Décisions | Chambre des prud'hommes
ACJC/656/2025 du 14.05.2025 ( IUO ) , RENVOYE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/2538/2025 ACJC/656/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des prud'hommes DU MERCREDI 14 MAI 2025 |
Entre
COMMISSION PARITAIRE A______, sise ______, recourante contre une sentence arbitrale de la Chambre des relations collectives du travail,
et
B______ SÀRL, sise ______, intimée.
A. Le 28 février 2024, la Commission paritaire A______ a infligé à B______ Sàrl (société à responsabilité limitée inscrite au Registre du commerce genevois) une peine conventionnelle de 3'355 fr. 65.
Elle a retenu que, le 17 novembre 2023, un contrôle avait été effectué par les inspecteurs du Bureau de contrôle des ______ au no. ______ rue 1______, où B______ Sàrl employait à des travaux de [A______] C______ et D______, que des documents avaient été requis de B______ Sàrl, qu'à transmission de ceux-ci, elle avait constaté des infractions aux art. 12, 18, 19, 20 et 31 CCT/A______, que des réajustements salariaux avaient été ordonnés, lesquels avaient été suivis d'effet dans les délais qu'elle avait impartis, qu'en revanche aucune preuve de versement n'avait été apportée pour C______ en novembre 2023, s'agissant du versement du salaire sur un compte bancaire et l'établissement d'un décompte d'heures travaillées, ni pour D______ de juin à décembre 2023, s'agissant de l'établissement d'un décompte d'heures travaillées. Elle a considéré que la première infraction précitée devait faire l'objet d'une peine conventionnelle de 500 fr., et les autres d'une peine conventionnelle de 1'500 fr. Elle a procédé à une pondération "prévue par l'article 4 point 1 du règlement des peines conventionnelles et des frais administratifs de contrôle de la commission professionnelle paritaire A______ romand" (dont elle n'a pas explicité le détail), qui l'a conduite au montant de total 3'355 fr. 65.
B. Le 16 mars 2024, B______ Sàrl a déclaré à l'attention de la Chambre des relations collectives du travail contester la décision précitée. Elle a requis l'annulation de l'"amende" infligée, dont elle a considéré qu'elle était disproportionnée par rapport à sa capacité contributive limitée. Elle a précisé ne pas contester les constatations opérées, ni les infractions commises, qu'elle a qualifiées de "légères" et relevant de l'inadvertance. Elle a fait valoir qu'il s'agissait d'actes dus à un suivi incorrect en raison de l'absence de la personne en charge de la comptabilité, invoqué ses difficultés financières et son absence de liquidités. Elle a annoncé avoir mis en place des mesures qu'elle s'engageait à respecter, en particulier un tableau de suivi (sous format Excel, dont elle a produit des extraits) des heures de travail pour chacun des employés.
La Commission paritaire a maintenu "la peine conventionnelle de 3'855 fr. 65". Elle s'est référée au barème genevois, relevant que le montant de 3'355 fr. 65 était erroné car n'incluant pas "le montant de 500 fr. pour le paiement en espèces".
Parallèlement, elle a formé une "demande reconventionelle" tendant à la condamnation de B______ Sàrl à lui verser 3'855 fr. 65.
Elle a présenté un calcul, fondé sur le barème précité publié sur son site internet, soit 500 fr. par travailleur pour un paiement par un moyen non conforme, 1'500 fr. par travailleur pour l'absence de décompte des heures, et 355 fr. 65 "pour le calcul erroné des salaires des travailleurs contrôlés".
A l'audience de la CRCT du 11 juin 2024, les parties ont requis l'arbitrage de la Chambre. La Commission paritaire a déclaré accepter de baisser l'amende à 3'000 fr., en raison de "certaines erreurs au niveau de l'indemnité forfaitaire et vacances suite aux explications de la Chambre" (explications non portées au procès-verbal). B______ Sàrl a déclaré proposer de payer 1'500 fr.
Sur quoi, la Chambre a annoncé qu'elle rendrait une sentence arbitrale.
C. Par sentence arbitrale du 11 juin 2024, expédiée pour notification aux parties le 2 janvier 2025, la CRCT a condamné B______ Sàrl à verser 1'500 fr. à la Commission paritaire A______ Genève.
Elle a considéré que le montant de 3'000 fr., auquel avait été ramenée la peine conventionnelle, demeurait excessif et relevait d'une sévérité disproportionnée, vu les arguments soulevés par B______ Sàrl.
D. Par acte du 5 février 2025, la Commission paritaire A______ a formé recours contre la sentence précitée. Elle a conclu à ce que celle-ci soit réformée en ce sens que B______ Sàrl soit condamnée à lui verser principalement 3'855 fr. 65, subsidiairement 3'000 fr.
B______ Sàrl n'a pas déposé de réponse.
Par avis du 21 mars 2025, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
1. La Cour est saisie d’un recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue par la Chambre des relations collectives de travail. Elle examine d’office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC).
1.1 La Convention Collective de Travail A______ 2019 (CCT/A______) prévoit à son art. 51 al. 2 que les décisions de la Commission professionnelle paritaire cantonale (CP/A______) peuvent faire l’objet d’un recours dans les trente jours auprès de la Chambre des relations collectives de travail (CRCT). Selon la même disposition, la CRCT est saisie soit en tant qu’instance de conciliation, soit en tant qu’instance d’arbitrage. La CRCT est définie dans le cadre de la loi concernant la Chambre des relations collectives de travail (LCRCT). Cette loi institue une Chambre des relations collectives de travail à Genève, avec les compétences, notamment, de prévenir et concilier les différends d’ordre collectif concernant les conditions de travail et de trancher les différends collectifs comme tribunal arbitral public (art. 1 al. 1 let. a et e LCRCT). L’art. 10 LCRCT prévoit que la Chambre peut statuer comme tribunal arbitral public sur tout litige qui lui est soumis d’entente entre les parties. L’art. 7 du Règlement d’application de la loi concernant la Chambre des relations collectives de travail (RCRCT) dispose que les parties aux conventions collectives et les organisations professionnelles ayant qualité pour agir selon le droit fédéral sont notamment considérées comme parties ayant la qualité pour requérir la réunion de la Chambre des relations collectives de travail. L’art. 15 RCRCT prévoit que la sentence arbitrale rendue par la CRCT est minutée comme un jugement et est assimilée, pour son exécution, à un jugement définitif. Ni la LCRCT ni le RCRCT ne prévoient d’instance de recours cantonale contre une décision prise par la Chambre des relations collectives de travail en tant que tribunal arbitral instaurée par la CCT/A______. Cette dernière ne prévoit pas non plus un tel recours.
Dans un arrêt 4A_53/2016 du 13 juillet 2016, la première Cour de droit civil du Tribunal fédéral a considéré que la CRCT est une instance publique cantonale lorsqu’elle agit en qualité de tribunal arbitral public et que sa composition et la détermination de son siège étant soustraites au choix des parties, elle ne peut pas être considérée comme un tribunal arbitral au sens des art. 353 et ss CPC, avec la conséquence qu’un recours direct au Tribunal fédéral sur la base de l’art. 77 al. 1 LTF est dès lors exclu et que la CRCT statue ainsi dans ces situations en tant qu’autorité judiciaire cantonale de première instance et que sa décision, comme jugement étatique, n’est pas susceptible d’être attaquée directement devant le Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’en vertu du droit fédéral, une voie de recours cantonale doit être ouverte contre une décision judiciaire de première instance de la CRCT, de sorte qu’à Genève, la Cour de justice est compétente pour connaître d’un tel recours, en sa qualité d’autorité judiciaire supérieure du Canton (ATF 139 III 252 consid. 1.6.).
La Chambre des prud’hommes de la Cour civile est compétente pour les appels et les recours dirigés contre les jugements du Tribunal des prud’hommes (art. 124 LOJ). La Chambre de céans, second degré de juridiction civile à Genève pour un litige ayant trait au droit du travail, est dès lors compétente pour connaître des recours dirigés contre les décisions de la CRCT statuant en qualité de tribunal arbitral public (CAPH/204/2017 du 12 décembre 2017).
1.2 Le Code de procédure civile est applicable devant les juridictions cantonales aux affaires civiles contentieuses (art. 1 CPC). L’appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins dans les affaires patrimoniales (art. 308 CPC). Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent faire l’objet d’un appel. Le recours doit être formé par écrit, être motivé et introduit auprès de l’instance de recours dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée.
1.3 Au vu de ce qui précède, le recours formé dans le délai et selon la forme prévus par la loi, est recevable, dans ses conclusions subsidiaires. La peine conventionnelle a en effet été révisée pour être fixée en dernier lieu (à l'audience de l'autorité inférieure) par la recourante elle-même à 3'000 fr., de sorte que les conclusions excédant ce montant ne sont pas recevables.
2. La recourante reproche à l'autorité inférieure une violation de son droit d'être entendue de par la motivation lacunaire de la sentence arbitrale, et une violation de l'art. 163 al. 3 CO.
2.1 Le droit d'être entendu, consacré à l'art. 29 al. 2 Cst., implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse en saisir la portée, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision; il n'est pas tenu de discuter tous les arguments soulevés par les parties, mais peut se limiter à ceux qui lui apparaissent pertinents (ATF 143 III 65 consid. 5.2;
142 II 154 consid. 4.2; 142 III 433 consid. 4.3.2 et les arrêts cités).
2.2 En vertu de l'art. 52 al. 2 et 3 CCT/A______, toute infraction aux dispositions de ladite convention peut être sanctionnée par une amende d'un montant de 30'000 fr. au plus par cas d'infraction, sans préjudice de la réparation des dommages éventuels. La CP/A______ peut déroger et aller au-delà de ce montant si le préjudice subi est supérieur à cette somme; ce montant peut être porté à 120'000 fr. en cas de récidive ou de violation grave des dispositions de la CCT/A______, la CP/A______ pouvant aller au-delà de cette somme si le préjudice subi est supérieur à ce montant.
Les sanctions infligées par une commission paritaire chargée de l’application d’une convention collective de travail sont des clauses pénales au sens de l’art. 160 CO. Le juge doit réduire les peines qu’il estime excessives (art. 163 al. 3 CO). Pour déterminer l’éventuel caractère excessif d’une peine, il faut, selon le Tribunal fédéral, tenir compte de la gravité de la violation contractuelle et de la faute, ainsi que du but tendant à empêcher, par une peine efficace, de futures violations du contrat (Dunand, L’exécution des peines conventionnelles notifiées par les commissions paritaires, Arbeit und Arbeitsrecht, 2017, p. 63; ATF
116 II 302 consid. 3 et 4).
2.3 Dans l’application de l’art. 163 al. 3 CO et donc dans l’usage de son pouvoir d’appréciation (art. 4 CC), le juge doit observer une certaine réserve. Une intervention du juge dans le contrat ne se justifie que si le montant de la peine fixée est si élevé qu’il dépasse toute mesure raisonnable, au point de ne plus être compatible avec le droit et l’équité. Pour juger du caractère excessif de la peine conventionnelle, il ne faut pas raisonner abstraitement, mais, au contraire, prendre en considération toutes les circonstances concrètes de l’espèce (arrêts du Tribunal fédéral 4A 468/2016 du 6 février 2017 consid. 6.1).
2.4 En l'espèce, la décision rendue par la recourante le 28 février 2024 a fixé une peine conventionnelle de 3'355 fr. 65, par référence au barème prévalant en la matière et à une pondération dont les contours n'ont pas été explicités.
Une fois l'autorité inférieure saisie par l'intimée, la recourante a, de façon peu claire, à la fois conclu à la confirmation de sa décision, indiquant toutefois que celle-ci avait arrêté une peine conventionnelle de 3'855 fr. 65, et, sur "demande reconventionnelle", à la condamnation de l'intimée au paiement du montant susmentionné. Elle a, dans le corps de ses écritures, mis en exergue une erreur de calcul qu'elle aurait commise, omettant selon elle un montant de 500 fr. dus à l'infraction constituée par le versement d'un salaire en espèces au travailleur C______.
Ultérieurement, lors de l'audience devant l'autorité inférieure, elle a pris en considération des remarques adressées par celle-ci et est revenue sur sa décision, fixant dès lors le total de la peine conventionnelle due à 3'000 fr. Ne figure toutefois au procès-verbal de l'audience aucun détail permettant de comprendre quelle a été l'incidence, chiffrée et ventilée par postes, des erreurs relevées par la Chambre. Il ne s'y trouve pas davantage d'explication de la recourante pour justifier le montant révisé par elle de la peine conventionnelle.
Au vu de ces développements procéduraux très spécifiques, la Cour n'est pas en mesure de déterminer si la peine conventionnelle de 3'000 fr. dépasserait toute mesure raisonnable et ne serait pas compatible avec le droit et l'équité, de sorte qu'elle nécessiterait l'intervention du juge.
Dès lors, la cause n'est pas en état d'être jugée. La décision attaquée sera donc annulée, et la cause renvoyée à la Chambre, pour que celle-ci explicite, dans le respect du droit d'être entendu des parties, les fondements de la peine conventionelle de 3'000 fr. révisée par la recourante en fonction des remarques (non précisées) qu'elle avait articulées à son audience, et apporte une réponse à l'interrogation formulée ci-dessus.
3. Il n'est pas perçu de frais (art. 114 al. 1 let. c CPC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé par la COMMISSION PARITAIRE A______ contre la sentence arbitrale rendue le 11 juin 2024 par la Chambre des relations collectives du travail.
Au fond :
Annule cette sentence arbitrale.
Renvoie la cause à la Chambre des relations collectives du travail.
Dit que la procédure est gratuite.
Siégeant :
Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Claudio PANNO, Madame
Filipa CHINARRO, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.
Indication des voies de recours et valeur litigieuse :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 15'000 fr.