les parties de toute autre conclusion d’appel.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de première instance à 1390 fr.

Les met à la charge des parties par moitié et les compense à concurrence de 695 fr. avec l'avance versée par B______.

Ordonne la restitution à B______ du solde de son avance en 695 fr.

Condamne A______ SA à verser à l'Etat de Genève 695 fr.

Arrête les frais judiciaires d'appel à 600 fr.

Les met à la charge des parties par moitié, les compense à concurrence de 300 fr. avec l'avance versée par A______ SA, et les laisse provisoirement à la charge de l'Etat de Genève, en ce qui concerne la part à charge de B______.

Ordonne la restitution à A______ SA du solde de son avance en 300 fr.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Monique FORNI, Monsieur Aurélien WITZIG, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.