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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2278/2021

ATAS/419/2025 du 03.06.2025 ( ARBIT )

Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2278/2021 ATAS/419/2025

COUR DE JUSTICE

Tribunal arbitral des assurances

Arrêt incident du 3 juin 2025

 

En la cause

CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

SUPRA-1846 SA

CONCORDIA SCHWEIZ, KRANKEN- UND UNFALLVERSICHERUNG AG

ATUPRI GESUNDHEITSVERSICHERUNG

AVENIR ASSURANCE MALADIE SA

KPT KRANKENKASSE AG

VIVAO SYMPANY AG

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA

SWICA KRANKENVERSICHERUNG AG

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

SANITAS GRUNDVERSICHERUNGEN AG

PHILOS ASSURANCE MALADIE SA

ASSURA BASIS SA

VISANA AG

HELSANA VERSICHERUNGEN AG

SANA24 AG

VIVACARE AG

Toutes représentées par SANTÉSUISSE, elle-même représentée par Me Amélie VOCAT, avocate

 

 

demanderesses

 

contre

A______

représenté par Me Olivier FRANCIOLI, avocat

 

 

défendeur

 


ATTENDU EN FAIT :

Que le docteur A______ (ci-après : le défendeur), né le ______ 1950, spécialiste en endocrinologie et diabétologie, exploite sous la forme d’activité indépendante, un cabinet médical à Genève depuis le 9 juillet 2012 ; qu'il est enregistré sous le code-créancier H297625, lequel l’autorise à facturer à charge de l’assurance obligatoire des soins ;

Que le 30 juin 2021, 20 caisses-maladies, toutes représentées par SANTÉSUISSE, ont déposé auprès du Tribunal arbitral des assurances (ci-après : le Tribunal de céans) une demande concernant l’année statistique 2019, et visant au paiement par le défendeur de la somme de CHF 186'259.-, calculée selon l’indice de régression, principalement, et de la somme de CHF 206'361.85, calculée selon l’indice ANOVA, subsidiairement ;

Que dans sa réponse du 16 mars 2022, le défendeur a conclu au rejet de la demande ; qu'il a sollicité la mise en œuvre d'une expertise analytique ; qu'il a également requis la production par SANTÉSUISSE de divers documents ;

Que SANTÉSUISSE, dans sa réplique du 9 janvier 2023, et le défendeur, dans sa duplique du 26 septembre 2024, ont persisté dans leurs conclusions ;

Qu'à la suite d'une comparution personnelle des parties s'étant tenue le 17 avril 2023, de nouvelles écritures et production de pièces ont été échangées les 12 juin, 12 juillet 2023, ainsi que les 4 et 6 septembre 2023 ;

Que le Tribunal de céans a invité les parties à se déterminer sur l'arrêt de principe rendu par le Tribunal fédéral le 12 décembre 2023 (9C_135/2022) et publié in ATF 150 V 129 ;

Que SANTÉSUISSE, représentée par Me Amélie VOCAT, a, le 12 novembre 2024, souligné que le cas d'espèce était différent de celui traité par le Tribunal fédéral et a fait valoir qu'elle avait procédé à une analyse de la pratique du défendeur, précise, individuelle et concrète, tant avant l'introduction de la demande en restitution, qu'au cours de la procédure arbitrale ;

Que le 16 janvier 2025, le défendeur, représenté par Me Olivier FRANCIOLI, a au contraire insisté sur le fait qu'il n'y avait pas eu d'examen au cas par cas au sens de la jurisprudence fédérale ;

 

CONSIDÉRANT EN DROIT :

Que le litige porte sur la question de savoir si la pratique du défendeur pendant l'année statistique 2019 est ou non contraire au principe de l’économicité au sens de l'art. 56 al. 1 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10) (art. 59 al. 1 let. b LAMal ; ATF 141 V 25), et, dans l’affirmative, si et dans quelle mesure les demanderesses sont habilitées à lui réclamer le trop-perçu ;

 

Que la Fédération des médecins suisses - FMH, SANTÉSUISSE et CURAFUTURA, en collaboration avec POLYNOMICS SA, ont adopté début 2023 une nouvelle convention relative au contrôle de l'économicité de la pratique médicale (art. 56 al. 6 LAMal) ; que les médecins dont l’indice est sensiblement supérieur à la moyenne (100%) sont considérés comme statistiquement « hors norme » ; qu'ils sont ensuite soumis à un examen individuel incluant une analyse de leur manière d’appliquer le tarif et de prescrire des médicaments en tenant compte du collectif de patients ; que la nécessité d’un examen individuel, auquel doivent procéder l'assureur et/ou SANTÉSUISSE avant même d'intenter une action en justice, est ainsi désormais inscrite dans la convention ;

Que dans son arrêt du 12 décembre 2023 (9C_135/2022), publié in ATF 150 V 129, le Tribunal fédéral l'a confirmé ; qu'il a ainsi rappelé que l'examen de l'économicité de la pratique médicale d'un fournisseur de prestations comportait deux phases : l'analyse de régression et, en cas de résultat hors norme, un examen de cas particulier (consid. 5.2) ; que l'établissement de l'indice de régression a uniquement pour but de détecter le fournisseur de prestations hors norme et que c'est lors de l'analyse individuelle que le fournisseur de prestations a la possibilité de justifier ses coûts trop élevés par les particularités de sa pratique (consid. 5.3) ;

Que le 23 décembre 2024, le Tribunal fédéral, se référant expressément à cet arrêt, a répété que la constatation d'une pratique non économique au sens de l'art. 56 LAMal ne pouvait être retenue que sur la base d'une analyse individuelle, soit une analyse au cas par cas effectuée dans une seconde étape ; que la demande en restitution ne pouvait être déposée auprès du Tribunal arbitral que si elle pouvait s'appuyer sur les résultats d'un examen complet du cas individuel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_795/2023) ; que le Tribunal fédéral a insisté sur le fait que l'examen des caractéristiques de la pratique ayant une incidence sur les coûts ne devait pas être reporté à la procédure arbitrale, même si les tribunaux arbitraux peuvent établir les faits pertinents pour la décision avec la participation des parties, à titre complémentaire, qu'ils administrent les preuves nécessaires et qu'ils sont libres dans l'appréciation des preuves (art. 89 al. 5 LAMal) ;

Que dans un arrêt plus récent encore, daté du 29 avril 2025 (9C_199/2022), le Tribunal fédéral a précisé que l'examen de l'économicité ne pouvait être conclu directement sur la base de l'analyse de régression que s'il était établi qu'aucun facteur particulier n'influençait la structure des coûts du fournisseur de prestations (cf. ATF 150 V 129 consid. 5.5), ou si le fournisseur de prestations ne pouvait pas rendre crédibles des points de vue qui, en tant que particularités du cabinet, nécessitaient un examen au cas par cas, ou s'il n'expliquait pas de manière plausible dans quelle mesure l'anomalie détectée dans le cadre du screening pouvait être attribuée à une telle particularité du cabinet ; de même, s'il refusait de collaborer à la collecte des données nécessaires à l'interprétation des données statistiques (consid. 6.4.2) ;

Qu'en l'espèce, SANTÉSUISSE allègue qu'elle applique devant les juridictions arbitrales romandes une méthode en tous points conforme à la convention adoptée début 2023 par les partenaires sociaux et à la jurisprudence du Tribunal fédéral ; qu'elle examine ainsi, après avoir identifié un cas suspect de polypragmasie sur la base de la méthode statistique de régression, la pratique du fournisseur de prestations avec l'ensemble des informations dont elle dispose et à la lumière des entretiens ;

Qu'il y a cependant lieu de relever que SANTÉSUISSE a déposé sa demande le 30 juin 2021, soit à une date antérieure à l'adoption de la convention susmentionnée ; qu'on ne saurait dès lors attendre d'elle qu'elle s'y soit conformée ; que dans ladite demande quoi qu'il en soit, elle ne fait aucune allusion à une analyse individuelle qu'elle aurait préalablement effectuée ;

Que SANTÉSUISSE rappelle qu'elle a interpellé le défendeur le 17 novembre 2014 déjà pour attirer son attention sur ses coûts élevés s'agissant de l'année statistique 2013 ;

Que le fait cependant d'avoir alors invité le défendeur à modifier sa pratique ne peut remplacer un examen au cas par cas, ce d'autant moins que SANTÉSUISSE n'est ensuite revenue lui reprocher sa pratique considérée comme étant non économique qu'en mars et en décembre 2019, pour les années statistiques 2017 et 2018 ; qu'on peut en déduire qu'elle avait jusque-là admis les explications données par le défendeur, mais que tel n'était plus ensuite le cas, étant précisé que la nouvelle méthode de régression a été appliquée dès 2017 ;

Que SANTÉSUISSE reproche par ailleurs au défendeur de « feindre de collaborer » et de ne lui avoir transmis que des documents n'ayant aucune valeur probante ;

Qu'il est vrai que le fournisseur de prestations demeure tenu d'indiquer les particularités de sa pratique et de les étayer (cf. ATF 150 V 129 précité consid. 5.3.2) ; qu'il apparaît toutefois que le défendeur en l'espèce s'est au contraire efforcé de collaborer activement à la récolte des informations utiles pour expliquer ses particularités ;

Que cela étant, il ne suffit pas non plus que le défendeur ait été à même d'exposer ses arguments quant aux particularités de sa pratique ayant une incidence sur les coûts ; qu'il est également nécessaire que les particularités invoquées soient examinées par SANTÉSUISSE et que les résultats d'une évaluation complète du cas individuel soient pris en compte avant la procédure arbitrale (9C_199/2022 consid. 6.1 et 6.2) ;

Que SANTÉSUISSE a produit des factures anonymisées du défendeur que lui ont transmises deux des demanderesses (pièces 30 et 31), dont il résulte l'utilisation de blocs de facturation impliquant un chaînage ;

Que ces pièces toutefois n'ont été versées qu'en cours de procédure ; qu'elles ne représentent quoi qu'il en soit pas une évaluation complète du cabinet telle que voulue par le Tribunal fédéral ;

Que force est, au vu de ce qui précède, de constater qu'en l'espèce, lorsque SANTÉSUISSE a saisi le Tribunal de céans d'une demande en restitution le 30 juin 2021, elle n'avait pas procédé à l'examen au cas par cas à présent clairement exigé par la jurisprudence ;

Que l'art. 56 LAMal est ainsi violé ; que la plainte à déposer auprès du tribunal arbitral cantonal doit en effet se baser sur les résultats d'une évaluation complète du cas individuel ; que l'appréciation du cas individuel qui a été omise ne peut pas être rattrapée dans la procédure arbitrale ; qu'étant donné qu'un examen au cas par cas a fait défaut dans le cas présent, les bases de décision du Tribunal de céans sont incomplètes (9C_199/2022 consid. 6.2 ; ATF 150 V 129 consid. 5.6 et 5.8) ;

Qu'il y a dès lors lieu de demander à SANTÉSUISSE de mettre en œuvre, en collaboration avec le défendeur, la seconde étape de la méthode de screening, en d'autres termes de déterminer, en procédant notamment à une analyse au moyen d'une évaluation par échantillon d'un nombre représentatif de factures concrètes, si les particularités de la pratique invoquées par le défendeur ont été prises en compte par l'analyse de régression et, le cas échant, dans quelle mesure elles influencent l'indice de régression  ;

Qu'un délai au 31 octobre 2025 lui est accordé pour effectuer cette analyse ;

Que la procédure est par ailleurs suspendue durant ce délai en application, par analogie, de l'art. 14 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10) (ATF 150 V 129 consid. 5.8.1) ;

Qu'il convient enfin de relever qu'en l'état, aucune suite ne sera donnée aux conclusions du défendeur visant à ce que certaines mesures d'instruction soient réalisées ; qu'elles ne peuvent en effet qu'être écartées, au vu de l'issue du présent arrêt incident ; qu'il en est de même pour l'expertise demandée par le défendeur, étant à cet égard rappelé que l'examen au cas par cas ne peut être remplacé par une expertise qui serait ordonnée par le Tribunal arbitral (9C_795/23 consid. 6.4).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES:

Statuant sur incident

1.        Impartit à SANTÉSUISSE un délai au 31 octobre 2025 pour procéder conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral et présenter des nouvelles conclusions, sur la base de son analyse.

2.        Suspend la cause jusqu'à cette date.

3.        Réserve le fond.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le